Pourquoi notre cerveau est le plus gros et le plus complexe

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En 1924 Joséphine Salmons, la seule étudiante en anatomie de l’Université de Witwatersrand en Afrique du Sud, tous les autres étudiants étaient des hommes, alla comme chaque été surveiller les excavations d’une carrière de calcaire près de la ville de Taung qui appartenait à des amis de ses parents. C’était un peu son passe-temps favori et cette année-là elle ne fut pas déçue car elle trouva le crane complet d’un singe, peut-être, en tous les cas d’un ancêtre éloigné de l’homme, un simien que les propriétaires de la carrière avaient rapporté chez eux. Elle emmena ce fossile à son professeur, le Docteur Raymond Dart. Selon toute vraisemblance il s’agissait d’un enfant et Dart le nomma Australopithecus africanus, un ancêtre de l’homme, l’enfant de Taung. Les mesures du volume de son cerveau indiquaient que ce dernier était un peu plus gros que celui du chimpanzé, 400 grammes. Il fallut attendre les années 1950 pour considérer qu’effectivement cette découverte était considérable après de nombreuses découvertes d’autres fossiles d’hominidés en Afrique et en particulier dans la région des grands lacs. L’enfant de Taung a été ultérieurement daté et aurait vécu il y a un peu plus de trois millions d’années.

Aujourd’hui on peut se faire une idée précise de la chronologie de l’évolution des hominidés. Les hominidés (nos ancêtres lointains) et les chimpanzés y compris leurs cousins proches les bonobos ont divergé d’un ancêtre commun il y a environ 7 millions d’années. Il fallut attendre 4 millions d’années pour assister au début d’une augmentation massive du volume du cerveau de notre ancêtre Homo sapiens qui tripla de volume en moins de 3 millions d’années. L’homme moderne tel que nous le connaissons aujourd’hui n’apparut qu’il y a 200000 ans.

Par quel processus le cerveau de ces créatures qui allaient devenir des hommes a-t-il pu quadrupler en volume, passant de 350 à plus de 1300 grammes ? De plus parmi tous les mammifères y compris les éléphants et les mammifères marins qui ont un cerveau notoirement plus volumineux que celui de l’homme, ce dernier reste champion toutes catégories pour le nombre de neurones. Le cerveau d’un éléphant possède 5,6 milliards de neurones dans le cortex alors que celui de l’homme en rassemble dans la même zone cérébrale 16,3 milliards. Même les gorilles et les chimpanzés font pâle figure puisqu’ils possèdent respectivement 9 et 6 milliards de neurones corticaux.

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Il aura fallu attendre la révolution récente de la génétique moléculaire pour comprendre cette évolution particulière du cerveau humain. Bien que le cerveau représente 2 % du poids d’un être humain, il consomme plus de 20 % de l’énergie dont dispose le corps, essentiellement sous forme de glucose. Si on fait un bilan énergétique chez le chimpanzé, on découvre que le cerveau de ce primate consomme, rapporté à son poids, moitié moins d’énergie que celui de l’homme. Ces observations ont conduit à formuler l’hypothèse d’une redistribution de l’énergie en faveur du cerveau au cours de l’évolution de l’homme et au détriment des autres organes dont en particulier le tube digestif et les muscles. Au sujet des muscles, il est évident que le chimpanzé possède une musculature beaucoup plus développée que celle de l’homme, mais pour le système digestif la seule explication permettant d’éventuellement confirmer cette hypothèse est le régime alimentaire que développa et diversifia l’homme au cours de l’évolution. La cuisson (on considère que l’homme a inventé le feu il y a plus de 500000 ans) a favorisé cette redirection de l’énergie vers le cerveau en facilitant la digestion et donc en réduisant l’apport en énergie vers le système digestif. L’invention d’outils et d’armes pour faciliter la chasse a également contribué à réduire l’apport en énergie vers les muscles. Enfin, l’homme a très vite diversifié son régime alimentaire.

Encore fallait-il expliciter par des faits ces hypothèses et c’est ce qui a été rendu possible avec la biologie moléculaire en étudiant des cerveaux de primates et d’hommes et en quantifiant l’expression des gènes impliqués dans le transport du glucose. En effet les gènes codant pour les systèmes de transport du glucose vers le cerveau et les muscles sont différents et il a été possible de différencier entre les chimpanzés et l’homme l’expression de ces gènes. Il se trouve que le système de transport du glucose vers le cerveau est trois fois plus exprimé chez l’homme que chez le chimpanzé et à l’inverse plus d’une fois et demi plus exprimé chez le chimpanzé pour les muscles alors qu’il n’y a pas de différence au niveau du foie.

Mais il n’y a pas seulement le glucose. Une étude portant sur près de 1000 métabolites différents (métabolome) a clairement montré qu’au niveau du cortex préfrontal la divergence entre les chimpanzés et l’homme ne pouvait pas s’expliquer par la simple dérive génétique mais surtout par l’évolution. Par exemple il n’y a pas ou peu de différence pour les reins mais au niveau du cortex préfrontal cette différence due à l’évolution est 7 fois plus élevée que celle de la simple dérive génétique en ce qui concerne les profondes modifications de l’utilisation des petites molécules nécessaires à la croissance cellulaire. Qu’en est-il alors au niveau du développement embryonnaire du cerveau ?

L’approche a consisté à introduire chez la souris les gènes respectifs appelés HARE5 qui orchestrent le développement du cerveau provenant de l’homme et du chimpanzé et qui diffèrent de seulement 16 bases. Le résultat a été étonnant. Au bout de 9 jours de développement embryonnaire, il était déjà évident que le gène humain accélérait la croissance du cortex cérébral en diminuant le temps de division des cellules neuronales de 12 à 9 heures avec au final un cerveau 12 % plus gros que celui obtenu en présence de l’HARE5 de chimpanzé. Cette approche expérimentale était encore impossible il y a seulement dix ans. Le début de la divergence du gène HARE5 a pu être approximativement datée comme ayant eu lieu il y a 6 millions d’années … Il aura fallu encore près de trois millions d’années de dérive génétique pour aboutir à cet accroissement du volume du cerveau humain !

Pour conclure, l’évolution du cerveau vers une plus grande taille et une plus grande complexité est la résultante de plusieurs facteurs, alimentation et dérive génétique, qui nous différencient de nos cousins les singes.

Source et liens :

https://www.quantamagazine.org/20151110-evolution-of-big-brains/

http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fnana.2014.00077/full

http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1001871

Illustrations : Quantamagazine