L’odorat est un des sens, il y en a 5 et c’est bien connu, jouant un rôle essentiel pour la santé et le comportement. Par exemple, c’est avec l’odorat que l’on maintient un bon appétit, il suffit de sentir le fumet d’un bœuf bourguignon mijotant doucement pour avoir une envie soudaine de se mettre à table surtout si cette préparation est accompagnée d’un bon vin rouge que le nez appréciera. Mais l’odorat remplit d’autres fonctions, il est important pour détecter des odeurs dangereuses, il est associé à la mémoire, les émotions et les relations intimes. Le bon fonctionnement de l’odorat dépend de la bonne régénération du neuro-épithélium olfactif qui est lié directement au bulbe rachidien et à l’hippocampe. Les terminaisons nerveuses olfactives sont les seuls nerfs exposés au milieu extérieur. La perte d’odorat, l’anosmie en terme savants, pouvait donc être le signe précurseur d’un dysfonctionnement neuronal, encore fallait-il le prouver car le vieillissement général de l’organisme peut également conduire à des troubles de l’odorat et bien d’autres facteurs influent sur la « santé » du cerveau. Partant de cette hypothèse, l’anosmie peut donc constituer l’un des signes avant-coureurs des maladies neuro-dégénératives telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.
Pour répondre à cette question, il fallait donc disposer d’un échantillon suffisamment grand de sujets étudiés sur une longue période avec toutes les données médicales permettant de procéder à des analyses statistiques qui ne soient pas biaisées par d’autres facteurs.
Le programme national américain de suivi de la santé des personnes vieillissantes a donc en 2005-2006 interviewé 3005 personnes (1454 hommes et 1551 femmes) âgées de 57 à 85 ans et cinq ans plus tard, ces mêmes personnes ont été à nouveau sollicitées, elles avaient exprimé par écrit leur consentement pour participer à l’étude. La capacité olfactive avait été déterminée par des tests précis en présentant des lamelles de papier buvard imprégnées de substances odorantes, comme ce que font les parfumeurs. Les odeurs suivantes furent utilisées : rose, cuir, orange, poisson et menthe. Selon les erreurs d’identification les sujets furent classés en anosmiques (4 ou 5 erreurs), hyposmiques (2 ou 3 erreurs) et normosmiques (0 – 1 erreur). Lors de la deuxième vague d’interviews et de recensement de la mortalité, cinq années plus tard, 430 personnes étaient décédées et sur l’ensemble des 3005 personnes initialement interviewées, seules 2918 furent finalement prises en compte pour l’analyse statistique finale. Cette analyse fut conduite conformément aux règles communément admises quand il s’agit d’approche multifactorielle, sachant que l’évaluation de l’odorat est une variable indépendante des sujets alors que les causes des décès ne le sont pas comme l’âge, l’indice de masse corporelle ou encore le niveau social et enfin l’origine ethnique des sujets. Bref, en s’entourant de toutes les précautions d’analyse, il est finalement apparu une remarquable corrélation entre le degré d’anosmie et la mortalité :

Comme les causes de morbidité sont multifactorielles, l’analyse a permis de classer les risques de mortalité selon les degrés d’anosmie, les nombres d’erreurs d’appréciation des odeurs, connaissant les dossiers médicaux de tous les sujets décédés après 5 années :

Encore une fois l’anosmie ressort clairement comme étant significativement liée aux décès. On ne meurt pas d’anosmie mais ce symptôme est donc avant-coureur d’une dégénérescence cérébrale conduisant dans les cinq ans à la mort. Note : la figure montre les effets sur la mortalité à 5 ans selon les divers facteurs de morbidité étudiés (il s’agit d’un forest plot) et cette représentation est communément utilisée pour comparer divers risques non nécessairement liés les uns aux autres dans les méta-analyses, heart failure signifie un accident cardiaque congestif alors que heart attack est l’infarctus du myocarde. Le point indique la moyenne pondérée de l’évènement et la ligne horizontale l’intervalle de confiance dans lequel se situe l’évènement étudié. Ce type de représentation montre par exemple que le risque de mourir d’AVC (stroke) est sensiblement identique à celui de mourir de diabète, idem pour l’emphysème, le cancer et l’infarctus.
Les auteurs de l’étude réalisée à l’Université de Chicago et publiée dans PlosOne (open access : DOI: 10.1371/journal.pone.0107541 ) considèrent que l’hyposmie et l’anosmie sont un peu comme les canaris des mineurs de fond, un bon indicateur de la santé cérébrale en ce sens que cette pathologie a priori non mortelle révèle directement les mécanismes de vieillissement cérébral et également les expositions à l’environnement car le nerf olfactif est le seul directement en contact avec le milieu extérieur. De plus l’anosmie révèle une détérioration des capacités régénératives des cellules souches du système olfactif et par voie de conséquence l’imminence du développement d’une maladie neurodégénérative mortelle. Si vous ne sentez plus rien, rédigez votre testament car dans les cinq années vous serez probablement passé à la trappe …