Chronique nippone : origine du peuple japonais

Une récente étude parue dans la revue Science le 17 avril 2024 ( https://doi.org/10.1126/sciadv.adi8419 ) effectuée à l’Université de Yokohama précise l’origine de la population du Japon moderne. L’occupation de l’archipel débuta vers 14000 ans avant l’ère commune par des chasseurs-cueilleurs de l’ère Han provenant de la région du Fleuve Jaune aujourd’hui en Chine. Cette occupation donna lieu à la culture Jomon qui malgré le fait qu’elle est classée dans la période du néolithique fut caractérisée par la production de poteries considérées comme les plus anciennes dans le monde (Musée national du Japon).

Cette immigration fut suivie d’une autre vague humaine qui s’établit dans l’archipel d’Okinawa et qui se mélangea considérablement avec le peuple Jomon. Il subsiste une incertitude quant à l’origine de ce peuple qui arriva Vers 500 à 300 avant l’ère commune. Dans l’île de Miyako de cet archipel les caractéristiques génétiques sont les plus marquées, encore aujourd’hui. Cette origine génétique n’a pas donné lieu à des études détaillées alors que l’étude présente a procédé à une analyse très détaillée concernant 3256 génomes équitablement répartis sur tout l’archipel nippon.

Puis une troisième vague d ‘« invasions » provenant de la péninsule de Corée et constituée d’un mélange génétique entre Coréens et Chinois Han des régions chinoises au nord du Fleuve Jaune, mélange appelé admixture, débuta vers le début de l’ère commune. Apparemment la proximité de l’île de Taïwan avec l’archipel d’Okinawa n’a pas été favorable à ces vagues d’immigration à moins que les aborigènes encore présents dans cette île ne soient pas différenciables des habitants du nord du Fleuve Jaune. Cette étude a en outre montré une présence non négligeable de gènes Denisovans et de gènes d’origine néandertalienne. Ces gènes denisovans se retrouvent distinctement dans l’île Ayta des Philippines et les gènes concernés par des origines néandertaliennes se retrouvent notamment en Islande ! Comme dans le cas des populations présente dans la région asiatique de l’est la culture du riz n’a été introduite au Japon que durant l’ère Yayoi qui succéda à l’ère Jomon vers 300 avant l’ère commune. Il est vrai que la culture du riz est sophistiquée dans la mesure où il est nécessaire de préparer des terres arables parfaitement plates, de disposer d’eau pour contrôler leur inondation et enfin produire des pousses de riz. L’origine de culture du riz est également chinoise.

Afin de comprendre l’illustration provenant de l’article cité en référence il est nécessaire de connaître en quoi consiste une analyse par composant principal d’une variable (voir la note en fin d’article). Cependant les analyses effectuées dans le cas de la génétique du peuple du Japon par cette technique a montré que l’extension des peuples ayant envahi le Japon par vagues successives depuis la péninsule coréenne dans tout l’archipel jusqu’à Hokkaido fut un long processus qui dura près de 15000 ans avant l’ère commune. Il n’est mentionné nulle part dans cette étude la présence d’immigration en provenance de la Sibérie orientale car il s’agit probablement de vagues humaines issues à nouveau de la région du Fleuve Jaune dont il faut rappeler ici qu’elle fut le berceau de nombreuses inventions technologiques alors que les civilisations grecque et assyrienne n’existaient tout simplement pas ! Il est probable que le savoir-faire Jomon pour la confection de poteries datant de plus de 10000 ans avant l’ère commune est issu de cette région de la Chine. Il est raisonnable de conclure que la civilisation japonaise fait également partie d’une des plus vieilles du monde.

Note explicative. PCA = analyse du paramètre principal, AL = fréquence des allèles, MAF = fréquence des allèles mineurs, PCA-UMAP = outil d’approximation et de projection pour analyse du paramètre principal (PCA), K facteur de contrainte de l’analyse par composant principal par région du Japon.

Docteur, ma fille souffre d’acné, que faut-il faire ?

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La réponse est dorénavant « rien puisque c’est génétique ». L’acné est la résultante d’un dysfonctionnement des follicules pileux réunissant la production de sébum, la kératinisation de ces follicules, une inflammation et enfin une colonisation de ces follicules par une bactérie, Propionibacterium acnes, conduisant à des infections récurrentes au niveau du visage, de la poitrine et du haut du dos. cette maladie apparaît au cours de l’adolescence et peut parfois persister durant plusieurs années en laissant des cicatrices visibles chez plus de 20 % des patients. De plus l’acné peut entrainer de sérieuses conséquences psychologiques telles qu’un état dépressif pouvant parfois aller jusqu’au suicide. Il existe des traitements éliminant la présence de bactéries mais ils sont le plus souvent inefficaces. Des analyses génétiques ont montré que l’acné est associé à des mutations sur au moins trois loci dans la population européenne et deux dans la population chinoise.

Une récente investigation génétique concernant des sujet souffrant d’acné sévère a montré l’implication de 15 loci génomiques impliqués dans le développement de l’acné car ils contribuent à une variation de la structure et à l’intégrité de l’unité pilo-sébacée de la peau. Ces résultats ont été acquis en analysant l’ADN de 3823 sujets souffrant d’acné sévère en comparaison de 16144 sujets sains, analyses comprenant 7,4 millions de mutations ponctuelles (SNPs, acronyme de single nucleotide polymorphism)) afin de déterminer celles qui sont associées aux allèles déterminant le dysfonctionnement des follicules pileux. L’un des gènes affecté par une mutation code pour une protéine de signal qui contribue à la régulation de l’agencement des cellules constituant le follicule pileux et ce gène est plus exprimé chez les hommes que chez les femmes. Cette différenciation selon le sexe n’a pas été retrouvée avec les autres SNPs identifiées. Une autre SNP bien identifiée concerne un facteur de transcription dont l’importance est critique au cours de la morphogenèse du follicule pileux et il a été identifié dans certaines pathologies du derme.

Il a été difficile enfin d’attribuer clairement un rôle aux 12 loci pourtant bien identifiés statistiquement comme étant liés à l’apparition de l’acné.

Cette pathologie est donc essentiellement d’origine génétique, une origine qui favorise la colonisation bactérienne provoquant des infections récurrentes. Un traitement raisonné de l’acné consisterait en définitive à maintenir un développement harmonieux du follicule pileux. L’imagination des biologistes arrivera peut-être un jour à venir à bout de cette pathologie qui empoisonne la vie de nombreux adolescents.

Source : Nature Communications DOI: 10.1038/s41467-018-07459-5 , illustration Wikipedia.

Un dogme central de la génétique battu en brèche

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Au cours des immenses progrès en 30 ans de la génétique un dogme apparut et que personne n’avait jusqu’à ce jour remis en cause : l’ADN des mitochondries – ces petites centrales énergétiques de la cellule vivante qui produisent de l’ATP en « brûlant » par exemple du glucose et donc en consommant de l’oxygène puis rejetant du CO2 – provenait, au cours de la reproduction sexuelle, de la mère et exclusivement de celle-ci. Les milliers de copies de cet ADN mitochondrial circulaire de 16569 paires de bases codant pour 37 protéines différentes (chez l’homme) et retrouvées dans chaque cellule sont toutes identiques, on dit homoplasmiques en termes savants, c’est-à-dire provenant uniquement de la mère. Lors de la fécondation d’un ovule qui contient des mitochondries de la mère, les mitochondries géantes du spermatozoïde, selon ce dogme, ne pénètrent pas à l’intérieur de l’ovule ou si par erreur certaines d’entre elles arrivent à pénétrer elles sont alors immédiatement détruites. C’est aussi en s’appuyant sur ce dogme que certains aspects des recherches paléogénétiques ont progressé. En effet l’ADN mitochondrial, en termes de mutations, varie plus rapidement que l’ADN nucléaire, un paramètre qui a permis de dater certaines divergences matrilinéaires entre sous-espèces au cours de l’évolution comme par exemple la divergence entre les chimpanzés et les bononos.

Lorsque divers travaux se focalisèrent sur des maladies génétiques d’origine mitochondriale il apparut que cet ADN mitochondrial n’était pas totalement homoplasmique mais qu’il coexistait une forme d’ADN mitochondrial non muté avec la forme mutée. Par exemple dans le cas de la maladie génétique de Leigh qui conduit à un retard mental sévère, des troubles moteurs profonds et la mort à la suite de convulsions et d’insuffisance respiratoire au bout de quelques années, la gravité de ces symptômes a pu être reliée au pourcentage d’ADN mitochondrial défectueux (mutation m.8993T>G) en regard de l’ADN mitochondrial non muté. L’ADN mitochondrial était donc à l’évidence de nature hétéroplasmique. Cette observation a alors conduit des équipes de biologistes des USA, de Chine et de Taiwan – une improbable collaboration internationale – à se pencher séparément et en utilisant des approches expérimentales différentes sur trois familles n’ayant aucun lien entre elles et dont quelques-uns des membres de ces dernières présentaient à des degrés de gravité divers des maladies génétiques d’origine probablement mitochondriale. Ces travaux avaient été initiés à la suite de la naissance d’un « enfant à trois parents » en 2016 dont l’ovule de la mère, porteuse d’une maladie génétique mitochondriale, avait été énucléé, le noyau implanté dans un ovule sain lui-même énucléé au préalable et ensuite fécondé in vitro par un gamète du père puis introduit dans l’utérus de la mère (lien en fin de billet).

L’article dont est inspiré ce billet et aimablement communiqué par le Docteur Taosheng Huang de l’hôpital pour enfants de Cincinnati qui a coordonné ces travaux fait état de la nature hétéroplasmique de l’ADN mitochondrial comme cela a été montré dans le cas de la famille A dont l’arbre généalogique est présenté ci-dessous où les carrés représentent les hommes et les ronds les femmes.

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Les symboles en noir représentent les 4 membres de la famille (II-1, II-3, II-4 et III-6) montrant une transmission biparentale de l’ADN mitochondrial. Les symboles remplis de diagonales représentent les 6 membres de la famille montrant un degré élevé d’hétéroplasmie de cet ADN mais avec transmission par la mère normale (III-1, III-2, III-5, IV-1, IV-2 et IV-3). Les membres de la famille soulignés ont fait l’objet d’une séquençage complet de leur ADN mitochondrial. Il en est ressorti une carte de l’hétéroplasmie de cet ADN :

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Par rapport à une séquence d’ADN mitochondrial de référence figurent en bleu le long de la séquence les variants hérités du père, en rose et en rouge les variants dérivés de la mère. Dans cette famille l’enfant IV-2 de 4 ans avait été diagnostiqué comme souffrant d’hypotonie et de douleurs musculaires. Son état clinique avait été attribué avant même que son ADN mitochondrial ne fut séquencé à une maladie génétique. Sa soeur jumelle (IV-3) présentait un retard d’élocution sans autres symptomes. Leur soeur plus âgée (IV-1) ne présentait aucun symptôme clinique particulier. Leur mère (III-6) avait été diagnostiquée comme souffrant d’une neuropathie légère et de douleurs musculaires au niveau des jambes, symptôme attribué à une sclérose en plaque sans qu’ait été alors suspecté un désordre mitochondrial. Les résultats des séquençages ont donc confirmé la présence de 9 variants homoplasmiques et de 31 variants hétéroplasmiques, 19 d’entre eux provenant du grand-père (II-4), de la mère (III-6) des trois enfants IV-1, IV-2 et IV-3.

Cette étude ainsi que celles effectuées sur deux autres familles confirme qu’il existe bien une hétéroplasmie de l’ADN mitochondrial de type père/mère à des degrés divers expliquant au moins en partie les différences de gravité des symptômes cliniques. À la vue de ces résultats une question apparaît et dont l’éclaircissement demandera probablement des années d’investigation : quelle est la déficience, cette fois au niveau de l’ovule et au cours de la fécondation, expliquant la présence d’ADN mitochondrial d’origine paternelle ? Il s’agit peut-être d’un défaut dans la capacité d’autophagie (il faut parler ici de mitophagie) des mitochondries d’origine paternelles au cours des toutes premières divisions cellulaires de l’embryon ou alors d’une dérégulation de la duplication de l’ADN mitochondrial paternel échappant à tout contrôle nucléaire lors de ces premières divisions cellulaires. Pour confirmer ce type d’hypothèse la tâche risque d’être particulièrement rude et longue.

Source : http://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1810946115 aimablement communiquée par le Docteur Huang qui est vivement remercié ici.

Et « enfant à trois parents » : https://doi.org/10.1016/j.rbmo.2017.01.013

Note. Selon le dictionnaire Larousse le dogmatisme est – je cite –  » une attitude philosophique ou religieuse qui, se fondant sur un dogme, rejette catégoriquement le doute et la critique « . Il n’existe par de dogmes dans les disciplines scientifiques, quelles qu’elles soient, car la science évolue sans cesse et les remises en question font partie de l’attitude normale d’un scientifique.

L’histoire génétique de la laitue

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La laitue est le légume le plus répandu sur la table de salle à manger. C’est une composée de la famille des Asteracées et l’ancêtre des variétés cultivées est la Lactuca serriola. Elle fut déjà cultivée 2500 ans avant l’ère présente en Egypte et en horticulture seules les variétés à feuilles abondantes sont cultivées à quelques exceptions près. En Asie certaines laitues sont cultivées pour leur tige florale qui est comestible et en Egypte d’autres variétés sont appréciées pour l’huile de leurs graines. Pour y voir un peu clair dans l’évolution des variétés de laitue les ADNs de 260 cultivars de laitue ont été séquencés et la localisation sur l’ensemble des 10 chromosomes de la plante, depuis l’ancêtre L. serriola à ne pas confondre avec la scarole qui est une chicorée et non une laitue, de plus de 1 million de mutations ponctuelles (SNPs) ont été identifiées et 506821 d’entre elles ont été ultérieurement analysées. Le génome de la laitue, comme d’ailleurs celui de beaucoup de végétaux est plus complexe que celui de l’homme puisqu’il comporte 4,7 milliards de bases alors que le génome humain n’en comporte que 3,3 milliards dont 22300 gènes. Et pourtant celui de la laitue ne code que pour 22039 gènes.

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Chaque cultivar (par exemple pour la laitue romaine 31 spécimens ont été analysés) forme un sous-groupe génétique. Il y a 9 groupes distincts de cultivars comprenant également la laitue cultivée pour ses graines et la laitue dite atypique proche de la romaine. L’analyse des SNPs a permis de remonter dans le temps. C’est ainsi que la laitue a été domestiquée pour la première fois 10829 années avant l’ère présente dans le « Croissant Fertile » c’est-à-dire que la laitue faisait partie des premières plantes domestiquées par l’homme. Les premières divergences génétiques sont apparues 1922 ans avant l’ère présente et correspondent à l’apparition de la laitue en Chine. La romaine, la laitue frisée et la laitue-beurre ont divergé environ 500 ans avant l’ère présente. Aujourd’hui pour les 30 millions de tonnes de laitues produites chaque année (Europe : 2,4 millions de tonnes) tout ceci paraît anecdotique mais ce qui est intéressant de retenir est l’extrême stabilité de l’ensemble des gènes codant pour le métabolisme des flavonoïdes, certains de ces composés chimiques présentant des vertus médicinales et conférant parfois à la laitue son goût légèrement amer ainsi que les gènes impliqués dans la synthèse des anthocyanes comme par exemple pour « la feuille de chêne » ou la romaine rouges.

Source : doi : 10.1038/s41467-017-02445-9

Je n’ai pas trouvé les noms communs en français des cultivars représentés dans cette étude et donc j’ai traduit les noms  anglais. Mes lecteurs s’y retrouveront. Illustration : looseleaf = laitue à feuilles détachables, butterhead = laitue-beurre, crisphead=laitue croûtée ou frisée, oilseed=laitue oléagineuse, romaine=laitue romaine sont des cultivars de la laitue Lactuca sativa. L. saligna et L. virosa sont des ancêtres de L.sativa.  Prochain article dans cette même rubrique : la pomme de terre.

Le gène de l’homosexualité, une chimère statistique ?

Décriminaliser l’homosexualité comme par exemple en Arabie Saoudite ou en Egypte pourrait être un jour envisagé si on se réfère aveuglément à une étude réalisée à l’Université de Chicago relative aux différences génétiques entre homosexuels (1077 sujets étudiés) et hétérosexuels (1233 sujets étudiés). Tout a été fait avec des machines depuis la préparation des échantillons de sang ou de salive, jusqu’au séquençage de l’ADN puis l’étude statistique des résultats. Pour comprendre que la biologie moléculaire moderne est une histoire de machines automatiques et que la créativité du biologiste ne réside plus que dans des spéculations parfois hasardeuses parmi les 877000 SNPs (single nucleotide polymorphisms, mutations ponctuelles sur une seule base de l’ADN) détectées par le séquençage, 361870 d’entre elles ont été retenues pour une analyse détaillée. Après divers filtrages seulement 361080 ont finalement fait l’objet d’une recherche à l’aide de logiciels d’analyse spécialisés.

Il a résulté au final de ce travail effectué sans éprouvettes ni tubes à essai mais seulement avec des robots que les homosexuels présentaient une plus forte tendance statistique de SNPs que les hétérosexuels sur deux gènes bien précis situés respectivement sur les chromosomes 13 et 14. Il s’agit des gènes rs9547443 sur chromosome 13 et rs1035144 sur le chromosome 14.

Là où les biologistes ont du faire tout de même preuve de quelque créativité réside dans l’interprétation à donner ou plutôt à trouver pour expliquer le pourquoi et le comment de l’homosexualité. Venons-en donc aux faits.

Le premier gène affecté par des SNPs anormalement abondantes chez les homosexuels et situé sur le chromosome 13 s’appelle SLITRK6. La protéine codée est impliquée dans le développement des neurones en particulier au niveau du diencéphale, c’est-à-dire la partie la plus interne du cerveau qui comprend aussi l’hypothalamus et l’hypophyse. Cette protéine est également connue comme étant un candidat pour expliquer certains désordres neuropsychiques et de comportement. De là à dire que l’homosexualité relève de la psychiatrie serait hasardeux bien que certaines études (citées dans l’article, voir le doi en fin de billet) indiquent que le diencéphale serait plus développé chez les homosexuels que chez les hétérosexuels.

L’autre concentration statistiquement significative de SNPs située sur le chromosome 14 concerne un gène codant pour le récepteur de l’hormone de stimulation de la glande thyroïde (TSH ou thyrotropine), nommément le gène TSHR. Si le principal tissu affecté par l’hormone en question sécrétée par l’hypothalamus est la glande thyroïde il existe également d’autres tissus riches en ce récepteur dont certaines zones du cerveau densément peuplées de neurones comme l’hyppocampe. De là à dire après s’être longuement gratté le cuir chevelu qu’il y aurait peut-être une influence sur l’orientation sexuelle me paraît, à mon humble avis, un peu « téléphoné » comme on dit dans les chaumières.

Bref, le mythe d’une origine génétique de l’homosexualité ressurgit périodiquement mais cette fois avec quelques évidences qu’il faut prendre avec des pincettes après avoir lu en détail cet article.

Source et illustration relative au chromosome 13 : 10.1038/s41598-017-15736-4

Le vieillissement du visage : pas de traitement en vue

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Le « look » facial est l’un des plus importants arguments de marketing des cosméticiens. Mais la question est de connaitre les raisons pour lesquelles certaines personnes du même âge paraissent plus vieilles que d’autres. C’est ce à quoi se sont attaqués une équipe de biologistes de l’Université de Leiden sponsorisée par Unilever, l’un des géants mondiaux de la cosmétique et ils n’ont pas été déçus malgré la minceur des résultats obtenus. Une femme voulant paraître plus jeune pourra se tartiner de crèmes apaisantes, rajeunissantes, revitalisantes, anti-rides, anti-vieillesse ou je ne sais quoi encore … dans ce domaine les cosméticiens font preuve d’une créativité surprenante, elle ne pourra rien contre le vieillissement de son épiderme facial, un processus qui ne dépend que … de la génétique.

Depuis des temps immémoriaux les femmes cherchent à paraître plus jeunes, un signe de bonne santé et de fécondité. Or le vieillissement du corps et donc de l’épiderme est un processus inexorable qui est la résultante d’une multitude de facteurs. L’apparition de rides, de taches de vieillesse, de dépigmentation constituent la hantise des femmes qui veulent à tout prix paraître encore jeunes et séduisantes. Il y a cependant des femmes qui semblent, de par leur aspect visuel, vieillir plus lentement que d’autres. C’est sur la base de cette observation qu’une équipe de 5 personnes, une sorte de jury de la beauté, a examiné et noté l’aspect de la face de 2693 personnes, toutes originaires des Pays-Bas, hommes et femmes, pour en déterminer ce qu’on pourrait appeler l’ « âge facial ».

Après avoir établi un classement, une étude du génome de ces personnes a été effectuée afin d’établir une carte des SNPs (single nucleotide polymorphisms) et la réponse n’a pas tardé : l’apparence faciale « plus vieille » est liée à une abondance des SNPs au niveau d’un gène particulier appelé MC1R et ce n’est pas n’importe quel gène puisqu’il s’agit de celui codant pour le récepteur de la mélanocortine (voir ci-dessous). Là où les choses se compliquent si on se place du point de vue du cosméticien, c’est tout simplement parce qu’il ne pourra jamais rien faire pour influer sur une déficience de ce récepteur : des femmes (et des hommes) possédant dans leur bagage génétique des gènes du MC1R codant pour un récepteur de la mélanocortine déficient auront, les années passant, un aspect « plus vieux », point à la ligne.

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Cette étude n’est pourtant pas un coup d’épée dans l’eau car elle révèle que l’aspect du vieillissement est bel et bien multifactoriel, outre le mauvais fonctionnement de la télomérase, un enzyme qui maintient peu ou prou une longueur satisfaisante des extrémités des chromosomes, les télomères, dont on a découvert la fonction avec le syndrome de Werner qui conduit à un vieillissement généralisé et prématuré de l’organisme. Le récepteur de la mélanocortine est important pour l’organisme à plus d’un titre et pas seulement pour l’aspect de l’épiderme car la protéine en question, sécrétée par l’hypophyse, est multifonctionnelle. Elle conduit effectivement à la MSH, l’hormone stimulant les mélanocytes et participant par ailleurs à la régulation énergétique de l’organisme, mais également à l’ACTH, celle qui régule le fonctionnement des glandes surrénales et enfin à la lipotropine, sous deux formes, une autre hormone qui régule le fonctionnement du tissu adipeux et intervient dans le développement de l’obésité. Il s’agit donc bien d’un processus complexe ciblant de nombreux aspects du métabolisme et toute perturbation conduit à une dégradation, entre autres signes extérieurs, de l’aspect visuel du visage aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

Unilever, comme d’autres cosméticiens, pourra créer à l’infini des crèmes de beauté anti-vieillissement, rien n’y fera si ce récepteur est génétiquement endommagé à moins de ruser et d’y incorporer des substances dont les propriétés pharmacologiques sont encore inconnues et qui n’ont donc pas actuellement d’usage thérapeutique comme par exemple le BMS-470539, un produit anti-inflammatoire qui se fixe spécifiquement sur le récepteur MC1R (voir le lien). Dans un prochain billet je proposerai à mes lecteurs une autre approche inattendue des effets de la mélanocortine.

Source et illustration : http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2016.03.008

http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1476-5381.2010.00688.x/abstract;jsessionid=5ABFDC4B8197FCBB7AE4ECEEB80A5B98.f03t04

A la recherche de l’ « autre » tribu d’Israël : les Ashkénazes

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Les Ashkénazes ont été depuis des temps reculés considérés comme des juifs errants parlant une langue qualifiée d’allemand de mauvaise qualité. C’est d’ailleurs sur ces a priori sans fondement qu’Hitler organisa l’Holocauste. Mais que sait-on en réalité des origines de ce peuple disséminé aujourd’hui sur les 5 continents : pas grand-chose sinon que la langue parlée par les Ashkénazes était et est toujours, mais de moins en moins, le Yiddish. L’origine de cette langue vernaculaire datant de plus de 1000 ans s’explique assez aisément si l’histoire des Ashkénazes est prise en considération. Cette langue est clairement un mélange de slave, d’hébreu et d’allemand avec quelques touches d’iranien, de romanche, d’ukrainien et de turc, c’est assez compliqué. Les mots d’origines diverses comme le vocabulaire d’origine allemande ont été profondément déformés ou modifiés. Quant à la syntaxe elle est fondamentalement différente de celle de l’allemand et peut être assimilée à celle du romanche. Difficile dans ces conditions de trouver une origine précise pour les Ashkénazes parlant encore cette langue si l’on se réfère seulement à la langue.

C’est en allant fouiller dans les banques de données génétiques, travail qu’effectua une équipe de biologistes de l’Université de Sheffield en collaboration avec l’Université de Tel Aviv, qu’est apparue l’origine des Ashkénazes en prenant en compte l’histoire de ces derniers pour cibler les recherches en utilisant un outil informatique permettant de préciser l’origine géographique d’un individu en quantifiant les mélanges génétiques apparaissant après analyse de l’ADN par rapport à un éventail de populations dont l’origine géographique est parfaitement connue. Si les « distances génétiques » sont faibles, on se rapproche de cette origine géographique et inversement. Comme la pauvreté des restes archéologiques concernant la population ashkénaze n’a pas permis de remonter dans le temps avec des analyses d’ADN directes, celles-ci ont été effectuées auprès de 367 volontaires ayant pu prouver l’origine ashkénaze de leurs ancêtres. Parmi ces personnes, une bonne moitié purent indiquer clairement que leurs parents ou grand-parents parlaient le yiddish et parlaient encore eux-mêmes cette langue. Une autre moitié des participants ne parlaient plus le yiddish. L’essentiel des participants fut trouvé dans la communauté juive ultra-orthodoxe d’Amérique du Nord.

Pour expliquer comment fut ciblé l’outil de recherche, il faut faire un peu d’histoire des mouvements de populations originaires de Judée. Il y eut d’abord l’exil dit « romain » suivant la mise à sac de Jérusalem par les Romains en 70, exil qui fut précédé en 586 avant l’ère présente par l’invasion babylonienne de la Judée provoquant une vague d’émigration vers l’Iran. Après 70 ces émigrants arrivèrent en Italie puis en France vers 200-400 après JC. L’installation des « Judéens » – les futurs Ashkénazes – en Rhénanie et en Bavière ne date que des années 1000 de notre ère, ce qui explique la date d’émergence du Yiddish tel qu’il est connu aujourd’hui. Ces mouvements successifs expliquent aussi que cette langue s’enrichit de mots allemands tout en conservant une syntaxe dite judéo-romance acquise pendant de nombreux siècles entre l’Italie et la France ainsi que certains mots issus de l’hébreu. Quant aux Judéens qui émigrèrent vers l’Iran bien avant ces épisodes ils réapparurent dans diverses populations turques puis slaves avant de rejoindre finalement au XVe siècle leurs lointains coreligionnaires pour former le peuple ashkénaze tel qu’il est défini aujourd’hui. Ces populations, bien établies sur la route de la soie dans l’empire Khazar fuirent cette région à peu près aux alentours de l’an 1000 quand Sviatoslav I de Kiev conquit Atil, la capitale de cet empire. Pour les non-initiés dont je fais partie, le Khazar était un riche état couvrant l’ensemble du Caucase, une grande partie de l’Ukraine actuelle et les marches sud-ouest de la Russie telle qu’on la connait de nos jours. Le Khazar contrôlait la majeure partie des diverticules de la route de la soie autres que ceux passant par l’Iran et l’Irak. Les Khazars toléraient toutes les pratiques religieuses et c’est la raison pour laquelle les ancêtres des Ashkénazes eurent la possibilité de prospérer pendant plus de 1000 ans, aidés par les opportunités commerciales qui leur étaient offertes par cette route de la soie qui joua un rôle immense durant des siècles dans cette région.

Au cours de cette étude l’hypothèse d’une origine rhénane ou bavaroise de ce peuple a été mise de côté pour se concentrer sur les populations d’Iran, de l’est de la Turquie et d’Europe orientale dans une zone allant de la mer Caspienne à l’Ukraine et la Turquie. Les pays nommés ici sont ceux existant dans leurs frontières géographiques actuelles. L’outil de détermination géographique génétique dont il a été fait mention plus haut a donc ciblé ces populations afin de tenter de remonter à l’origine des Ashkénazes. Il est utile de préciser que les mouvements migratoires se firent essentiellement par voie terrestre et que les Judéens du premier siècle après JC, par exemple, passèrent par l’est de la Turquie et comme ils étaient des marchands et des négociants ils suivirent tout naturellement les embranchements de la route de la soie comme le firent en leur temps les émigrés après 586 avant JC, cette route de la soie traversant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le nord-est de la Turquie. Pendant près de 1000 ans (après la destruction du temple de Jérusalem par les Romains) ces populations que seule la religion unissait continuèrent a prospérer en faisant du négoce.

Sans entrer dans les détails méthodologiques il est apparu que l’origine la plus probable du peuple Ashkénaze est une petite région du nord-est de la Turquie, proche de la Géorgie et de l’Arménie actuelles.

L’illustration tirée de l’article relatif à ces travaux (voir le DOI, en accès libre) résume l’ensemble des résultats obtenus. Très curieusement il existe dans cette région des villages aux noms évocateurs de l’origine des Ashkénazes qui y séjournèrent probablement très longtemps …

Source et illustration : doi: 10.1093/gbe/evw046 en accès libre

Les Demodex : un proxy pour « Out of Africa »

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En août 2014, je relatais sur un ton un peu humoristique la généalogie des ces petits acariens qui colonisent notre corps, les Demodex. Cette fois-ci l’objet de ce billet est non plus de décrire l’histoire de ces bestioles microscopiques mais ce que l’étude de leurs gènes révèle pour préciser les mouvements des populations humaines. Ça peut paraître un peu tiré par les cheveux, sans faire de jeu de mots puisque ces parasites vivent surtout dans les glandes sébacées associées au follicules pileux, mais le mode de transmission d’homme à homme et la durée de vie du parasite, une quinzaine de jours, font qu’on peut suivre de génération en génération (humaine) l’identité des Demodex par analyse de leur ADN mitochondrial et reconstituer les mouvements passés des populations. Cette approche n’est pas possible avec les bactéries car elles se divisent trop rapidement alors que les Demodex se multiplient 1000 fois plus lentement.

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L’étude réalisée sous la direction du Docteur Michelle Trautwein du Centre de Génomique Comparative de l’Académie des Sciences Californienne à San Francisco a révélé toutes sortes de surprises. Par exemple, les Afro-Américains, entendez les Noirs-Américains, ont gardé des Demodex d’origine africaine pendant plusieurs générations … Deux-cent-quarante souches de Demodex prélevées sur 70 personnes d’origines ancestrales différentes ont été étudiées et ce travail a permis de mettre en évidence quatre familles de Demodex folliculorum. Il s’agit dans l’ordre phylogénétique des Demodex d’origine africaine (A), les « plus anciens », dont descendent ceux d’origine asiatique (B) et ceux originaires d’Amérique Latine (C) et enfin les Demodex d’origine européenne (D). Il s’agit de 4 branches distinctes qu’on appelle clades descendant toutes du même ancêtre. Les résultats de cette étude confirment donc l’hypothèse « Out of Africa » de l’origine de l’homme et les mouvements de populations au cours des millénaires :

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Cette étude est intéressante car le parasite se transmet de génération en génération par la mère à son enfant et entre congénères. Cependant l’illustration ci-dessous montre clairement qu’il y a coexistence des différents clades de Demodex :

Il faut considérer qu’entre 1500 et 1866 un nombre considérable d’Africains (esclaves) furent établis en Amérique Centrale et du Sud, dix fois plus qu’en Amérique du Nord. C’est la raison pour laquelle on y retrouve majoritairement les Demodex d’origine africaine. D’autre part, la population de Demodex est stable au cours de nombreuses générations humaines, une sorte d’empreinte génétique parasitaire spécifique de chacun d’entre nous que nous transmettons à nos petits-enfants et arrière-petits-enfants depuis peut-être des millénaires … Ce parasite presque anodin a permis de vérifier, on pourrait dire humblement, que les mélanges de populations humaines furent constants et eurent pour conséquence une coexistence chez un individu donné de plusieurs sous-familles distinctes qu’on appelle des haplotypes dans le langage des généticiens. Par exemple la dispersion en Amérique du Sud des clades d’origine africaine (en brun) a introduit une coexistence avec les clades d’origine européenne (en bleu) tout simplement à la suite de métissages ou de simples contacts cutanés. Inversement chez les sujets de descendance asiatique on retrouve majoritairement la présence de clades de Demodex d’origine européenne et là encore cette mixité s’explique par la présence d’Européens en Asie depuis le XVIIe siècle.

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L’étude a été essentiellement conduite sur des sujets résidant aux USA mais d’origines diverses. Les mélanges étaient donc prévisibles. Il reste que cette étude très documentée confirme quel fut dans le passé le peuplement de l’ensemble de la planète par l’homme originaire d’Afrique. Comme quoi on a souvent besoin d’un plus petit que soi pour trouver une explication à notre origine …

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/08/31/et-si-on-parlait-des-demodex-une-nouvelle-marque-de-pret-a-porter-non-un-parasite-commun-pourtant-inconnu/

 Photo : Power & Syred, Source et illustrations : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1512609112

Les yeux bleus : une facétie de la nature.

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On trouve sur le chromosome 15 un gène appelé HERC2 codant pour une protéine qui a pour fonction de fusionner plusieurs protéines entre elles mais pas n’importe comment sinon ce serait un peu la pagaille au niveau cellulaire. Quand une mutation atteint ce gène, il semble qu’il n’y a pas trop de problèmes sauf que un autre gène situé tout près et appelé celui-ci OCA2 est affecté dans son expression pour une raison encore assez mystérieuse. À vrai dire cette histoire de gènes serait anecdotique puisqu’il n’existe aucune conséquence sur la santé mais ce qui a intrigué les biologistes est que le produit du gène OCA2 est un transporteur de la mélanine ou de son précurseur la tyrosine et il ne se trouve pas n’importe où. Il est très abondant au niveau de l’iris de l’oeil (pas de la fleur).

Il a fallu l’opiniâtreté du Docteur Hans Eiberg de l’Université de Copenhague pour démontrer que le produit du gène OCA2 est responsable de de la couleur bleue des yeux. Les êtres humains, dans l’immense majorité, ont les yeux bruns ou noirs et ceci s’explique par la présence de mélanine, le pigment noir qui colore également la peau, au niveau de l’iris. Or si une mutation vient perturber l’activité de cette protéine particulière on comprend qu’il puisse apparaître toutes sortes de modulations de la couleur des yeux comme le montre l’illustration tirée d’un article publié par Eiberg dans la revue Human Genetics il y a quelques années (lien).

Le Docteur Eiberg a étudié la génétique de plus de 400 familles de Copenhague pour faire le tour de la question et expliciter les relations existant entre la couleur bleue des yeux, de la pigmentation de la peau et des cheveux. Tous ces caractères secondaires n’affectant pas la santé des individus sont sous la dépendance d’un nombre important de mutations sur une seule base de l’ADN (SNP) mais la question qui est apparue par la suite était de savoir d’où proviennent ces mutations en d’autres termes quel groupe ethnique les a introduit en Europe puisque c’est en Europe qu’on trouve la plus grande variabilité dans la couleur des yeux. Il y a quelques jours j’ai laissé sur ce blog un billet relatif à la présence d’un groupe d’humains restés isolés dans le flanc sud du Caucase durant la dernière grande glaciation du Würm (voir le lien). Or la présence des yeux bleus n’est pas particulièrement abondante dans cette région de l’Europe.

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En réalité la localisation géographique des mutations provoquant la couleur bleue de l’iris a fait l’objet d’une véritable enquête policière. Le transfert des gènes liés à ce phénotype a eu lieu à la fin du dernier maximum glaciaire aux alentours de moins 18000 ans quand les glaciers ont commencé à se retirer. Les gènes des yeux bleus ont été apportés par les populations pratiquant l’agriculture en Jordanie, Irak, Turquie et Syrie actuels qui sont arrivés par vagues successives en Europe quand le climat est devenu progressivement plus clément. L’établissement de cette couleur est devenu stable environ 10000 ans avant l’ère présente, peut-être un événement coïncidant avec la disparition de la culture de Gobekli Tepe au sud de la Turquie, pas très loin de l’endroit où Erdogan fit abattre un avion russe il y a quelques jours, qui étaient déjà des agriculteurs et des bâtisseurs il y a plus de dix mille ans avant notre ère. Ce lent processus s’explique par la redistribution incessante des gènes au cours des générations en particulier parce que ces gènes n’affectent pas les chances de survie des individus. La palette de couleurs des yeux, du bleu clair au vert profond en passant par la couleur noisette pour aller jusqu’au noir insondable est le résultat de cette facétie de la nature …

Source : Human Genetics DOI : 10.1007/s00439-007-0460-x

https://jacqueshenry.wordpress.com/2015/11/27/a-la-recherche-du-troisieme-homme/

Voir aussi : https://youtu.be/eHG9URGDt6s

Pourquoi notre cerveau est le plus gros et le plus complexe

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En 1924 Joséphine Salmons, la seule étudiante en anatomie de l’Université de Witwatersrand en Afrique du Sud, tous les autres étudiants étaient des hommes, alla comme chaque été surveiller les excavations d’une carrière de calcaire près de la ville de Taung qui appartenait à des amis de ses parents. C’était un peu son passe-temps favori et cette année-là elle ne fut pas déçue car elle trouva le crane complet d’un singe, peut-être, en tous les cas d’un ancêtre éloigné de l’homme, un simien que les propriétaires de la carrière avaient rapporté chez eux. Elle emmena ce fossile à son professeur, le Docteur Raymond Dart. Selon toute vraisemblance il s’agissait d’un enfant et Dart le nomma Australopithecus africanus, un ancêtre de l’homme, l’enfant de Taung. Les mesures du volume de son cerveau indiquaient que ce dernier était un peu plus gros que celui du chimpanzé, 400 grammes. Il fallut attendre les années 1950 pour considérer qu’effectivement cette découverte était considérable après de nombreuses découvertes d’autres fossiles d’hominidés en Afrique et en particulier dans la région des grands lacs. L’enfant de Taung a été ultérieurement daté et aurait vécu il y a un peu plus de trois millions d’années.

Aujourd’hui on peut se faire une idée précise de la chronologie de l’évolution des hominidés. Les hominidés (nos ancêtres lointains) et les chimpanzés y compris leurs cousins proches les bonobos ont divergé d’un ancêtre commun il y a environ 7 millions d’années. Il fallut attendre 4 millions d’années pour assister au début d’une augmentation massive du volume du cerveau de notre ancêtre Homo sapiens qui tripla de volume en moins de 3 millions d’années. L’homme moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui n’apparut qu’il y a 200000 ans.

Par quel processus le cerveau de ces créatures qui allaient devenir des hommes a-t-il pu quadrupler en volume, passant de 350 à plus de 1300 grammes ? De plus parmi tous les mammifères y compris les éléphants et les mammifères marins qui ont un cerveau notoirement plus volumineux que celui de l’homme, ce dernier reste champion toutes catégories pour le nombre de neurones. Le cerveau d’un éléphant possède 5,6 milliards de neurones dans le cortex alors que celui de l’homme en rassemble dans la même zone cérébrale 16,3 milliards. Même les gorilles et les chimpanzés font pâle figure puisqu’ils possèdent respectivement 9 et 6 milliards de neurones corticaux.

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Il aura fallu attendre la révolution récente de la génétique moléculaire pour comprendre cette évolution particulière du cerveau humain. Bien que le cerveau représente 2 % du poids d’un être humain, il consomme plus de 20 % de l’énergie dont dispose le corps, essentiellement sous forme de glucose. Si on fait un bilan énergétique chez le chimpanzé, on découvre que le cerveau de ce primate consomme, rapporté à son poids, moitié moins d’énergie que celui de l’homme. Ces observations ont conduit à formuler l’hypothèse d’une redistribution de l’énergie en faveur du cerveau au cours de l’évolution de l’homme et au détriment des autres organes dont en particulier le tube digestif et les muscles. Au sujet des muscles, il est évident que le chimpanzé possède une musculature beaucoup plus développée que celle de l’homme, mais pour le système digestif la seule explication permettant d’éventuellement confirmer cette hypothèse est le régime alimentaire que développa et diversifia l’homme au cours de l’évolution. La cuisson (on considère que l’homme a inventé le feu il y a plus de 500000 ans) a favorisé cette redirection de l’énergie vers le cerveau en facilitant la digestion et donc en réduisant l’apport en énergie vers le système digestif. L’invention d’outils et d’armes pour faciliter la chasse a également contribué à réduire l’apport en énergie vers les muscles. Enfin, l’homme a très vite diversifié son régime alimentaire.

Encore fallait-il expliciter par des faits ces hypothèses et c’est ce qui a été rendu possible avec la biologie moléculaire en étudiant des cerveaux de primates et d’hommes et en quantifiant l’expression des gènes impliqués dans le transport du glucose. En effet les gènes codant pour les systèmes de transport du glucose vers le cerveau et les muscles sont différents et il a été possible de différencier entre les chimpanzés et l’homme l’expression de ces gènes. Il se trouve que le système de transport du glucose vers le cerveau est trois fois plus exprimé chez l’homme que chez le chimpanzé et à l’inverse plus d’une fois et demi plus exprimé chez le chimpanzé pour les muscles alors qu’il n’y a pas de différence au niveau du foie.

Mais il n’y a pas seulement le glucose. Une étude portant sur près de 1000 métabolites différents (métabolome) a clairement montré qu’au niveau du cortex préfrontal la divergence entre les chimpanzés et l’homme ne pouvait pas s’expliquer par la simple dérive génétique mais surtout par l’évolution. Par exemple il n’y a pas ou peu de différence pour les reins mais au niveau du cortex préfrontal cette différence due à l’évolution est 7 fois plus élevée que celle de la simple dérive génétique en ce qui concerne les profondes modifications de l’utilisation des petites molécules nécessaires à la croissance cellulaire. Qu’en est-il alors au niveau du développement embryonnaire du cerveau ?

L’approche a consisté à introduire chez la souris les gènes respectifs appelés HARE5 qui orchestrent le développement du cerveau provenant de l’homme et du chimpanzé et qui diffèrent de seulement 16 bases. Le résultat a été étonnant. Au bout de 9 jours de développement embryonnaire, il était déjà évident que le gène humain accélérait la croissance du cortex cérébral en diminuant le temps de division des cellules neuronales de 12 à 9 heures avec au final un cerveau 12 % plus gros que celui obtenu en présence de l’HARE5 de chimpanzé. Cette approche expérimentale était encore impossible il y a seulement dix ans. Le début de la divergence du gène HARE5 a pu être approximativement datée comme ayant eu lieu il y a 6 millions d’années … Il aura fallu encore près de trois millions d’années de dérive génétique pour aboutir à cet accroissement du volume du cerveau humain !

Pour conclure, l’évolution du cerveau vers une plus grande taille et une plus grande complexité est la résultante de plusieurs facteurs, alimentation et dérive génétique, qui nous différencient de nos cousins les singes.

Source et liens :

https://www.quantamagazine.org/20151110-evolution-of-big-brains/

http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fnana.2014.00077/full

http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1001871

Illustrations : Quantamagazine