La mémoire innée et la mémoire acquise …

Georges Didi-Huberman, philosophe de son état, discute au cours d’une entrevue de la mémoire innée et de la mémoire acquise (lien). Il faut malheureusement spéculer sur le mécanisme de la mémoire. C’était l’un des sujets que nous abordions Francis Crick et moi-même lorsque nous dégustions notre déjeuner au bout de la terrasse du Salk presque chaque jour au tout début des années 1980. Pour Crick le mécanisme de stockage de la mémoire dans le cerveau était à l’époque inconnu et aujourd’hui, avec le développement de l’imagerie fonctionnelle du cerveau on sait à peu près où se trouvent les zones cérébrales dans lesquelles résident la mémoire des mots. Il s’agit des lobes pariétaux proches du lobe frontal. L’imagerie par émission de positons ou l’imagerie fonctionnelle sont une chose mais elles n’indiquent qu’une consommation d’énergie. Un processus dont on ignore toujours la nature au niveau moléculaire consomme de l’énergie, ce qui indique uniquement qu’il existe une activité métabolique. Cette consommation d’énergie se mesure à l’aide d’un appareil de résonance magnétique nucléaire, mesure basée sur le fait que la déoxyhémoglobine (hémoglobine qui a cédé son oxygène) a pour propriété de posséder un moment magnétique très puissant par rapport à celui de l’oxyhémoglobine. Dès lors il est possible de détecter le flux sanguin dans une zone quelconque du cerveau à l’aide d’un appareil de résonance magnétique nucléaire sans devoir injecter un quelconque produit étranger. Passons sur les détails techniques pour explorer les possibilités de telles investigations. La variation du flux sanguin dans une partie précise du cerveau révèle donc une activité métabolique et les candidats pouvant être les supports de la mémoire sont nombreux.

Il peut s’agir de la création de nouvelles connexions inter-neuronales. Cette hypothèse est cependant à exclure puisque le cerveau est déjà extrêmement complexe à ce niveau. De plus la plasticité neuronale est limitée. L’illustration ci-dessus montre les zones pariétales du cerveau intervenant dans l’activité d’élocution de mots simples après leur mémorisation. Le sujet mémorise des mots et doit les répéter dans l’ordre au cours du test. S’il s’agit d’images ou de sons d’autres zones du cerveau sont activées. S’agit-il de protéines servant de support de la mémoire ? C’est peu probable car une protéine ne possède qu’une information accessible, sa forme aussi appelée structure tertiaire ou spatiale. Il est difficile d’imaginer un système aussi complexe soit-il capable de reconnaître la structure spatiale d’une protéine. Dans l’organisme on ne connait que les anticorps capables de reconnaître une protéine, encore faut-il qu’elle soit étrangère. Cette hypothèse est donc exclue. Il reste un domaine mystérieux qui peut être un bon candidat, les microARNs dont on découvre presque chaque semaine de nouvelles propriétés comme par exemple des propriété catalytiques inattendues. Ces microARNs peuvent se replier sur eux-mêmes en forme d’épingle à cheveux. Ont-ils une durée de vie suffisamment longue pour satisfaire aux exigences de la mémoire à long terme ? Ce n’est pas certain et ce dernier point sera très difficile à démontrer. Enfin on retombe sur la complexité du cerveau humain avec une multitude de types de neurones. Le cerveau renferme près de 100 milliards de neurones dont les fonctions sont variées et toutes interconnectées par des jonctions synaptiques. La variété de ces neurones est extrême. Il existe pas moins de 30 types de neurones différents. Le fonctionnement des neurones est de type électrique, c’est schématique mais c’est ainsi, et fait intervenir une série de molécules appelées des neurotransmetteurs. Les axones sont de véritables câbles électriques isolés par une gaine de myéline. La comparaison n’est pas exagérée. Chaque neurone peut partager une bonne douzaine de connexions avec d’autres neurones, avec des « partenaires de travail », assurant des relations avec des zones cérébrales éloignées. La complexité du cerveau peut alors s’exprimer à 100 milliards multipliés par 10 ou 20 et c’est chaque être humain qui est équipé par un tel organe juste phénoménal. Ce foisonnement de neurones est donc à l’évidence le siège de la mémoire.

Pour se faire une idée du mécanisme de la mémoire le seul exemple récent est l’ordinateur dont l’usage est devenu courant, depuis l’ordinateur de bureau jusqu’au téléphone portable. Lorsque j’écris ce texte j’envois des impulsions électriques avec le clavier, la mémoire physique de l’ordinateur reconnaît ces signaux électriques et les traduit graphiquement sur l’écran.

Mon analogie s’arrêtera là car je n’y connait rien en informatique. Lorsque je bavardais avec Francis Crick l’ordinateur de bureau était une nouveauté exclusivement réservée au traitement de texte et à des calculs très simple comme des régressions linéaires, c’était il y a plus de 40 ans. Le transistor peut aujourd’hui être comparé à une jonction synaptique et le flux d’informations est, comme dans le cerveau, assuré par des électrons. C’est une explication satisfaisante et j’arrêterai là cette recherche d’hypothèses. Il reste à expliquer la mémoire innée que mentionne Georges Didi-Huberman. Il paraît que le nouveau-né a emmagasiné des sons au cours de sa vie foetale et qu’il reconnaîtrait le son de la voix de sa mère dès la naissance. Peut-être, mais le cerveau d’un nouveau-né n’est pas « terminé », entendons la complexité de ses interconnexions neuronales va aller croissante pendant près de 18 ans puisqu’on considère qu’à cet âge le cerveau est enfin « adulte ». Il existe donc une évolution lente de la structure des interactions entre neurones aboutissant à la puissance de réflexion corrélée à celle de la mémoire. C’est la raison pour laquelle l’apprentissage de la mémoire est essentiel pour le développement du cerveau et par conséquent de ce que l’on appelle peut-être à tort l’intelligence. Durant mon enfance on apprenait des fables de La Fontaine, des vers de Racine ou de Rimbaud par cœur pour les réciter à haute voix devant l’instituteur et les autres élèves. Les téléviseurs et les téléphones portables n’existaient pas et que faisait-on ? On lisait … Aujourd’hui des enfants de 7 ans passent des heures avec un téléphone portable et quelles seront les conséquences ? Les interconnexions de leur cerveau seront à l’âge adulte déficientes et la conséquence est l’émergence d’un génération entière d’« idiots du village » dont la maturité du cerveau sera mal terminée et déficiente, un désastre incommensurable qui précipitera une grande partie de l’humanité dans une sorte d’hébétude terrible. 

Liens : https://www.youtube.com/watch?v=_md2Cp3XnVc&ab_channel=librairiemollat

et https://www.trtf.eu/pubs/Textbook_AdvancedContrast.pdf

Souvenirs …

À la fin des années 1970 je me trouvais au Salk Institute pour mon troisième stage « post-doc » et presque tous les jours je déjeunais sur le pouce d’un sandwich en compagnie de Francis Crick, le découvreur de la structure de la molécule d’ADN avec James Watson bien des années auparavant. Pourquoi Francis Crick, tout simplement parce qu’il parlait français et la raison était évidente, il avait épousé une prénommée Odile qui était franco-britannique mais plus française de britannique, elle-même parfaitement francophone. Que faisait Francis à son âge avancé dans cet institut côtoyant à cette époque sept autres prix Nobel ? Il n’avait pas vraiment de programme de recherches, il pensait me disait-il …

Et ses réflexions étaient centrées sur le fonctionnement du cerveau. Son approche était pragmatique un peu comme celle de Stephen Jay Gould, un adepte de l’influence du hasard sur l’évolution, idée reprise à peu près à la même époque par Jacques Monod. Francis était persuadé que la complexité anatomique du cerveau humain, puisqu’à l’époque aucune des techniques modernes d’investigation n’était connue, était une accumulation de petites mutations ponctuelles sélectionnées durant des millénaires d’évolution en raison d’une meilleure adaptation de nos lointains à leur environnement hostile au sein duquel ils se battaient pour survivre. Selon Francis il fallut des centaines de milliers d’années pour que le cerveau humain devienne complexe, complexité favorisée par cette évolution due au hasard. Charles Darwin était un adepte de la sélection naturelle et Crick comme Monod en furent des partisans.

La maîtrise du feu, probablement beaucoup plus ancienne qu’on ne le croit, permit par la cuisson de viande de gibier de favoriser le développement du cerveau car il existait pour les chasseurs-cueilleurs peu d’aliments complets favorisant ce développement harmonieux du cerveau en dehors des œufs, également un aliment complet. Je suis intimement convaincu que si Francis Crick avait disposé des moyens modernes d’investigation de l’activité cérébrale il aurait probablement été honoré d’un deuxième prix Nobel. Les tests d’étude de psychométrie que j’ai mentionné au cours du précédent billet de ce blog étaient connus mais il manquait le traitement informatique dont on dispose aujourd’hui comme l’avait indiqué la figure de ce billet. Si Francis Crick avait pu disposer de ces techniques modernes quelles merveilleuses idées qui l’habitaient auraient trouvé leur aboutissement. J’ai été très attristé quand j’ai appris le décès de Francis Crick et pour l’anecdote, mon patron d’alors, également prix Nobel, est toujours président d’honneur du Salk Institute à l’âge de 99 ans.

Les degrés d’intensité de l’orgasme féminin

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J’avais depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années, l’intention d’écrire un billet dédié à l’orgasme féminin, non pas que je sois un spécialiste de la question ni un obsédé sexuel – loin de moi cette idée ! – mais tout simplement parce que le démon de la curiosité scientifique ne m’a jamais quitté bien que j’aie démissionné de mes activités de chercheur en biologie il y a maintenant près de vingt années. Par exemple quand je me promène dans la rue je ne peux pas m’empêcher d’observer le comportement des passants et il y en a tellement qui manifestent sans s’en douter un instant des attitudes délicieuses pour un psychiatre alors je m’émerveille que la société puisse laisser en liberté tant de personnes dérangées d’une manière ou d’une autre, la plupart fort heureusement inoffensives. Cette espèce de passion pour l’observation fait donc toujours partie de ma vie de tous les jours. Un autre exemple de cette passion : je scrute chaque matin très tôt la position de Jupiter qui se trouve en ce moment juste au dessus de l’étoile Spica (l’Épi) dans la constellation de la Vierge et il y a quelques jours la Lune se trouvait aussi dans le ciel toute proche de Jupiter … Je me suis surpris alors à imaginer comment Galilée a pu interpréter le mouvement vers l’ouest de Jupiter par rapport à l’étoile Spica car savait-il précisément que la Terre tourne autour du Soleil 20 fois plus rapidement que Jupiter et que ce mouvement a pour résultat un changement apparent de la position de Jupiter par rapport aux étoiles ? Ceci étant il pointa la lunette de son invention vers Jupiter et découvrit 4 « lunes » gravitant autour de cette planète, observation qui lui permit d’affirmer l’héliocentrisme contrairement au dogme de la papauté d’alors du géocentrisme de l’Univers. Pourquoi la Lune ne tournait-elle pas aussi autour de la Terre ?

Venons-en donc à l’orgasme féminin à propos duquel les hommes – surtout les hommes – ont raconté n’importe quoi, prenant leurs désirs pour des réalités. L’orgasme masculin ne peut en aucun cas être transposé à celui de la femme. Il s’agit de deux réactions totalement différentes. Les grands sexologues ont imaginé que la femme éjaculait lorsqu’elle jouissait … foutaise totale. Ils ont imaginé également que la femme ne jouissait qu’avec son clitoris, une hypothèse totalement stupide qui a conduit pourtant à la pratique exécrable de l’excision, hypothèse que je me permets de réfuter totalement comme vous le constaterez en lisant ce billet jusqu’à son terme.

La femme dispose naturellement d’une capacité de jouissance physique d’une inimaginable diversité (et complexité) qui surpasse de très loin celle de l’homme qu’il est incapable de comprendre pleinement car il n’est réduit qu’à la fonction, fondamentale mais néanmoins triviale, de reproduction de l’espèce et de transmission de ses gènes, fonction qui se matérialise par une éjaculation lui procurant un plaisir, certes violent, mais ne durant que quelques fugaces secondes. La femme peut atteindre le plaisir avec son vagin, son clitoris, le bout de ses seins ou encore des caresses savamment distillées sur la plante de ses pieds. C’est vrai ! J’en ai fait l’expérience à de nombreuses reprises … Et ces orgasmes peuvent durer, qui plus est, plusieurs minutes !

Ma déformation professionnelle m’a donc conduit à observer scrupuleusement depuis quelques mois le comportement de ma fiancée (ma « novia ») quand nous faisons l’amour pour mener à bien ce projet. Entre parenthèses il m’a parfois fallu utiliser des mini-doses de sildenafil pour conduire à leur terme mes observations.

Cela m’a rappelé l’époque où je travaillais au Salk Institute. Il y avait des rats très bien domestiqués auxquels on avait implanté à demeure dans le cerveau des micro-seringues ainsi que des électrodes à peine visibles à l’oeil nu. Le tout était collé avec de l’araldite au sommet de leur crâne et les rats évoluaient librement dans leur petite cage quand naturellement ils n’étaient pas « connectés » pour une investigation. L’expérimentateur les branchait à des fils et des tubes très fins et pouvait influer directement sur le comportement de ces animaux en injectant des petits peptides qui étaient spécialement étudiés dans le laboratoire. Les rats éprouvaient du plaisir ou au contraire des douleurs intenses selon les produits qui étaient directement transférés dans leur cerveau à l’aide d’un léger courant électrique.

L’orgasme produit les mêmes effets sur le cerveau, une décharge soudaine d’ocytocine et de prolactine mais aussi et surtout d’endorphines (morphines endogènes naturellement produites par le cerveau), des petits peptides qui procurent une sensation soudaine d’euphorie et de relaxation. On pourrait alors très prosaïquement affirmer qu’un orgasme ce n’est finalement que de la chimie et que son intensité ne dépendrait que de l’aptitude du cerveau, en particulier de l’hypothalamus, à favoriser ces productions d’hormones peptidiques. Comme je ne dispose évidemment pas d’appareillages complexes de mesure dans mon modeste logement, je me suis prêté à des observations très simples pour tenter de quantifier l’intensité des orgasmes de ma dulcinée, le nom qu’utilisa si je ne m’abuse Cervantes pour la fiancée de rêve de Don Quixote. Je me suis particulièrement intéressé à deux paramètres, le temps qu’il faut à ma dulcinée pour s’endormir après un orgasme et la durée de la sieste qu’elle s’octroie – mais qui semble irrésistible – après cet évènement physiologique.

Avant de mettre ce billet noir sur blanc à l’écran de mon ordinateur j’ai fait une petite recherche bibliographique et je n’ai pas trouvé d’informations cohérentes sur les deux paramètres que je viens de mentionner. Apparemment aucun sexologue digne de ce nom ne s’est penché sur ces faits précis. Ou bien ma copine a un comportement particulier et qui lui est propre ou alors je suis en plein délire, mais je pense néanmoins avoir cerné ce problème de l’intensité de l’orgasme ressenti par une approche relativement simple. Pour être bref, je dirai qu’un petit orgasme rapidement atteint et superficiel provoque un assoupissement d’une demi-heure environ, alors qu’un orgasme ressenti intensément – selon les dires de ma partenaire – peut provoquer un sommeil profond, une sorte de narcose, de près de 90 minutes. Quant au laps de temps entre la fin de l’orgasme et l’installation de cet état d’inconscience, enviable pour des personnes qui souffrent d’insomnie ou ont des difficultés à trouver le sommeil, il est inversement proportionnel à l’intensité de l’orgasme. Plus l’orgasme est intense plus l’état d’inconscience profonde – une sorte de sédation – est rapidement atteint, parfois en moins de deux minutes.

J’ai corroboré mes observations par un bref interrogatoire de ma dulcinée. Elle classe ses orgasmes en trois catégories, petit (pequeño), moyen (bueno) et intense (muy grande) et ce classement confirme pleinement mes observations. Enfin lorsqu’elle ressent deux orgasmes successifs, ce qui lui arrive parfois quand je suis en pleine forme, elle plonge subitement dans un sommeil profond, une sorte d’état comateux durant lequel je peux lui caresser tout le corps sans qu’elle ne bouge le petit doigt.

C’est précisément ce qu’ont observé les physiologistes avec ces rats à qui on injectait des analogues des endorphines directement dans le cerveau, un état léthargique durable ressemblant à celui des opiomanes qui viennent de fumer leur boulette dans une fumerie des îles des Mers du Sud comme il en existait toujours il y a une vingtaine d’années. Certains rats presque en fin de vie furent sacrifiés après que l’expérimentateur leur eut broyé la queue d’un coup de marteau sans qu’ils aient réagi à la douleur alors que leur cerveau était sous l’effet de ces petits peptides particuliers. En conclusion je suis convaincu que le comportement de ma partenaire n’a rien d’exceptionnel et que beaucoup de mes lectrices se reconnaitront secrètement avec un léger sourire aux lèvres en lisant ce billet …

Illustration : « La Folie » de Wladyslaw Podkowinski (1894) censée illustrer un orgasme féminin.

Bernadette de Lourdes était-elle schizophrène ?

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Les mystères de notre cerveau sont révélés à longueur d’année et de toute évidence les études faisant appel à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle réservent encore des surprises. Par exemple en lisant un roman qui n’a pas été surpris de s’apercevoir que son cerveau lui parlait comme s’il « entendait » les dialogues tout en les lisant et cela pourtant dans un mutisme total. Pas vraiment total car, en suivant l’activité musculaire au niveau du larynx par électro-myographie, des biologistes se sont rendu compte que le cerveau du lecteur envoyait des signaux à l’aire du langage, l’aire de Broca, qui commande par un autre circuit cérébral les divers mouvements du larynx et éventuellement des lèvres. Et dans la vie quotidienne il en est de même : qui n’a pas entendu son cerveau lui répéter qu’il fallait acheter des poireaux au rayon légumes du supermarché. Il s’agit d’une sorte d’illusion auditive : on croit s’entendre comme on croit également voir quelque chose quand on ferme les yeux alors qu’il n’en est rien.

Pourtant, il s’agit de phénomènes qui ne sont pas du tout imaginaires. Ils sont la conséquence de fonctionnements discrets dans les interconnexions reliant différentes zones du cerveau remplissant des fonctions bien précises. Quand un enfant apprend à parler il apprend surtout à émettre des sons précis avec sa gorge, ses cordes vocales, sa langue et ses lèvres. Le langage est une série de sons et le cerveau mémorise ces derniers au cours de l’apprentissage de la parole pour que l’enfant construise ensuite des mots puis des phrases. Quand ce même enfant apprend à lire il lui arrive le plus souvent de « lire à haute voix » et dans ce cas il entend sa propre voix. Tout naturellement la lecture silencieuse pourrait supposer que les muscles impliqués dans le langage soient inactifs. En réalité il n’en est rien car si le lecteur n’émet aucun son audible son cerveau fonctionne cependant comme si il lisait à haute voix. Il existe dans le cerveau un ensemble de fibres nerveuses appelées le fasciculus arcuate qui relie l’aire de Wernicke, impliquée dans la compréhension du langage et de la lecture, à l’aire de Broca qui commande le langage.

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Etudier l’interaction entre les aires de Wernicke et de Broca est a priori difficile puisque se parler à soi-même (en silence) est une action plutôt intime par définition. De plus envisager une telle investigation signifie qu’il va falloir recruter des sujets qui « entendent des voix » et d’autres qui serviront en quelque sorte de contrôles car ils n’ont jamais entendu se dire distinctement « poireaux » au supermarché. Pour les personnes qui entendent des voix, c’est-à-dire pas nécessairement leur propre voix, on parle d’hallucination auditive mais il peut s’agir seulement d’une forme de langage à soi-même (par exemple quand on lit un livre) qui n’a pas été reconnu comme tel. Les neurophysiologistes ont identifié avec précision que les aires du cerveau activées lors du langage, en particulier l’aire de Broca, qui sont également actives lors du langage à soi-même, le langage « intérieur ». En étudiant des sujets qui reconnaissaient avoir des hallucinations auditives récurrentes et en les comparant à des personnes qui faisaient seulement l’expérience somme toute courante de s’entendre parler à soi-même par l’approche d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique, des neurobiologistes finlandais se sont rendu compte qu’une autre aire du cerveau était impliquée dans l’hallucination auditive (voir le lien). Il s’agit de l’aire dite « motrice supplémentaire » qui a pour fonction de commander et de contrôler les mouvements musculaires comme par exemple la synchronisation des mains droite et gauche quand on écrit avec un ordinateur. Cette aire du cortex cérébral se trouve être partiellement mal activée chez un sujet souffrant d’hallucinations auditives avérées.

L’étude réalisée en Finlande à l’Université Aalto à Espoo a réuni 20 personnes dont 12 souffrant d’hallucinations auditives verbales effectivement perçues et décrites au corps médical, les autres sujets ne témoignant que de « voix intérieures » en parfaite mesure avec leur comportement quotidien.

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Une différence notable par IRM fonctionnelle a été identifiée au niveau de l’activité de l’aire motrice supplémentaire alors que celle de l’aire de Broca ne semblait pas modifiée en comparant les personnes sujettes à des hallucinations auditives avec les personnes classées comme normales. Il s’est trouvé – ce n’était pas vraiment un hasard car il avait fallu sélectionner les individus à étudier – que 9 des 12 personnes sujettes à ces hallucination auditives verbales souffraient de schizophrénie. Elles entendaient des « voix » au cours d’épisodes d’hallucination de durées variables qui furent justement utilisées pour mettre en évidence une chute de l’activité de l’aire motrice supplémentaire comme cela est illustré par les clichés d’IRM fonctionnelle ci-dessus.

Si on avait disposé des techniques modernes d’investigation de l’activité cérébrale peut-être aurait-on interné Bernadette Soubiroux comme étant une schizophrène devant être isolée du reste de la population de même que le fut Camille Claudel selon la volonté de son très religieux frère Paul et Lourdes serait encore un petit village pyrénéen paisible …

Source et illustrations : doi : 10.1016/j.nicl.2012/09.007

Nouvelles du virus Zika : c’est plutôt alarmant !

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Aux dernières nouvelles le virus Zika véhiculé par les moustiques sévit dans plus de 25 pays de la zone Amérique Centrale et du Sud et la Caraïbe. La situation s’aggrave à l’approche des Jeux Olympiques de Rio. En effet, selon deux études récentes, ce virus peut provoquer la maladie de Guillain-Barré et induire chez les femmes enceintes une grave malformation cérébrale du foetus appelée microcéphalie. Il y avait encore des doutes mais ces études les ont levé et il est donc maintenant reconnu que ce virus revêt un caractère redoutable (voir les liens) car il peut être transmis également par voie sexuelle et par voie sanguine.

Selon la première étude les cas de maladie de Guillain-Barré, une maladie auto-immune qui détruit les nerfs moteurs, ont été directement corrélés au Zika et le doute concernant les microcéphalies vient d’être levé définitivement. L’étude paru ce vendredi 4 mars 2016 dans le journal Cell montre clairement que le virus s’attaque aux cellules nerveuses précurseurs des neurones de la substance grise (cortex) entrainant une microcéphalie irréversible. Les premiers doutes sont apparus lorsqu’on a retrouvé le virus dans le liquide amniotique de deux enfants souffrant de microcéphalie. Puis les investigations ont rapidement montré que ce virus s’attaquait préférentiellement aux cellules précurseurs des neurones et pas n’importe lesquelles, seulement celles se différenciant ensuite en cellules du cortex cérébral.

En quelques heures seulement le virus attaque ces cellules et s’y reproduit rapidement conduisant à des dommages irréversibles. Les travaux ont été réalisés avec des cellules en culture mais ils prouvent indubitablement que ce virus est effectivement la cause des microcéphalies. Seules les lignées de cellules progénitrices des neurones du cortex sont sensibles à ce virus alors que des cellules embryonnaires ou des cellules neuronales immatures sont insensibles. Il paraît à la vue de ces travaux que le virus Zika présente divers tropismes cellulaires conduisant à l’apparition de la maladie de Guillain-Barré ou à ces malformations cérébrales.

Sources et illustration :

http://dx.doi.org/10.1016/j.ijid.2016.02.001

http://dx.doi.org:10.1016/j.stem.2016.02.016 . Illustration (A : cellules progénitrices neuronales, B : neurones immatures. Coloration par immuno-fluorescence des protéines de l’enveloppe du virus)

Pourquoi notre cerveau est le plus gros et le plus complexe

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En 1924 Joséphine Salmons, la seule étudiante en anatomie de l’Université de Witwatersrand en Afrique du Sud, tous les autres étudiants étaient des hommes, alla comme chaque été surveiller les excavations d’une carrière de calcaire près de la ville de Taung qui appartenait à des amis de ses parents. C’était un peu son passe-temps favori et cette année-là elle ne fut pas déçue car elle trouva le crane complet d’un singe, peut-être, en tous les cas d’un ancêtre éloigné de l’homme, un simien que les propriétaires de la carrière avaient rapporté chez eux. Elle emmena ce fossile à son professeur, le Docteur Raymond Dart. Selon toute vraisemblance il s’agissait d’un enfant et Dart le nomma Australopithecus africanus, un ancêtre de l’homme, l’enfant de Taung. Les mesures du volume de son cerveau indiquaient que ce dernier était un peu plus gros que celui du chimpanzé, 400 grammes. Il fallut attendre les années 1950 pour considérer qu’effectivement cette découverte était considérable après de nombreuses découvertes d’autres fossiles d’hominidés en Afrique et en particulier dans la région des grands lacs. L’enfant de Taung a été ultérieurement daté et aurait vécu il y a un peu plus de trois millions d’années.

Aujourd’hui on peut se faire une idée précise de la chronologie de l’évolution des hominidés. Les hominidés (nos ancêtres lointains) et les chimpanzés y compris leurs cousins proches les bonobos ont divergé d’un ancêtre commun il y a environ 7 millions d’années. Il fallut attendre 4 millions d’années pour assister au début d’une augmentation massive du volume du cerveau de notre ancêtre Homo sapiens qui tripla de volume en moins de 3 millions d’années. L’homme moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui n’apparut qu’il y a 200000 ans.

Par quel processus le cerveau de ces créatures qui allaient devenir des hommes a-t-il pu quadrupler en volume, passant de 350 à plus de 1300 grammes ? De plus parmi tous les mammifères y compris les éléphants et les mammifères marins qui ont un cerveau notoirement plus volumineux que celui de l’homme, ce dernier reste champion toutes catégories pour le nombre de neurones. Le cerveau d’un éléphant possède 5,6 milliards de neurones dans le cortex alors que celui de l’homme en rassemble dans la même zone cérébrale 16,3 milliards. Même les gorilles et les chimpanzés font pâle figure puisqu’ils possèdent respectivement 9 et 6 milliards de neurones corticaux.

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Il aura fallu attendre la révolution récente de la génétique moléculaire pour comprendre cette évolution particulière du cerveau humain. Bien que le cerveau représente 2 % du poids d’un être humain, il consomme plus de 20 % de l’énergie dont dispose le corps, essentiellement sous forme de glucose. Si on fait un bilan énergétique chez le chimpanzé, on découvre que le cerveau de ce primate consomme, rapporté à son poids, moitié moins d’énergie que celui de l’homme. Ces observations ont conduit à formuler l’hypothèse d’une redistribution de l’énergie en faveur du cerveau au cours de l’évolution de l’homme et au détriment des autres organes dont en particulier le tube digestif et les muscles. Au sujet des muscles, il est évident que le chimpanzé possède une musculature beaucoup plus développée que celle de l’homme, mais pour le système digestif la seule explication permettant d’éventuellement confirmer cette hypothèse est le régime alimentaire que développa et diversifia l’homme au cours de l’évolution. La cuisson (on considère que l’homme a inventé le feu il y a plus de 500000 ans) a favorisé cette redirection de l’énergie vers le cerveau en facilitant la digestion et donc en réduisant l’apport en énergie vers le système digestif. L’invention d’outils et d’armes pour faciliter la chasse a également contribué à réduire l’apport en énergie vers les muscles. Enfin, l’homme a très vite diversifié son régime alimentaire.

Encore fallait-il expliciter par des faits ces hypothèses et c’est ce qui a été rendu possible avec la biologie moléculaire en étudiant des cerveaux de primates et d’hommes et en quantifiant l’expression des gènes impliqués dans le transport du glucose. En effet les gènes codant pour les systèmes de transport du glucose vers le cerveau et les muscles sont différents et il a été possible de différencier entre les chimpanzés et l’homme l’expression de ces gènes. Il se trouve que le système de transport du glucose vers le cerveau est trois fois plus exprimé chez l’homme que chez le chimpanzé et à l’inverse plus d’une fois et demi plus exprimé chez le chimpanzé pour les muscles alors qu’il n’y a pas de différence au niveau du foie.

Mais il n’y a pas seulement le glucose. Une étude portant sur près de 1000 métabolites différents (métabolome) a clairement montré qu’au niveau du cortex préfrontal la divergence entre les chimpanzés et l’homme ne pouvait pas s’expliquer par la simple dérive génétique mais surtout par l’évolution. Par exemple il n’y a pas ou peu de différence pour les reins mais au niveau du cortex préfrontal cette différence due à l’évolution est 7 fois plus élevée que celle de la simple dérive génétique en ce qui concerne les profondes modifications de l’utilisation des petites molécules nécessaires à la croissance cellulaire. Qu’en est-il alors au niveau du développement embryonnaire du cerveau ?

L’approche a consisté à introduire chez la souris les gènes respectifs appelés HARE5 qui orchestrent le développement du cerveau provenant de l’homme et du chimpanzé et qui diffèrent de seulement 16 bases. Le résultat a été étonnant. Au bout de 9 jours de développement embryonnaire, il était déjà évident que le gène humain accélérait la croissance du cortex cérébral en diminuant le temps de division des cellules neuronales de 12 à 9 heures avec au final un cerveau 12 % plus gros que celui obtenu en présence de l’HARE5 de chimpanzé. Cette approche expérimentale était encore impossible il y a seulement dix ans. Le début de la divergence du gène HARE5 a pu être approximativement datée comme ayant eu lieu il y a 6 millions d’années … Il aura fallu encore près de trois millions d’années de dérive génétique pour aboutir à cet accroissement du volume du cerveau humain !

Pour conclure, l’évolution du cerveau vers une plus grande taille et une plus grande complexité est la résultante de plusieurs facteurs, alimentation et dérive génétique, qui nous différencient de nos cousins les singes.

Source et liens :

https://www.quantamagazine.org/20151110-evolution-of-big-brains/

http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fnana.2014.00077/full

http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1001871

Illustrations : Quantamagazine

Avec des transsexuelles la différence cérébrale des genres est enfin démontrée

Lors du dernier Congrès du European College of Neuropsychopharmacology qui a eu lieu à Amsterdam il y a quelques jours, une communication a fait état des modifications sur l’activité cérébrale qu’a entraîné l’administration de testostérone chez des femmes transsexuelles c’est-à-dire ayant choisi de devenir des hommes, tout du moins en apparence, il ne faut pas se leurrer … Il s’agit d’une première médicale car l’expérimentation directe chez des êtres humains est interdite. Ces volontaires à la transsexualité (voir note en fin de billet) se sont soumises de leur plein gré à des tests suivis par imagerie fonctionnelle à 7 Tesla (fMRI) concernant le langage et l’écriture et les résultats sont plutôt surprenants !

D’une manière générale les femmes sécrètent peu de testostérone et les traitements par cette hormone sexuelle masculine sont préconisées en cas de troubles de la libido, de troubles de l’identité sexuelle et dans certains cas de dépression nerveuse. Mais la testostérone joue également un rôle dans la maturation du cerveau au cours de la vie foetale et c’est pour cette raison que le cerveau des femmes ne fonctionne pas tout à fait de la même manière que celui des hommes, car un fœtus masculin sécrète de la testostérone, ce qui n’est pas le cas pour un fœtus féminin, c’est comme ça, tant pis pour la théorie du genre. Il en résulte des différences assez facilement quantifiables dans les mécanismes de l’élocution. Le langage est commandé par les aires cérébrales de Broca et de Wernicke. Ces deux régions du cortex sont connectées via des neurones situés dans la substance blanche et ces aires sont plus développées chez les femmes que chez les hommes. On peut dire que ce serait pour cette raison que les femmes papotent plus que les hommes mais ce n’est pas l’objet de ce billet :

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Dix-huit femmes âgées de 22 à 33 ans, ayant choisi de se masculiniser et donc de suivre un traitement quotidien sur-dosé en testostérone ont été soumises par leur médecin universitaire traitant à une imagerie fonctionnelle avant le début de ce traitement puis 4 semaines après le début du dit traitement. Les résultats ont montré que les volumes des deux aires du cortex intervenant dans le langage ont très nettement diminué et que chez ces personnes la « fluidité » du langage a également été altérée. Parallèlement les connections neuronales entre les deux aires précitées se sont trouvées être renforcées. Sans vouloir enfoncer le clou, si la facilité d’élocution a diminué en raison de la décroissance du volume des aires cérébrales précitées, le renforcement des interconnexions entre ces deux aires a eu un effet favorable sur le processing sémantique et la compréhension du langage, caractéristiques plutôt masculines … Ces interconnexions renforcées ont ainsi partiellement réduit le déficit en matière grise des aires de Broca et de Wernicke.

C’est donc la première fois qu’une étude de ce genre (ici sans aucun jeu de mot) montre un effet de la testostérone sur l’aptitude au langage et une nette différence fonctionnelle entre femmes et hommes, différence soumise au statut hormonal sexuel. Le Docteur Andreas Hahn de L’Université Médicale de Vienne en Autriche, travaillant dans le service du Professeur Rupert Lanzenberger ne mâche pas ses mots : « On sait depuis quelque temps que des taux élevés de testostérone sont liés à une pauvreté en vocabulaire chez l’enfant et que la fluidité verbale diminue chez les transsexuels « femme-vers-homme » après un traitement par la testostérone. Ceci est en accord avec une diminution de la matière grise que nous avons observé. Ce qui fut pour nous une surprise est le renforcement de substance blanche dans ces aires du langage. Nous pensons que lorsqu’on se penche sur certaines aptitudes à maîtriser le langage, la perte de substance grise peut ne plus être contrebalancée par les interconnexions via la matière blanche ».

Pour terminer il est bien connu que l’apprentissage du langage diffère entre garçons et filles et qu’il est directement lié aux différences de maturation du cerveau. Cette intéressante étude indique donc clairement qu’à l’âge adulte les cerveaux des femmes diffèrent de ceux des hommes et elle explique aussi pourquoi les femmes ont une élocution plus facile et souvent plus affirmée que celle des hommes. Les femmes marquent au moins un point même si, pour les mêmes raisons, elles ont parfois des pannes de libido et sont plus souvent dépressives que les hommes … En effet les statistiques indiquent que les femmes sont deux fois plus dépressives que les hommes. La testostérone joue un rôle dans la recapture de la sérotonine au niveau du cerveau et a donc un effet direct sur l’état dépressif ou l’anxiété comme cela a été montré par tomographie par émission de positrons également à l’Université Médicale de Vienne ( http://dx.doi.org/10.1016/j.biopsych.2014.09.010 ).

Note : Toutes les personnes recrutées pour cette étude souffraient de troubles de l’identité sexuelle et étaient prises en charge par un service spécial du Département d’Obstétrique et de Gynécologie de l’Université de Vienne.

Sources : European College of Neuropsychopharmacology, et communications personnelles du Docteur Andreas Hahn. Illustration Wikipedia

La perception de la douleur ne respecte pas la théorie du genre !

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On sait que les femmes sont plus sensibles à la douleur que leur contrepartie masculine. Les traitements dont le but est de juguler les douleurs chroniques peuvent être satisfaisants chez les hommes mais inefficaces chez les femmes et on ne sait toujours pas pourquoi il existe une telle différence. Or, au cours des études en laboratoire, les biologistes ont toujours eu tendance à privilégier les rats et les souris mâles pour leurs investigations. Il est donc de ce fait évident qu’un biais soit introduit dès les premiers travaux de recherche d’un nouveau médicament permettant de lutter contre les douleurs chroniques. Une nouvelle molécule active sur des rats mâles ne le sera pas nécessairement dans les mêmes proportions chez des rats femelles. Il devient donc opportun d’effectuer les essais en laboratoire sur des rongeurs des deux sexes puis les essais cliniques également répartis entre femmes et hommes.

En effet les mécanismes de la perception de la douleur au niveau de la moelle épinière et du cerveau viennent d’être explorés en détail et ça ne fonctionne probablement pas de la même façon chez les femmes et chez les hommes. Pour être inattendu, ce résultat pose néanmoins de réels problèmes tant éthiques que médicaux, car à l’évidence la théorie du genre est mise à mal. L’hypothèse initiale voulait que la douleur soit transmise du site d’une blessure ou d’une inflammation vers le cerveau via des cellules appelées microglia (peut-être de la microglie en français mais je n’en suis pas certain). L’étude réalisée à la McGill University au Canada sous la direction du Docteur Jeffrey Mogil montre que le mécanisme de transmission du signal de la douleur chronique aux neurones se fait bien par l’intermédiaire des cellules microgliales chez les souris mâles mais pas chez les souris femelles. Pour les femelles il s’agit de lymphocytes T.

Pour comprendre comment les choses se passent intimement il faut faire un petit rappel sur le rôle de ces cellules qui sont très proches mais tout de même différentes. L’ensemble cerveau-moelle épinière est isolé du reste de l’organisme par ce qu’on appelle la barrière méningée. Les anticorps ne peuvent pas traverser cette barrière et en cas d’agression microbienne le cerveau doit se « débrouiller » tout seul et ce sont ces petites cellules proches de celles de la glie, le tissu cellulaire de soutien des neurones, qui sont en charge de protéger l’ensemble du système cerveau-tronc cérébral. Les cellules microgliales sont en quelque sorte dormantes et en cas d’agression elles se multiplient, se déplacent comme des amibes et font leur travail de protection. Les cellules microgliales représentent environ 15 % de l’ensemble du matériel cellulaire du cerveau. Ces cellules interagissent avec les neurones et transmettent donc les signaux de douleur au cerveau. C’est le cas chez les mâles, du moins les souris, mais chez les femelles, ce sont des lymphocytes T qui font ce travail. Or les lymphocytes qui proviennent de la moelle osseuse ne sont pas censés traverser la barrière cérébrale. Cependant, l’organisme a trouvé une astuce pour qu’ils pénètrent dans l’espace cérébral quand ils sont encore peu différenciés puis ils restent dans le cerveau et jouent le rôle de sentinelle immunologique, pour faire bref. Chez les femelles ils ont aussi pour mission ce rôle de transmission des signaux de douleur vers les neurones.

Pourquoi existe-t-il cette différence liée au sexe, on n’en sait rien, bien qu’on ait une petite idée (voir infra) mais ce qui est maintenant certain c’est qu’il va falloir très sérieusement envisager une toute autre stratégie de recherche de médicaments anti-douleurs spécifiques pour les femmes car il n’y a aucune raison que cette situation très basique dans l’évolution du mécanisme de transmission de la douleur chez les souris soit différente chez les êtres humains.

On est donc confronté avec un dimorphisme fonctionnel lié au sexe. Les amateurs de la théorie du genre en auront pour leurs frais car finalement, et ce n’est pas du tout étonnant, même au niveau cellulaire cérébral, les femelles et les mâles sont différents.

Comment cette découverte a pu être faite ? Il s’agit d’une sorte d’enquête policière où deux suspects ayant trempé dans une truc pas très clair pour ne pas dire border-line doivent être différenciés par leurs empreintes génétiques. Pour ce faire il existe des produits chimiques qui inhibent la réponse des cellules microgliales aux signaux d’hypersensibilité le plus souvent mécaniques conduisant à des douleurs chroniques. Pour les curieux il s’agit, entre autres produits chimiques, de la minocycline ou encore du fluorocitrate. Les souris mâles réagissent très lentement à la douleur après ce traitement surtout quand on leur a au préalable lésé un nerf pour les besoins de l’expérience et non pas par pure cruauté. Les femelles restent tout aussi sensibles à la douleur, ce qui indique que le mécanisme de transmission de la douleur vers les neurones n’est pas le même chez les femelles. L’une des possibilités serait que les cellules microgliales soient plus abondantes chez les mâles que chez les femelles avec en parallèle une surabondance de lymphocytes T chez les femelles. Le mécanisme de transmission de la douleur aurait donc favorisé selon le sexe l’une ou l’autre de ces cellules. Ce dimorphisme sexuel du système immunitaire n’est pas nouveau car il existe bel et bien des différences au niveau de l’activation des cellules T liées à une expression de certains gènes soumis à une régulation dépendant du taux de testostérone circulante. On comprend mieux dès lors que les femmes soient plus sensibles aux douleurs chroniques d’origine inflammatoire car elles disposent d’un système de transmission du signal de la douleur plus efficace que chez les hommes car les cellules T réagissent, pourrait-on dire, plus violemment et plus rapidement à la douleur.

L’illustration tirée de l’article paru dans Nature Neuroscience et aimablement communiqué par le Docteur Jeffrey Mogil pour rédiger ce billet montre à quel point cette différence entre mâles et femelles est frappante.

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Brièvement l’expérience consiste à planter une aiguille dans un nerf d’une patte arrière de la souris (SNI pour spared nerve injury). La souris réagit ensuite à la douleur et la réaction est enregistrée. On injecte alors une substance, ici de la minocycline (MCL) qui inhibe la réponse des cellules microgliales. On touche alors la patte dont le nerf a été lésé préalablement pour induire une douleur, expérimentation qui reproduit les douleurs chroniques chez l’homme, la réaction de la souris à la douleur est mesurée par sa réactivité à retirer sa patte quand celle-ci est atteinte par une petite pointe de nylon. Les mâles (en bleu) traités par la minocycline réagissent beaucoup plus lentement que les femelles, même pas du tout durant les 60 minutes suivant l’injection de la drogue en comparaison du contrôle (BL) avant la lésion nerveuse avec une relation dose-effet. La minocycline n’a aucun effet sur la réponse à la douleur chronique chez les femelles (en rose).

Si ce type d’expérience peut paraître barbare pour les membres actifs des ligues de protection des animaux, c’est à ce prix qu’on découvre de nouvelles drogues pour combattre les douleurs chroniques qui proviennent, comme on peut le constater avec ce travail, de la réaction des cellules du système immunitaire microglial du cerveau. Cette différence entre sexes, liée au taux de testostérone circulant, maintenant démontrée clairement, va permettre de rechercher des drogues mieux adaptées aux douleurs chroniques chez la femme où les cellules T sont impliquées dans le processus de signalisation des douleurs chroniques classées sous le terme générique d’allodynie.

Source : Nature Neuroscience ( doi:10.1038/nn.4053 ). Je tiens à la disposition de mes lecteurs curieux l’article aimablement communiqué par le Docteur Jeffrey S. Mogil de l’Université McGill qui est ici chaleureusement remercié.

Illustrations : McGill University et Nature Neuroscience

Le paracétamol pour être zen, qui l’eut cru !

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Il est bien connu que quand on a une poussière dans l’oeil la moindre contrariété est amplifiée au point qu’on peut devenir irascible. Une petite douleur nous rend plus sensible aux émotions. C’est le cerveau qui gère nos réactions et nous devons faire preuve d’une grande maîtrise de nous-même pour dominer nos réactions. D’ailleurs ces émotions peuvent être positives ou négatives, c’est selon. Le centre de gestion des émotions se trouve être le système limbique. Mais le système limbique, en d’autres termes tout ce qui se trouve à l’intérieur du cortex cérébral, gère aussi la douleur, signal provenant le plus souvent du tronc cérébral car le cerveau lui-même est indolore. C’est schématique et un spécialiste dirait que j’écris n’importe quoi mais si on entre dans les détails, le cerveau étant un organe tellement complexe, on ne comprend plus rien. Toute cette introduction pour discourir du paracétamol ou acétaminophene, l’analgésique le plus populaire et le plus vendu dans le monde.

Le paracétamol agit assez rapidement sur la douleur et son mode d’action est, encore schématiquement, supposé stopper les signaux indiquant une douleur remontant du tronc cérébral vers le cerveau mais après avoir été couplé à de l’acide arachidonique, modification qui le rend plus activement analgésique. Et quand on soulage une douleur, on devient également moins sensible aux émotions négatives. Si cela paraît logique, il n’en est pas de même de l’autre effet du paracétamol qui amenuise également les émotions positives et … la perception du plaisir.

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Difficile à croire et pourtant une étude parue dans le journal Psychological Science tend à prouver que les choses se passent ainsi. Le paracétamol aurait-il donc plusieurs modes d’action, l’un au niveau de la transmission du signal de la douleur et l’autre au niveau du système limbique ? Et comment le prouver ou du moins obtenir quelques indications sur ces mécanismes, tout simplement en effectuant des tests simples sur un nombre de personnes suffisant pour être certain que le résultat final est encourageant pour une recherche plus approfondie.

Le Docteur Geoffrey Durso, un psychologue de l’Université de l’Ohio, a donc demandé à 82 étudiants en bonne santé et ne souffrant d’aucune douleur de prendre 1 gramme de paracétamol pour la moitié d’entre eux et un comprimé ressemblant à celui contenant le paracétamol mais inactif, le placebo. Une heure plus tard, le temps que le paracétamol soit actif sous forme d’ester d’acide arachidonique, le test a consisté à montrer à chaque personne une série de 40 photos choisies pour entrainer de fortes réactions émotionnelles, du genre des photos d’enfants mourant de faim ou au contraire très bien portants et heureux et jouant avec leur petit chat. On a demandé aux étudiants de classer les photos de – 5 pour les plus négatives à + 5 pour les plus positives au niveau émotionnel. Puis on leur a demandé d’examiner à nouveau les photos et de les classer à nouveau de 1 à 10 selon leur niveau émotionnel.

Les membres du groupe ayant reçu du paracétamol ont systématiquement noté comme moins négatives les photos suscitant pourtant une émotion dérangeante et moins positives les photos « joyeuses », en quelque sorte un nivellement des émotions. Il est certain que les différences entre groupe placebo et groupe paracétamol n’étaient pas immenses, loin de là, mais le résultat laisse clairement entrevoir que cette molécule chimique agit également sur le système nerveux central. Autrement dit quand on s’administre de bonnes doses de paracétamol on devient zen et tout vous coule dessus comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Avis aux émotifs, mais pas d’excès non plus …

Source : http://pss.sagepub.com/content/early/2015/04/09/0956797615570366.abstract

Boire du lait ne peut qu’être bénéfique pour l’intégrité du cerveau …

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C’est en parcourant les « News » des Université Américaines qu’on peut aisément trouver le récit de travaux scientifiques parfois encourageants. Je dois prévenir mes lecteurs que l’article dont je vais brièvement relater le contenu m’a interpellé favorablement. Il s’agit des effets bénéfiques du lait sur le cerveau, or comme je bois depuis des lustres un litre de lait entier chaque matin, autant dire que ma curiosité m’a pris par la main pour écrire ce billet. Comment le lait que je consomme sans modération peut-il être bénéfique pour le cerveau et également pour tout l’organisme ? Il a fallu mettre en œuvre tout l’équipement sophistiqué dont dispose l’école de médecine de l’Université du Kansas à Lawrence, KS capable de mesurer par résonance magnétique nucléaire les teneurs en certains métabolites dans les tissus. L’équipement utilisé est un appareil d’imagerie par résonance magnétique à haut champ capable de mettre en évidence les discrètes modifications du signal de l’atome d’hydrogène dans des molécules biologiques. Il faut que les signaux de l’appareil soient traités de manière à s’affranchir du bruit de fond de l’eau qui contient deux hydrogènes par molécule et dont l’intensité représente près de 99 % de ces signaux. Pour que le signal qu’on veut étudier puisse être détectable il faut utiliser un appareil d’imagerie dont le champ magnétique est d’au moins 3 tesla pour augmenter le rapport signal/bruit. On en déduit ensuite ce que les physico-chimistes appellent un déplacement chimique (chemical shift) du signal d’un atome d’hydrogène donné dans une molécule biologique par son environnement atomique, par exemple un atome de carbone, d’oxygène, d’azote ou de soufre. Chaque métabolite présente donc une signature caractéristique qui n’est parfaitement identifiée que si le champ magnétique appliqué est suffisamment élevé.

Quelle relation entre le lait et ses effets bénéfiques sur le cerveau ? Avec cette technique de spectroscopie in vivo extrêmement puissante une petite équipe de deux médecins, les Docteurs Sullivan et Choi, a montré que sans aucun doute possible, boire au moins trois verres de lait par jour non seulement maintenait la quantité de glutathion dans le cerveau mais avait tendance à l’augmenter. Certains de mes lecteurs risquent de décrocher mais il faut parler un peu du glutathion pour comprendre l’importance de cette découverte pas si fortuite qu’elle n’en a l’air puisque les études relatées ici ont été financées par le Dairy Research Institute, en français l’institut de recherche sur le lait et ses produits dérivés.

Le glutathion est une petite molécule biologique constituée d’un enchainement de trois acides aminés, glutamate, cystéine et glycine. Son rôle dans de nombreuses fonctions métaboliques essentielles est vital à plus d’un titre. L’une des autres missions clés du glutathion est de « chasser » les produits d’oxydation apparaissant dans une cellule vivante et cela en permanence car tout produit susceptible de présenter un pouvoir oxydant doit être éliminé sinon nous ressemblerions rapidement à une vieille voiture avec une carrosserie complètement rouillée. Les processus oxydatifs sont favorisés par de nombreux facteurs aussi bien externes, comme une alimentation déséquilibrée ou simplement une exposition exagérée au soleil mais également par des facteurs internes, stress, inflammations, infections et désordres métaboliques. Les espèces chimiques oxydées sont immédiatement neutralisées par le glutathion qui se trouve alors lui-même oxydé et ensuite régénéré par un mécanisme consommant de l’énergie. La vie de la cellule vivante a un prix et c’est pourquoi les quantités de glutathion sont phénoménalement élevées dans les cellules.

Pourquoi le lait est-il bénéfique à la santé ? C’est une évidence de rappeler qu’un nouveau-né, incapable de digérer un quelconque aliment autre que du lait, survit et grandit avec ce seul apport en nourriture. Le lait contient en effet toutes les vitamines dont on a besoin outre des acides gras, des sucres et des sels minéraux dont le calcium indispensable pour la croissance osseuse. Si on se penche sur la composition en acides aminés du lait, acides aminés provenant des protéines du lait, on s’aperçoit qu’il est particulièrement riche en acide glutamique. Or cet acide est l’un des trois constituants du glutathion, un tripeptide spécialement synthétisé à l’aide d’activités enzymatiques dédiées sans passer par la machinerie de synthèse des protéines, les ribosomes. Il s’agit d’une exception qu’on peut expliquer facilement dans la mesure où la cellule vivante à besoin de quantités massives de glutathion : glutamate-cystéine-glycine :

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Avant cette étude réalisée au Hoglund Brain Imaging Center de l’Université du Kansas, on limitait les bienfaits du lait à l’apport en calcium, en matières grasses et en vitamines mais on ignorait l’effet bénéfique sur les teneurs cérébrales en glutathion. Il apparaît que cet effet pourrait être d’un grand secours pour contrecarrer les mécanismes d’inflammation et donc d’apparition d’espèces chimiques oxydées à la suite des perturbations induites par les maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson et d’autres démences d’origines encore mal identifiées.

Conclusion, pour vivre vieux, heureux et en bonne santé, buvons du lait et en abondance et puisque les quotas laitiers européens viennent d’être supprimés allons-y gaiement …

Source : University of Kansas News Desk et American Journal of Clinical Nutrition : doi: 10.3945/ajcn.114.096701