Vers un médicament pour stopper le vieillissement de la peau ?

Une grande partie des régulations cellulaires est assurée par l’intermédiaire de signaux dont on entrevoit seulement la complexité. Les signaux qui commandent le processus de vieillissement cellulaire préoccupent particulièrement les biologistes mais également les laboratoires pharmaceutiques car la découverte d’une molécule susceptible d’interférer dans le processus de vieillissement des cellules représente un marché potentiel considérable. Si on se limite à la peau, l’un des organes le plus étendu du corps humain, la cause première de son vieillissement est d’abord une sénescence des fibroblastes de l’endoderme, la couche interne de la peau. Lorsque ces cellules ne se reproduisent plus la peau vieillit car elles quittent leur état de repos, dit quiescence, pour entrer dans un stade dit de sénescence qui semble irréversible. Les dermatologues et les grandes compagnies commercialisant toutes sortes de cosmétiques pour maintenir un épiderme dans une jeunesse apparente se sont tous cassé les dents sur ce problème, et pour cause, il est d’une rare complexité. L’une des premières causes iévoquées est une dégradation des télomères, ces petits morceaux d’ADN qui terminent les chromosomes comme une ficelle termine les extrémités d’une saucisse. L’autre raison envisagée est une dérégulation du processus d’élimination des déchets cellulaires dans le fluide inter-cellulaire, alors le fibroblaste s’empoisonne lui-même est meurt.

C’est sur ce dernier mécanisme qui a intéressé une équipe de biologistes de l’Institut coréen de science et technologie de Daejeon sous la direction du Docteur Kwang-Hyun Cho. Comme on le fait pour sa maison on se débarrasse de ses déchets, mais au niveau cellulaire ce processus est très finement régulé par une cascade de processus activateurs (ou inhibiteurs) dont les principaux outils résident dans une modification très ponctuelle d’enzymes ou de protéines non-enzymatiques par l’introduction d’un groupement phosphate sur l’un des -OH (sérine ou thréonine) de la chaine polypeptidique constituant ces protéines. L’activité de l’enzyme est alors soit activée soit inhibée et ces « phosphorylations » sont elles-mêmes assurées par des enzymes appelés kinases. Dans le système complexe de la régulation de l’activité cellulaire il existe plus d’une douzaine de ces enzymes particuliers qui eux-mêmes répondent à des signaux externes. Pour cerner ce processus les biologistes coréens ont construit un réseau théorique de nœuds et de connexions rétro-actives inhibitrices ou activatrices. En soumettant des dizaines de milliers de molécules à des tests sur des cultures de fibroblastes de derme humain à des stades variés, en multiplication, en repos ou en sénescence une molécule chimique a montré un pouvoir de réversibilité du stade de sénescence vers celui de quiescence. La « cible » a été ainsi identifiée et il s’agit encore une fois d’une « kinase » qui se trouve au centre de la régulation de la multiplication cellulaire et du métabolisme cellulaire général. Cette kinase appelée PDK1, en quelque sorte le chef d’orchestre cellulaire, se fixe sur un motif phospho-inositol de la membrane cellulaire pour devenir active, d’où son nom Phosphoinositide-Dependent Kinase-1.

Le plus extraordinaire dans ce travail d’une minutie extrême réside dans l’identification d’un composé chimique régulant l’activité de cette kinase. Il s’agit du BX795, une drogue expérimentale (illustration) en cours d’essais pré-cliniques pour combattre le virus de l’Herpès au niveau de l’oeil, un enjeu thérapeutique majeur car on ne connait pas de vaccins efficaces contre ce virus existant sous plusieurs formes et qui affecte la presque totalité de la population. Cette molécule restaure le stade de quiescence des fibroblastes sénescents. Il pourrait s’agir d’un médicament permettant non pas de régénérer l’épiderme vieillissant mais plutôt de prévenir ce vieillissement. La drogue expérimentale BX795 agit comme anti-herpétique en bloquant également une kinase différente de la PDK1 la TBK1 ( https://stm.sciencemag.org/content/10/428/eaan5861 ).

Il est fascinant de constater que deux domaines de recherche différents et très actifs, la sénescence de la peau et l’herpès, convergent vers une même molécule expérimentale. Il est évident qu’il faudra encore de nombreuses années de recherche pour assister à une application thérapeutique de ce composé chimique car les effets secondaires suspectés sont nombreux bien que le BX795 ait été découvert en 2006 et ne soit protégé par aucun brevet pour une quelconque application.

Source : www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1920338117 aimablement communiqué par le Docteur Cho, vivement remercié ici.

Herpès et Alzheimer : une possible relation

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Fin janvier 2019 un billet de ce blog relatait une relation entre la maladie d’Alzheimer et une protéine assez commune dans le microbiome buccal, Porphyromonas gingivalis (lien). Un exo-enzyme de cette bactérie, la gingipaïne, était détectable presque systématiquement dans les cerveaux de malades morts à la suite de cette maladie. Etablir une relation de cause à effet pouvait alors être envisagée car la présence de cette protéine dans le cerveau provoquerait l’apparition de protéine amyloïde selon un système de défense propre au cerveau dont les conséquences sont dramatiques puisque la maladie d’Alzheimer est invalidante et son issue fatale. Cette maladie se place au sixième rang des causes de mortalité dans les pays de l’OCDE. Elle atteint les sujets âgés, observation indiquant qu’il s’agit d’une pathologie à évolution lente qui s’accélère dès l’apparition des premiers symptômes. On ne connait pas encore de traitement pour sinon prévenir du moins retarder l’évolution de la maladie. Le monde médical considère que la cause est multi-factorielle et toute approche thérapeutique devient alors complexe.

Dès 1997 le Docteur Ruth Itzhaki, travaillant dans le Laboratoire de neurobiologie moléculaire de l’Université de Manchester, découvrit la présence de virus de l’herpès de type 1 dans les cerveaux de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer mais la forme dormante était également présente chez des sujets n’étant pas morts de cette maladie. Selon cette biologiste un « réveil » de ce virus pourrait être l’une des causes de l’apparition de la maladie en particulier si un allèle particulier du gène de l’apo-lipoprotéine E, epsilon3, est également présent. Or cet allèle est présent dans 13 % de la population. Cependant ces travaux ont été contestés depuis lors car aucun modèle de laboratoire n’était disponible pour approfondir ces études.

C’est maintenant chose faite en redirigeant des fibroblastes de peau humaine pour les transformer en neurones qui se multiplient dans trois dimensions au sein d’éponges de soie de bombyx imprégnées de collagène servant de structure spatiale et de support. Après 4 semaines de culture le biologiste peut alors étudier les effets d’une infection par le virus de l’herpès de type 1 sur un tissu cérébral humain vivant mais artificiel avec des connexions synaptiques inter-neuronales complexes ainsi qu’une excitabilité électrique avec des micro-électrodes. Une infection massive avec le virus de l’herpès de type 1 (HSV-1) provoque la mort de la plupart des neurones alors qu’un contact modéré soit un dix-millième de la dose majoritairement létale induit des changements morphologiques que l’on retrouve dans les coupes de cerveaux de patients morts de la maladie d’Alzheimer. Après quelques jours d’infection modérée les neurones commencent à produire des amas de cellules ainsi que des fibres de protéine amyloïde ainsi que la protéine Tau, deux marqueurs de la maladie. De plus, en réponse à l’infection par l’HSV-1 un taux élevé du facteur de nécrose tumorale (TNFα) a pu être quantifié par immuno-fluorescence.

Enfin, tous les « symptômes » moléculaires de la maladie induits in vitro avec ces structures tri-dimensionnelles artificielles de cerveau par l’HSV-1 se sont révélés totalement inhibés par le valacyclovir, un anti-viral communément utilisé contre les « boutons de fièvre » provoqués par ce virus. Tous ces éléments de réponse expérimentaux ne sont cependant pas suffisants pour affirmer que certains sujets ayant souffert ou souffrant de la maladie d’Alzheimer ont été soumis à une attaque virale préalable par l’HSV-1 de leur cerveau. Ces résultats constituent un ensemble d’évidences pouvant constituer un argument en faveur d’une relation de cause à effet. Comme pour ce qui concerne la bactérie buccale Porphyromonas gingivalis très commune la très grande majorité de la population est porteuse du virus HSV-1 qui se manifeste sporadiquement au niveau épidermique, ce virus restant « dormant » dans les terminaisons ganglionaires neuronales et les ganglions lymphatiques. Environ les deux tiers de la population sont porteurs du virus HSV-1 mais rien n’indique que ce virus soit impliqué dans tous les cas de maladies d’Alzheimer malgré les évidences présentées dans les travaux présentés dans ce billet et réalisés au département d’ingénierie biomédicale de la Tuft University dans le Massachusetts.

Source : http://advances.sciencemag.org/ May 25, 2020 ; 6 : eaay8828

 

 

 

https://jacqueshenry.wordpress.com/2019/01/27/maladie-dalzheimer-coup-de-theatre-terrifiant/

doi : 10.1016/S0140-6736(96)10149-5

 

 

Les bactéries de la bouche : un monde diversifié

Une équipe de biologistes de l’Université du Colorado à Denver en collaboration avec le centre d’étude du microbiome de l’Université de Californie à San Diego a étudié le microbiome buccal de 366 personnes volontaires pour un prélèvement rapide et non invasif d’un peu de salive. Ces personnes âgées de 8 à 80 ans se répartissaient pour moitié entre adultes et enfants. Pour l’anecdote tous les sujets volontaires venaient visiter le Musée de la nature et des sciences de Denver. La carte d’identité du microbiome buccal a été réalisée par séquençage automatique de l’ARN 16S ribosomique bactérien. Chaque volontaire devait remplir un petit questionnaire relatif à ses habitudes alimentaires et à son hygiène buccale. Enfin l’équipement que l’on trouve dans beaucoup de pharmacies était également disponible pour déterminer l’indice de masse corporelle de chacun de ces volontaires. La collecte s’étala sur plus de 6 mois et le dépouillement de cette masse considérable de données a révélé des tendances intéressantes au sujet de la diversité du microbiome buccal.

Dans la bouche coexistent environ 600 espèces de bactéries et leur abondance relative dépend de l’âge, de l’hygiène buccale et du régime alimentaire. Cette abondance relative est plus marquée chez les enfants. D’une manière générale 85 % du microbiome est dominé par 5 genres de bactéries : Streptococcus, Haemophilus, Rothia, Neisseria et Veillonella. La figure ci-dessous représente cette abondance classée par ordre décroissant pour les adultes (en rouge). Chez les enfants (en bleu) quelques différences apparaissent et leur microbiome est nettement plus diversifié que chez les adultes (partie A du graphique). Il est important de noter ici que n’ont été représentés dans cette figure les genres bactériens à la condition qu’ils soient présents dans les prélèvements de salive d’au moins 75 % des sujets.

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La diversité de ce microbiome dépend aussi du sexe et de l’indice de masse corporelle en particulier chez les enfants. La présence de Neisseria et de Streptococcus mutans est plus fréquente chez les sujets ayant une hygiène dentaire médiocre.

De l’équilibre du microbiome buccal dépend non seulement un bon état de santé des dents et des gencives mais également de la santé corporelle en général. Un certain nombre de pathologies ont été reconnues comme provoquées par une mauvaise hygiène dentaire provoquant un déséquilibre de ce microbiome dont en particulier les maladies cardiovasculaires et plus récemment la maladie d’Alzheimer. Enfin, l’alimentation dite industrielle riche en carbohydrates provoque de profonds déséquilibres de ce microbiome qui sont toujours en cours d’étude quant à leur incidence directe sur la santé.

Source et illustration : https://doi.org/10.1038/s41598-020-59016-0

Lien sur ce blog : https://jacqueshenry.wordpress.com/2019/01/27/maladie-dalzheimer-coup-de-theatre-terrifiant/

Le scandale de l’insuline

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Il y a dans le monde 400 millions de personnes vivant avec un diabète insulino-dépendant. Il n’y a pas assez d’insuline disponible sur le marché et par conséquent les prix augmentent pour atteindre, par exemple aux Etats-Unis, plus de 450 dollars par mois. Devant cette situation scandaleuse du point de vue sanitaire – inutile de mentionner la situation des pays en voie de développement où les diabétiques sont condamnés à une mort prématurée – de nombreuses personnalités s’émeuvent et en particulier au sein de l’OMS, organisme qui étudie sérieusement l’autorisation de mise sur le marché d’insuline générique, celle disponible à ce jour étant contrôlée par les firmes pharmaceutiques Ely Lilly (90 % du marché mondial de l’insuline), Novo Nordisk et Sanofi.

Fixer le « juste prix » d’un médicament est un processus complexe et la protection légale des produits pharmaceutiques est également complexe. Pendant des décennies les diabétiques étaient traités par des injections d’insuline extraite de pancréas de porc ou de bœuf. Quand apparurent les techniques de recombinaison génétique il apparut que faire exprimer par une bactérie ou une levure le gène de l’insuline humaine serait une voie plus logique car avec le temps les malades développaient une réaction immunitaire modérée contre l’insuline étrangère qui devenait dès lors moins efficace pour contrôler la glycémie. Dès que les grands laboratoires furent capables de produire cette insuline « humaine recombinante » l’insuline d’origine animale disparut du marché …

Il faut dire ici que les médecins prescripteurs furent soumis à une intense pression de la part des laboratoires pharmaceutiques pour ne plus prescrire que de l’insuline recombinante. L’argument avancé était que cette insuline était plus pure, « plus humaine » et ne présentait pas les effets secondaires de l’insuline porcine. C’est sur ce dernier point que les gros laboratoires pharmaceutiques ont adossé leur propagande et leur marketing agressif : l’insuline recombinante n’est pas meilleure que l’insuline d’origine animale et elle ne présente pas plus d’effets secondaires. Et c’est sur cet argument que des brevets protègent l’insuline recombinante, non plus la technique de recombinaison elle-même qui date des années 1980, mais le procédé de production et le conditionnement avec tous les accessoires « offerts » aux malades à condition naturellement qu’ils achètent cette insuline et non plus de l’insuline d’origine animale qui pourtant est toujours disponible dans des pays comme le Canada à un prix modique.

Cette situation n’est pas seulement le fait des compagnies pharmaceutiques mais elle est en réalité encouragée par les politiciens qui ont subi un véritable lavage de cerveau par les ultra-puissants lobbyistes qui opèrent pour les laboratoires pharmaceutiques. Il faut bien que ces pauvres gens gagnent un peu d’argent puisque les médicaments contre le HIV ou la malaria sont quasiment offerts. Le diabète est une véritable poule aux œufs d’or car les malades doivent se traiter tous les jours alors qu’un antibiotique n’est prescrit que pour une courte période et très épisodiquement.

La situation devient parfois surréaliste quand on s’aperçoit que le gouvernement américain a exercé une pression directe sur l’administration du Premier Ministre indien Narendra Modi pour qu’il ne remette pas en cause la validité du brevet de procédé d’Ely Lilly qui avait été pourtant réfutée par la cour de justice spéciale de Madras, considérant qu’il n’y avait rien d’innovant dans ce nouveau brevet. Donc aux USA les habitants du Michigan continueront à aller acheter leur insuline au Canada et en Europe ce sont les contribuables, finançant les systèmes de santé étatiques, qui enrichiront les grandes multinationales de la pharmacie. On vit dans le meilleur des mondes possibles.

Inspiré d’un article de Faisal Chaudhry paru sur le site The Conversation, illustration tirée d’un article de npr.org et dans le domaine public.

L’adénocarcinome mortel du pancréas provoqué par un champignon ?

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En janvier 2019 il était question sur ce blog d’une bactérie se trouvant communément dans la bouche et provoquant l’apparition de plaques dentaires. Il s’agissait de Porphyromonas gingivalis dont on a montré la présence d’un marqueur spécifique (ARN-16S) systématiquement dans les cerveaux de malades morts de la maladie d’Alzheimer et j’avais qualifié cette découverte de terrifiante. Auparavant un lien non ambigu entre cette même bactérie P. gingivalis et la polyarthrite rhumatoïde avait été démontré. Mais tant la bouche que les fosses nasales ou encore la peau sont colonisées par toutes sortes de microorganismes dont des champignons. C’est au tour d’un champignon très commun sur la peau mais pouvant provoquer toutes sortes de dermatites, Malassezia globosa, qui vient d’être identifié comme lié à l’adénocarcinome du pancréas, un cancer fatal dans tous les cas. L’identification de la présence de ce champignon a été réalisée à l’aide de sondes ADN en lien avec l’adénocarcinome.

Ce champignon microscopique entre dans le tube digestif facilement puisqu’il se trouve partout sur la peau et il a été également identifié comme l’un des facteurs promouvant certaines formes d’ulcères de l’estomac. Normalement le système immunitaire prend en charge ce type de microorganisme . Au niveau de la peau des réactions immunitaires parfois intenses peuvent provoquer des dermatites récurrentes mais au niveau du tube digestif c’est une autre propriété de ce champignon qui lui permettra de survivre et de coloniser éventuellement le pancréas. La première étape permettant l’apparition des conditions requises pour que l’adénocarcinome du pancréas se développe est une réaction immunitaire dirigée contre le champignon. Cette réaction provoque une inflammation du pancréas par l’activation de la « cascade du complément » : le composant C3 de cette cascade est activé par une protéine (MBL, mannose binding lectin) reconnaissant un sucre, le mannose, présent à la surface du champignon.

Le processus d’apparition d’une tumeur est alors initié et l’issue est généralement fatale car le diagnostic est souvent tardif. Les biologistes de la faculté de médecine de l’Université de New-York n’ont pas encore de réponses et ceci d’autant moins que ce champignon est très commun sur la peau.

Source : https://doi.org/10.1038/s41586-019-1608-2

Lien : https://jacqueshenry.wordpress.com/2019/01/27/maladie-dalzheimer-coup-de-theatre-terrifiant/

https://en.wikipedia.org/wiki/Complement_system

Enfin une solution aux dons d’organes et elle vient de … Chine.

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Il y a quelques semaines un membre de ma famille a été contraint de subir la greffe d’une valvule cardiaque. Or comme il est presque impossible en France de trouver des donneurs d’organes les chirurgiens ont eu recours à une valvule de porc, l’animal dont les fonctions physiologiques et la taille des organes sont les plus proches de celles de l’homme. Naturellement cette personne devra être sous le contrôle permanent de produits immunosuppresseurs afin d’éviter tout rejet de ce morceau d’organe étranger, même pas humain !

Des biologistes de l’Université chinoise de Hangzhou ont entrepris de rendre le porc « plus compatible » avec l’homme afin d’aboutir à un véritable réservoir inépuisable d’organes pouvant être greffés à l’homme sans risques de rejet, c’est-à-dire sans réaction immunitaire agressive pouvant mettre en péril la greffe et par conséquent la vie de la personne qui a subi cette greffe. Pour aboutir à un résultat satisfaisant ces biologistes ont, dans une première étape « nettoyé» l’ADN des porcs qu’ils élèvent soigneusement dans des fermes spéciales destinés, dans le but ultime recherché, à les transformer en donneurs d’organes universels pour l’homme. À l’aide de l’outil CRISPR dont il a été souvent fait mention sur ce blog cette première étape a consisté à éliminer toute trace de rétrovirus susceptibles d’être transmis à l’homme via une greffe d’organes. Pas moins de 25 informations génétiques rétrovirales se trouvant incorporées dans l’ADN du porc ont été éliminées pour enfin obtenir des lignées de porcs « propres » et donc d’être utilisées pour la deuxième étape de conditionnement. L’état de santé des porcs ayant subi ces modifications (porcs PERVKO) a par la suite été étudié et confirmé comme favorable pour la suite de cette opération.

L’enjeu étant d’une importance économique considérable, il était tout aussi considérable sur le plan expérimental de s’attaquer à l’effacement des antigènes de surface cellulaire provoquant la réaction immunitaire chez l’homme. La stratégie a reposé encore une fois sur l’utilisation du même outil de haute couture génomique qu’est le CRISPR. Ces antigènes de surface sont constitués d’enchainements très spécifiques de sucres, spécificité inter-espèces mais également rencontrée à l’intérieur d’une même espèce puisque chaque être humain possède ses propres antigènes de surface. L’exemple le plus connu est celui des groupes sanguins. Il est important de noter que toutes les manipulations génétiques dont il est question dans ce billet sont initialement effectuées avec des cellules germinales artificiellement dérivées de fibroblastes de peau qui permettront de produire par transfert de noyaux dans des ovocytes puis introduits ensuite dans l’utérus d’une truie porteuse de donner naissance à plusieurs porcelets génétiquement modifiés. Pour rendre inopérants ces antigènes de surface, l’outil de haute couture CRISPR a encore été utilisé pour annihiler les gènes de toute une série d’enzymes intervenant dans la constitution étape par étape de ces antigènes, au total 9 enzymes, donc 9 gènes à rendre inopérants.

À l’accomplissement de cette série d’expérimentations l’intégrité de l’ensemble du génome cellulaire a été vérifié. Cette vérification a été enfin confirmée sur les porcelets génétiquement modifiés obtenus. Quelques mutations ont été détectées en dehors des sites choisis pour atteindre l’inactivation des gènes impliqués dans la constitution des antigènes de surface. Cependant aucune preuve n’a pu être formellement apportée quant à l’origine de ces mutations mineures, c’est-à-dire résultant de l’utilisation de l’outil CRISPR. Il s’agit probablement de mutations somatiques spontanées. Toujours est-il que les porcelets obtenus étaient en excellente santé.

La troisième étape, la plus importante, a eu pour objectif de « travestir », au sens littéral du terme, ces porcs dont la destinée finale sera l’abattoir comme pour beaucoup de leurs congénères mais non plus pour nourrir des êtres humains mais pour les sauver. Il s’est agi d’introduire 9 transgènes d’origine humaine codant pour les antigènes d’histocompatibilité humains se trouvant, au moins pour certains d’entre eux, à la surface des leucocytes. Les antigènes d’histocompatibilité d’origine porcine ont dû être éliminés auparavant (.3KO) et ont donc été remplacés par ces 9 transgènes (9TG)

L’étape finale de vérification de la validité de l’ensemble de cette approche au niveau moléculaire a consisté à comparer quel était le niveau de reconnaissance des fibroblastes prélevés sur les veines ombilicales des porcelets génétiquement modifiés et de comparer les résultats avec ceux obtenus avec des fibroblastes de cordons ombilicaux d’origine humaine, une source de fibroblastes très commune dans un laboratoire de biologie. Les résultats illustrés dans la figure ci-dessous parlent d’eux-mêmes :

 

 

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Dans cette figure WT désigne les porcs de la même race non génétiquement modifiés et comme annoncé dans le texte ci-dessus des cellules endothéliales de cordon ombilical de ces porcs génétiquement modifiés 3KO.9GT et PERVKO.3KO.9TG, HUVEC étant le contrôle réalisé avec des cellules endothéliales de cordon ombilical humain. Les cellules ont été soumises à un contact avec des immunoglobulines humaines IgG et IgM) provenant d’un pool de sang humain pour examiner le taux de fixation des immunoglobulines à la surface de ces cellules. Un autre contrôle a consisté à mesurer le taux de mortalité de ces cellules en présence de complément (voir le lien sur la cascade d’activation du complément). Dans les deux tests il est apparu que ceux présentés ici de manière graphique ont permis d’affirmer que l’ensemble des manipulations génétiques ont permis d’obtenir au final des porcs prêts à être donneurs d’organes pouvant être greffés sur des êtres humains sans risques majeurs d’incompatibilité.

Il reste cependant une dernière étape qui consistera à choisir parmi plus d’une quarantaine d’allèles différents quelle « souche » de porcs devra être choisie pour constituer une source inépuisable d’organes susceptibles d’être transplantés chez l’homme : cœur, poumons, pancréas, rate, foie, reins, artères, bref, le résultat de cette technique d’une complexité expérimentale encore inenvisageable il y a seulement quelques années va révolutionner la médecine.

Il est en effet tout à fait probable qu’au sein des grands hôpitaux il y aura bientôt des élevages de porcs donneurs d’organes … et en prime on pourra également manger leurs jambons et leurs côtelettes, mais je m’égare. Dans la réalité ces porcs ne seront pas gratuits puisqu’ils seront la propriété de deux sociétés privées : eGenesis Inc. et Qihan Bio Inc. et ils ne seront disponibles commercialement, si on peut dire les choses ainsi, que lorsque les essais cliniques auront validé dans la réalité ce travail exemplaire. Compte tenu du coût de ces porcs immuno-compatibles – on n’en a aucune idée pour l’instant – il faudra que le milieu hospitalier s’organise en conséquence. Quand on sacrifiera un porc il faudra l’ « exploiter » totalement. En d’autres termes les hôpitaux qui s’équiperont d’élevages permettant une reproduction de ces animaux (si les propriétaires des brevets accordent des licences en ce sens) devront s’organiser pour planifier une multitude de greffes au même moment et au même endroit. C’est un peu de la fiction que d’écrire ces dernières lignes mais le milieu hospitalier sera indubitablement confronté à ce problème. L’avenir est donc fascinant !

Source et illustrations : doi: http://dx.doi.org/10.1101/2019.12.17.876862 , lien : https://en.wikipedia.org/wiki/Complement_system

Utérus artificiel : les progrès sont sans limite !

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Pour l’instant il s’agit d’un projet spéculatif mais il pourrait se concrétiser dans les 5 prochaines années selon ses promoteurs. Il s’agit d’un utérus artificiel qui sera capable d’accueillir des enfants – on devrait plutôt dire des foetus extrêmement prématurés, environ 24 semaines – pour les installer dans un milieu liquide reproduisant le liquide amniotique et le cordon ombilical étant relié à une machine oxygénant le sang artériel et apportant tous les éléments nécessaires à la croissance du foetus avec un retour du sang détoxifié et chargé à nouveau en oxygène. Les premiers essais réalisés au Maxima Medical Center à Veldhoven aux Pays-Bas sous la direction du Docteur Guid Oei ont déjà montré des résultats encourageants avec des foetus de chêvre pour prouver la validité du procédé.

Outre le fait que ce type d’appareillage pourra être utile pour maintenir en vie ces foetus extrêmement prématurés dont les poumons immatures ne peuvent pas supporter l’oxygène de l’air il pourrait aussi être mis à profit pour éventuellement servir d’ « utérus pour autrui », une alternative à la si décriée grossesse pour autrui pour des femmes ne pouvant pas porter leur propre enfant pour des raisons médicales. Cette technologie peut également intéresser les couples homosexuels. Il reste à considérer la position des comités d’éthique, un aspect de ce problème qui n’a pas l’air d’effleurer le législateur batave. En effet, l’euthanasie a été officiellement admise par la loi aux Pays-Bas et cette loi a été assortie d’une obligation pour les familles de ne pas pouvoir s’opposer au prélèvement d’organes consécutivement à l’acte d’euthanasie réalisé en milieu hospitalier. La vidéo (en anglais) est instructive : le stade de la fiction du « Meilleur des Monde » (A. Huxley) est sur le point d’être dépassé : https://youtu.be/1VoK8ikfyIg

Source : BioEdge

Quand on vieillit pourquoi on prend souvent du poids ?

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Malgré des exercices physiques réguliers et un régime alimentaire correctement équilibré il est très fréquent de grossir en particulier au niveau du ventre. Cet embonpoint, s’il n’est pas pathologique, a été mal étudié et expliqué car suivre ce processus nécessiterait d’effectuer des biopsies chez un nombre d’individus suffisamment grand pour que des études difficiles par ailleurs à mettre en oeuvre permettent d’expliquer ce qui se passe au niveau du tissu adipeux « blanc ». Ce tissu est constitué de cellules adipeuses qui stockent des triglycérides et ces cellules ont la particularité, contrairement au tissu adipeux « brun », de ne pas utiliser ces triglycérides. La fonction du tissu adipeux brun, riche en mitochondries d’où sa couleur caractéristique, est de maintenir la température du corps à un niveau physiologiquement correct en « brûlant » ces réserves triglycérides.

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Pour comprendre ce qui se passe au cours des années avec l’apparition de cet embonpoint graisseux une équipe de biologistes du Karolinska Institutet à Stockolm a suivi deux groupes de personnes en effectuant un prélèvement de tissu adipeux blanc sous-cutané la première année et un second prélèvement 16 ans plus tard. Afin de déterminer la disparition ou l’apparition de triglycérides (turn-over) le fait qu’il existe du carbone-14 (14C) dans l’atmosphère produit pas spallation cosmique a été compliqué par la décroissance de ce radio-isotope apparu en excès à la suite des essais nucléaires atmosphériques depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à la signature du traité d’interdiction de ce type d’essais en 1963. En effet, la mesure de la radioactivité des triglycérides est mise à profit pour déterminer l’influx ou l’efflux dans les cellules adipeuses au cours du temps. Connaissant très précisément la teneur en 14C atmosphérique à l’instant de la première ponction puis à l’instant de la seconde ponction de tissu adipeux blanc sous-cutané, les biologistes du Karolinska ont pu décrire quel phénomène participait à l’hypertrophie de ce tissu adipeux blanc.

Au cours des essais nucléaires atmosphérique la valeur du rapport 14C/12C par rapport à la valeur de base mesurée avant les premiers essais nucléaires a doublé pour atteindre un pic peu après l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques et pour ensuite décroitre exponentiellement sans pour autant avoir atteint sa valeur d’avant-guerre aujourd’hui. Cette anomalie du Δ14C/12C, abrégé Δ14C a permis de déterminer l’âge des triglycérides présents dans le tissu adipeux et l’évolution de ce Δ14C entre l’année zéro de l’étude et 16 ans plus tard a clarifié l’intensité des flux de triglycérides vers l’intérieur des adipocytes et vice-versa. L’examen des flux de lipides chez 91 personnes âgées de 18 à 80 ans, en majorité des femmes, a permis d’affiner les paramètres agissant sur la vitesse de « turn-over » des lipides emprisonnés dans le tissu adipeux. Ces flux ont été quantifiés par analyse du Δ14C dans le CO2 exhalé en soumettant les sujets à ce type d’expérimentation dans une chambre métabolique, un pensum auquel je me suis soumis par solidarité avec un collègue il y a bien longtemps pendant 24 heures afin de mesurer la température corporelle, le CO2, les fluides émis tels que la sueur et l’urine, l’eau également exhalée, des paramètres qui permettent de se faire une idée très précise du métabolisme général du corps. L’un des facteurs incriminés provoquant la prise de poids avec l’âge est la baisse de l’activation par les catécholamines de la lipolyse. Il s’agit de la dopamine, de la norépinéphrine et de l’épinéphrine communément appelées noradrénaline et adrénaline. Ces hormones sont produites par les glandes surrénales. Agir sur la teneur circulante en ces composés n’est pas sans risques. Certaines amphétamines miment les effets des catécholamines dont en particulier l’éphédrine qui est connue pour provoquer une perte de poids en stimulant la lipolyse du tissu adipeux brun est cependant inefficace pour stimuler la lipolyse du tissu adipeux blanc. L’épidémie d’obésité stimulera les travaux de recherche dans ce domaine métabolique complexe et encore mal compris.

Source et illustrations : Nature Medicine, doi : 10.1038/s41591-019-0565-5 aimablement communiqué par le Docteur Kirsty Spalding qui est vivement remerciée ici.

Note. Dans la première illustration figurent trois courbes de couleur qui montrent l’âge des triglycérides normalisée en fonction de la teneur en 14C atmosphérique et sa décroissance au cours du temps depuis l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques. Les points noirs représentent les cohortes des divers individus étudiés. Cette approche ressemble aux « marquages » isotopiques largement utilisés en laboratoire pour étudier des voies métaboliques, que ce soit avec des isotopes radioactifs du carbone, du soufre ou du phosphore.

Sclérose amyotrophique et bactéries intestinales … un espoir inattendu

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Le Docteur Eran Elinav du Weizmann Institute of Sciences étudie des souris modèles de la sclérose amyotrophique latérale (ALS), la maladie dont souffrait le cosmologiste Stephen Hawking. Ces souris ont été modifiées génétiquement sur le gène SOD1 codant pour un enzyme appelé superoxyde dismutase dont la fonction est normalement de « nettoyer » les cellules lorsque des superoxydes O2 apparaissent. Cette forme de peroxyde est particulièrement destructrice pour la cellule et les patients souffrant d’ALS ont, pour au moins 20 % d’entre eux, des mutations sur le gène concerné. Le Docteur Elinav s’est d’abord rendu compte que si il traitait ses souris avec des antibiotiques pour appauvrir la flore intestinale les symptômes et leur évolution s’aggravaient. Il en a donc tout de suite conclu qu’il pouvait exister une relation entre cette flore intestinale et la maladie. Mais quelles bactéries étaient bénéfiques ? En examinant les populations de bactéries intestinales des souris il a observé que très souvent une espèce manquait ou que d’autres espèces étaient anormalement abondantes.

Celle qui a attiré son attention est la bactérie Akkermansia muciniphila très commune dans le « microbiome » intestinal humain et dont certaines propriétés ont déjà été reconnues pour pallier au syndrome métabolique, en d’autres termes l’obésité. Ce qu’Elinav a trouvé est tout à fait surprenant. Cette bactérie présente la propriété de sécréter des quantités importantes de nicotinamide, un précurseur d’un coenzyme clé dans le métabolisme, le NAD. Ce produit, aussi appelé niacine ou encore vitamine B3, semble, selon des résultats très préliminaires, retarder l’évolution de l’ALS sans toutefois présenter d’effets curatifs.

Fort de cette observation Elinav a donc franchi une autre étape en analysant le taux de nicotinamide dans le sang de 37 patients souffrant d’ALS. Tous présentaient un déficit en nicotinamide y compris dans le liquide cérébro-spinal.

Source : Nature, doi : 10.1038/s41586-019-1443-5

Brève. Le « cervidé fou » (suite) : une infection bactérienne ?

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Le 27 janvier de cette année 2019 j’avais laissé un billet sur ce blog au sujet d’une corrélation terrifiante entre la maladie d’Alzheimer et la présence d’un bactérie provoquant la périodontite, Porphyromonas gingivalis, une relation de cause à effet établie dans de nombreux cas après étude des cerveaux de malades décédés de cette maladie. Il y a quelques jours j’ai relaté l’épidémie nord-américaine de cervidés « fous » par analogie avec la « vache folle », en termes médicaux la maladie de Kreutzfeld-Jacob, une dégénérescence neuronale provoquée par une protéine. J’avais aussi mentionné que les tiques pouvaient transmettre cette maladie sans en apporter de preuves. J’ai fait des recherches et trouvé un article qui semble décrire que la maladie du « cervidé fou » serait provoquée par une bactérie parfaitement transmissible par des tiques outre la maladie de Lyme. Il s’agit également d’une bactérie vivant en symbiose avec de nombreux arthropodes mais aussi des plantes et dont certaines protéines ont été identifiées comme présentes dans le cerveau de moutons souffrant de scrapie, une autre forme de la maladie de « la vache folle ». Il s’agit de Spiroplasma mirum (illustration). Je laisse le soin à mes lecteurs de se reporter à l’article en accès libre (voir le doi, en anglais) pour se faire une idée du danger encouru lorsque l’on se fait piquer par un (ou une) tique. Tout aussi terrifiant que Porphyromonas gingivalis …