L’hypothèse de la monogamie chez nos ancêtres chasseurs-cueilleurs

Si Pascal Picq a établi des comparaisons entre les comportements des êtres humains et ceux des primates, dont les grands singes, concluant que l’homme est dominateur et que la femme subit cette domination, une équipe de l’Institut d’études avancées de Toulouse en France a émis l’hypothèse de l’émergence de la monogamie dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Il s’agit d’une hypothèse car il ne reste dans le monde que quelques poignées de communautés de chasseurs-cueilleurs permettant de faire remonter l’étude des comportements humains en groupe avant la grande transition de l’invention de l’élevage et de l’agriculture. Chez les chasseurs-cueilleurs « modernes » qui n’ont que très peu ou pas de contacts du tout avec les sociétés modernes le système de parentèle est unique dans le monde des primates. Le mâle, l’homme, reproducteur – il y en a plusieurs dans un groupe – rapporte spécifiquement la nourriture difficile à acquérir préférentiellement à sa partenaire sexuelle malgré le fait que le partage de la nourriture issue de la chasse constitue une composante importante de la cohésion du groupe. Et cette situation est unique chez les mammifères, les chasseurs-cueilleurs occupant une niche écologique unique.

Dans les groupes de chasseurs-cueilleurs étudiés la monogamie représente environ 92 % des paires d’adultes alors que le groupe est constitué d’un ensemble de femmes et d’hommes, d’enfants et de quelques adolescents pubères. Ce pourcentage a été établi à l’issue de l’étude de 339 groupes de chasseurs-cueilleurs répartis dans diverses régions du globe terrestre. Cette organisation est unique chez les primates, elle est totalement absente dans les groupes de grands singes, chimpanzés, bonobos ou gorilles alors que la femelle de l’homme chasseur-cueilleur est en permanence sexuellement réceptive et pratiquement toujours gravide ou allaitante. Cette particularité physiologique de réceptivité sexuelle ne se retrouve que chez les bonobos et ce qui différencie ces deux sociétés de primates, humains et bonobos, est le fait tout à fait novateur que le partenaire sexuel de la femme restée au sein du groupe pour élever sa progéniture offrira préférentiellement le produit de sa chasse à sa partenaire sexuelle, en d’autres termes la mère de ses descendants. À l’inverse des groupes de grands singes dans lesquels la polygynie est la norme, le mâle chasseur-cueilleur a compris que l’apport de nourriture à sa partenaire sexuelle est un gage de fidélité, mais pas seulement. Le mâle s’assure aussi de la paternité effective de sa descendance et du soin constant qu’apporte sa partenaire à sa descendance.

Dans le modèle simplifié mis en place par le Docteur Jonathan Stieglitz de l’Université du Nouveau-Mexique en collaboration avec l’Institut d’Etudes avancées et l’Université de Toulouse Capitole, il y a dans le groupe de chasseurs-cueilleurs deux hommes, deux femmes et leurs descendances respectives. Le modèle sera ensuite ajusté en considérant la présence de mâles célibataires à la recherche d’une partenaire sexuelle. Dans la théorie de ce modèle il est convenu que chaque femelle a un partenaire malgré le fait qu’elle puisse copuler avec un autre mâle si l’occasion se présente. Les mâles chassent ensemble et rapportent leur butin qui est partagé de manière égale entre les couples et les descendants et éventuellement les mâles célibataires qui auront participé à la chasse. Le modèle se situe au niveau du Pléistocène alors que le changement du climat a conduit à une modification des conditions écologiques, la sécheresse ayant fait disparaître en partie les fruits faciles à atteindre mais ayant parallèlement permis l’essor généralisé de la bipédie, une évolution nécessaire pour la chasse et l’accroissement de la mobilité géographique. La synergie entre mâles et femelles s’est donc renforcée, les mâles s’étant spécialisé dans la chasse alors que les femelles restaient dans le campement du groupe pour s’occuper des jeunes et cueillir quelque nourriture riche en hydrates de carbone alors que le fruit de la chasse est riche en protéine et en micro-nutriments et constitue l’essentiel du menu de ces groupes. La maîtrise du feu contribue également au renforcement de cette synergie, le groupe étant de fait sécurisé contre les agressions par les bêtes féroces. La maîtrise du feu est certainement antérieure aux plus anciennes peintures pariétales découvertes dans les grottes profondes et ces peintures représentent invariablement des animaux dont l’importance pour la survie du groupe est essentielle.

C’est alors qu’apparaît le dilemme de la gestion dans le groupe de l’attribution des produits de la chasse entre les mâles « pères de famille » et les mâles célibataires, ces derniers n’éprouvant aucune préférence dans l’attribution des produits de la chasse à laquelle ils ont éventuellement participé pour des enfants qui ne sont pas les leurs. Il apparaît donc une distinction sociale entre les mâles reproducteurs, donc « pères de famille », qui rapportent préférentiellement le produit de leur chasse à leur partenaire sexuelle et mère présumée de leurs enfants, et les mâles considérés comme non reproducteurs qui n’ont aucune raison de mettre en œuvre cette préférence dans l’attribution de la nourriture. Ainsi le mâle reproducteur va renforcer la fidélité de sa femelle qui, il l’espère, lui sera fidèle, une sorte de marché gagnant-gagnant. Voilà en quelques mots résumée l’hypothèse de l’émergence de la monogamie dans les groupes de chasseurs-cueilleurs. Ce schéma évolutif complexe est résumé par la figure suivante :

Dans ce diagramme le terme anglais « Dad strategy invades » signifie la mise en place de la monogamie, pour faire simple. Quelques milliers ou dizaines de milliers d’années plus tard l’apparition de l’agriculture et de l’élevage va bouleverser cette structure sociale. Ces deux innovations vont conduire à la constitution de groupes humains beaucoup plus nombreux. Il faut en effet des bras pour l’agriculture et l’élevage a fait disparaître les aléas de la chasse. La disponibilité en nourriture favorise l’émergence de groupes humains structurés et les synergies et les complémentarités qui existaient chez les chasseurs-cueilleurs vont disparaître. Autres temps autres mœurs, la polygamie va apparaître modérément avec l’agriculture et le statut de la femme régressera progressivement comme l’a si bien exposé Pascal Picq.

Lien : http://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1917166117

Selon Pascal Picq le statut des femmes s’est dégradé il y a 10000 ans

Avant propos. J’ai trouvé ce texte sur le quotidien Le Temps de Genève et je voulais le faire figurer sur mon blog pour introduire un prochain billet relatif à l’hypothèse de l’émergence de la monogamie chez les chasseurs-cueilleurs qui peuplaient nos contrées avant l’invention de l’agriculture et de l’élevage, c’est-à-dire avant ces 10000 ans mentionnés dans le titre de cet article. J’espère pouvoir rédiger ce billet dans de brefs délais.

Avec les premières sociétés agricoles du néolithique le statut des femmes s’est dégradé. Tout en redonnant aux femmes leur place dans l’histoire de l’évolution, le paléoanthropologue français Pascal Picq retrace, en adoptant une perspective évolutionniste, l’apparition des modèles de coercition masculine.

Charles Darwin, Friedrich Engels, Karl Marx, tous ont fait ce constat : la première classe des opprimés, dans les sociétés humaines, ce sont les femmes. Pourquoi tant de violence ? Jusqu’ici, la question avait été explorée à l’aune de l’anthropologie, de la sociologie, de l’ethnologie… Dans son dernier ouvrage « Et l’évolution créa la femme » (O. Jacob, octobre 2020), c’est un regard évolutionniste que pose Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, sur ce problème sociétal. Héritage biologique ou évolution malheureuse des sociétés humaines ? Fait de nature ou de culture ?

Le Temps : Comment avez-vous cherché à répondre à la question – si polémique – de l’origine de la sujétion des femmes ?

Pascal Picq : J’ai voulu m’extraire des stéréotypes ou des idéologies propres à une partie des sciences sociales par un regard neuf, une approche scientifique évolutionniste. Elle s’articule en deux temps. Je compare d’abord le degré de coercition sexuelle entre les différentes espèces de primates, dont la nôtre. Des contraintes environnementales et biologiques analogues ont-elles produit les mêmes effets sur les comportements de coercition masculine ? Puis je plonge dans la préhistoire de notre espèce et des espèces proches. Mon livre propose une esquisse de ce qu’a pu être l’évolution de la femme et des rapports entre les genres au cours des différentes périodes de la Préhistoire. Comment les violences à leur encontre sont-elles apparues ? Comment ont-elles évolué au fil des époques et des cultures ?

Que nous enseigne la comparaison des différentes espèces de primates ?

Il y a 32 millions d’années, apparaissent les lignées de singes que nous connaissons aujourd’hui. Il y a de fortes chances que leurs mâles aient été très peu coercitifs. Les lémuriens, en effet, sont parmi les plus anciens des primates aujourd’hui vivants et leurs sociétés sont dominées par les femelles. Chez les primates, une règle empirique émerge : plus il y a d’asymétrie dans l’investissement reproductif, avec un investissement des femelles important (« anisogamie »), plus les mâles ont tendance à être coercitifs. Par ailleurs, les mâles de notre espèce se rangent – en moyenne – parmi les sociétés de primates les plus violentes envers leurs femelles : les femmes. Ils partagent ce triste record avec les babouins hamadryas et les chimpanzés. De fait, les singes de l’Ancien Monde, ou catarrhiniens (babouins, macaques, colobes, gorilles, chimpanzés, hommes …) sont en moyenne plus coercitifs.

En revanche, les bonobos – nos plus proches cousins avec les chimpanzés – forment des sociétés très égalitaires. Les singes d’Amérique du Sud (platyrrhiniens), eux aussi, sont peu ou pas coercitifs.

Le bilan de ces comparaisons ?

A de rares exceptions, aucune lignée ne se caractérise par la présence ou par l’absence systématique de coercition. Autrement dit, aucune lignée évolutive ne voue à la coercition ! Dans la lignée des hominidés, les humains et les chimpanzés sont très coercitifs, tandis que les bonobos montrent un équilibre des pouvoirs entre sexes. Chez les babouins, les hamadryas sont coercitifs, au contraire des geladas, pourtant voisins géographiquement.

Chez les macaques, les singes rhésus sont de vrais machos, tandis que les magots sont plus égalitaires. Par ailleurs, il n’y a pas de corrélation entre le type d’habitat – savanes, forêts – et le degré de coercition sexuelle. Pas plus qu’il n’y en a entre le degré de dimorphisme sexuel [les différences de taille et de forme entre mâles et femelles] et l’intensité de la coercition masculine. Des contraintes environnementales interviennent, mais n’expliquent pas tout. Donc, ni contrainte phylogénétique ni déterminisme écologique, si ce n’est en termes de tendances ou comme facteurs aggravants.

Un comportement violent serait-il plus acceptable s’il existe chez d’autres primates ?

Bien sûr que non. Ce n’est pas parce qu’un caractère est présent chez une espèce proche de nous qu’il est bon ou mauvais, légitime ou condamnable ! Les anthropologues évolutionnistes n’ont que faire de ce que les chimpanzés ou les bonobos soient coercitifs ou égalitaires. Ce que nous disent ces grands singes si proches de nous, c’est que ces comportements varient. Et que c’est à nous, dans le cadre de nos sociétés, d’œuvrer pour telle ou telle évolution.

Revenons sur la très forte contrainte reproductive qui pèse sur les femmes …

L’émergence du genre humain (Homo) en Afrique, il y a 2 millions d’années environ, s’est accompagnée de changements considérables, plus encore chez les femelles qui deviennent des femmes. D’un côté, le bassin prend une forme en cuvette fermée, qui soutient les viscères tout en permettant une bipédie performante. D’un autre côté, la taille du cerveau humain augmente beaucoup, ce qui complique l’accouchement : la tête du nouveau-né a du mal à passer à travers le bassin maternel. Malgré tout, cette anatomie du bassin féminin a limité le développement du cerveau humain in utero. C’est le « dilemme obstétrical ». Après la naissance, le cerveau du petit humain poursuit donc son développement et connaît une maturation importante …

Conséquence : le petit humain devient très dépendant de « l’utérus social » où il est plongé…

Ce bébé requiert des soins parentaux intenses, dont la charge est surtout portée par les mères. C’est pourquoi celles-ci nécessitent de l’entraide (« alloparentalité »), qui dépend grandement de la considération pour les femmes dans chaque société. De plus, la forte contrainte de reproduction fait des femmes un enjeu de contrôle pour les hommes. Plus encore que chez toutes les autres espèces de primates, elles deviennent des ressources rares et précieuses. Leur réceptivité sexuelle permanente et les exigences de l’investissement parental provoquent des tensions, sources de coercition masculine autour de la certitude ou non de la paternité. Tout cela va profondément transformer les sociétés humaines.

Les femelles de notre lignée font face à une difficulté supplémentaire…

Oui. Presque toutes les sociétés de singes sont des sociétés « matrilocales » : les femelles restent toute leur vie dans leur groupe natal, que les mâles quittent à l’adolescence. Cette règle résulte du déséquilibre de l’investissement parental entre mâles (peu investis) et femelles (très investies). Il faut donc que celles-ci bénéficient d’un soutien parental de la part du groupe pour l’accès à la nourriture, les soins, la protection et l’éducation des petits … Elles apprennent à être des mères avec l’assistance de leurs consœurs, affiliées ou pas. Le système matrilocal favorise cette entraide.

Mais les humains, les chimpanzés et les bonobos forment des sociétés « patrilocales ». Les mâles restent toute leur vie dans leur groupe natal, que les femelles quittent à l’adolescence. Mais ce qui ressort de mon analyse, c’est que seules les sociétés humaines sont majoritairement « patrilinéaires » [avec un statut social transmis de père en fils] et « patriarcales » [le père a une autorité prépondérante]. Autrement dit, alors que les contraintes de la reproduction exigent de l’entraide pour les femmes, elles ont plus de mal à en bénéficier dans des sociétés patrilocales.

Que nous apprend la paléoanthropologie sur les relations passées entre sexes ?

Chez les australopithèques et Homo erectus, elle ne nous permet pas de reconstituer les systèmes sociaux. On ignore donc si Lucy et ses consœurs et si les femmes Homo erectus subissaient des violences sexuelles. Au Paléolithique moyen (350 000 – 45 000 ans), l’étude des tombes ne permet pas non plus de déceler des différences de statut social ni des traces de contrainte sexuelle. Mais l’étude de l’ADN des fossiles (« paléogénétique ») montre que les sociétés d’Homo sapiens et de Néandertal étaient patrilocales. Au Paléolithique supérieur (45 000-12 000 ans), Homo sapiens reste seul en scène. Des sociétés de chasseurs-cueilleurs plus complexes apparaissent, avec des statuts différenciés, plus de richesses et de sédentarité. Soit autant de facteurs corrélés à une coercition sexuelle accrue et à des sociétés plus inégalitaires.

Mais comment peut-on connaître l’organisation sociale de ces sociétés anciennes ?

Malgré d’importants biais, on peut procéder par analogie avec ce que l’on sait des ultimes sociétés de chasseurs-cueilleurs actuelles. L’ethnographie comparée décrit certaines sociétés égalitaires, d’autres très inégalitaires et coercitives envers les femmes (avec parfois des mises en esclavage). Et l’on découvre plusieurs tendances. Tout d’abord, le contrôle des femmes et leur coercition s’aggravent avec la recherche de statuts sociaux chez les hommes, notamment plus âgés. En témoigne le « prix de la fiancée », cette dette dont un homme doit s’acquitter pour épouser une femme. Un autre ressort de ces violences est l’augmentation des richesses, dont l’effet paraît moindre que la recherche de statuts. Autres facteurs aggravants : l’éloignement des femmes de leur famille, l’établissement d’espaces privés, la sédentarité, le contrôle des relations extérieures du groupe, la guerre…

Au néolithique, apparaissent les premières sociétés d’agriculteurs. Cela change-t-il le statut des femmes ?

Oui. Globalement, il se dégrade ! Il y a 10 000 ans environ, soit après la dernière glaciation, la diversité des sociétés humaines s’accroît encore. Le nombre de sociétés inégalitaires augmente. Les massacres collectifs interhumains s’intensifient, les différences de statuts et de tâches entre sexes se renforcent, les déplacements de femmes et leurs rapts s’amplifient. Au Proche-Orient, émergent les premières sociétés agricoles. Et que lit-on dans les fossiles ou les dents des femmes de cette époque? Elles se marient de plus en plus tôt, enchaînent les grossesses et meurent plus jeunes. La paléogénétique montre aussi qu’elles viennent de plus loin, dans des sociétés patrilocales et patrilinéaires. Or, plus les femmes sont éloignées de leur groupe natal, plus cela favorise les violences à leur encontre.

Que se passe-t-il ensuite quand ces sociétés d’agriculteurs arrivent en Europe ?

Malgré leur diversité, on peut dégager de grandes tendances. Plus ces sociétés sont anciennement agricoles, plus elles sont patriarcales et coercitives à l’égard des femmes. On distingue deux grands flux migratoires. Il y a 8000 ans, les premières sociétés agricoles et patriarcales, issues du Proche-Orient, s’établissent en Europe, plutôt dans le sud. Puis, il y a 6000 ans, d’autres populations d’éleveurs issues d’Eurasie centrale, plus égalitaires, arrivent à leur tour en Europe et remontent vers le nord.

Conséquences actuelles : le génome des populations d’Europe du Sud contient plus de gènes des populations agricoles coercitives venues du Proche-Orient. Et le génome des populations d’Europe du Nord contient plus de gènes des populations d’éleveurs, plus égalitaires, venues d’Eurasie. Fait stupéfiant, on retrouve aujourd’hui ces différences culturelles dans les héritages respectifs du droit romain et du droit germanique. Ainsi, les sociétés d’Europe du Sud sont plus phallocrates, tandis que celles d’Europe du Nord montrent plus d’équité entre sexes.

Au final, quels sont vos grands messages ?

La comparaison des sociétés humaines avec celles des singes et grands singes confirme que la coercition masculine est moins une question de tendances évolutives propres aux différentes lignées de primates ou aux conditions écologiques et économiques qu’une question sociale, culturelle et anthropologique. Autrement dit, rien ne justifie, au regard de l’évolution de notre lignée, le fait que nos sociétés ne puissent radicalement changer sur la question de l’égalité des droits entre femmes et hommes. Bâtir un humanisme qui n’oublie pas les femmes, tel est le défi.

Propos recueillis par Florence Rosier du quotidien Le Temps

Néolithique : après le pain le fromage

 

Il y a quelques jours, le 23 août, j’avais laissé sur ce blog un billet relatif aux premiers pains jamais cuits par l’homme, les habitants natufiens du nord-est de la Jordanie actuelle il y a 14000 ans avant l’ère présente. Cette activité, à l’évidence, était un signe d’une sédentarisation progressive des peuplades de chasseurs-cueilleurs, le site de Shubayqa ayant probablement été occupé durant de nombreuses années. Puis la sédentarisation qui est datée aux alentours de 10000 ans avant l’ère présente a favorisé l’apparition de l’élevage bovin et les migrations vers l’Europe occidentale, ce à quoi on assiste aujourd’hui pour d’autres raisons, ont également introduit l’élevage dans cette Europe verdoyante et favorable au maintien d’un élevage qui présentait une alternative sécurisante pour l’alimentation. Ces migrants savaient faire du pain mais il avaient également appris à faire du fromage.

Ce sont des restes de poteries curieusement percées de petits trous ménagés avec des brins de paille avant leur cuisson dont on finit par trouver leur utilité car ils avaient intrigué les archéologues pendant de nombreuses années. Il s’agissait de faisselles, tout simplement ! Peut-être que nos ancêtres avaient aussi découvert que quelques plantes permettaient de coaguler le lait comme par exemple le jus des feuilles d’artichaut bien avant la découverte de la présure qui ne fut découverte qu’à la fin du XIXe siècle. Mais le lait finit par coaguler également par l’action de bactéries ou de champignons microscopiques. Il faut cependant noter que l’utilisation du jus d’artichaut ou encore de feuilles de figuier est toujours d’actualité chez les peuples montagnards du Maroc pour fabriquer du fromage. Pour information destinée aux détracteurs des organismes génétiquement modifiés, l’industrie agro-alimentaire moderne utilise largement de la chymosine produite par une souche d’Aspergillus niger surexprimant cet enzyme qui se trouve originellement dans l’estomac des veaux allaités sous la mère.

Capture d’écran 2018-09-13 à 17.09.23.png

Des fragments de ces faisselles préhistoriques ont été retrouvés en Pologne et datées de 7500 ans avant l’ère présente. Comme l’indique l’illustration ci-dessus il a donc fallu plus de 3000 ans pour que la pratique de l’élevage se répande dans le nord de l’Europe depuis le Levant à la faveur des migrations. Ces recherches archéologiques relatives à l’élevage ont été corroborées par des études génétiques des populations car qui dit élevage et donc production de lait sous-entend qu’une partie du lait était aussi directement utilisée pour l’alimentation avant toute fermentation. Quoi de meilleur que du lait bourru directement sorti du pis d’une vache ? Cela fait partie de l’un de mes souvenirs de petite enfance …

Or pour digérer le lait confortablement il faut que notre intestin grêle soit capable de sécréter l’enzyme, la lactase, qui scinde le lactose en ses deux constituants, le glucose et le galactose. Il s’agit d’un enzyme dit inductible qui n’est synthétisé qu’en présence du lactose du lait. La propriété d’induction de la synthèse de cet enzyme disparaît le plus souvent irréversiblement après le sevrage de l’enfant. Les études archéologiques ont montré que de nombreuses poteries datant du néolithique, dont ces faisselles mentionnées plus haut, contenaient des traces d’acides gras typiques du lait. Les populations qui prospérèrent en Europe du Nord le purent qu’à la faveur de l’apparition d’une mutation du promoteur, il s’agit d’un fragment d’ADN, du gène codant pour la lactase 13910 bases avant le gène de ce dernier enzyme, mutation appelée -13910*T. Il a suffi de la présence de cette mutation sur un seul allèle du gène de la lactase pour que les peuples puissent se nourrir de lait sans l’inconfort provoqué par l’absence de lactase. Cette seule mutation a également favorisé le peuplement des régions du nord de l’Europe, en particulier de la Scandinavie, car le lait contient de la vitamine D qui ne peut être synthétisée par l’organisme à partir d’ergostérol qu’en présence de suffisamment de rayons solaires.

Capture d’écran 2018-09-13 à 17.10.23.png

La carte ci-dessus est intéressante sur plusieurs points. Outre la Scandinavie et le nord de l’Europe on retrouve la plus forte fréquence de l’allèle de la lactase muté dans le nord-ouest de l’Afrique correspond à l’élevage traditionnel des chèvres, dans la péninsule arabique correspond à l’élevage des dromadaires dont le lait était et est toujours utilisé directement par les Bédouins et enfin dans la partie pakistanaise du sous-continent indien pratiquant l’élevage bovin traditionnellement. C’est dans les îles britanniques et en Scandinavie que l’on retrouve aujourd’hui la plus grande proportion de porteurs de la mutation -13910*T, des pays où la consommation de lait non fermenté et de fromages à pâte cuite contenant toujours du lactose sont les plus répandus. Dans des pays comme la Turquie cet allèle a presque disparu car les désagréments de la digestion du lait en l’absence de lactase ont été contournés avec l’usage du lait fermenté à l’aide de bactéries comme les yaourts ou le kéfir, bactéries qui réduisent pratiquement à néant la teneur en lactose dans le produit final. Que mes lecteurs se rassurent je suis encore en bonne santé bien que je boive chaque jour un litre de lait de vache entier.

Sources et illustrations : Nature et Human Heredity, doi : 10.1159/000360136

Quatre mille ans avant l’apparition de l’agriculture nos ancêtres savaient déjà faire du pain.

Capture d’écran 2018-08-20 à 17.35.37.png

C’est une étude minutieuse du site natufien de Shubayqa au nord-ouest de la Jordanie qui a permis à des archéologues de l’Université de Cambridge de découvrir à leur grande surprise que les chasseurs-cueilleurs occupant cette région savaient faire du pain. Cette pratique culinaire exceptionnelle, alors que le pain est aujourd’hui universellement consommé dans le monde, demandait un gros investissement. Il fallait collecter les graminées dont l’engrain, ancêtre du blé moderne, Triticum boeoticum, ou encore l’ancêtre du seigle (Secale montanum) qui poussent encore naturellement au Moyen-Orient puis récupérer les grains, les broyer, mélanger la farine grossière avec de l’eau et faire cuire la pâte sur un feu ouvert ce qui devait faire appel à un savoir-faire sophistiqué. Sur le site de Shubayqa ont en effet été retrouvées des pierres usées qui devaient servir de meules pour broyer les grains et des emplacements servant de foyer (illustration).

Mais comment ces scientifiques ont acquis la certitude que ces chasseurs-cueilleurs vivant là 14000 ans avant l’ère présente constitue tout l’intérêt de ce travail. De minuscules particules de pain d’environ 5 mm de diamètre ont été retrouvées sur le site et elles ont d’abord été datées par datation au carbone-14 avec une marge d’erreur de +/- 2000 ans puis elles ont été étudiées par microscopie électronique à balayage pour en déterminer la structure physique. L’illustration ci-dessous est une comparaison entre un des échantillons récupérés sur le site avec la structure de la farine de seigle sauvage moderne, à gauche l’échantillon n°1 recueilli sur le site, à droite le seigle sauvage.

Capture d’écran 2018-08-20 à 17.41.18.png

Outre l’engrain et le seigle sauvages, la présence d’avoine sauvage a pu être identifiée. Mais quelques-uns de ces échantillons contenaient aussi des racines de scirpe (Bolboschoenus glaucus) une plante très commune poussant dans les lieux humides. Il n’a donc pas fallu à l’homme du paléolithique d’attendre l’apparition de l’agriculture et la sédentarisation pour fabriquer du pain qui pouvait être facilement conservé et transporté par les chasseurs-cueilleurs nomades, une véritable prouesse technique.

Il reste une question à laquelle cette découverte de la « boulange » préhistorique n’apporte pas de réponse. Quand les Natoufiens réussirent à faire du pain avec ces graminées sauvages il est possible que ce fut le début de la sédentarisation et par conséquent l’apparition de l’agriculture avec la culture organisée de ces graminées afin de fabriquer encore plus de pain. Et cette hypothèse est considérable car l’agriculture dans le « Croissant fertile » vit ensuite l’émergence de l’écriture et de ce que l’on appelle aujourd’hui la civilisation.

Source : http://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1801071115 et lire aussi au sujet des Natufiens : https://en.wikipedia.org/wiki/Natufian_culture

L’Homme de Crô-Magnon souffrait-il de neurofibromatose de type 1 ?

Capture d’écran 2018-04-22 à 16.38.15.png

L’Homme de Crô-Magnon, en réalité un homme moderne, fut découvert dans un abri sous roche au lieu dit Crô-Magnon au bord de la Vézère sur la commune des Eyzies en 1868. Le crâne de Crô-Magnon 1 a été daté précisément de 27680 années avant l’ère présente et est celui d’un homme adulte faisant partie de la civilisation du néolithique supérieur dite de l’Aurignacien contemporaine des artistes qui décorèrent la grotte de Lascaux située près des Eyzies. Sur ce site quatre autres squelettes ont été retrouvés, deux autres hommes, une femme et un enfant. Les vertèbres cervicales de l’un des hommes sont soudées car il devait souffrir d’une pathologie encore non identifiée et le crâne de la femme présentait l’évidence d’une fracture frontale qui s’était partiellement réduite elle-même. Outre le fait que ces individus ont été enterrés avec divers objets décoratifs, la présence de ces pathologies indique qu’ils faisaient partie d’une communauté qui prenait soin de ses congénères malades ou souffrant d’une maladie chronique et qu’elle respectait les morts en les enterrant correctement.

Capture d’écran 2018-04-22 à 16.37.27.png

Le crâne de Crô-Magnon 1 a été réexaminé par l’équipe du Docteur Philippe Charlier de la section d’anthropologie médicale de l’Université de Versailles en France. L’aspect d’une dépression frontale ostéolytique a en effet attiré l’attention des pathologistes. Ils ont procédé à un examen radiologique détaillé du crâne et ils ont découvert des occlusions au niveau de l’oreille interne pouvant être caractéristiques de tumeurs osseuses bénignes permettant d’expliquer l’ostéolyse frontale provoquée par le fait que cet homme souffrait probablement de neurofibromatose de type 1.

Capture d’écran 2018-03-30 à 12.55.10.png

À la vue de ces analyses la face de l’homme a été reconstruite en présentant les tumeurs bénignes caractéristiques de cette maladie génétique. L’homme devait également souffrir de surdité et présenter les divers symptômes de la neurofibromatose de type 1, une maladie pas si rare puisqu’elle affecte, en Grande-Bretagne seulement, environ 15000 personnes.

Source et illustrations : The Lancet, vol. 391, 31 mars 2018, p. 1259 aimablement communiqué par le Docteur Charlier qui est vivement remercié ici.

L’art « pariétal » en pleine ébullition

Capture d’écran 2018-03-07 à 11.21.54.png

Les peintures retrouvées dans les grottes occupées par nos lointains ancêtres entrent dans la catégorie de l’art pariétal. L’un des exemples les plus connus au monde est la grotte de Lascaux et les peintures de cette grotte découverte en 1940 ont été précisément datées. Elles ont été exécutées 17000 ans avant l’ère présente. De ce fait elles ont été attribuées à l’homme moderne et les spécialistes en la matière ont considéré que seul l’homme moderne avait été capable dans le passé de réaliser de telles oeuvres d’art. L’homme de Néandertal, qui rencontra les hommes modernes et fait ami-ami avec eux était considéré comme trop peu développé pour peindre quoi que ce soit sur les parois d’une grotte puisqu’on sait qu’il maîtrisait le feu, car il faut du feu pour s’éclairer dans une grotte. Le débat fut donc clos … Jusqu’à la datation précise des peintures rupestes de la grotte de Maltravieso qui se trouve aujourd’hui dans la ville de Caceres dans province d’Extramadur en Espagne. Il s’agit d’empreintes de main en négatif (illustration ci-dessus) comme il y en a également à Lascaux.

Capture d’écran 2018-03-07 à 11.01.24.png

Ces empreintes ont été datées précisément après avoir prélevé de minuscules fragments de calcite par la technique isotopique uranium/thorium. Ces empreintes ainsi que d’autres motifs picturaux présents dans cette grotte datent de 66700 ans c’est-à-dire 25000 ans avant les peintures les plus anciennes de l’homme moderne découvertes dans la Grotte Chauvet en Ardèche qui sont antérieures à celles de Lascaux.

Le débat relatif à l’antériorité des oeuvres d’art pariétal est donc de nouveau ouvert, de même que les causes de la mystérieuse disparition des Néandertaliens il y a environ 40000 ans. Si certains scientifiques considèrent toujours que ces peintures auraient pu tout aussi bien être l’oeuvre de l’homme moderne il faut cependant remettre les choses à leur place.

Capture d’écran 2018-03-07 à 11.11.30.png

La plus ancienne oeuvre d’art a été retrouvée dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud. Il s’agit d’un fragment d’ocre décoré de motifs en zig-zag datant de plus de 100000 ans réalisée par « l’homme moderne » qui n’avait pas quitté l’Afrique. Mais l’oeuvre d’art la plus ancienne a été retrouvée en Indonésie. Il s’agit de coquillages ornés également de motifs en zig-zag datés de plus de 500000 ans. L’artiste était un ancêtre cousin encore plus lointain appelé Homo erectus puisqu’il était bipède.

L’homme « moderne » a donc perdu le privilège de la créativité artistique qu’on lui attribuait et à lui seul. Illustrations en lumière ultraviolette et fluorescence et en lumière naturelle (lampe au xénon).

Illustrations : The Guardian et Le Temps (Genève), source : Science, doi : 10.1126/science.aao5646

L’homme de Neandertal et l’homme moderne : une longue histoire de sexe !

 

Il y a seulement quelques semaines, le 12 octobre 2017, il était question sur ce blog, encore une fois, des Néandertaliens et ce billet mentionnait le fait troublant relatif à l’absence de toute trace d’ADN mitochondrial d’origine néandertalienne chez l’homme moderne alors qu’il est maintenant acquis que nos ancêtres venus d’Afrique il y a une centaine de milliers d’années ont eu des relations sexuelles avec les Néandertaliens qu’ils rencontrèrent jusqu’à ce que ces derniers disparaissent il y a environ 40000 ans. L’hypothèse était alors que la descendance femelle du résultat de ces croisements était stérile puisque l’ADN mitochondrial est exclusivement transmis à la descendance par la mère.

Tout a été remis en question récemment à la suite de travaux réalisés en Allemagne à l’Université d’Ulm sous la direction du Docteur Johannes Krause et il est apparu que le mélange homme moderne-homme primitif de Neandertal a eu lieu beaucoup plus tôt. Cette découverte a été rendue possible avec les moyens sophistiqués d’investigation et un affinement des techniques de prélèvement de l’ADN aussi bien nucléaire que mitochondrial pour leur séquençage ainsi que d’autres restes comme le collagène dans les fragments d’os à des fins de datation.

Le travail a été réalisé sur un fragment de fémur retrouvé dans la grotte de Hohlenstein-Stadel dans le Jura souabe dans le sud-ouest de l’Allemagne (illustration). Apparemment les restes de cet homme, répondant au nom de code HST, avaient été dévorés par une bête sauvage et l’os (illustration Nature Com, voir le doi) découvert en 1937 a pu être précisément situé dans le temps à moins 124000 ans. Cette datation a été basée sur les teneurs en carbone-13 et azote-15 du collagène de l’os par comparaison avec des fossiles d’animaux, une sorte de calendrier très précisément corrélé aux « horizons » des sédiments marins.

La surprise a été le séquençage de l’ADN mitochondrial provenant de cet os d’un sujet mâle, sexe déterminé par la présence du chromosome Y dans son ADN nucléaire. Cet ADN mitochondrial s’est révélé provenir de l’homme moderne. Il y a donc 124000 ans l’homme de Neandertal HST avait déjà perdu son ADN mitochondrial ancestral tout comme son homologue de l’Altaï datant lui de 130000 ans. Que s’est-il donc passé en des temps bien plus reculés qu’on ne le pensait jusqu’à ces travaux ?

Capture d’écran 2017-11-09 à 08.34.54.png

Compte tenu de l’horloge décrivant la fréquence des mutations chez l’homme et donc également des Néandertaliens l’équipe du Docteur Krause a conclu qu’il y a 270000 ans avec tout de même une fourchette d’incertitude, quelque part au Moyen-Orient, des hommes pré-modernes venus d’Afrique se sont mélangé avec des Néandertaliens et ces derniers ont hérité de leur ADN mitochondrial en totalité ! Les illustrations ci-dessous représentent donc le nouvel arbre « généalogique » de l’homme dans lequel figure en rouge la provenance africaine et en bleu la provenance européenne. La branche « Neandertal » européenne provenant d’Afrique a divergé de celle des Denisovans il y a 600000 ans et de l’homme moderne (du moins son ancêtre direct) il y a 720000 ans et l’homme de Neandertal s’est re-mélangé génétiquement il y a 270000 ans à la suite d’un épisode « out of Africa » bien antérieur à celui de l’Homo sapiens sapiens moderne qui, lui, a quitté l’Afrique il y a 100000 ans.

Capture d_écran 2017-11-09 à 08.34.10

Les proto-néandertaliens de la grotte de Sima de Los Huesos en Espagne possédaient un ADN mitochondrial très différent de celui de HST et divergèrent de ce dernier il y a 430000 ans. Il est utile de rappeler que l’homme archaïque a divergé du chimpanzé il y a environ un million et demi d’années pour resituer dans le temps cette longue histoire de l’évolution de l’homme qui ne manquait pas de saveur charnelle …

Capture d’écran 2017-11-09 à 08.37.25.png

Source et illustrations : Nature communications, doi : 10.1038/ncomms16046 article en accès libre pour les curieux. Grotte de Hohlenstein-Stadel : crédit Université de Ulm. Et aussi ainsi que bien d’autres billets sur ce blog :

https://jacqueshenry.wordpress.com/2017/10/12/comment-vivaient-nos-cousins-les-hommes-de-neandertal/

La « sécurité sociale » chez les derniers Néandertaliens

Par le fait du hasard des publications scientifiques, j’abreuverai encore mes lecteurs demain dimanche d’une autre histoire relatives aux hommes de Néandertal qui précise de façon inattendue leurs liens avec l’homme moderne.

Aujourd’hui le Kurdistan iraquien est un endroit dangereux, mais il y a 50000 ans, les chasseurs cueilleurs néandertaliens devaient aussi être sur le qui-vive. Il y avait des ours, des jaguars à dents longues, des lions et des hyènes sans oublier les serpents et les scorpions. Un pas de travers et ces hommes étaient transformés en viande morte. Tout ceci fait qu’il est surprenant qu’un homme de Néandertal appelé Shanidar 1 par les scientifiques ait pu survivre jusqu’à la cinquantaine, l’équivalent de 80 ans aujourd’hui. Il devait avoir profité d’une bonne couverture sociale style Pléistocène de la part de sa tribu.

Un article de PlosOne (voir le lien) très technique décrit en détail le squelette de cet homme découvert dans la grotte de Shanidar près d’Erbil en Irak. Le site qui contient les restes d’une dizaine de néandertaliens est connu depuis la fin des années 1950 mais un examen plus approfondi de Shanidar 1 a montré qu’il souffrait de handicaps sérieux. Des études antérieurs avaient indiqué que cet homme souffrait de multiples blessures, un coup au niveau de la face qui lui fit probablement perdre la vue d’un oeil, des fractures et une amputation de l’avant-bras droit ainsi que des blessures au niveau de la jambe droite. Une dégénérescence systémique du squelette avait également été constatée.

Capture d_écran 2017-10-30 à 13.31.11

L’étude récente a montré qu’il était probablement sourd. Indépendamment du fait qu’il avait perdu un avant-bras, un oeil et qu’il souffrait d’autres blessures, la surdité de cet homme en avait fait une proie facile pour les bêtes carnivores sauvages et il dépendait donc étroitement de l’attention constante des autres membres du groupe pour sa survie. Des excroissances osseuses (exostoses) avaient en effet obstrué ses conduits auditifs et le fait d’être sourd ne permettait plus à cet homme de localiser correctement les bruits extérieurs à la grotte et donc l’exposait aux dangers des prédateurs. Pour avoir atteint un tel âge avancé cet homme devait donc être entouré de quelques membres de sa famille ou de son groupe et pour avoir bénéficié d’une telle attention peut-être était-il un « ancien » très respecté, un chaman ou un guerrier illustre … Toutes les suppositions sont possibles.

Source : https://doi.org:10.1371/journal.pone.0186684.g001 . Illustrations : exostoses du conduit auditif externe et entrée de la grotte de Shanidar

D’où nous vient le virus de l’herpès génital ? Bonne question.

Dans sa fameuse chanson « Les Trompettes de la Renommée » (1962) Brassens, ne s’embarrassait pas de pudeur en décrivant avec l’humour qui le caractérisait les conséquences de ses amours avec une marquise : « Madame la Marquise m’a foutu des morpions« . Mais dans le même registre des affections génitales d’où vient le virus de l’herpès génital (HSV2) dont près de 90 % des êtres humains sont porteurs ? Pour répondre à cette question exceptionnellement importante et qui aurait réjoui Brassens une équipe de paléo-archéologues de l’Université de Cambridge en Grande-Bretagne dirigée par le Professeur Charlotte Houldcroft a remonté le temps depuis l’ancêtre commun de l’homme et du chimpanzé (et du bonobo) jusqu’à l’Homo erectus, notre ancêtre direct. La filiation du virus qui accompagna tous les hominidés durant cette longue évolution qui dura plus de 3 millions d’années a pu être établie avec une certaine certitude en se basant sur la vitesse de propagation du virus dans la forêt tropicale entre singes d’aujourd’hui et mesurée en mètres par an. Cette vitesse a été corrélée à l’apparition naturelle de mutations spontanées sur une seule base de l’ADN (SNPs) qui est maintenant largement utilisée pour établir la filiation entre groupes humains.

Capture d’écran 2017-10-08 à 17.53.35.png

Les séquences d’ADN du virus présent dans les populations actuelles tant en Afrique que sur les 4 autres continents ont été utilisées pour confirmer que l’Homo sapiens sapiens avait bien émigré depuis l’Afrique il y a environ 100000 ans avec son virus de l’herpès ! Toutes les possibilités de transmission ont été passées en revue à l’aide de techniques statistiques prenant en considération les probabilités de transmission au cours de l’évolution des hominidés. Selon l’étude publiée dans la revue Virus Evolution (lien en fin de billet) la probabilité la plus sérieuse de transmission mise en évidence est que le virus aurait été véhiculé par l’Homo boisei dont le fossile – un paranthrope mais pas vraiment un être humain (illustration) – retrouvé dans la Gorge de l’Olduvai a indiqué qu’il vivait dans cet endroit limitrophe de la forêt tropicale entre 2,4 et 1,4 millions d’années. Or comme le virus humain – HSV2 – est plus proche du virus affectant la région buccale du chimpanzé, ChHV1, que de son homologue humain provoquant l’herpès buccal (HSV1), il est intéressant de noter que cette transmission au cours de l’évolution entre les singes, ou plutôt leurs ancêtres et l’homme moderne est passé par cet humanoïde Homo boisei. Cependant l’étude n’exclue pas que le virus ait pu être également transmis à ce paranthrope par un autre proto-humain, l’Homo abilis. Dans le doute il est donc permis de dire que c’est l’Homo boisei qui nous a « foutu » l’herpès génital …

800px-Paranthropus-boisei-Nairobi.JPG

Source, doi : 10.1093/ve/vex026

Comment vivaient nos cousins les hommes de Néandertal ?

Après le séquençage de l’ADN d’une femme néandertalienne dont le squelette fut retrouvé dans les montagnes de l’Altaï au sud de la Sibérie et datant de 122000 ans, l’équipe du Professeur Svante Pääbo du Max Planck Institute de Leipzig a réussi à séquencer la totalité de l’ADN d’un autre Néandertalien. Celle-ci, puisqu’il s’agit aussi d’une femme, vivait il y a 52000 ans et a été découverte dans une grotte en Croatie. Le fait de disposer de ces deux informations génétiques a fait progresser la compréhension au sujet du mode de vie de ces êtres humains qui s’étaient établi en Europe bien avant que l’homme moderne ne vienne s’y implante après avoir quitté l’Afrique il y a une centaine de milliers d’années. Il est maintenant reconnu que l’homme moderne d’Europe mais pas d’Afrique a « fricoté » avec les Néandertaliens puisqu’il possède dans son génome entre 1,8 et 2,6 % de gènes en provenance de ces cousins éloignés. Certains spécialistes ont incriminé ces gènes qui seraient à l’origine de perturbations métaboliques dont certaines populations souffrent aujourd’hui mais sans apporter de preuves formelles car il faudrait réunir plus d’information sur ces « cousins » néandertaliens.

À propos de cousinage, l’ADN de la néandertalienne de l’Altaï a mis en évidence une forte endogamie, en d’autres termes le mode de vie de ces petits groupes de chasseurs-ceuilleurs relativement isolés les uns des autres autorisait en quelque sorte des unions entre cousins ou oncles et nièces. Ce comportement sociétal n’a pas été retrouvé dans l’ADN de la femme de Croatie et il est probable, durant les 70000 années qui ont séparé ces deux spéciments, que la population néandertalienne s’était suffisamment étoffée pour que les unions consanguines aient disparu. Le séquençage de l’ADN de 4 spécimens d’homme moderne datant de 34000 ans et provenant du site de Sunghir en Russie, cette fois tous des hommes, ont indiqué qu’il n’existait pas d’endogamie dans cette population et que donc, comme pour la néandertalienne de Croatie, les hommes (ou les femmes) allaient chercher leur partenaire en dehors de leur clan ou tribu.

Ces observations pourraient apporter une explication à la disparition inexpliquée des Néandertaliens il y a environ 35000 ans. En effet l’endogamie provoque non seulement des malformations physiques et une faiblesse du système immunitaire mais également un amoindrissement des facultés intellectuelles. C’est peut-être la raison pour laquelle ces hommes « anciens » par opposition aux hommes « modernes » ont fini par disparaître malgré des croisements avec ces derniers. Les Néandertaliens n’étaient pas aussi primitifs qu’on a tendance à le croire car ils enterraient leurs morts, confectionnaient des bijoux ou parures, fabriquaient des outils et des armes pour la chasse. Ont-ils acquis ces comportements des hommes modernes nouvellement arrivés sur leur territoire, nul ne le sait. Il faudra encore réaliser beaucoup de travaux pour se faire une idée précise de l’interaction génétique entre eux et l’homme moderne. Ce qui reste troublant est l’absence totale de SNPs (single nucleotide polymorphism) d’origine néandertalienne dans l’ADN mitochondrial de l’homme moderne. Seul l’ADN nucléaire a hérité de ces SNPs. L’ADN mitochondrial n’est transmis que par la mère et cette observation ouvre la porte à toutes sortes de spéculations. Les hybrides homme moderne-néandertalien de sexe féminin étaient-ils stériles ? Il faudra encore beaucoup de travaux pour apporter une réponse catégorique à cette question …

Source : Science Magazine