Voici un message envoyé à un commentateur du blog « franckinjapan » dont je suis lecteur assidu !
Ce texte aura au moins pour mérite de mieux me présenter à mes lecteurs (s’il y en a) …
Cher Monsieur,
à moi aussi de me présenter brièvement. Universitaire 100/100, doctorat de chimie, doctorat d’Etat de biologie (enzymologie), post-doc de UCLA et du Salk Institute. Outre mes années passées à l’université de Lyon, j’ai travaillé trois ans au sein d’une division d’EDF international pour d’abord évaluer des milliers de brevets « pondus » par les ingénieurs d’EDF dans tous les domaines. On avait fait appel à mes compétences (que j’ignorais à l’époque) pour cette évaluation avec un regard dénué de l’esprit « maison ». Et sur 1500 brevets, j’en ai éliminé 1450 ! J’ai, après ce travail harassant collaboré à la valorisation des technologies EDF développées dans le nucléaire (pilotage de la puissance des réacteurs, dispositifs de sécurité innovants (déjà à l’époque), robotique « genuine » exigée par notamment la CGT dont je salue au passage la constance dans l’amélioration de la sécurité des centrales nucléaires, puis j’ai réintégré l’université et j’ai, après avoir exploré les secrets de l’embryon humain, bifurqué vers la biologie végétale dans un centre de recherches de Rhône-Poulenc. C’était l’époque des balbutiements des recherches sur l’embryon humain mais ces travaux étaient déjà très mal vus et interdits, ce qui m’a amené à travailler sur les épinards puis les pesticides mais je n’ai été que spectateur de la création de plantes génétiquement modifiées, pourtant l’un des principaux axes de recherche du laboratoire dans lequel j’évoluais. J’ai toujours été un chercheur marginal, plutôt innovant (si je peux me permettre de me juger moi-même) mais jamais reconnu comme tel car peu respectueux de ma hiérarchie et des impératifs de rentabilité jugée au nombre de publications dans des revues à comité de lecture internationales. A 53 ans, en conflit avec ma direction à propos de la découverte du mode d’action d’un fongicide, j’ai démissionné du CNRS et je suis parti aussi loin que possible de la France, c’est-à-dire au Vanuatu. De toutes les manières, je n’avais pas assez travaillé pour prétendre avoir le prix Nobel !
Pour en venir à votre billet laissé à mon fils, je suis allé le réconforter à Tokyo quelques jours après le tsunami du 11 mars de cette année pour deux raisons : d’abord, tout au long de ma carrière scientifique j’ai utilisé de nombreux radio-isotopes plutôt moins dangereux que certains réactifs chimiques et mon expérience des centrales nucléaires (j’en ai visité une douzaine en France et une en Virginie, y compris Super-Phénix) m’a permis de relativiser aux yeux de mon fils et aussi de ma belle-fille japonaise les dangers de la radioactivité. Pour ce faire, j’a rappelé à mon fils que je me suis contaminé sérieusement avec du C14, naturellement sans le vouloir, j’ai utilisé des quantités loin d’être négligeables de phosphore 32 (émetteur beta énergétique) et aussi et surtout, c’était l’angoisse des Japonais à ce moment-là, je me suis sérieusement contaminé avec de l’iode 125 (émetteur gamma et X puissant) à deux reprises malgré un respect scrupuleux des protocoles en vigueur. De même que je me suis contaminé en faisant visiter les bâtiments réacteurs des centrales de Bugey ou de Tricastin lors des arrêts pour rechargement en combustible (probablement d’infimes particules de césium) mais je suis toujours bien vivant. A propos de la radioactivité naturelle ou artificielle, mon épouse, alors enceinte de mon fils aîné, puis de ma fille, et préparant sa thèse de génétique qu’elle n’a jamais soutenu, travaillait avec du tritium, un radio-isotope plutôt peu dangereux, dans un local jouxtant une chambre froide où se trouvait une source de fer 59 (très puissant émetteur gamma) pourtant protégée dans un château de plomb conforme aux normes. Une inspection de sécurité a montré que les rayons gamma émis par cette source traversaient le château de plomb et le mur de béton de la chambre froide sans que jamais personne ne s’en soit soucié. Mon fils aîné n’en a apparemment pas souffert puisqu’il est maintenant un éminent professeur au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris et ma fille qui a subi comme son frère aîné cette irradiation permanente est agrégée et docteur en mathématiques et enseigne cette matière en MPSI au lycée Louis Le Grand !!!
En ce qui concerne le transport d’électricité, je suis entièrement de votre avis à propos de son maillage (surtout les lignes 700 kV) mais la structure de ce réseau est une conséquence directe de l’implantation géographique des centres de production et est donc inévitable. Je voudrais tout de même insister sur le fait que la France est le seul pays du monde qui module la puissance des réacteurs nucléaires (90 +/- 10 %), d’une part, et est, d’autre part, le seul pays du monde qui exploite à grande échelle le stockage de l’électricité, contrairement aux idées reçues, notamment par les écologistes, en pompant de l’eau dans des barrages d’altitude, y compris dans les Vosges. La perte induite au cours de cette opération est de l’ordre de 8 % due aux frottements et à l’efficacité des pompes et des turbines, comme approximativement la perte du transport qui est, elle, une conséquence directe et incontournable de la loi d’Ohm. Mais je vous rappelle que les raffineries de pétrole « sacrifient » 10 à 15 % du pétrole brut in situ pour le raffiner et le cracker et produire leur propre électricité et cette situation serait bien pire si on revenait à la vieille technique de gazéification du charbon !
Comme vous avez pu le comprendre, je suis intimement convaincu de la nécessité du nucléaire pour la fourniture d’électricité car il est monstrueux de brûler du pétrole pour cette utilisation, sachant que le pic pétrolier est déjà derrière nous. Quant au charbon, il est bon de rappeler que plus de 20 000 mineurs chinois meurent chaque année dans les mines, que les Allemands défigurent les campagnes de Rhénanie, détruisent des villages entiers pour extraire la lignite afin de produire, avec naturellement l’approbation des écologistes, de l’électricité et ils en extrairont encore plus dans les années à venir puisque le parc électro-nucléaire est condamné à disparaître à la suite de décisions politiques à court terme, électoralistes et irresponsables. De ce fait l’Allemagne, qui ose donner des leçons d’environnement à ses voisins, est le plus gros pollueur de l’Europe. Pour sauvegarder son image de « green », le gouvernement allemand a développé un parc d’éoliennes considérable mais le réseau de transport électrique n’est pas adapté, et ne pourra jamais l’être car le vent est une ressource énergétique aléatoire (comme le soleil pour le photo-voltaïque) ce qui interdit des investissements lourds dans les lignes de transport pourtant nécessaires pour transporter cette énergie vers le sud de l’Allemagne en raison de ce caractère aléatoire.
La situation atypique de la France résulte de la volonté politique visionnaire du Général de Gaulle d’affranchir le pays de la dépendance énergétique à la suite de la crise de Suez mais aussi parce que la France était et est encore relativement riche en uranium sur le pourtour du Massif Central, indépendamment de la demande militaire pour le plutonium (c’est un autre débat et à ma connaissance l’armée française n’est plus cliente d’Areva pour la fourniture de plutonium). Il en a résulté la situation actuelle de production électro-nucléaire française unique au monde, à part peut-être la Belgique qui vient de décider, bien à tort à mon avis (personnel et que je ne partage qu’avec moi-même) de mettre fin à cette production d’électricité. Cependant, et c’est encore un avis personnel, l’orientation PWR monolithique de la France, sous la pression de Framatome puis maintenant d’Areva est préjudiciable car l’activité même d’Areva interdit toute exploration et développement d’un prototype fonctionnant avec des fluorures fondus de thorium, à mon avis la seule filière d’avenir pour la production d’électricité si nous ne voulons pas que nos petits-enfants vivent dans la misère et soient soumis à des conditions climatiques insupportables. L’Inde, la Chine, et même la Grande-Bretagne s’intéressent de très près à cette technologie, mais quid de la France ? Areva ne veut pas en entendre parler. Ce n’est qu’une décision politique visionnaire dans cette direction qui effacera le désastre du démantèlement de l’usine de Creys-Malville décidé par Jospin pour satisfaire un caprice de sa ministre néo-trotskyste madame Voynet …
Juste une remarque à propos de la centrale du Blayais que je connais pour l’avoir visitée. Cette installation ne présente aucun danger particulier et ses équipements de sécurité sont conformes aux normes, à ma connaissance. J’émettrais par contre des réserves au sujet de l’usine de Golfech dont la sécurité pourrait être dégradée en cas de crue séculaire de la Garonne, mais même dans cette situation extrême, envisagée par l’ASN, les équipements sont à l’abri d’un désastre du genre de Fukushima…