Retour sur le principe de précaution

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Quelques soient leurs bonnes intentions, les régulations hyper-protectrices peuvent devenir mortelles. En biaisant les politiques publiques les rendant hyper-tatillonnes vis-à-vis des innovations technologiques, les lois et les régulations peuvent rendre la vie beaucoup plus dangereuse. Une étude récente du Bureau National de Recherche Économique (NBER : https://www.nber.org/papers/w26395) a trouvé exactement ce qui suit. Les auteurs ont examiné les effets non prévus d’invocation du principe de précaution après l’accident nucléaire de Fukushima-Daiichi qui eut lieu au Japon le 11 mars 2011 après un tsunami géant. Ils ont mis en évidence que la décision du gouvernement japonais d’abandonner totalement l’énergie nucléaire à la suite de cet accident a provoqué de nombreux décès en raison de l’augmentation du coût de l’énergie électrique combinée aux froidures de l’hiver suivant cet accident. De plus cette décision eut des implications sérieuses sur l’environnement. En bref, l’application stricte du principe de précaution peut être très coûteux en terme de vies humaines (cf. un précédent billet sur ce blog).

Combien de décès sont provoqués par les régulations excessives.

Le principe de précaution se réfère à l’idée que les politiques publiques doivent limiter les innovations jusqu’au jour où leurs inventeurs peuvent prouver incontestablement que celles-ci ne provoqueront jamais de dangers potentiels de quelque nature que ce soit. S’il persiste des incertitudes au sujet de risques futurs le principe de précaution exclut toute étude poussée d’utilisation de ces innovations en régulant très étroitement voire en rendant impossible dans la pratique tout programme d’essais et d’erreurs pouvant valider le caractère sécurisé de l’invention. En vérité le principe de précaution, par principe, est basé sur le fait que les risques futurs existent toujours. Pire encore, l’application rigide du principe de précaution interdit toute expérimentation pouvant mettre en évidence de nouvelles et meilleures procédures rendant ces innovations encore plus sécurisées.

En résumé : « en vivant en permanence dans la peur du pire scénario – et donc en mettant en oeuvre des politiques publiques avec cet objectif – cette attitude exclut de facto tout scénario optimal. Quand ces politiques publiques sont basées sur ce type de raisonnement, le principe de précaution limite très sérieusement tout progrès technique, toute économie entrepreneuriale, toute adaptation sociale et toute prospérité sur le long terme« .

Le cas du riz doré.

Il y a beaucoup d’exemples qui montrent que le principe de précaution peut miner la santé publique ou pire encore provoquer des morts. Le cas du riz doré en est un exemple incontestable (cf. plusieurs billets sur ce blog à ce sujet). Il s’agit d’un riz génétiquement modifié pour être capable de produire du beta-carotène, précurseur de la vitamine A et il est la démonstration de l’effet adverse du principe de précaution. Au cours des années 2000 des équipes de biologistes commencèrent à s’intéresser à ce riz pour le destiner aux enfants des pays en voie de développement où sévit la déficience en vitamine A, la cause prépondérante de cécité et de mort prématurée de millions d’enfants et de femmes enceintes. Malheureusement la résistance aux plantes génétiquement modifiées affichée par certaines organisations non gouvernementales (inutile de les citer …) rapprochées des fonctionnaires en charge de la régulation outre mesure et sans justification scientifique relative aux plantes génétiquement modifiées faillit réduire à néant ce projet. Par voie de conséquence il aura fallu 20 années supplémentaires pour que – enfin – cette équipe ce chercheurs de haut vol finalise son projet strictement humanitaire alors que les régulateurs, de par leurs hésitations conformes au fameux principe de précaution, travaillaient dans le sens contraire, seulement motivés par cette peur irrationnelle des plantes génétiquement modifiées. Ces régulateurs, pourtant supposés protéger la vie des êtres humains, sont arrivés au résultat contraire qui est une véritable tragédie humanitaire.

Pour ces bureaucrates, en vertu du principe de précaution, le riz doré était considéré comme une erreur technologique jusqu’à ce que le contraire soit prouvé sans équivoque. Drôle de conception de la rationalité …

Les analystes du risque, comme par exemple les actuaires pour ne citer que ceux-ci, considèrent que le principe de précaution manque totalement de logique basique et est littéralement incohérent. Par essence c’est un « non-principe » parce qu’il ne contient pas clairement dans sa définition permettant de se faire une idée claire de laquelle on peut juger de l’ampleur des risques encourus lors d’un contrôle préventif de nouvelles technologies, quelles que soient leur nature. Dès lors le principe de précaution est enraciné dans un autre principe ou du moins une préférence qui est implicitement un immobilisme, c’est-à-dire une préservation du statut quo. Ne rien faire face à l’incertitude semble alors le meilleur choix mais ce choix, sur le long terme, conduit à un monde plus incertain encore.

Le spécialiste de la politique Aaron Wildavsky a consacré toute sa carrière à démontrer que tous les efforts fournis pour créer une société sans risques technologiques conduisaient au contraire à une société extrêmement risquée. Dans son livre très important « Searching for Safety » publié en 1988, Wildavsky alertait sur les risques du raisonnement conduisant à adopter l’attitude des « essais sans erreur » et le comparait à l’attitude plus logique de l’ « essai avec erreur » qui est le fondement de la recherche scientifique et donc directement transposable à la recherche de l’évaluation du risque. Il poursuivait en indiquant que la sagesse acquise pendant des milliers d’années était justement basée sur les essais avec erreur. Cette attitude permet d’apprendre comment se comporter et vivre avec plus de confort et de richesse en tant qu’individus faisant partie d’une société qui a maîtrisé l’incertitude bien qu’ayant été confrontée à des échecs éventuels.

« L’implication directe de l’ « essai sans erreur » est évidente : si on ne peut rien entreprendre sans savoir d’abord comment les choses tourneront, alors vous ne pouvez rien entreprendre du tout. Une conséquence indirecte de l’essai sans erreur est que si on entreprend quelque chose de nouveau mais que cette décision est coûteuse il y aura automatiquement moins de prises d’initiatives susceptibles d’améliorer les pratiques passées. Ce manque de changement et d’amélioration de ces pratiques passées est par essence dangereux car il réduit toutes les chances de réduction des risques existants. Donc ces risques perdureront si on refuse d’en trouver des solutions pour les réduire en choisissant l’avantageuse attitude des essais avec erreur répétés aussi longtemps qu’il est nécessaire« .

Là réside la plus inconséquente nature du principe de précaution. Si ce principe est pris trop à la lettre il rend les conditions de vie du monde entier plus incertaines. Il peut nous faire souffrir et éventuellement conduire à une mort prématurée. Par conséquent il est du devoir des adeptes du principe de précaution de démontrer pourquoi cesser toute expérimentation est bénéfique et en apporter les preuves mais pour ces personnes une telle démarche est futile donc inutile.

Dire non a un coût caché.

Plus généralement, les deux cas évoqués ci-dessus illustrent encore une fois la simple vérité selon laquelle il existe des compromis et des incitations politiques. La réglementation n’est pas une baguette magique qui accorde instantanément à la société des autorisations gratuites. Chaque action politique a des coûts potentiels, dont beaucoup sont difficiles à prévoir ou même à estimer par la suite. Le principe de précaution est statique et à courte vue, il vise uniquement à atténuer certains risques directs évidents. En mettant fin à un résultat potentiellement risqué, les décideurs peuvent garantir aux citoyens qu’aucun danger potentiel ne peut se produire à nouveau en raison de cette activité particulière.

Mais parfois, le plus grand risque de tous est l’inaction. Le progrès et la prospérité sont impossibles sans une expérimentation constante d’essais et d’erreurs et une prise de risque certaine. Sans risque, il ne peut y avoir de récompense. Dans un nouveau livre, le scientifique Martin Rees qualifie ce truisme du principe de précaution de «coût caché de dire non».

Ce coût caché de la réglementation préventive sur le riz doré a entraîné une «tragédie moderne» pour les innombrables personnes qui ont perdu la vue ou en sont mortes. Ce coût caché était également très lourd pour les citoyens japonais après l’incident de Fukushima. Si la réglementation interdit un type de production d’énergie, il faut le remplacer par un autre pour maintenir le niveau de vie. La décision du pays d’interdire l’énergie nucléaire a apparemment entraîné des morts inutiles après le recours à d’autres sources d’énergies dont le charbon et le gaz naturel.

Pour être clair, l’incident de Fukushima a été un horrible accident qui a eu de nombreux autres coûts. Plus de 100 000 résidents ont été évacués des communautés environnantes de l’usine en raison de craintes de contamination. Mais on ne sait toujours pas combien de dommages ont été causés par les rejets de matières radioactives par rapport au pouvoir destructeur du tsunami lui-même (ou à la réaction réglementaire qui en a résulté). L’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) gère un site dédié aux mises à jour en cours sur l’état de Fukushima Daiichi et note que des efforts de nettoyage sont en cours. En ce qui concerne la surveillance de la zone maritime, l’AIEA a déclaré que les «niveaux de radioactivité mesurés par le Japon dans le milieu marin étaient bas et relativement stables». «La situation en matière de sécurité des approvisionnements alimentaires, de la production halieutique et agricole reste stable», bien.

L’exposition aux rayonnements peut également poser des problèmes de soins de santé à long terme, même si cela n’a pas encore été prouvé. Fait important, cependant, des vies ont été perdues lors de l’évacuation de la zone, en particulier parmi les personnes âgées. Les rapports officiels de l’agence de reconstruction du gouvernement japonais ont répertorié plus de 1600 décès «indirects» imputables au stress et à d’autres maladies pendant la phase d’évacuation, soit infiniment plus que ceux directement imputables à la catastrophe par irradiation directe puisqu’aucun décès n’a été constaté sur le site lui-même.

L’analyse du risque est complexe mais essentielle.

La nature dynamique de tels compromis en matière de réglementation est ce qui rend l’analyse coûts-avantages difficile mais essentielle. Les décideurs doivent faire un meilleur travail en essayant de modéliser les coûts des décisions réglementaires, en particulier celles qui impliquent des contrôles de précaution généraux, précisément parce que les coûts des erreurs peuvent être si importants. Un document de travail publié en 2017 par le Centre Mercatus intitulé : «Comment les réglementations peuvent augmenter le risque de mortalité», par James Broughel et W. Kip Viscusi (lien), a révélé que des réglementations coûtant plus de 99,3 millions de dollars par vie sauvée augmenteraient le risque de mortalité. Un seuil d’environ 100 millions de dollars en coût de la vie sauvée est celui coût-efficacité au-delà duquel la réglementation permettant de sauver des vies sera contre-productive – où les règles sont susceptibles de causer plus de décès que prévu, au lieu d’en prévenir. En d’autres termes, la réglementation ponctuelle peut devenir si coûteuse qu’elle fait plus de mal que de bien. Lorsque nous trouvons des règles qui imposent des coûts supérieurs à ce seuil, nous devrions rechercher des solutions alternatives qui seront plus économiques et enrichissantes.

Globalement, il est impossible de savoir combien de vies ont été perdues du fait de l’application du principe de précaution depuis 1996 (voir note en fin de billet). Il y a trop de scénarios réglementaires et d’effets dynamiques à modéliser. Mais lorsque certains critiques décrient les efforts pour estimer les coûts potentiels associés aux réglementations préventives, ou insistent sur le fait que tout coût en vaut la peine, alors nous devons leur rappeler que, même s’il est difficile de modéliser les compromis entre risque et avenir incertain, nous devons surtout essayer de s’assurer que la réglementation en vaut la peine. Nous vivons dans un monde de ressources limitées et de choix difficiles.

Les coûts d’opportunité indirects comptent beaucoup.

 

De manière générale, cependant, il n’est presque jamais avisé d’exclure complètement les types d’innovation importants qui pourraient offrir à la société des avantages importants difficilement prévisibles. Dans le cas de l’énergie nucléaire, toutefois, les avantages étaient assez évidents dès le début, mais de nombreux pays ont quand même choisi de contrôler étroitement, de freiner, voire d’interdire son développement. Aux États-Unis, les propos relatifs à l’énergie nucléaire ont toujours été entachées de pires scénarios, en particulier après l’incident de Three Mile Island en 1979. Bien que cet incident n’ai entraîné aucune mort, il a fortement réduit l’énergie nucléaire en tant que source majeure d’énergie aux États-Unis. Depuis lors, peu de nouvelles centrales nucléaires ont été construites et mises en ligne aux États-Unis et seulement deux réacteurs sont en construction (lien). Cette tendance s’est encore aggravée après l’accident japonais, évènement qui a provoqué un durcissement des exigences réglementaires (lien). Les querelles politiques sur l’élimination des déchets nucléaires retardent également les progrès.

Mais les coûts de ces décisions politiques deviennent plus évidents aujourd’hui alors que nous sommes confrontés à des questions sur la manière de lutter contre le changement climatique et de réduire les émissions de carbone. Dans un article du Wall Street Journal paru au début de l’année 2019, Joshua S. Goldstein et Staffan A. Qvist affirmaient que seule l’énergie nucléaire peut sauver la planète et qu’il s’agissait de la seule énergie disponible pour remplacer les combustibles fossiles rapidement « puisqu’il y a une urgence climatique« . Les préoccupations concernant les catastrophes et la gestion des déchets persistent, même si, objectivement, le nucléaire a enregistré un bilan de sécurité remarquable. Les problèmes d’élimination des déchets sont également surestimés. « La consommation d’électricité à partir d’énergie nucléaire générée pour satisfaire la consommation de chaque Américain au cours de sa vie entière produirait une quantité de déchets à longue et courtes durées de vie, tous déchets confondus, qui rentrerait dans une canette de soda« , notaient ces auteurs. C’est certainement un défi que nous pouvons relever face à l’empreinte carbone massive que nous produisons tous actuellement.

Cette étude de cas sur la manière dont le principe de précaution a freiné l’innovation dans le domaine de l’énergie nucléaire est instructive à plusieurs égards. Premièrement, comme le suggèrent la nouvelle étude du NBER et d’autres recherches, le principe de précaution a eu des coûts directs considérablement négatifs, sous la forme d’une augmentation des coûts de l’électricité ainsi que d’une augmentation des émissions de carbone, du fait de la dépendance continue à l’énergie fossile malgré le fait que des énergies renouvelables – mais intermittentes – ont été mises en place. Deuxièmement, il y a probablement eu de nombreux coûts indirects sous la forme d’innovations abandonnées. Nous ne savons tout simplement pas à quel point les centrales nucléaires seraient meilleures si l’expérimentation de nouvelles technologies avaient été autorisées au cours des quatre dernières décennies. Le rêve de produire une énergie électrique «trop bon marché pour être difficilement mesurable» via la production nucléaire ne sera peut-être plus un rêve ni une utopie dans quelques décennies. Au minimum, nous aurions probablement eu plus de réacteurs à base de thorium connectées au réseau électrique qui auraient permis par retour d’expérience d’améliorer considérablement l’efficacité et la sécurité.

Conclusion.

Cela souligne la nécessité d’une plus grande humilité dans l’élaboration des politiques. Nous ne possédons pas de boules de cristal nous permettant de prévoir l’avenir technologique ni d’évaluer nos besoins futurs. De nombreux pays (en particulier les États-Unis) ont probablement commis une grave erreur en décourageant les technologies nucléaires et, à présent, nous et le reste du monde sommes pris au piège (voir note en fin de billet) des conséquences de la catastrophique erreur de jugement induite par une application trop stricte du principe de précaution. De même, l’étude du cas du riz doré souligne les dangers de l’orgueil réglementaire sur la scène mondiale, car de nombreux décideurs ont freiné les innovations salvatrices qui auraient pu soulager la souffrance et la mort.

Il est grand temps de rejeter la logique simpliste du principe de précaution et de passer à une approche plus rationnelle et équilibrée de la gouvernance des technologies. Nos vies et notre bien-être en dépendent.

Liens. Source : https://www.mercatus.org/publications/regulation/death-regulation-how-regulations-can-increase-mortality-risk

https://pris.iaea.org/pris/CountryStatistics/CountryDetails.aspx?current=US

https://www.world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-t-z/usa-nuclear-power.aspx

https://public-blog.nrc-gateway.gov/2016/06/03/too-cheap-to-meter-a-history-of-the-phrase/

Illustration : Contrepoints ( https://www.contrepoints.org/2018/03/13/179323-principe-de-precaution-un-principe-tueur )

Commentaires. Pour mémoire le principe de précaution émergea en 1992 dans la Déclaration de Rio relative à la préservation de l’environnement. Il a été inscrit dans la constitution française (loi Barnier de 1995) par le démagogue en chef du monde politique français Michel Barnier devenu depuis Commissaire européen. Un article figure dans le présent blog au sujet de la catastrophe industrielle et commerciale provoquée par l’application stricte du principe de précaution par Simone Veil, alors Ministre de la Santé, qui fit disparaître d’un trait de plume l’un des fleurons français de la biotechnologie. Relire cet article paru en 2017 est instructif : https://jacqueshenry.wordpress.com/2017/07/04/le-principe-de-precaution-et-simone-veil-une-catastrophe/

Pour ce qui concerne l’énergie nucléaire, la Chine, préoccupée par l’augmentation incessante de la consommation d’électricité, a fait fi du principe de précaution en développant le premier réacteur nucléaire haute température type « pebble bed » qui devrait être connecté au réseau au cours de l’année 2020 tandis que deux surrégénérateurs de conception russe sont en cours de construction profitant du retour d’expérience de la Russie dans ce domaine. En ce qui concerne la France la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim est motivée par le principe de précaution en invoquant la « vieillesse » de cette installation alors qu’elle pourrait fonctionner encore au moins 30 ans, voire plus. Le dossier a été examiné par des politiciens ignorants qui ont invoqué une obsolescence dangereuse. Il est grand temps de reconsidérer ce principe avant qu’il ne fasse encore plus de ravages dans les économies car la France n’est pas le seul pays à avoir atteint ce seuil d’imbécillité « chimiquement pure ».

Le « riz doré » : la périlleuse naissance d’une super-plante vivrière.

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Traduction d’un article de Ed Regis à l’occasion de la sortie de son livre « Golden Rice : The Imperiled Birth of a GMO Superfood » paru sur le site de la Johns Hopkins University que j’ai cru opportun de faire figurer sur ce blog. J’ai disserté à plusieurs reprises sur ce blog au sujet du riz doré considérant que l’obstruction systématique à son utilisation constitue un crime contre l’humanité ayant depuis 20 ans provoqué la mort de 20 millions de personnes, surtout des enfants, et rendu aveugles plus de 50 millions d’enfants en raison d’une carence en vitamine A dans les pays en voie de développement. La critique de Ed Regis est plus nuancée.

« Le riz doré est une plante génétiquement modifiée (OGM) inhabituelle à la fois par son origine et par sa gestation. J’avais écrit un livre précédant celui-ci ( « Regenesis », 2012) avec le biologiste moléculaire de Harvard George Church qui était un homme d’une intelligence exceptionnelle ayant un large éventail de connaissances. J’en était venu à le considérer comme une personne qui savait tout. Par conséquent quand en 2016 j’ai lu une interview de Church j’ai vraiment cru ce qu’il disait, à savoir que 1. un produit appelé Golden Rice était « prêt » dès 2012, 2. que l’organisation supranationale écologiste Greenpeace était responsable du retard de son introduction depuis 13 ans, avec pour résultat que 3. des millions de personnes sont mortes et que 4. Greenpeace était donc coupable d’un crime contre l’humanité pour cet acte gratuit de meurtre de masse. Tout cela m’a rendu tellement en colère que j’ai décidé que je devais écrire un livre sur le Golden Rice pour informer le public de cette atrocité indescriptible.

Cependant au cours de mes recherches pour écrire ce livre et au cours de sa rédaction j’ai progressivement découvert qu’à part l’affirmation 3. toutes les autres étaient fausses ! Le riz doré est une forme de riz génétiquement modifié pour contenir du beta-carotène qui est converti en vitamine A dans le corps humain. Son objectif est de lutter contre la carence en vitamine A, une maladie qui cause la cécité et aussi la mort d’un million de personnes chaque année, principalement des enfants et des femmes enceintes dans les pays non développés. Il est exact qu’une forme de riz doré existait déjà en 2002 mais il s’agissait d’une version expérimentale, d’un prototype de laboratoire, et ses noyaux ne contenaient pas assez d’informations génétiques pour pouvoir produire suffisamment de beta-carotène pour lutter efficacement contre la carence en vitamine A. Il n’était certainement pas « prêt » à être distribué aux agriculteurs et nécessiterait de nombreuses années supplémentaires de développement et d’optimisation avant de le devenir.

Il est également vrai que Greenpeace avait critiqué et dénoncé depuis le début le riz doré, l’avait ridiculisé comme étant un aliment irréaliste et même dangereux. Depuis l’annonce de la version prototype Greenpeace a publié un flot continu de communiqués de presse, de prises de position et de déclarations diverses sur le riz doré, pleines d’imprécisions factuelles, de distorsions et d’exagérations farfelues de la vérité. Cependant j’ai appris qu’aucune de ces diatribes de Greenpeace n’a pu réussir à arrêter, ralentir ou entraver le processus de recherche-développement concernant le riz doré, processus qui se déroulait à son propre rythme. Greenpeace n’était pas non plus coupable de meurtres de masse, de « crime contre l’humanité », car même si les accusations de cette organisation contre le Golden Rice ont eu pour effet de retarder son développement (ce qui en réalité n’a pas eu lieu) ces accusations n’avaient pas non pour objectif de nuire aux populations et de provoquer des morts, le meurtre étant avant tout un acte intentionnel.

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Alors pourquoi aura-t-il fallu 20 ans pour qu’enfin le Golden Rice ait trouvé sa forme actuelle et soit homologué dans 4 pays, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis et le Canada ? Il y a deux raisons à cela. La première est qu’il a fallu beaucoup de temps pour que ce riz produise des concentrations de plus en plus élevées de beta-carotène (ou de tout autre trait de valeur) dans de nouvelles souches de riz (ou de toute autre plante). La sélection végétale ne ressemble en rien à une expérience de chimie pouvant être répétée autant de fois qu’on le souhaite, tous les jours. La croissance des plantes est un processus lent qui ne peut pas être accéléré de manière significative, sauf dans des conditions de laboratoire particulières qui sont difficiles à maintenir et à maîtriser. La deuxième raison pour laquelle il a fallu 20 ans pour développer la version finale du riz doré est la force de ralentissement de la réglementation gouvernementale sur le développement des cultures OGM. Ces réglementations qui couvrent notamment la sélection végétale, l’expérimentation et les essais sur le terrain sont si lourdes qu’elles rendent la constitution de dossiers de conformité excessivement longue et coûteuse. De telles réglementations existent en raison des craintes irrationnelles des OGMs, de l’ignorance de la science impliquée et du respect excessif du fameux principe de précaution. Le Docteur Ingo Potrykus, l’un des co-inventeurs du Golden Rice a estimé que le respect de la réglementation sur les OGMs retardait jusqu’à 10 ans le développement du produit final.

Ironiquement, étant donné tous les bienfaits que le Golden Rice aurait pu apporter durant ces dix années pour améliorer la carence en vitamine A avec son cortège de morts et de cécité, ce sont précisément les agences gouvernementales qui se sont révélées être les principaux acteurs du développement trop lent du riz doré, ce super-aliment sauveur de vies et de vision. Des millions de décès et d’enfants aveugles ne sont que la conséquence des délais réglementaires imposés par les agences gouvernementales. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de « crime contre l’humanité » il s’agit néanmoins d’une terrible tragédie moderne et c’est l’histoire racontée dans ce livre« .

Commentaire. Les organisations gouvernementales d’homologation sont sous la coupe des organisations « non » gouvernementales telles que Greenpeace qui ont exigé que le principe de précaution soit strictement appliqué dans le cas des OGMs, en d’autres termes le Principe 15 du protocole de Cartagena qui stipule que « tout OGM est considéré comme coupable avant d’être reconnu comme innocent ». Il faut se souvenir de l’actualité passée en Europe et en particulier en France, des faucheurs d’OGMs, des saccages à répétition des expérimentations en plein champ de plantes génétiquement modifiées qui ont conduit, par exemple en France, l’INRA, leader dans ce domaine dans les années 1980, à abandonner toute recherche relative aux OGMs. Je reproche à Ed Regis de ne pas avoir mentionné (je n’ai pas lu son livre) l’interférence sinon la connivence existant entre les régulateurs gouvernementaux et ces organisations supranationales non gouvernementales puissantes qui font pression pour faire passer leurs propres revendications politiciennes et idéologiques dans le mépris total de l’argumentation scientifique. Je rappelle à mes lecteurs que la mise en forme d’un dossier d’homologation pour un OGMs coûte au minimum une dizaine de millions de dollars et que les expérimentations en laboratoire sont soumises à des contrôles tellement stricts qu’il est parfois décourageant d’envisager un quelconque projet tant ces contrôles et régulations diverses sont contraignants. J’en parle en connaissance de cause puisque j’ai moi-même travaillé pendant de nombreuses années dans un laboratoire dont la mission première était la mise au point de plantes génétiquement modifiées. Je reste sur ma position exposée auparavant sur mon blog : Greenpeace est une organisation criminelle, point barre. Je trouve enfin curieux que deux pays comme le Canada et la Nouvelle-Zélande aient homologué le riz doré. C’est bien connu, ce sont deux pays gros producteurs de riz ! De qui se moque-t-on ? On ne peut qu’espérer l’homologation prochaine du riz doré dans des pays d’Asie comme le Bangladesh ou en Afrique, mais Monsieur Ed Regis abstenez vous de prendre ceux qui connaissent un peu le domaine des plantes génétiquement modifiées pour des imbéciles …

Blé : la course à la résistance aux phytopathogènes est engagée

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En 2016 la première infection du blé par le champignon phytopathogène Magnaporthe oryzae fut décrite au Bangladesh alors que depuis l’apparition de ce pathogène dévastateur spécifique du blé sa présence n’avait été mentionnée qu’exclusivement en Amérique du Sud. Il fut décrit en 1985 dans l’État brésilien du Parana et ensuite près de Sao Paulo puis au Paraguay réduisant les rendements jusqu’à 32 % malgré deux applications de fongicides. Ce champignon a également fait son apparition en Inde en 2017. On pourrait croire qu’au Bangladesh, et Inde et au Pakistan le blé n’est pas la céréale prépondérante dans l’alimentation. Il n’en est rien car la consommation de blé est en constante augmentation. En Inde par exemple chaque habitant consomme environ 60 kg de blé par an, soit un doublement depuis le début des années 1960. Ce champignon attaque l’épi et les grains sèchent sans atteindre la maturité et la menace se précise en Inde avec depuis 2017 des atteintes confirmées dans les Etats de Maldah, Murshidabad et Nadia à l’est du pays. Enfin d’autres cas sporadiques ont été décrits dans l’ouest de l’Inde et aussi au Pakistan.

Cette menace fongique pourrait atteindre l’Europe et la Russie (plus gros exportateur de blé au monde) et alors ce sera la catastrophe car cette région est la plus importante productrice de blé. Dans la situation idéologique actuelle de réduction de l’usage de pesticides les agriculteurs se retrouveront confrontés à des baisses de rendement d’environ 30 %. Si pour l’instant ce sont les petits paysans de l’Inde, du Bangladesh ou encore du Paraguay qui sont concernés le problème pour les grands producteurs de blé d’Europe sera potentiellement catastrophique. Or le blé n’a jamais fait l’objet d’une quelconque modification génétique par transgénèse. En 2004 un dossier d’homologation pour un blé résistant aux herbicides a été déposé mais il n’y a pas eu de suite. Quant au riz inutile de revenir sur le cas du riz doré dont l’interdiction constitue un véritable scandale planétaire à la suite des campagnes de la propagande honteuses de Greenpeace. Ce riz produit de la provitamine A et est nullement toxique, au contraire.

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Bref les céréales sont délaissées par les grandes firmes impliquées dans la transgénèse végétale et c’est regrettable car la sélection ancestrale consistant à réaliser des hybridations successives qui se sont étalées sur des siècles a abouti à une polyploïdie du génome tout en faisant perdre à ce dernier sa diversité génétique avec pour résultat une grande vulnérabilité aux attaques fongiques. Ainsi la majorité des gènes de résistance aux maladies se sont raréfiés alors que le génome de l’ancêtre du blé, Triticum turgide aussi appelé épeautre contient plus de 300 gènes de résistance identifiés. Dans la figure ci-dessus se trouve l’étape d’identification des gènes de résistance dans l’ancêtre du blé pour ensuite permettre leur son intégration dans le génome du blé moderne. La première étape (figure ci-dessous) consiste à appliquer un agent mutagène ( EMS = ethyl methane sulfonate) et ensuite repérer les gènes mutés ayant induit une susceptibilité, dans le cas présent, au champignon Puccinia graminis qui attaque les feuilles du blé.

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Quand les gènes ont été identifiés puis clonés ils seront réintroduits dans le blé polyploïde « moderne ». Ces gènes codent pour des protéines de résistance qui comportent des séquences riches en leucine (NLR = leucine rich repeat) et les séquences d’ADN codant pour ces protéines comportant des séquences riches en leucine peuvent être suivies au cours de la sélection au niveau moléculaire et non pas au niveau de la plante elle-même (target enrichment).

Au final cette approche de modification génétique n’introduit pas de gènes étrangers mais au contraire elle restaure des caractères génétiques et phénotypiques qui avaient disparu au cours du long processus de sélection par hybridations successives. L’utilisation de l’outil CRISPR-cas9 est alors utilisé pour la réintroduction. L’intérêt de cette approche est qu’elle est rapide mais elle nécessitera des essais en plein champ pour vérifier par exemple la stabilité de la construction en conditions réelles de culture. Il s’agit donc d’un espoir pour les pays dont l’approvisionnement en céréales est critique comme ceux cités plus haut. Il ne fait aucun doute, compte tenu de l’approche expérimentale mise au point, que ces pays autoriseront la culture de ce type de blé résistant aux attaques fongiques. Il y a en effet un caractère d’urgence qui concerne de nombreux pays dans le monde. Compte tenu des immenses enjeux économiques et sociaux il est prévisible que cette nouvelle approche de modification génétique qui n’introduit pas de gènes étrangers dans le génome de la plante sera rapidement homologuée. Il reste à connaître l’attitude qu’adopteront les récalcitrants à tout progrès scientifique ou technique que sont ces écologistes ultra-politisés qui ont déjà sur la consciences des dizaines de millions de morts depuis l’interdiction du DDT puis du riz doré …

Sources. Science magazine et Nature Biotechnology, doi : 10.1038/nbt.3543 article aimablement communiqué par le Docteur Brande BH Wulff

Pétunias : une extermination aveugle !

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C’est une histoire qui défie le bon sens commun et qui fera date dans l’histoire de la stupidité de l’espèce humaine, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Il y a deux ans un biologiste finlandais se promenait dans la ville d’Helsinki quand son regard fut attiré par des pétunias de couleur rouge-saumon. Comme il avait travaillé quelques trente ans auparavant sur les pigments des végétaux et l’expression des gènes qui leur étaient associés il eut la curiosité de prélever une tige et quelques feuilles de ces pétunias et les emmena dans son laboratoire. Il constata qu’il s’agissait de pétunias qui exprimaient un gène en provenance de maïs qui est responsable de la couleur jaune des grains de cette céréale, la pelargonidine. Si vous grignotez du pop-corn vous ne craignez rien, ce pigment est totalement inoffensif …

Comme tout bon scientifique jaloux de son honnêteté, le dénommé Teemu Teeri confirma que ces pétunias contenaient et exprimaient un « gène étranger » et qu’il se demandait bien comment de tels pétunias avaient bien pu se retrouver sur le marché alors qu’il est interdit en Europe et en Amérique du Nord de disséminer dans la nature des plantes modifiées génétiquement sans autorisation conformément aux lois en vigueur. Cette information fit la Une des médias bien intentionnés et les autorités européennes et nord-américaines ont entrepris de faire le ménage et tous les pétunias suspects ont été détruits.

Car en effet le terme transgénique, dans le subconscient de l’homme de la rue, est synonyme de toxique … résultat d’une campagne de désinformation savamment orchestrée par des ONGs « bien intentionnées » également dont le but n’est pas de préserver l’intégrité originelle du biotope végétal de la planète mais de s’opposer à tout progrès technologique quel qu’il soit.

Au mois d’avril, Teeri confia à un de ses anciens doctorants qui travaille maintenant au Ministère de l’Agriculture finlandais qu’il avait des doutes sur la réelle nature de ces pétunias. À la fin du mois d’avril l’organisme finlandais en charge de la sécurité alimentaire (c’est important de le noter surtout quand il s’agit de pétunias) fit retirer du marché 8 variétés de pétunias. Tous les autres pays européens ainsi que les USA ont suivi les directives finlandaises et c’est maintenant le carnage dans la famille des pétunias. Dans le doute, les producteurs de plants de pétunias qui ne veulent pas investir dans des contrôles génétiques hors de prix puisqu’ils doivent être effectués par des laboratoires assermentés ont préféré incinérer leur production plutôt que de s’exposer à des poursuites judiciaires.

Cette histoire rocambolesque est révélatrice du degré incroyable d’imbécillité qu’ont atteint les agences gouvernementales de contrôle sanitaire des aliments : les OGMs c’est toxique, point barre, y compris et a fortiori les pétunias …

Source et illustration : Science magazine

Même à l’INRA (France) il y a des activistes anti-OGMs !

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En France la recherche universitaire financée par les contribuables doit être pure, sans taches, exemplaire, en un mot déconnectée de toute relation avec l’industrie. Qui dit connexion avec des industriels dit donc conflit d’intérêt puisque la philosophie de la recherche fondamentale française doit rester indépendante de l’industrie mercantile. C’est en tous les cas la position des caciques des organismes comme le CNRS, l’INRA ou l’INSERM, des organisations étatiques contrôlées par des idéologues rétrogrades qui en ce XXIe siècle n’ont toujours pas compris que la recherche pure et dure n’avait aucun avenir sinon au sein de grandes institutions internationales comme le CERN qui a investi des dizaines de milliards de dollars dans un engin monstrueux de recherche strictement fondamentale à la recherche du boson de Higgs ou des raies spectrales de l’antiproton. Tout le monde s’en moque et le boson de Higgs ne changera pas le quotidien de l’homme de la rue.

Dans les laboratoires de recherche universitaires français c’est toujours la plus rétrograde des idéologies qui persiste. Il ne faut pas fricoter avec les industriels, c’est mal vu, c’est déontologiquement répréhensible. C’est ce que viennent de dénoncer des « chercheurs » de l’INRA de Nice : une collusion flagrante entre l’industrie et la recherche. Ils – le dénommé Thomas Guillemaud en tête, directeur du laboratoire Agrotech de Sophia-Antipolis – dénoncent la « collaboration » contre nature entre les chercheurs en agro-biologie et l’industrie en se focalisant sur les plantes génétiquement modifiées pour exprimer la toxine Bt, un sujet que j’ai à de nombreuses reprises abordé dans ce blog.

J’ai moi-même, en tant que chercheur au CNRS été traité de « collabo » par mes collègues universitaires quand j’ai osé accepter de travailler au sein du laboratoire de transgénèse végétale du Groupe Rhône-Poulenc. J’ai bénéficié du confort incroyable des équipements et des crédits alloués pour pouvoir poursuivre mes travaux sur par exemple la biosynthèse des vitamines dans les plantes, un sujet qu’il aurait été hors de question d’aborder dans un laboratoire universitaire en raison du coût exorbitant de ces recherches.

Il s’est trouvé que je me suis retrouvé en conflit avec le département marketing de RPA (Rhône-Poulenc Agrochimie) lorsque j’ai découvert fortuitement le mécanisme d’action alors inconnu d’un pesticide qui constituait une part substantielle des revenus de cette société. À l’époque le CNRS m’a interdit de publier les résultats de mes travaux alors que j’étais tenu de prouver par mes publications scientifiques que je travaillais activement … J’étais membre du personnel du CNRS et je travaillais dans un centre de recherche privé, je devais donc respecter les règles de confidentialité de l’industriel, rien de plus normal.

Thomas Guillemaud s’insurge dans un article paru dans le journal PlosOne du fait que de nombreux scientifiques impliqués dans la transgénèse végétale soient financés par l’industrie. Ce monsieur est complètement en dehors de la réalité, c’est un idéologue rétrograde, probablement affilié à Greenpeace ou je ne sais quelle autre organisation écolo opposée aux OGMs. C’est tout simplement déplorable de lire un tel pamphlet pourtant publié dans une revue à comité de lecture de portée internationale …

Source : La Tribune de Genève (illustration) et PlosOne, doi : 10.1371/journal.pone.0167777

Note : pour rappel le Groupe Rhône-Poulenc, un des fleurons de l’industrie française, leader mondial dans de nombreux domaines de la chimie fine (je pense aux terres rares) ou de la biologie a été démantelé et vendu par appartements par Monsieur Jean-René Fourtoux en raison des conséquences désastreuses de sa nationalisation par François Mitterand. Aujourd’hui il n’y a plus de chimie française, il n’y a plus d’industrie textile française quant à l’agrochimie française qui était leader mondial dans son domaine, elle a disparu au profit de Bayer …

OGMs (1), l’odeur du triomphe de la papaye transgénique

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Il y a une vingtaine d’années les producteurs de papaye d’Hawaï vivaient de graves incertitudes pour leur avenir car les papayers étaient décimés les uns après les autres par un virus pas seulement pathogène pour le papayer mais également dévastateur pour les cucurbitacées, melons, pastèques, cornichons et autres courges. Le virus est transmis par les pucerons et le seul moyen de protéger un verger de papayer est d’utiliser des quantités massives d’insecticides afin d’exterminer jusqu’au dernier puceron pour prévenir l’extension de ce virus. Lorsque l’on mange un quartier de papaye (ou éventuellement de melon) on est pratiquement certain, si la peau du fruit n’est pas uniformément jaune et présente des taches circulaires vertes (ringspot, d’où le nom anglais de ringspot virus) que le fruit et la plante sont infestés par le virus.

Inspiré par des travaux réalisés par la société Monsanto sur la résistance aux virus le Docteur Dennis Gonsalves de la Cornell University eut l’idée de faire exprimer par le papayer la protéine de l’enveloppe du virus dans le but de perturber sa multiplication après une infestation par un puceron. Ça se passait au milieu des années 1990 et Monsanto, qui n’était pas intéressé par cette technique car les retombées économiques attendues étaient négligeables, céda la licence de l’utilisation de ses constructions d’acides nucléiques utilisées au cours de la transgénèse à l’Université de Cornell à un groupement de fermiers hawaiiens. L’idée de Gonsalves se révéla immédiatement efficace sans modifier les propriétés organoleptiques des papayes, les papayers étaient devenus résistants au virus, ils avaient été en quelque sorte « vaccinés ». Les fermiers reçurent des semences transgéniques gratuitement et depuis lors les papayers d’Hawaii sont en bonne santé, il y a toujours le virus et des pucerons mais la plante est devenue résistante.

L’histoire ne s’est pas déroulée aussi simplement qu’on pourrait le croire car des activistes écologistes opposés aux plantes transgéniques commencèrent immédiatement leur travail de sape idéologique. Malgré le fait que depuis que l’archipel produit des papayes transgéniques personne ne s’est trouvé incommodé par la présence de la protéine du virus alors que la plante est toujours infestée mais sans symptômes par ce virus, les écologistes ont répandu le doute et la papaye transgénique faillit être interdite à Hawaii. L’un des arguments des écolos, puisque le monde scientifique et les régulateurs (FDA) avaient prouvé qu’il n’y avait aucun risque pour la santé des consommateurs, fut que ce gène pouvait être transmis à d’autres virus en créant alors un nouveau virus encore plus pathogène. Greenpeace organisa la destruction de plantations expérimentales de papayers organisées par l’Université d’Hawaii arguant qu’il s’agissait de « pollution génétique » et qu’aucune étude sérieuse n’avait été réalisée pour prouver l’innocuité de cette transformation génétique sur la santé humaine.

Tous les arguments, y compris les plus rocambolesques, furent utilisés pour terroriser la population. Un article paru en 2002 incriminait une similitude entre la protéine du virus exprimée par le papayer transgénique et un facteur qui augmentait la production d’une immunoglobuline E ce qui pouvait constituer un danger pour la santé ( http://www.biomedcentral.com/1472-6807/2/8 ). Sur les 280 amine-acides de la protéine virale seulement une séquence de 6 amino-acides consécutifs coïncidait avec l’allergène stimulant la fameuse immunoglobuline E qui se trouvait être une protéine sécrétée par l’oxyure, un parasite intestinal commun, c’est dire à quel point l’argument était tarabiscoté ! Il n’en fallut pas plus pour affirmer haut et fort que la papaye transgénique pouvait déclencher des réactions allergiques. La même méthodologie fut utilisée pour déterminer si la toxine Bt exprimée par le maïs ou le coton (à l’époque, c’est-à-dire en 2002) risquait d’être allergène. On trouva également des analogies de séquence entre la toxine Bt et pas moins de 50 protéines du maïs ! Ces analogies se retrouvaient sur des portions de séquences de 6 amino-acides. Mais au delà de séquences de 8 amino-acides consécutifs aucune analogie ne put être établie. Cet article concluait que ce type de recherche était fallacieux et qu’il ne pouvait en aucun cas alimenter la polémique sur d’éventuelles propriétés allergènes nouvelles après introduction d’un gène étranger dans une plante. Les conséquences structurales de ce type d’analogies ne présentaient aucune signification biologique susceptible d’être sérieusement retenue ( http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12218366 ).

Ces activistes ont sciemment ignoré un article paru à peu près au même moment qui déniait tout effet allergène de la protéine du parasite intestinal démontant ainsi l’argumentation hautement fallacieuse développée à dessein pour discréditer la papaye transgénique ( http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC130290/ ).

Greenpeace n’en resta pas là et organisa une campagne de dénigrement, cette fois en Thaïlande, allant jusqu’à saccager en 2004 une plantation de papayers transgéniques en considérant qu’ils s’agissait d’une véritable « bombe à retardement ». Toutes ces actions spectaculaires et médiatisées, c’est là la spécificité de Greenpeace, n’avaient aucune justification scientifique rigoureuse. Les fermiers hawaiiens, qui entrevoyaient un espoir de survie avec le papayer transgénique, se trouvèrent confrontés à un nouvel ennemi : la mouvance écologiste !

Entre 2006 et 2010, une série d’études contredit les affirmations sans fondement scientifique avancées par Greenpeace : aucun allergène ne put être identifié en établissant une recherche sur 8 amino-acides consécutifs. Il fut également démontré que cette protéine était clivée en quelques secondes dans l’estomac. De plus les papayes non transgéniques et présentant les symptômes caractéristiques d’une attaque par le ringspot virus contenaient jusqu’à 8 fois plus de protéine virale que les papayes issues de papayers transgéniques résistant au virus.

Le Japon autorisa la culture de la papaye transgénique en 2011 considérant qu’il n’y avait aucun argument valable pour interdire cette culture (voir le lien en fin de billet) et la Chine suivit quelques mois plus tard.

Il faut donc se rendre à l’évidence que les pourfendeurs des OGMs n’ont que deux choix possibles : ou bien il leur faut reconnaître que leurs arguments n’ont aucune valeur scientifique et qu’ils se sont fourvoyés par pure idéologie ou alors ils persévèrent dans leur obscurantisme et continuent à semer la terreur apocalyptique que constituent les plantes transgéniques. Ces idéologues ont choisi de persévérer dans leur loufoquerie et poussèrent le Conseil de la plus grande île, Hawaii, à interdire le papayer transgénique. Pour mes lecteurs la ville d’Honolulu et Pearl Harbor se trouvent sur l’île d’O’ahu. Un membre de ce Conseil, une dénommée Margaret Wille, pourtant activiste anti-OGM bien connue, dut se rendre à l’évidence, il n’existait aucun argument objectif contre la culture du papayer transgénique à Hawaii, les récents travaux réalisés au Japon et en Chine le démontraient clairement. De plus elle reconnut que Monsanto n’avait rien à voir avec les papayers transgéniques et les arguments avancés par les agriculteurs qui ne traitaient plus leur culture avec des pesticides conforta sa décision d’exempter le papayer de l’interdiction des plantes transgéniques dans l’archipel. Margaret Wille opéra donc une sorte de reniement du dogme écologique consistant à classer les plantes transgéniques parmi des perturbateurs de la nature sans toutefois perdre la face car elle obtint l’interdiction de l’introduction dans l’archipel d’autres cultures génétiquement modifiées.

Son ami et collègue Jeffrey Smith, également membre du Conseil de l’île et écologiste notoire, persista dans ses idées et bien que n’ayant strictement aucune culture scientifique – sans faire d’humour – persista en listant dans une sorte de logorrhée délirante tous les inconvénients des OGMs. Il déclara que l’ARN introduit dans la papaye (sic, il ignorait donc à l’évidence tout des procédés de la transgénèse) pouvait perturber les gènes des consommateurs et que les protéines nouvelles étaient susceptibles de modifier l’immunité des êtres humains, qu’elles rendaient plus sensible aux virus du SIDA et de l’hépatite et qu’elles induisaient l’apparition de cancers pour cette raison. Il fut soutenu dans son discours par un agronome de l’Université, un dénommé Hector Valenzuela qui prétendit qu’aucune étude sérieuse n’avait été faite sur la santé humaine ou animale alors qu’à peine deux mois plus tôt une publication relatait l’absence d’effet sur les rats nourris avec des papayes, comme si la vraie science n’existait pas pour ces activistes empêtrés dans leur dogmatisme ( http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/jf305036x ). Smith et Valenzuela prétendirent que la FDA était noyautée par les sbires de Monsanto. Plus incroyable encore ces deux tristes individus prétendirent aussi que parmi les messages révélés par Wikileaks figuraient des instructions précises à destination des régulateurs japonais émanant du gouvernement américain pour faire approuver la papaye transgénique au Japon. Jamais ce dernier point n’a pu être confirmé par les analyses scrupuleuses des dépêches et messages révélés par Wikileaks.

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Aujourd’hui, dans les magasins de fruits et légumes on trouve des papayes transgéniques avec un label qui précise seulement que ces fruits ont été artificiellement modifiés pour permettre de réduire l’usage de pesticides par les agriculteurs mais on omet de dire que ces fruits ne présentent aucune différence nutritionnelle par rapport aux fruits non modifiés. Finalement, pour conclure cette sombre histoire, les écologistes ont réussi à semer le doute dans l’esprit des consommateurs sans jamais apporter de preuves irréfutables à l’appui de leurs arguments pour la simple raison qu’il n’y en a pas … Le doute persiste et c’est là que réside l’effet hautement néfaste de ces organisations qui nient ouvertement la vraie science, celle qui n’est pas prisonnière de l’idéologie et de la politique.

Source : adapté d’un article paru dans Slate.com, illustrations Wikipedia et Slate.

http://gain.fas.usda.gov/Recent%20GAIN%20Publications/Japan%20approved%20GM%20papaya_Tokyo_Japan_12-19-2011.pdf