J’ai déjà parlé dans mon blog de l’épigénétique, une modification de segments de l’ADN qui contrôlent l’expression des gènes par méthylation spécifique sur des cytosines se trouvant le plus communément près d’une guanine (site CpG), la cytosine et la guanine avec l’adénine et la thymine formant les quatre « lettres » de l’alphabet génétique. Les gènes eux-mêmes contiennent l’information codée pour être transcrits en ARN messagers puis traduits en protéines enzymatiques. Si une méthylation intervient au niveau d’un gène, celui-ci ne peut plus, à l’évidence, conduire à la synthèse d’une protéine fonctionnelle puisqu’il ne sera pas « lu » correctement. La méthylation de l’ADN intervient donc au niveau de la régulation de la transcription des gènes comme un interrupteur avec un rhéostat allume, met en veilleuse ou éteint une lampe. Dans les cellules humaines embryonnaires ou cellules souches et les cellules pluripotentes induites, il existe d’autres sites de méthylation sur des cytosines non suivies d’une guanine, on parle alors de méthylation non-CpG. Normalement, quand les cellules se différencient, ces méthylation non-CpG disparaissent sans qu’on ne connaisse encore la raison exacte mais c’est ce qui a été observé. Dans l’ADN des cellules humaines plus de 80 % des cytosines des segments régulateurs de l’ADN sont méthylées à des fins régulatrices et c’est facile à comprendre juste en prenant un exemple : une cellule de muscle ne va pas se mettre à produire de l’insuline, c’est réservé à certaines cellules du pancréas, le gène de production de l’insuline est éteint, ni du cholestérol, c’est le rôle des hépatocytes (cellules du foie) etc… Dans le cerveau, ça ne se passe pas tout à fait comme lors de la différenciation cellulaire et c’est assez surprenant puisqu’on sait que le cerveau produit très peu de nouveaux neurones (voir un précédent billet sur la datation au C14 des neurones ayant montré que l’apparition de nouveaux neurones se montait à environ 1400 par jour : https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/06/10/retombees-nucleaires/ ) mais l’organisation du cerveau s’effectue avant 5 ans. Et c’est en étudiant la méthylation dans le lobe frontal du cerveau humain que des équipes de scientifiques du Salk Institute à La Jolla en Californie ont montré.

Non seulement il y a une méthylation très active au cours du développement du cerveau au niveau des sites CpG mais également au niveau de sites non-CpG surtout pendant l’enfance et jusqu’à l’adolescence (voir la figure montrant le rapport de méthylation entre sites non-CpG et sites CpG) et cette méthylation est persistante et devient la forme prédominante de méthylation. C’est en séquençant l’ensemble des génomes des neurones et des cellules gliales que cette découverte a pu être faite.

Joseph Ecker, en chemise blanche à droite sur la photo au milieu de l’esplanade centrale du Salk Institute et leader de ces travaux l’explique ainsi : « Ceci montre que la période durant laquelle les circuits neuronaux atteignent leur maturité est accompagnée d’un processus parallèle de reconfiguration à grande échelle de l’épi-génome neuronal ». Cette étude aux résultats tout à fait inattendus constitue donc une piste prometteuse pour tenter d’élucider si l’épigénétique neuronale peut être liée à des désordres psychiatriques (schizophrénie, dépression, désordres bipolaires…) mais pour l’instant ces résultats donnent une nouvelle image de l’extrême complexité du cerveau humain et de son processus de maturation. L’un des co-auteurs de l’étude le dit en ces termes : « Peut-être qu’il n’est pas si surprenant que cette complexité s’étende également au niveau de l’épi-génome. Ces méthylations d’un genre unique qui émergent au cours des phases critiques du développement du cerveau suggèrent la présence de processus de régulation jusque là ignorés qui peuvent être crucialement impliqués dans les fonctions normales du cerveau et aussi de ses désordres ». Les évidences s’accumulent pour reconnaître que certains désordres psychiques et certaines maladies psychiatriques sont liées à l’épigénétique (voir mon billet sur les jumeaux homozygotes : https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/06/02/les-jumeaux-homozygotes-et-lepigenetique/ ) et c’est ce que fait remarquer Terrence Sejnowski, en veste noire sur la photo, titulaire de la chaire Francis Crick du Salk Institute : « Nous avons trouvé que les processus de méthylation, en particulier nonCpG, sont très actifs durant le développement du cerveau au cours de l’enfance et de l’adolescence et cela change notre manière d’appréhender la fonction cérébrale ». De toute évidence, la moindre altération peut conduire à des tableaux pathologiques plus tard dans la vie. On comprend mieux dès lors la dangerosité de l’exposition du fœtus puis de l’enfant à des produits chimiques dont l’influence sur l’épigénétique a été récemment confirmée (voir : https://jacqueshenry.wordpress.com/2012/09/28/dioxine-et-autres-produits-chimiques-vers-un-abatardissement-de-lhumanite/) sur le développement cérébral et non pas seulement sur les cellules germinales si on rapproche le fait que la méthylation non-CpG est prépondérante chez les cellules germinales et aussi, comme le montre cette dernière étude, chez les neurones et les cellules gliales.
Source et illustrations : The Salk Institute for Biological Studies, La Jolla,CA. Note: le Salk Institute est un site architectural très visité ( http://www.salk.edu/about/architecture.html ). En arrière plan l’Océan Pacifique.