
Transition énergétique : Après ses propres commerces et data centers, 100 % verts, la marque à la pomme s’attaque au « deuxième cercle ». Une première pour servir d’exemple. (Ivan Radja, Tribune de Genève du 13 juillet 2018)
D’ordinaire, les grandes sociétés appliquent leurs principes de gouvernance à leurs filiales, mais n’interviennent pas dans les politiques internes de leurs fournisseurs ou d’autres entreprises. Apple vient d’innover en annonçant vendredi avoir lancé un fonds pour investir près de 300 millions de dollars sur quatre ans dans le soutien à la transition énergétique d’entreprises chinoises. L’objectif est de financer des projets permettant de générer un gigawatt d’énergie renouvelable en Chine, ce qui permettrait d’approvisionner près d’un million de foyers. Dix fournisseurs d’Apple sont pour l’heure associés au projet. «Ce geste est en accord avec la politique d’Apple, qui annonçait en avril que le 100% de ses installations (ndlr: magasins et centres de données) dans le monde tournent aujourd’hui à l’énergie verte, analyse Catherine Reichlin, directrice de la recherche chez Mirabaud & Cie. Élargir sa politique, en l’occurrence environnementale, à ses fournisseurs, au deuxième cercle comme l’on dit, est une première. Mais, vu le montant de départ, je suppose qu’il s’agit surtout de montrer l’exemple à d’autres sociétés.»
Une somme modeste
Car 300 millions de dollars, sur quatre ans, pour une conversion énergétique d’une telle ampleur, c’est une goutte d’eau. Ou presque. Sans doute pour «ne pas effrayer les fournisseurs en fixant d’emblée des sommes trop élevées», poursuit-elle. Et éviter ainsi de viser trop haut pour, in fine, ne pas réussir à lever suffisamment de fonds. Un scénario à éviter, car cette expérience pourrait être suivie par d’autres grands groupes, mais aussi élargie aux autres sous-traitants de la marque à la pomme. Ils sont près de 200, dont principalement une cinquantaine à Taïwan, une quarantaine au Japon, un peu moins aux États-Unis, et quelques dizaines répartis dans sept autres pays. Ce printemps, Apple avait indiqué que 23 d’entre eux s’étaient engagés à produire tous les produits de la marque entièrement grâce aux énergies renouvelables. La plupart des produits d’Apple sont assemblés dans de vastes réseaux de production en Chine qui emploient des centaines de milliers de personnes, et l’entreprise a déjà pris plusieurs mesures pour tenter de réduire son empreinte carbone. C’est la maison DWS, spécialisée dans l’investissement durable, qui est chargée de la gestion de ce «Fonds pour l’énergie propre en Chine». Quelles seront les contributions des trois parties en présence – DWS, Apple et les fournisseurs? La firme de Cupertino ne le détaille pas pour l’heure. «C’est cette clé de répartition qui sera intéressante à étudier», ajoute Catherine Reichlin.
Contrôle externe
Est-il possible d’imposer de telles directives à des fournisseurs, dans des pays tiers, et qui plus est en Chine? Pour Bertrand Gacon, responsable du Climate Bond chez Lombard Odier, «cela ne devrait pas poser de problème car ils ont le contrôle de chacun de leurs fournisseurs. Ce qui compte par ailleurs, c’est la garantie apportée par un expert indépendant, comme le cabinet Cicero par exemple, qui effectue un travail de vérification et exige un reporting annuel de la société qui se lance dans une opération d’obligations vertes. Il faut s’assurer de la réalité de cette transition énergétique». Il s’agit d’un cas typique d’«impact investing», ou investissement d’impact. «Il ne faut pas perdre de vue qu’on n’est pas dans la philanthropie pure, rappelle Catherine Reichlin. On réfléchit en soupesant trois questions: qu’est-ce que ça va rapporter? Quels sont les risques? Et pour quel impact?». Apple avait pris la tête en juin 2017 des 1000 entreprises américaines, 25 villes et 9 États regroupés derrière le slogan «We’re still in it!» («Nous en sommes encore»). Comprenez: dans l’accord de la COP21, ou Accord de Paris, dont Donald Trump venait de se retirer. Apple est depuis longtemps investi dans la réduction de son empreinte environnementale, comme en témoigne son nouveau siège central, pour la construction duquel la firme avait levé 1,5 milliard de dollars. En mai 2015 déjà, Greenpeace l’avait déclarée entreprise high tech la plus verte, devant Yahoo, Google, Facebook et Microsoft.
«Green bonds» en hausse
Le marché des obligations vertes (green bonds) connaît une hausse exponentielle. Il était de 40 milliards de dollars en 2015, 90 milliards en 2016, 160 en 2017, et devrait atteindre les 250 milliards à la fin de cette année selon les estimations avancées par la Climate Bond Initiative (80 milliards aujourd’hui). Les principaux acteurs en sont les grands organismes financiers (Banque européenne d’investissements, à l’origine du concept dès 2007, Banque mondiale), des groupes tels que Engie, et des pays comme la France ou la Pologne. «Il est intéressant de noter que des pays émergents viennent de s’y lancer, comme le Kenya et le Nigeria, ou l’Indonésie, qui s’y préparent», observe Bertrand Gacon.
Article paru sur le site de la Tribune de Genève. Sans commentaire …