Chronique cinématographique : le premier long métrage de Costa-Gavras

Tous les cinéphiles connaissent l’immense talent de ce réalisateur qu’est Costa-Gavras mais le public en général ignore par quel hasard il débuta sa carrière de grand réalisateur. Ce chef-d’oeuvre est sorti sur les écrans en 1965 en version française puisqu’il fut tourné à Paris et il remporta un vif succès car il était novateur. L’action d’un film policier d’enquête criminelle était le plus souvent lente pour alimenter l’émotion et amplifier l’aspect dramatique de l’intrigue. Le film « Compartiment tueurs » bouscule ces règles établies de par l’action soutenue du début à la fin du film. Inspiré d’un éponyme roman de Sébastien Japrisot, dont l’auteur est également celui du script du film, la naissance de Compartiment tueurs est le résultat d’une rencontre entre Costa-Gavras, Yves Montand et Simone Signoret au cours du tournage du film de René Clément « Le Jour et l’Heure » dont il était assistant réalisateur.

L’action dans ce film est d’une densité à couper le souffle, pas un instant on ne peut réfléchir car les évènements se précipitent à une telle vitesse qu’il n’y a aucun répit pour tenter de trouver qui est le meurtrier de la femme trouvée morte dans le train de nuit Marseille-Paris. Tous les acteurs sont connus et cette distribution ébouriffante fait la part belle à de jeunes acteurs qui deviendront ensuite pour la plupart d’entre eux des célébrités. Les personnages centraux du film sont donc Yves Montand, Simone Signoret, Michel Piccoli, Monique Chaumette et il y a aussi Pierre Mondy, Jean-Louis Trintignant, Charles Denner, Bernadette Lafont et, les deux autres personnages centraux du film, Jacques Perrin et Catherine Allégret. Une distribution hors du commun qui fit naturellement le succès du film tant en France qu’aux Etats-Unis, pays dont le public était plutôt habitué à la lourde angoisse se dégageant des œuvres d’Hitchcock ciselées dans une mosaïque de rebondissements subtils pouvant faire frissonner les spectateurs. Dans le film de Costa-Gavras ce spectateur n’a pas le temps de frissonner car il est emporté par la vitesse de l’action.

À mon humble avis de cinéphile que j’ai toujours été depuis ma vie estudiantine, ce film est un pur chef-d’oeuvre comme beaucoup de réalisations françaises des quelques décennies d’après-guerre qui ont vu l’apparition et la confirmation de grands personnages du cinéma comme Gabin, Charles Vanel, Paul Meurisse ou encore Danièle Darrieux. J’avoue que je ne me lasse pas de voir et revoir ces trésors du cinéma français de cette époque. D’aucuns diront que je suis poussiéreux dans mes goûts et pourtant la France a produit quelques-uns des plus beaux films précisément à cette époque-là. À découvrir ou revoir.

Quelques captures d’écrans pour que les amateurs se souviennent de ce chef-d’oeuvre. 

Chronique cinématographique : le dernier film de Louis Jouvet

Louis Jouvet, l’un de mes acteurs fétiches, tourna le film dont il va être question l’année suivant celle de la réalisation de « Knock ». Louis Jouvet mourut avant même la sortie du film sur les écrans à la fin de l’année 1951. La musique composée par Paul Misraki (voir notes en fin de billet) amplifie l’émotion qui elle-même s’amplifie au cours de l’intrigue, l’enquête de l’inspecteur Plonche incarné par Jouvet entrecoupée de « flash-back » aidant à la compréhension de l’histoire, la découverte d’un jeune couple incarné par Dany Robin et Daniel Gelin tout juste morts par suicide dans un terrain vague par deux policiers effectuant une ronde. Bien que classé sans suite par le chef de la police cet événement n’en attire pas moins l’attention de l’inspecteur Plonche qui voudrait savoir pourquoi ce beau et jeune couple s’est donné la mort. Toute mort de ce genre doit bien avoir une cause et en remontant le fil des évènements il comprend que la famille de la jeune fille refusait d’accorder la main de son unique enfant à un garçon ne faisant pas partie du milieu bourgeois fortuné parisien, un raté irrécupérable comme on dirait aujourd’hui. Pourtant aucune force ne peut contrecarrer l’amour naissant dans un jeune couple. La fin du film se termine par une leçon de morale que Jouvet administre aux parents de Catherine Mareuil incarnée par Dany Robin, une leçon de morale qu’ils méritent bien car les pastilles de cyanure que s’était procuré la jeune fille refusant de partir en pension au Canada devaient mettre fin à ses jours dans cette éventualité d’être arrachée à cet amour. Le scénario de Michel Audiard est tout aussi sublime que le jeu d’acteur de Jouvet. Un grand film à revoir absolument.

Quelques captures d’écran pour se souvenir et inciter mes lecteurs à revoir ce pur joyau de peinture de la société parisienne d’immédiat après-guerre et la manière toute policière de l’interpréter par Jouvet.

Dans le film il s’agit de la dernière image avant le suicide, Jean tient dans la main le tube de pastilles de cyanure

Et ici la première image du film, la découverte par les gendarmes en patrouille dans un terrain vague découvrant les corps inertes des suicidés, Catherine Mareuil ( Dany Robin) et Jean Bompart (Daniel Gelin), Tristan et Yseult des temps modernes.

Le père du « fiancé », Auguste Bompart incarné par Georges Chamarat, sociétaire de la comédie française.

La première rencontre de Catherine et Jean au cours du bal des 18 ans donné par les parents de Catherine. 

Les parents de Catherine interprétés par Yolande Laffon et Marcel Herrand. Imaginer une future mésalliance de leur fille avec un vulgaire aide comptable de la société de Mareuil serait déshonorant pour une famille de la haute bourgeoisie. 

L’inspecteur Ernest Plonche admonestant le père de la suicidée

Et au cours d’une escapade à Nogent-sur-Marne, Catherine annonçant à Jean l’intention de ses parents qu’elle va partir en pension au Canada pour qu’elle soit séparée de lui afin d’éteindre leur amour.

Notes additionnelles pour les amateurs de films de cette période. Le dialogue de ce film signé Michel Audiard est le premier dialogue qu’il créa seul, le précédent dialogue fut du film « Garou-Garou, passe-muraille » sorti en 1951 également ayant été écrit avec Jean Boyer le réalisateur du film. Guy Lefranc réalisa son premier film long métrage également avec Louis Jouvet, « Knock » l’année précédant « Une histoire d’amour ». À noter enfin que Dany Robin jouera un rôle non secondaire mais ambigu dans « L’Etau » (1969, titre original « Topaz » à ne pas confondre avec « Topaze » datant également de 1951 de Marcel Pagnol avec Fernandel) d’Alfred Hitchcock et Daniel Gelin jouera également dans « L’Homme qui en savait trop » également d’Hitchcock, deux films que je classe aussi parmi les chefs d’oeuvre du cinéma.

Chronique cinématographique : « Laura »

J’ignore si ce film existe en version sous-titrée en français ou en version doublée mais l’original me pousse à affirmer que le film d’Otto Preminger (1944) mettant en scène la merveilleuse Gene Tiernay fait partie de mes films préférés avec « Anatomy of a Murder » également d’Otto Preminger (1959) avec James Stewart et « To Kill a Mocking Bird » de Robert Mulligan (1962) avec Gregory Peck. Comme je dispose de ces films sur un disque dur il m’arrive souvent de les admirer à nouveau et je ne me lasse pas en découvrant des détails dans la mise en scène et dans le jeu des acteurs. Bref, ma chronique cinématographique du jour est consacré à « Laura », l’archétype du film noir dont l’intrigue est particulièrement complexe. D’aucuns diront qu’il s’agit d’un banal « film policier » et pourtant l’objet du film consiste à superposer plusieurs histoires d’amour dont Gene Tiernay , ici Laura Hunt, dans le rôle central et dont les protagonistes sont un vieux beau, très riche chroniqueur dans de grands quotidiens new-yorkais, critique d’art vénéré par le « tout New-York », Waldo Lydecker, incarné par Clifton Webb, nourri d’un amour platonique pour Laura qu’il a propulsé dans les hautes sphères médiatiques. Laura compte aussi un prétendant plus ou moins escroc qui hésite entre Laura et une richissime autre femme à prendre pour épouse, Shelby Carpenter incarné par Vincent Price, et l’inspecteur de police Mark McPherson incarné par Dana Andrews dont l’amour pour Laura n’apparaît que durant l’enquête pour meurtre. À ces histoires d’amour se surimpose le fil conducteur de l’intrigue qui est une enquête au sujet du meurtre d’une jeune femme considérée comme Laura elle-même par le tueur puisqu’elle a été retrouvée assassinée d’une double décharge de chevrotines en plein visage dans son appartement. Au milieu du film dont la première moitié a retracé la genèse de la personnalité des protagonistes ainsi que l’enquête qui piétine la réelle Laura réapparaît car en réalité la personne assassinée avait été identifiée un peu hâtivement comme étant l’occupante des lieux. Pour l’inspecteur de police c’est Laura qui aurait dû être assassinée et l’enquête rebondit jusqu’au dénouement fatal jusqu’au vieux séducteur Lydecker et Laura, comme tous les films de l’époque qui devaient avoir une belle fin, on le suppose, filera le parfait amour avec l’inspecteur de police mais l’histoire ne le dit pas.

Laura est l’un des films au cours duquel le suspense ne faiblit jamais, un peu à la manière d’Hitchcock, par petites touches successives. Jusqu’à la dernière séquence le criminel ne fait jamais l’objet de soupçons en raison de sa respectabilité sociale. Les vains espoirs de son amour platonique pour Laura s’effritent et il décide de la tuer en laissant au passage et par erreur une victime innocente, mais finalement abattu d’une balle tirée par l’inspecteur de police en état de légitime défense alors que ce dernier voulait définitivement tuer Laura par jalousie avec la même arme, un fusil dissimulé dans une horloge. Voici quelques captures d’écran du film. 

Chronique cinématographique : « The Wrong Man »

Christopher Emanuel Balestrero (Henry Fonda), « Manny » pour ses intimes, est un contrebassiste dans l’orchestre d’un bar, un mari et un père dévoué, et un catholique pratiquant. Son salaire de 85 $ par semaine au Stork Club est à peine suffisant pour joindre les deux bouts. La vie des Balestrero va devenir problématique avec les factures dentaires importantes que sa femme Rose Vera Miles) devra bientôt payer. En tant que tel, Manny décide de voir s’il peut emprunter sur la police d’assurance-vie de Rose. Mais quand il entre dans le bureau des assurances, il est identifié par certaines des employées de la compagnie d’assurance comme l’homme qui a dérobé le bureau quelques dollars par deux fois quelques mois plus tôt. Manny collabore avec la police, car il n’a rien à cacher. Manny apprend qu’il est suspect non seulement dans ces braquages, mais aussi dans une série d’autres braquages dans le même quartier de Jackson Heights à New York où ils vivent. Plus Manny coopère, plus il apparaît coupable à la police. Avec l’aide de Frank O’Connor, l’avocat qu’ils engagent, ils essaient de prouver l’innocence de Manny. Peu importe s’ils parviennent à prouver l’innocence de Manny où trouver le véritable coupable, la situation va provoquer des dommages irréparables pour le couple Balestrero car l’épouse, Rose, du « faux coupable » va être victime d’une grave dépression nerveuse finissant par mettre en doute l’honnêteté de son époux. Le vrai coupable sera démasqué lors du procès qui suivit plusieurs jours d’incarcération par l’une de ses victimes.

Le scénario du film (1956) mis en scène par Alfred Hitchcock est inspiré d’une histoire vraie qui défraya à l’époque la chronique judiciaire new-yorkaise. Illustrations : captures d’écran.

Je me suis retrouvé dans une situation aussi périlleuse si je n’avais pas eu d’alibi solide. En effet, lorsque je travaillais à Paris dans une division d’EDF-international, j’allais à Paris tous les lundi matin par le premier TGV et je me rendais à la gare Perrache de Lyon avec ma voiture, une vieille R5 bleu-marine que je retrouvais à la même place le vendredi soir de retour à la maison. Un vendredi soir je trouvais une convocation à la gendarmerie d’un village dans la banlieue ouest de Lyon. Je me rendis donc le lundi suivant dans cette gendarmerie avec la convocation en utilisant ma vieille R5. Après avoir laissé mon véhicule dans le parking de la gendarmerie je remis mon passeport au gendarme et me demanda également la carte grise de ma voiture. On me mit dans une pièce où se trouvait seulement une table et deux chaises. Le militaire ferma la porte à clef et je restais seul plusieurs minutes. Il revint accompagné d’un collègue et me demanda si ma voiture était bien la R5 garée en regardant par la fenêtre. Le fonctionnaire me demanda où j’étais dans la soirée du mercredi précédent. Je répondis que je me trouvais à Mulhouse avec un client étranger à qui j’avais fait visiter la centrale nucléaire de Fessenheim. J’étais revenu à Paris en train avec mon client et nous avions diné au restaurant le soir. Perplexe le fonctionnaire me demanda si je pouvais prouver mes dires. Je lui donnais le numéro de téléphone du bureau à Paris et la secrétaire confirma ce que je venais de déclarer aux gendarmes. Étais-je revenu à Lyon le soir du mercredi ? Ma réponse fut négative car c’était matériellement impossible et je pouvais aussi le prouver puisque j’habitais à Paris toute la semaine. Je communiquais alors le numéro de téléphone du propriétaire de la péniche que je louais qui confirma ma déclaration. Heureusement d’ailleurs car tous les lundis je ne savais jamais où mouillait cette péniche puisqu’elle n’était pas commerciale et que le propriétaire du bateau pouvait être lourdement verbalisé par le port autonome de Paris au delà de deux semaines de mouillage au même endroit.

Les gendarmes conclurent que je n’étais donc pas l’auteur du hold-up à main armée qui avait eu lieu ce fameux mercredi mais que ma voiture avait été « empruntée » par des malfaiteurs à mon insu, d’autant plus que le vendredi précédent j’avais retrouvé ma voiture dans la même rue mais probablement pas à l’exacte place où je l’avais laissée le lundi matin. En revoyant le film d’Hitchcock je me suis souvenu de cet épisode qui aurait pu très mal se terminer si je n’avais pas pu fournir d’alibi sérieux, ce qui ne fut pas le cas de « Manny » dans ce poignant film « The Wrong Man ».

Chronique cinématographique : « To Have and Have not »

Ce fameux film de Howard Hawks est inspiré d’un obscur roman éponyme d’Ernest Hemingway. Le scenario fut écrit au cours d’une incroyable collaboration entre Hemingway et Faulkner, tous deux amis intimes de Hawks. L’histoire se déroule à Fort-de-France alors sous l’emprise du régime de Vichy comme ce fut le cas pour le film « Casablanca » dirigé par Michael Curtiz sorti deux années plus tôt. Interprété par Humphrey Bogart, Lauren Bacall, âgée de 18 ans et son premier rôle au cinéma, Walter Brennan qui jouera plus tard le rôle du gardien de la prison dans l’immense film Rio Bravo et Marcel Dalio le tenancier du bar de Fort-de-France.

Bogart, « Steve », vit péniblement sur son bateau en emmenant des touristes pêcher le marlin et au cours de l’histoire il va faire la connaissance de la résistance française et finir par aider ce mouvement à contre-coeur. L’histoire se termine par la fuite de « Steve » et de « Slim » (Lauren Bacall) sur le bateau accompagnés de l’aide « Eddie » interprété par Walter Brennan.

Je ne sais pas s’il existe une version doublée en français de ce film mais les voix de Bogart et Bacall font partie de ce film plein de violence mais aussi une histoire d’amour naissante qui se terminera peu de temps après la sortie du film par un mariage entre Bogart et Bacall. Walter Brennan joue un rôle presque central car il est un personnage charnière impliqué dans toutes les situations délicates que traverse « Steve » tant sur le bateau qu’à terre.

« Slim » est une fille à la dérive qui séduit les hommes pour les délester de quelques billets. Sa voix trainante et son regard quelque peu lascif vont séduire le propriétaire du bateau, une séduction pour la vie, mais ce n’est pas l’objet du film. Illustrations : captures d’écran à partir du film.

Chronique cinématographique : « Le Sexe Faible »

Quel réalisateur oserait aujourd’hui titrer son œuvre ainsi ? Avant même la sortie du film il y aurait une levée de boucliers pour condamner un tel film. Et pourtant ce film datant de 1933 est une chronique acide et cynique de la bourgeoise parisienne fortunée pouvant s’offrir le luxe de vivre dans un palace parisien l’année durant. La principale préoccupation des mères de famille est de trouver une épouse à leur fils. Mais cette future épouse doit être richement dotée, comprenez disposer lors de son mariage d’une fortune que ses parents lui auront attribué dans ce seul but : trouver un époux du même milieu social. Le valet de chambre pétri de dérision à l’égard des clientes de l’hôtel sert de confident, de messager, d’informateur, et il lui arrive parfois de dénouer des intrigues complexes ou encore de mettre un des clients en contact avec un prêteur si ce client souffre de difficultés pécuniaires passagères voire récurrentes.

Parmi les acteurs maintenant tombés dans l’oubli comme Marguerite Moreno ou Victor Boucher la présence de Pierre Brasseur, l’un de ces chers chasseurs de dot. Cette peinture de la bourgeoisie des années 1930 est terriblement cynique et relègue l’homme, et non pas la femme, au triste rôle de dire « oui maman c’est celle que je veux épouser » contraint et forcé par la pression sociale. Les femmes jeunes sont des appâts mais ce ne sont pas elles qui sont faibles. Elles sont manipulées par leurs parents et doivent accepter leurs décisions en l’absence de tout sentiment amoureux. Ce sont bien les hommes représentants dans ce film de leur faiblesse et de leur soumission aux traditions bourgeoises.

Robert Siodmark, Allemand d’origine juive, a choisi de s’exiler dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, d’abord à Paris puis à Hollywood.inéma

Chronique cinématographique : « Le Hussard sur le Toit »

En 1832, l’année durant laquelle se déroulent les faits figurants dans le roman de Giono paru en 1951, la situation est critique. Une épidémie meurtrière de choléra ravage d’abord la région parisienne puis le sud de la France. En Italie du Nord la présence autrichienne alimente une montée du nationalisme italien qui aboutira bien des années plus tard à l’unification de l’Italie sous l’impulsion décisive de Garibaldi. Le roman de Giono a été adapté magistralement à l’écran par Jean-Paul Rappeneau. Coexistent dans le film trois histoires, l’épidémie de choléra, la longue chevauchée d’un hussard italien qui doit rejoindre son pays avec de l’or collecté auprès des émigrés italiens pour financer la rébellion contre l’Autrichien et enfin une admirable histoire d’amour non-dite et inachevée entre ce hussard et la jeune épouse d’un noble plus âgé qu’elle qui, fuyant le choléra, se retrouve sur la route du hussard italien en fuite vers l’Italie.

Le Colonel de hussards Angelo Pardi est incarné par Olivier Martinez et Madame de Théus par Juliette Binoche. Si Rappeneau a un peu trop insisté sur la gravité de l’épidémie en filmant des cadavres dévorés par des freux, allusion évidente au célébrissime film d’Hitchcock « Les Oiseaux » inspiré d’un roman de Daphné du Maurier, il apparaît cependant une autre histoire d’actualité : l’attitude des individus et des foules confrontés à l’épidémie, la suspicion, la crainte, la délation, les gestes barrière, les confinements ou quarantaines, la peur omniprésente et parfois le désespoir, exactement ce que des peuples européens viennent de vivre avec l’épidémie de coronavirus. Sans oublier la perte de liberté de déplacement étroitement surveillée et appliquée impitoyablement par les dragons, la police de l’époque. Comme Camus dans « La peste » Giono a bien pressenti à quel point l’être humain devient vulnérable quand il a peur car il devient incapable de réfléchir clairement. Angelo Pardi ne craint pas l’épidémie ni la contagion et il réagit à chaque instant sainement. Madame de Théus, subjuguée par la personnalité et l’esprit décisif de ce jeune homme, ne craint pas non plus la contagion bien qu’elle risque de succomber à son tour et n’est sauvée qu’à la dernière minute par le hussard.

À voir ou revoir ce magnifique film d’une actualité brûlante. Illustration capture d’écran (de mauvaise qualité).

Chronique cinématographique : « Breakfast at Tiffany’s »

Blake Edwards, le réalisateur de la série Pink Panther, avait signé son premier film mettant en scène l’inoubliable Audrey Hepburn en 1961. Le scenario est inspiré du livre éponyme de Truman Capote dont la présence indirecte dans ce film est incarnée par George Peppard, un écrivain en mal de notoriété. L’intrigue est sans intérêt sinon que Blake Edwards a laissé libre cours à son humour cocasse et aussi à sa misogynie dissimulée par la beauté et la féminité de « Holly » incarnée par Audrey Hepburn que l’on ne peut que constater en regardant cette oeuvre. De nombreux autres films, en particulier français, du moins ceux que j’ai en mémoire, traitent du même sujet de la stupidité d’une belle femme qui sait qu’elle a un pouvoir sur les homme en utilisant sa beauté. On peut citer « Sois belle et tais-toi » de Marc Allégret (1958) avec Mylène Demongeot ou mieux encore « Une ravissante idiote » d’Edouard Molinaro avec Anthony Perkins et Brigitte Bardot (1964).

Si Blake Edwards s’est abstenu de le dire clairement plus une femme est belle et désirable plus elle devient idiote. Ce n’est absolument pas une règle générale mais dans ma longue vie sentimentale j’ai été de nombreuses fois séduit par des femmes d’une beauté époustouflante, la seule raison qui me reste de croire encore à Dieu, qui se révélaient souvent (mais pas toujours) complètement obnubilées par leur beauté, leurs cils, leurs lèvres et la couleur qu’il fallait pour les rehausser, sans oublier naturellement leur obsession pour les toilettes mettant en évidence la plastique de leur corps.

Très bien, au moins dans ces conditions l’homme se sent supérieur, mais la satisfaction autre que sentimentale et sexuelle est inexistante à moins d’être en présence de celle que tous les hommes recherchent secrètement : la perle rare, belle, très belle et très désirable (simplement ou seulement parce qu’elle est belle, ce qui est en soi stupide et insuffisant) et dans le même temps très intelligente, cultivée, éventuellement capable de vous jouer une romance avec un violoncelle, alors c’est au tour de l’homme de devenir complètement idiot. Le protagoniste du film (George Peppard, l’écrivain prénommé « Paul ») frise parfois la bêtise car il n’arrive pas à résister à la beauté de Holly tout en étant fasciné par sa légèreté et sa bêtise imprévisibles.

Un beau film souvent comique et loufoque à voir ou revoir.

Chronique cinématographique : « Le fruit défendu »

J’ai délaissé cet aspect de mon blog et il y a quelques jours j’ai transféré d’un de mes disques durs un film que je n’avais encore jamais vu mais qui s’y trouvait pourtant parmi les quelques 3500 films que j’ai téléchargé avant que cette activité devienne impossible. Il s’agit d’un pur chef-d’oeuvre comme l’activité cinématographique française en produisait dans les années 1950. « Le fruit défendu » sorti en 1952 est inspiré d’un roman de George Simenon « Lettre à mon Juge » qui se termine mal et Henri Verneuil, avec la complicité de Jacques Companeez, va en faire un film somptueux qui dépeint la crise de la quarantaine que traversent beaucoup d’hommes, encore aujourd’hui, avec une finesse qui se trouvait peut-être dans le roman de Simenon que j’avoue ne pas avoir lu.

L’histoire se situe en Arles. Le Docteur Pellegrin, jeune veuf avec deux enfants, incarné par Fernandel, s’établit dans cette ville et épouse vite une fille de notable local qui va surtout s’occuper du statut social que lui procure ce mariage tout en délaissant son époux sur les plans sexuel et sentimental. Le médecin va rencontrer une jeune aventurière, incarnée par Françoise Arnoul, dont il va devenir profondément amoureux, le fruit défendu. La différence d’âge et de statut social entre les deux protagonistes ne pourra que se terminer par une rupture et tout rentrera dans l’ordre feutré de la bourgeoisie locale.

De mon modeste point de vue le rôle de Fernandel dans ce film est probablement le plus admirable, le plus dense et certainement le moins connu, sauf pour les amateurs de films de cette époque. Quant à Françoise Arnoul qui se souvient d’elle aujourd’hui ? Et pourtant Fernandel est mort il y a 50 ans, en février 1961, je crois me souvenir, et Françoise Arnoul a quitté ce monde le 20 juillet de cette année 2021 à l’âge de 90 ans, j’ai vérifié, dans l’indifférence totale alors qu’elle avait incarné la jeunesse française préfigurant la « nouvelle vague » vite éclipsée par Brigitte Bardot. À revoir ou découvrir, une œuvre d’art …

Chronique cinématographique : « Death Watch »

Ne disposant pas de la version française de ce film j’ai tout de même pu apprécier l’immense talent de Bertrand Tavernier qui vient de décéder d’autant plus que les acteurs sont tous anglais ou américains : Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Max Von Sidow, William Russel et Romy Schneider, autrichienne, dans son ultime apparition sur les écrans. Sorti en 1980 Death Watch, La Mort en Direct pour les francophones, est un chef-d’oeuvre subtil mélangeant la science-fiction et la vraie vie puisque Katherine Mortenhoe, incarnée par Romy Schneider, va mourir selon le scénario d’une série télévisuelle anglaise plutôt décoiffante, comme celle-ci disparaîtra quelques semaines après l’achèvement du film. Tourné à Glasgow et dans les environs de cette ville sans aucun intérêt touristique ce film prend le spectateur au tripes car il faut attendre la fin du film pour comprendre qu’il s’agissait d’une mise en scène consistant à implanter une caméra dans l’oeil du principal acteur (Harvey Keitel) qui doit suivre celle qui va, toujours selon le scénario de la série TV, mourir en direct.

Une suite de péripéties va rapprocher Keitel et Romy Schneider mais l’invraisemblable arrive, Keitel, à qui la firme de télévision a implanté une caméra dans un œil pour que cette poursuite de la mort soit filmée à tous les instants, va perdre la vue, perdre l’amour naissant qu’il manifestait pour Romy, et devenir un paria. La fin du film laisse planer un doute. Romy, poursuivie dans son refuge, un cottage au milieu de nulle part où habite un personnage, peut-être le père de Katherine, disparaît.

Death Watch se révèle un fiasco pour la chaine de télévision qui a financé le projet. Harvey Keitel retrouve sa vraie épouse, elle prendra soin de son époux aveugle et l’ensemble de la fiction retrouve la réalité presque banale du quotidien.

Belle réalisation de Tavernier qu’il faut absolument voir dans sa version anglaise avec des décors extérieurs âpres, agressifs, un scène surréaliste dans une église accueillant des sans-abri avec un pasteur caricatural et le monstrueux montage médical consistant à provoquer des douleurs violentes afin de simuler une mort prochaine pour la réalisation de cette sorte de reportage pour la chaine de télévision contre une forte somme d’argent. Finalement ce film de Tavernier que je considère personnellement comme l’un des plus achevés avec « Coup de Torchon » et « L’horloger de Saint-Paul » est une caricature très critique de l’emprise du monde télévisuel sur la personnalité des individus jusqu’à prendre des risques inadmissibles malgré le fait qu’il s’agit ici d’une fiction. Enfin ce film préfigure en quelque sorte la surveillance des individus à leur insu à des fins commerciales et l’un des exemples les plus représentatif de cette fiction réalisée en 1980 est Facebook qui avec ses 2,6 milliards d’adhérents volontaires, au sens d’Estienne de la Boétie, représente un revenu garanti pour cette société de 26 milliards de dollars chaque année puisqu’à son insu chaque utilisateur de Facebook « vaut » sur le marché 10 dollars. Je pense que Tavernier aurait réalisé un immense film à ce sujet. À voir ou revoir si possible en version anglaise.