L’homme de Néandertal, notre lointain cousin, a été considéré comme un sous-homme plus proche de l’orang-outang que de l’homme moderne. Cette image populaire persiste encore. Et pourtant on sait que les Néandertaliens enterraient déjà leurs morts il y a 400000 ans comme cela a été montré lors des études de la grotte Sima de los Huesos dans le nord de la péninsule ibérique. Ils maîtrisaient le feu et étaient capables de fabriquer des outils. Peut-être avaient-ils aussi développé une certaine forme de langage pour communiquer. Les peintures pariétales que l’on trouve dans plusieurs grottes en Europe et en particulier dans le sud-ouest de la France ne sont pas le fait des Néandertaliens mais de l’homme moderne qui arriva en Europe depuis l’Afrique il y a environ 100000 ans. Comme on n’avait jamais attribué d’oeuvres d’art aux Néandertaliens il était donc admis qu’il s’agissait de sous-hommes frustres, roux et poilus, qui se seraient plus ou moins mélangés aux hommes modernes en leurs laissant en prime quelques gènes dont justement celui commandant les cheveux roux …
En 1990, un adolescent curieux remarqua un léger courant d’air frais filtrant à travers un éboulis surplombant la rive sud de l’Aveyron. Patiemment il arriva après trois années de laborieux travaux à pénétrer dans une grotte en ayant ménagé un petit tunnel de 30 mètres de long à ses risques et périls. Ce qu’il découvrit le fascina : une grande salle à plus de 300 mètres de l’entrée de la grotte jonchée de stalagmites et de stalactites cassées en morceaux et disposées en arc de cercle. Il contacta un archéologue, François Rouzaud, qui procéda à une datation au carbone-14 des fragments d’os brûlés retrouvés dans cette salle. Les résultats indiquèrent que vraisemblablement cet artéfact inédit datait d’environ 47600 ans. Rouzaud mourut quelques mois plus tard et l’affaire fut classée, si l’on peut dire, et l’entrée de la grotte condamnée. Rien n’indiquait que cette construction au sol était l’oeuvre des Néandertaliens. Elle aurait pu tout aussi bien avoir été créée par l’homme moderne arrivé d’Afrique quelques cinquante mille ans plus tôt. Cette découverte eut lieu dans la grotte de Bruniquel située sur le territoire de la commune du même nom au bord de la Vère, un petit affluent de l’Aveyron. Comme non loin de cette grotte se trouve celle de Mayrière occupée à l’évidence plus récemment par l’homme moderne, l’identification des auteurs de cette sorte de monument dans la grotte de Bruniquel intrigua les archéologues d’autant plus qu’au delà de 30000 ans la datation au carbone-14 devient de plus en plus hasardeuse.
Une équipe d’archéologues, de géologues et de physiciens dirigés par le Docteur Jean Jaubert de l’Université de Bordeaux, sous l’impulsion de l’archéologue belge Sophie Verheyden, obtint l’autorisation de pénétrer à nouveau dans cette grotte et d’y effectuer des travaux de relevés et de datation directement sur des échantillonnages des débris de stalagmites jonchant le sol non plus par la technique du carbone-14 mais à l’aide de celle beaucoup plus précise et adaptée aux concrétions de calcite faisant appel à la présence de thorium-230 provenant de la désintégration de l’uranium-238.
Les résultats obtenus et publiés dans la revue Nature ( DOI : 10.1038/nature18291) sont tout à fait extraordinaires. Les structures circulaires datent de 176500 ans plus ou moins 2000 ans. La grotte était très probablement occupée sporadiquement 5000 ans plus tôt puisque la datation de la calcite recouvrant des fragments d’os (d’ours) brûlés indique qu’elle date d’environ 180000 ans.
Dans la figure ci-dessus, un relevé de l’ensemble de la structure faite de main d’homme indique également en orangé les zones qui ont été chauffées par des feux intentionnels et en rouge un « gisement » de cendres d’os brûlés.
Quel climat prévalait à cette époque ? Il faisait généralement froid car la teneur en CO2 atmosphérique était faible, de l’ordre de 200 ppmv, comme l’ont montré les carottages effectués au pôle sud (Vostok ice core) mais suffisamment humide pour qu’il puisse se former des dépôts de calcite par ruissellement. La figure ci-dessous tirée de l’article paru dans Nature indique l’évolution de la teneur en gaz carbonique au cours du temps et situe les datations effectuées dans la grotte de Bruniquel.
Les Néandertaliens maitrisaient parfaitement le feu pour pouvoir parcourir plusieurs centaines de mètres dans les profondeurs du massif calcaire surplombant l’Aveyron, y séjourner pour construire la structure en question et ressortir plus tard tout en continuant à s’éclairer avec des torches. La grotte elle-même ne semble pas avoir été habitée. Cette salle reculée pourrait avoir servi de lieu de culte ou d’initiation. Toutes les hypothèses sont possibles. La conclusion de ces travaux est que contrairement aux idées reçues les Néandertaliens étaient un peuple plus évolué qu’on ne le pensait jusqu’à présent …
Lien d’une vidéo décrivant le site :
http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/extref/nature18291-sv1.mov