Une grande partie des régulations cellulaires est assurée par l’intermédiaire de signaux dont on entrevoit seulement la complexité. Les signaux qui commandent le processus de vieillissement cellulaire préoccupent particulièrement les biologistes mais également les laboratoires pharmaceutiques car la découverte d’une molécule susceptible d’interférer dans le processus de vieillissement des cellules représente un marché potentiel considérable. Si on se limite à la peau, l’un des organes le plus étendu du corps humain, la cause première de son vieillissement est d’abord une sénescence des fibroblastes de l’endoderme, la couche interne de la peau. Lorsque ces cellules ne se reproduisent plus la peau vieillit car elles quittent leur état de repos, dit quiescence, pour entrer dans un stade dit de sénescence qui semble irréversible. Les dermatologues et les grandes compagnies commercialisant toutes sortes de cosmétiques pour maintenir un épiderme dans une jeunesse apparente se sont tous cassé les dents sur ce problème, et pour cause, il est d’une rare complexité. L’une des premières causes iévoquées est une dégradation des télomères, ces petits morceaux d’ADN qui terminent les chromosomes comme une ficelle termine les extrémités d’une saucisse. L’autre raison envisagée est une dérégulation du processus d’élimination des déchets cellulaires dans le fluide inter-cellulaire, alors le fibroblaste s’empoisonne lui-même est meurt.
C’est sur ce dernier mécanisme qui a intéressé une équipe de biologistes de l’Institut coréen de science et technologie de Daejeon sous la direction du Docteur Kwang-Hyun Cho. Comme on le fait pour sa maison on se débarrasse de ses déchets, mais au niveau cellulaire ce processus est très finement régulé par une cascade de processus activateurs (ou inhibiteurs) dont les principaux outils résident dans une modification très ponctuelle d’enzymes ou de protéines non-enzymatiques par l’introduction d’un groupement phosphate sur l’un des -OH (sérine ou thréonine) de la chaine polypeptidique constituant ces protéines. L’activité de l’enzyme est alors soit activée soit inhibée et ces « phosphorylations » sont elles-mêmes assurées par des enzymes appelés kinases. Dans le système complexe de la régulation de l’activité cellulaire il existe plus d’une douzaine de ces enzymes particuliers qui eux-mêmes répondent à des signaux externes. Pour cerner ce processus les biologistes coréens ont construit un réseau théorique de nœuds et de connexions rétro-actives inhibitrices ou activatrices. En soumettant des dizaines de milliers de molécules à des tests sur des cultures de fibroblastes de derme humain à des stades variés, en multiplication, en repos ou en sénescence une molécule chimique a montré un pouvoir de réversibilité du stade de sénescence vers celui de quiescence. La « cible » a été ainsi identifiée et il s’agit encore une fois d’une « kinase » qui se trouve au centre de la régulation de la multiplication cellulaire et du métabolisme cellulaire général. Cette kinase appelée PDK1, en quelque sorte le chef d’orchestre cellulaire, se fixe sur un motif phospho-inositol de la membrane cellulaire pour devenir active, d’où son nom Phosphoinositide-Dependent Kinase-1.

Le plus extraordinaire dans ce travail d’une minutie extrême réside dans l’identification d’un composé chimique régulant l’activité de cette kinase. Il s’agit du BX795, une drogue expérimentale (illustration) en cours d’essais pré-cliniques pour combattre le virus de l’Herpès au niveau de l’oeil, un enjeu thérapeutique majeur car on ne connait pas de vaccins efficaces contre ce virus existant sous plusieurs formes et qui affecte la presque totalité de la population. Cette molécule restaure le stade de quiescence des fibroblastes sénescents. Il pourrait s’agir d’un médicament permettant non pas de régénérer l’épiderme vieillissant mais plutôt de prévenir ce vieillissement. La drogue expérimentale BX795 agit comme anti-herpétique en bloquant également une kinase différente de la PDK1 la TBK1 ( https://stm.sciencemag.org/content/10/428/eaan5861 ).
Il est fascinant de constater que deux domaines de recherche différents et très actifs, la sénescence de la peau et l’herpès, convergent vers une même molécule expérimentale. Il est évident qu’il faudra encore de nombreuses années de recherche pour assister à une application thérapeutique de ce composé chimique car les effets secondaires suspectés sont nombreux bien que le BX795 ait été découvert en 2006 et ne soit protégé par aucun brevet pour une quelconque application.
Source : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1920338117 aimablement communiqué par le Docteur Cho, vivement remercié ici.