Le cas de l’île de Pâques méritait un petit billet complémentaire car il est plus complexe. S’il n’est pas encore très clair que les Polynésiens venus hypothétiquement de Taïwan aient rencontré des petits groupes d’Amérindiens déjà installés au moins dans l’île de Fatu-Hiva vers l’année 1150 de l’ère commune ou que la situation ait été inverse, c’est-à-dire que les Améridiens soient arrivés sur leurs radeaux de balsa alors que les Polynésiens n’étaient pas encore installés n’a en réalité que peu d’importance. La tradition polynésienne dit que les ancêtres étaient arrivés de l’est et non du nord et ceci serait en faveur d’une occupation de ces îles par les Amérindiens antérieure à l’arrivée des Polynésiens. Bref, ces derniers – les Polynésiens – occupèrent rapidement tout l’archipel des Tuamotu jusqu’aux îles Gambier dont Mangareva, une île située à 2650 kilomètres au nord-ouest de l’île de Pâques.
Les premiers occupants de cette île arrivèrent de Mangareva vers l’année 1200 portés par les vents d’ouest. Ces navigateurs savaient qu’il s’agissait d’un voyage sans retour. Ils découvrirent une île couverte d’arbres de haute tige dont en particulier des palmiers. Ces Polynésiens portaient déjà dans leur génome l’empreinte génomique amérindienne. Et c’est ce qui a complexifié l’analyse génomique des quelques 166 génomes parmi les descendants de ces populations primitives de l’île. En effet, l’île de Pâques était déjà dénudée de tout arbre lorsque les premiers européens arrivèrent du Chili en 1722. Ces Européens avaient déjà subi un brassage génétique par croisement avec les populations amérindiennes sur le continent sud-américain lui-même.
Ceci explique la complexité de l’analyse génétique des Pascuans d’aujourd’hui. Néanmoins il a été possible de faire une distinction entre les individus avec une forte ascendance européenne et ceux ayant au contraire une faible ascendance européenne. Ce fut presque un hasard car la population de l’île de Pâques fut sur le point de disparaître totalement puisqu’en 1862 puis en 1863 des chasseurs d’esclaves péruviens s’emparèrent de la moitié de la population de Rapa Nui, les rescapés, à peine une centaine, purent à nouveau repeupler l’île avec le retour d’autres Pascuans de souche qui avaient choisi de s’expatrier, de gré ou de force on ne sait pas trop, entre 1865 et 1871 avec l’aide de missionnaires pour travailler dans les plantations de cocotiers de Tahiti appartenant à la famille royale Pomaré. Ils avaient fui l’île de Pâques sur des goélettes capables de remonter le vent contrairement aux radeaux qui en étaient incapables dans le but de fuir les Péruviens.
Paradoxalement ce sont donc les Polynésiens, devenus Français, qui favorisèrent le repeuplement de Rapa Nui, île devenue chilienne en 1888, lorsque le calme fut rétabli sur l’île de Pâques, avec le retour progressif de ces Pascuans et de leur descendance depuis Tahiti.
L’étude des génomes de ces 166 habitants actuels de l’île de Pâques a donc permis de faire cette distinction génétique mentionnée plus haut et les résultats obtenus sont d’un intérêt incontestable. Ces représentations indiquent la fréquence des homologies de séquence exprimées par leur nombre (count) en fonction d’une longueur métrique proportionnelle à la dérive génétique. Cette dérive est ici exprimée en nombre de générations considérées d’une durée de 30 ans. Pour les Pascuans sans ancêtres d’origine européenne on retrouve l’évènement de brassage génétique vers l’année 1380 de l’ère commune entre Amérindiens, en vert, et Polynésiens, en bleu. Pour les individus de Rapa Nui montrant une forte présence d’ancêtres d’origine américaine les analyses génomiques ont montré un événement de brassage génétique entre des Amérindiens (en vert) et des Européens (en rouge) vers 1720, à peu près lorsque les premiers européens arrivèrent à Rapa Nui, puis un autre événement de brassage génétique vers 1860 cette fois-ci avec des Polynésiens (bleu), brassage qui eut lieu probablement à Tahiti entre les Tahitiens et ces Pascuans qui étaient considérés non pas comme des esclaves mais des compatriotes puisqu’ils s’exprimaient dans une langue proche de celle parlée à Mangareva et comprise par les Tahitiens.
Aujourd’hui la population de l’île de Pâques comprend un peu moins de 6000 personnes dont 40 % sont d’origine chilienne. Tous les Pascuans aussi appelés « Rapa Nui » d’aujourd’hui se réclament des 111 survivants que comptait l’île en 1877 et qui n’eurent que 36 descendants. Les travaux présentés en deux billets successifs sur ce blog remettent donc en cause cette affirmation. Cette étude génomique très sophistiquée a donc mis en évidence une totale incompréhension de l’histoire de la part du Chili, à dessein, je ne sais pas … Ces nouvelles techniques d’investigation presque policières réservent encore de nombreuses surprises encore faut-il établir un parallèle objectif entre l’histoire et cette science fantastique qu’est l’analyse du génome humain, ce qui n’a pas été abordé dans cet article d’une surprenante qualité. Je ne manquerai pas de faire part de mes remarques au principal auteur de ces travaux … Pour les liens voir le précédent billet à ce sujet.