Ne disposant pas de la version française de ce film j’ai tout de même pu apprécier l’immense talent de Bertrand Tavernier qui vient de décéder d’autant plus que les acteurs sont tous anglais ou américains : Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Max Von Sidow, William Russel et Romy Schneider, autrichienne, dans son ultime apparition sur les écrans. Sorti en 1980 Death Watch, La Mort en Direct pour les francophones, est un chef-d’oeuvre subtil mélangeant la science-fiction et la vraie vie puisque Katherine Mortenhoe, incarnée par Romy Schneider, va mourir selon le scénario d’une série télévisuelle anglaise plutôt décoiffante, comme celle-ci disparaîtra quelques semaines après l’achèvement du film. Tourné à Glasgow et dans les environs de cette ville sans aucun intérêt touristique ce film prend le spectateur au tripes car il faut attendre la fin du film pour comprendre qu’il s’agissait d’une mise en scène consistant à implanter une caméra dans l’oeil du principal acteur (Harvey Keitel) qui doit suivre celle qui va, toujours selon le scénario de la série TV, mourir en direct.

Une suite de péripéties va rapprocher Keitel et Romy Schneider mais l’invraisemblable arrive, Keitel, à qui la firme de télévision a implanté une caméra dans un œil pour que cette poursuite de la mort soit filmée à tous les instants, va perdre la vue, perdre l’amour naissant qu’il manifestait pour Romy, et devenir un paria. La fin du film laisse planer un doute. Romy, poursuivie dans son refuge, un cottage au milieu de nulle part où habite un personnage, peut-être le père de Katherine, disparaît.
Death Watch se révèle un fiasco pour la chaine de télévision qui a financé le projet. Harvey Keitel retrouve sa vraie épouse, elle prendra soin de son époux aveugle et l’ensemble de la fiction retrouve la réalité presque banale du quotidien.
Belle réalisation de Tavernier qu’il faut absolument voir dans sa version anglaise avec des décors extérieurs âpres, agressifs, un scène surréaliste dans une église accueillant des sans-abri avec un pasteur caricatural et le monstrueux montage médical consistant à provoquer des douleurs violentes afin de simuler une mort prochaine pour la réalisation de cette sorte de reportage pour la chaine de télévision contre une forte somme d’argent. Finalement ce film de Tavernier que je considère personnellement comme l’un des plus achevés avec « Coup de Torchon » et « L’horloger de Saint-Paul » est une caricature très critique de l’emprise du monde télévisuel sur la personnalité des individus jusqu’à prendre des risques inadmissibles malgré le fait qu’il s’agit ici d’une fiction. Enfin ce film préfigure en quelque sorte la surveillance des individus à leur insu à des fins commerciales et l’un des exemples les plus représentatif de cette fiction réalisée en 1980 est Facebook qui avec ses 2,6 milliards d’adhérents volontaires, au sens d’Estienne de la Boétie, représente un revenu garanti pour cette société de 26 milliards de dollars chaque année puisqu’à son insu chaque utilisateur de Facebook « vaut » sur le marché 10 dollars. Je pense que Tavernier aurait réalisé un immense film à ce sujet. À voir ou revoir si possible en version anglaise.