Le cas du peuplement de l’île de Pâques

Le cas de l’île de Pâques méritait un petit billet complémentaire car il est plus complexe. S’il n’est pas encore très clair que les Polynésiens venus hypothétiquement de Taïwan aient rencontré des petits groupes d’Amérindiens déjà installés au moins dans l’île de Fatu-Hiva vers l’année 1150 de l’ère commune ou que la situation ait été inverse, c’est-à-dire que les Améridiens soient arrivés sur leurs radeaux de balsa alors que les Polynésiens n’étaient pas encore installés n’a en réalité que peu d’importance. La tradition polynésienne dit que les ancêtres étaient arrivés de l’est et non du nord et ceci serait en faveur d’une occupation de ces îles par les Amérindiens antérieure à l’arrivée des Polynésiens. Bref, ces derniers – les Polynésiens – occupèrent rapidement tout l’archipel des Tuamotu jusqu’aux îles Gambier dont Mangareva, une île située à 2650 kilomètres au nord-ouest de l’île de Pâques.

Les premiers occupants de cette île arrivèrent de Mangareva vers l’année 1200 portés par les vents d’ouest. Ces navigateurs savaient qu’il s’agissait d’un voyage sans retour. Ils découvrirent une île couverte d’arbres de haute tige dont en particulier des palmiers. Ces Polynésiens portaient déjà dans leur génome l’empreinte génomique amérindienne. Et c’est ce qui a complexifié l’analyse génomique des quelques 166 génomes parmi les descendants de ces populations primitives de l’île. En effet, l’île de Pâques était déjà dénudée de tout arbre lorsque les premiers européens arrivèrent du Chili en 1722. Ces Européens avaient déjà subi un brassage génétique par croisement avec les populations amérindiennes sur le continent sud-américain lui-même.

Ceci explique la complexité de l’analyse génétique des Pascuans d’aujourd’hui. Néanmoins il a été possible de faire une distinction entre les individus avec une forte ascendance européenne et ceux ayant au contraire une faible ascendance européenne. Ce fut presque un hasard car la population de l’île de Pâques fut sur le point de disparaître totalement puisqu’en 1862 puis en 1863 des chasseurs d’esclaves péruviens s’emparèrent de la moitié de la population de Rapa Nui, les rescapés, à peine une centaine, purent à nouveau repeupler l’île avec le retour d’autres Pascuans de souche qui avaient choisi de s’expatrier, de gré ou de force on ne sait pas trop, entre 1865 et 1871 avec l’aide de missionnaires pour travailler dans les plantations de cocotiers de Tahiti appartenant à la famille royale Pomaré. Ils avaient fui l’île de Pâques sur des goélettes capables de remonter le vent contrairement aux radeaux qui en étaient incapables dans le but de fuir les Péruviens.

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Paradoxalement ce sont donc les Polynésiens, devenus Français, qui favorisèrent le repeuplement de Rapa Nui, île devenue chilienne en 1888, lorsque le calme fut rétabli sur l’île de Pâques, avec le retour progressif de ces Pascuans et de leur descendance depuis Tahiti.

L’étude des génomes de ces 166 habitants actuels de l’île de Pâques a donc permis de faire cette distinction génétique mentionnée plus haut et les résultats obtenus sont d’un intérêt incontestable. Ces représentations indiquent la fréquence des homologies de séquence exprimées par leur nombre (count) en fonction d’une longueur métrique proportionnelle à la dérive génétique. Cette dérive est ici exprimée en nombre de générations considérées d’une durée de 30 ans. Pour les Pascuans sans ancêtres d’origine européenne on retrouve l’évènement de brassage génétique vers l’année 1380 de l’ère commune entre Amérindiens, en vert, et Polynésiens, en bleu. Pour les individus de Rapa Nui montrant une forte présence d’ancêtres d’origine américaine les analyses génomiques ont montré un événement de brassage génétique entre des Amérindiens (en vert) et des Européens (en rouge) vers 1720, à peu près lorsque les premiers européens arrivèrent à Rapa Nui, puis un autre événement de brassage génétique vers 1860 cette fois-ci avec des Polynésiens (bleu), brassage qui eut lieu probablement à Tahiti entre les Tahitiens et ces Pascuans qui étaient considérés non pas comme des esclaves mais des compatriotes puisqu’ils s’exprimaient dans une langue proche de celle parlée à Mangareva et comprise par les Tahitiens.

Aujourd’hui la population de l’île de Pâques comprend un peu moins de 6000 personnes dont 40 % sont d’origine chilienne. Tous les Pascuans aussi appelés « Rapa Nui » d’aujourd’hui se réclament des 111 survivants que comptait l’île en 1877 et qui n’eurent que 36 descendants. Les travaux présentés en deux billets successifs sur ce blog remettent donc en cause cette affirmation. Cette étude génomique très sophistiquée a donc mis en évidence une totale incompréhension de l’histoire de la part du Chili, à dessein, je ne sais pas … Ces nouvelles techniques d’investigation presque policières réservent encore de nombreuses surprises encore faut-il établir un parallèle objectif entre l’histoire et cette science fantastique qu’est l’analyse du génome humain, ce qui n’a pas été abordé dans cet article d’une surprenante qualité. Je ne manquerai pas de faire part de mes remarques au principal auteur de ces travaux … Pour les liens voir le précédent billet à ce sujet.

L’incroyable voyage des Amérindiens vers la Polynésie

Lorsque je me trouvais dans ce petit hôtel de Taioae, le seul village de l’île de Nuku-Hiva, dans la partie nord de l’archipel des Marquises attendant l’Aranui, le bateau assurant le ravitaillement des îles depuis Tahiti, pour me rendre dans l’île de Fatu-Hiva au sud de cet archipel paradisiaque, un Américain arriva à bord de son voilier en provenance de Puerto-Vallarta au Mexique, le dernier port où il avait fait le plein d’eau douce, de carburant et de nourriture pour affronter la traversée du Pacifique, plus de 5000 kilomètres. Il fallait un peu de carburant pour traverser le redoutable « pot-au-noir » de l’Equateur où ne coexistent ni courants ni vents. Cet Américain, ophtalmologiste de son état, exerçant dans une clinique réputée de Boston s’en était sorti sans trop de problèmes car il avait profité d’alizés d’une force inattendue lui ayant permis d’arriver jusqu’à cette île entourée d’eau sur une distance de près de 5000 km à l’est, au nord et à l’ouest. Il avait parcouru exactement le chemin que des Amérindiens Zapotec avaient emprunté au milieu du XIIe siècle et au cours du XIIIe siècle de l’ère commune à bord d’embarcations en balsa, avides de découvrir des terres nouvelles. Ces Amérindiens étaient parti avec des vivres, probablement en famille, vers l’ouest, ignorant tout de l’immensité de l’Océan Pacifique. Mais comment affirmer que ce récit n’est pas une fiction ?

Les techniques de séquençage de l’ADN n’ont pas fini de réserver des surprises et des travaux réalisés à l’Université de Mexico viennent encore une fois de le montrer. Il s’agit de cette découverte extraordinaire prouvant que bien avant l’arrivée des Occidentaux en Polynésie des Amérindiens, et pas seulement des Zapotec, sont arrivés dans diverses îles de cet immense archipel français et également à Rapa Nui, l’île de Pâques, mais dans ce cas particulier il s’agit une histoire plus compliquée également élucidée par ces mêmes travaux sur laquelle je reviendrai.

Le séquençage de l’ADN permet d’évaluer quel est la teneur en gènes ou parties non codantes provenant d’une ethnie ou d’une autre. Par exemple si on étudie la séquence d’ADN d’un natif de l’île de Mangareva dans les Gambier au sud-est de Tahiti il est possible de dire sans ambiguïté quel pourcentage d’ADN d’origine européenne a été introduit dans celui d’origine polynésienne. De plus l’horloge moléculaire définie comme le nombre de mutations ponctuelles accumulées sur une portion d’ADN, nombre considéré comme constant au cours du temps, permet de préciser quand cette introduction d’ADN « étranger » a eu lieu dans la descendance d’un couple mixte. On parle alors de brassage génétique (genetic admixture en anglais) et la quantification de ce brassage ne peut se faire qu’à l’aide de puissants ordinateurs. En effet, traiter des centaines de séquences complètes de génomes de plusieurs milliards de paires de bases chacune est impossible à faire manuellement.

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Pour mener à bien cette étude dirigée par le Professeur Andrés Moreno-Estrada de l’Université de Mexico à Irapuato au Mexique, plusieurs centaines de génomes complets (disponibles sur des banques de données internationales) ont été étudiés et le brassage génétique précisément quantifié. Le problème est compliqué par la présence de gènes d’origine européenne aussi bien chez les Amérindiens d’Amérique centrale et du sud que chez les Polynésiens, brassages datant du XVe siècle pour les Amérindiens et du début du XIXe siècle pour les Polynésiens. Néanmoins, en comparant tous les génomes disponibles l’étude a fait ressortir la présence de gènes de Mapuche (Chili), de Zapotec (Mexique) chez les Polynésiens des îles Marquises du Nord (Nuku-Hiva), du Sud (Fatu-Hiva), des Tuamotu du Nord (Palliser) et du Sud (Mangareva, îles Gambier) qu’à Rapa Nui (île de Pâques) illustration ci-dessus (source Nature, https://doi.org/10.1038/s41586-O20-2487-2 ). Les Polynésiens ayant la peau noire la présence de gènes d’origine africaine ou mélanésienne (Vanuatu, les Mélanésiens ont également la peau noire) n’a pas pu être détectée.

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On arrive enfin aux résultats étonnants fournis par l’horloge moléculaire dont il était fait mention plus haut. Les Amérindiens Zapotec du Mexique sont arrivés dans les Marquises du Sud (Fatu-Hiva) vers 1150 de l’ère commune suivis par les Amérindiens Zenu de la côte pacifique de Colombie à Nuku-Hiva (Marquises du Nord) vers 1200 de l’ère commune. Ces voyageurs au long cours ont probablement apporté avec eux la patate douce et la calebasse, originaires d’Amérique centrale et du nord de l’Amérique du sud. Les Amérindiens Zenu ont également apporté leur art de sculpteurs. Les Zenu faisaient partie de la culture San Agustin en Colombie. Le terme Zenu se réfère aux individus de cette ethnie amérindienne dont la séquence d’ADN a été utilisée dans cette étude. Il est intéressant de noter la similitude frappante entre les sculptures de la culture San Agustin et les tikis retrouvés par centaines aux îles Marquises au milieu de la forêt équatoriale :

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Enfin, ces travaux font ressortir l’extrême mobilité des Polynésiens qui ont poussé leurs expéditions maritimes jusqu’en Nouvelle-Zélande. Dans un prochain billet je présenterai l’étude détaillée relative à Rapa Nui figurant dans cet article cité en référence et aimablement communiqué par le Professeur Andrés Moreno-Estrada qui est vivement remercié ici.

Le cancer contagieux du chien : toute une histoire …

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La tumeur sexuellement transmissible du chien est un des quelques rares cancers contagieux qui soient connus. Pour cette tumeur génitale du chien, le mâle au niveau du pénis et la femelle au niveau de la vulve, on croyait qu’il pouvait s’agir d’un virus provoquant ce cancer qui se développe rapidement en forme de chou-fleur comme c’est le cas du cancer du col de l’utérus chez la femme provoqué par le HPV (human papilloma virus). De récentes études ont montré qu’il n’en est rien et que la transmission s’effectue via des cellules cancéreuses préexistantes.

Il s’agit de la plus vieille lignée cellulaire cancéreuse connue puisque son apparition est estimée remonter à plus de 11000 ans. Comme la domestication du chien par l’homme est considérée comme antérieure l’hypothèse la plus couramment admise est un goulot d’étranglement génétique dans l’évolution du chien lorsqu’il fut justement domestiqué par l’homme. C’est l’hypothèse qui expliquerait que le diable de Tasmanie soit également susceptible à un cancer contagieux.

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L’étude a concerné 449 tumeurs récoltées dans les 5 continents et l’étude du génome mitochondrial de ces tumeurs et de celui de 590 chiens également répartis dans le monde. Il est apparu que le groupe phylogénétique A (on dit clade) des cellules tumorales, bien que datant de 11000 ans selon la dérive génétique ou accumulation naturelle de mutations s’est scindé en 4 autres sous-clades au cours du temps mais relativement récemment comme l’indique la figure ci-dessous :

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En réalité il s’est produit un phénomène surprenant de transfert horizontal de portions de l’ADN mitochondrial de l’hôte de la tumeur créant ces sous-clades avec des réarrangements de cet ADN beaucoup plus facile à étudier que ceux de l’ADN nucléaire malgré le fait qu’il ne soit transmis que par la mère. Les clades 1 et 2 partagent un ancêtre commun depuis 460 ans alors que le nombre de mutations somatiques retrouvées dans le clade 2 est plus de deux fois inférieur. Ceci suggère bien un transfert horizontal entre l’ADN de l’hôte et les cellules tumorales. Le clade 3 divergea du clade 1 il y a 1244 ans alors que les clades 4 et 5 divergèrent de ce même clade 1 il y a respectivement 1690 et 585 ans. En se basant sur la dérive génétique de l’ADN mitochondrial humain les cellules tumorales canines toutes issues d’une première tumeur individuelle ont été soumises à des réarrangements génétiques par transfert horizontal au moins 5 fois durant les 2000 dernières années.

La répartition géographique des tumeurs (les couleurs des différents clades) est riche d’enseignements. Par exemple les chiens australiens souffrant de ce cancer n’ont été en contact avec un chien porteur qu’il y a au plus 116 ans quant aux tumeurs étudiées en Amérique Centrale et du Sud elles dérivent toutes d’un clone ne datant pas de plus de 511 ans soit 13 ans après le premier voyage de Christophe Colomb. La tumeur génitale du chien constituée de la plus vieille lignée cellulaire maligne connue est un exemple unique de recombinaison horizontale ayant permis aux cellules de « rajeunir » leur ADN mitochondrial au cours du temps, un mécanisme sélectif d’adaptation révélant des mécanismes biologiques inattendus qui sont apparus dans une ancienne lignée cellulaire qui, de ce fait, a survécu plus de 10000 ans.

Source et illustration : http://dx.doi.org/10.7554/eLife.14552

Le gros appétit des labradors : une mutation génétique !

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Dans les pays développés les chiens de compagnie font partie du quotidien, on peut même dire du paysage urbain. Il y a des dizaines de milliers de chiens dans les grandes villes et l’une des races de chiens les plus prisées est le labrador. Tous les propriétaires de labradors savent que leur animal de compagnie est un gros mangeur et qu’il lui arrive souvent de devenir obèse. L’obésité canine atteint d’ailleurs des proportions telles qu’on se demande s’il n’existe pas chez ces quadrupèdes un phénomène de mimétisme avec leurs maîtres. Cette obésité qui peut atteindre jusqu’à 60 % des chiens de certaines races, dont le labrador, est une résultante des modifications de la vie contemporaine – comme pour les humains – c’est-à-dire un manque d’exercices physiques et une nourriture trop riche et trop abondante.

L’aspect génétique de l’obésité est maintenant reconnu. Il en est ainsi du rôle d’une panoplie d’hormones dont les lipotropines. Ces hormones sont synthétisées par l’hypophyse sous forme d’une protéine précurseur, le POMC constituée de l’enchainement de 267 acides aminés qui, quand elle atteint les organes cibles, est coupée spécifiquement en morceaux faisant apparaître une série d’autres hormones et de peptides bioactifs comme les MSHs qui stimulent les mélanocytes de la peau. Les lipotropines régulent les mécanismes d’accumulation des graisses dans le tissu adipeux et apparaissent quand le POMC (acronyme de pro-opio-melanocortine) se fixe sur son récepteur et dans le cas des tissus adipeux il s’agit du MC4R. Les récepteurs de la mélanocortine sont en effet spécifiques des organes cibles. Dans le billet précédent relatif au vieillissement du visage, il s’agissait du MC1R, la forme dite « un » du récepteur.

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Dans cette étude relative aux labradors, le récepteur de la mélanocortine a été montré comme fonctionnant normalement, par contre une différence génétique a été mise en évidence entre les chiens « gros mangeurs » et/ou obèses et les chiens au comportement normal et plutôt maigres. Il s’agit d’une mutation du gène codant pour le POMC qui ne peut plus produire par clivage (flèches orientées vers le bas dans la figure ci-dessus) les deux formes de lipotropine ni la beta-endorphine, un peptide se liant au récepteur cérébral de la morphine et présentant un puissant rôle analgésique et apaisant.

Pourquoi alors le chien porteur de cette mutation a-t-il un appétit extravagant ? Peut-être parce qu’il est incapable de synthétiser la beta-endorphine et qu’il ne se sent pas rassasié après une grosse soupe, mais les auteurs de l’article paru dans Cell (voir le lien) ne le disent pas. Par contre la régulation défectueuse du métabolisme des graisses et l’appétit du chien sont corrélés à la présence de cette mutation. Chers lecteurs propriétaires d’un labrador, si votre chien vous déconcerte par son appétit, soyez indulgent car il y une forte probabilité qu’il soit porteur de cette mutation, une délétion de 14 paires de base au niveau du codon de l’acide aminé 187 de la séquence du POMC.

Note : La partie terminale en rouge est défectueuse et ne peut pas produire par clivages spécifiques les LPHs, la beta-MSH et la beta-endorphine.

Source : Cell, DOI : 10.1016/j.cmet.2016.04.012

Le vieillissement du visage : pas de traitement en vue

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Le « look » facial est l’un des plus importants arguments de marketing des cosméticiens. Mais la question est de connaitre les raisons pour lesquelles certaines personnes du même âge paraissent plus vieilles que d’autres. C’est ce à quoi se sont attaqués une équipe de biologistes de l’Université de Leiden sponsorisée par Unilever, l’un des géants mondiaux de la cosmétique et ils n’ont pas été déçus malgré la minceur des résultats obtenus. Une femme voulant paraître plus jeune pourra se tartiner de crèmes apaisantes, rajeunissantes, revitalisantes, anti-rides, anti-vieillesse ou je ne sais quoi encore … dans ce domaine les cosméticiens font preuve d’une créativité surprenante, elle ne pourra rien contre le vieillissement de son épiderme facial, un processus qui ne dépend que … de la génétique.

Depuis des temps immémoriaux les femmes cherchent à paraître plus jeunes, un signe de bonne santé et de fécondité. Or le vieillissement du corps et donc de l’épiderme est un processus inexorable qui est la résultante d’une multitude de facteurs. L’apparition de rides, de taches de vieillesse, de dépigmentation constituent la hantise des femmes qui veulent à tout prix paraître encore jeunes et séduisantes. Il y a cependant des femmes qui semblent, de par leur aspect visuel, vieillir plus lentement que d’autres. C’est sur la base de cette observation qu’une équipe de 5 personnes, une sorte de jury de la beauté, a examiné et noté l’aspect de la face de 2693 personnes, toutes originaires des Pays-Bas, hommes et femmes, pour en déterminer ce qu’on pourrait appeler l’ « âge facial ».

Après avoir établi un classement, une étude du génome de ces personnes a été effectuée afin d’établir une carte des SNPs (single nucleotide polymorphisms) et la réponse n’a pas tardé : l’apparence faciale « plus vieille » est liée à une abondance des SNPs au niveau d’un gène particulier appelé MC1R et ce n’est pas n’importe quel gène puisqu’il s’agit de celui codant pour le récepteur de la mélanocortine (voir ci-dessous). Là où les choses se compliquent si on se place du point de vue du cosméticien, c’est tout simplement parce qu’il ne pourra jamais rien faire pour influer sur une déficience de ce récepteur : des femmes (et des hommes) possédant dans leur bagage génétique des gènes du MC1R codant pour un récepteur de la mélanocortine déficient auront, les années passant, un aspect « plus vieux », point à la ligne.

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Cette étude n’est pourtant pas un coup d’épée dans l’eau car elle révèle que l’aspect du vieillissement est bel et bien multifactoriel, outre le mauvais fonctionnement de la télomérase, un enzyme qui maintient peu ou prou une longueur satisfaisante des extrémités des chromosomes, les télomères, dont on a découvert la fonction avec le syndrome de Werner qui conduit à un vieillissement généralisé et prématuré de l’organisme. Le récepteur de la mélanocortine est important pour l’organisme à plus d’un titre et pas seulement pour l’aspect de l’épiderme car la protéine en question, sécrétée par l’hypophyse, est multifonctionnelle. Elle conduit effectivement à la MSH, l’hormone stimulant les mélanocytes et participant par ailleurs à la régulation énergétique de l’organisme, mais également à l’ACTH, celle qui régule le fonctionnement des glandes surrénales et enfin à la lipotropine, sous deux formes, une autre hormone qui régule le fonctionnement du tissu adipeux et intervient dans le développement de l’obésité. Il s’agit donc bien d’un processus complexe ciblant de nombreux aspects du métabolisme et toute perturbation conduit à une dégradation, entre autres signes extérieurs, de l’aspect visuel du visage aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

Unilever, comme d’autres cosméticiens, pourra créer à l’infini des crèmes de beauté anti-vieillissement, rien n’y fera si ce récepteur est génétiquement endommagé à moins de ruser et d’y incorporer des substances dont les propriétés pharmacologiques sont encore inconnues et qui n’ont donc pas actuellement d’usage thérapeutique comme par exemple le BMS-470539, un produit anti-inflammatoire qui se fixe spécifiquement sur le récepteur MC1R (voir le lien). Dans un prochain billet je proposerai à mes lecteurs une autre approche inattendue des effets de la mélanocortine.

Source et illustration : http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2016.03.008

http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1476-5381.2010.00688.x/abstract;jsessionid=5ABFDC4B8197FCBB7AE4ECEEB80A5B98.f03t04

A la recherche de l’ « autre » tribu d’Israël : les Ashkénazes

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Les Ashkénazes ont été depuis des temps reculés considérés comme des juifs errants parlant une langue qualifiée d’allemand de mauvaise qualité. C’est d’ailleurs sur ces a priori sans fondement qu’Hitler organisa l’Holocauste. Mais que sait-on en réalité des origines de ce peuple disséminé aujourd’hui sur les 5 continents : pas grand-chose sinon que la langue parlée par les Ashkénazes était et est toujours, mais de moins en moins, le Yiddish. L’origine de cette langue vernaculaire datant de plus de 1000 ans s’explique assez aisément si l’histoire des Ashkénazes est prise en considération. Cette langue est clairement un mélange de slave, d’hébreu et d’allemand avec quelques touches d’iranien, de romanche, d’ukrainien et de turc, c’est assez compliqué. Les mots d’origines diverses comme le vocabulaire d’origine allemande ont été profondément déformés ou modifiés. Quant à la syntaxe elle est fondamentalement différente de celle de l’allemand et peut être assimilée à celle du romanche. Difficile dans ces conditions de trouver une origine précise pour les Ashkénazes parlant encore cette langue si l’on se réfère seulement à la langue.

C’est en allant fouiller dans les banques de données génétiques, travail qu’effectua une équipe de biologistes de l’Université de Sheffield en collaboration avec l’Université de Tel Aviv, qu’est apparue l’origine des Ashkénazes en prenant en compte l’histoire de ces derniers pour cibler les recherches en utilisant un outil informatique permettant de préciser l’origine géographique d’un individu en quantifiant les mélanges génétiques apparaissant après analyse de l’ADN par rapport à un éventail de populations dont l’origine géographique est parfaitement connue. Si les « distances génétiques » sont faibles, on se rapproche de cette origine géographique et inversement. Comme la pauvreté des restes archéologiques concernant la population ashkénaze n’a pas permis de remonter dans le temps avec des analyses d’ADN directes, celles-ci ont été effectuées auprès de 367 volontaires ayant pu prouver l’origine ashkénaze de leurs ancêtres. Parmi ces personnes, une bonne moitié purent indiquer clairement que leurs parents ou grand-parents parlaient le yiddish et parlaient encore eux-mêmes cette langue. Une autre moitié des participants ne parlaient plus le yiddish. L’essentiel des participants fut trouvé dans la communauté juive ultra-orthodoxe d’Amérique du Nord.

Pour expliquer comment fut ciblé l’outil de recherche, il faut faire un peu d’histoire des mouvements de populations originaires de Judée. Il y eut d’abord l’exil dit « romain » suivant la mise à sac de Jérusalem par les Romains en 70, exil qui fut précédé en 586 avant l’ère présente par l’invasion babylonienne de la Judée provoquant une vague d’émigration vers l’Iran. Après 70 ces émigrants arrivèrent en Italie puis en France vers 200-400 après JC. L’installation des « Judéens » – les futurs Ashkénazes – en Rhénanie et en Bavière ne date que des années 1000 de notre ère, ce qui explique la date d’émergence du Yiddish tel qu’il est connu aujourd’hui. Ces mouvements successifs expliquent aussi que cette langue s’enrichit de mots allemands tout en conservant une syntaxe dite judéo-romance acquise pendant de nombreux siècles entre l’Italie et la France ainsi que certains mots issus de l’hébreu. Quant aux Judéens qui émigrèrent vers l’Iran bien avant ces épisodes ils réapparurent dans diverses populations turques puis slaves avant de rejoindre finalement au XVe siècle leurs lointains coreligionnaires pour former le peuple ashkénaze tel qu’il est défini aujourd’hui. Ces populations, bien établies sur la route de la soie dans l’empire Khazar fuirent cette région à peu près aux alentours de l’an 1000 quand Sviatoslav I de Kiev conquit Atil, la capitale de cet empire. Pour les non-initiés dont je fais partie, le Khazar était un riche état couvrant l’ensemble du Caucase, une grande partie de l’Ukraine actuelle et les marches sud-ouest de la Russie telle qu’on la connait de nos jours. Le Khazar contrôlait la majeure partie des diverticules de la route de la soie autres que ceux passant par l’Iran et l’Irak. Les Khazars toléraient toutes les pratiques religieuses et c’est la raison pour laquelle les ancêtres des Ashkénazes eurent la possibilité de prospérer pendant plus de 1000 ans, aidés par les opportunités commerciales qui leur étaient offertes par cette route de la soie qui joua un rôle immense durant des siècles dans cette région.

Au cours de cette étude l’hypothèse d’une origine rhénane ou bavaroise de ce peuple a été mise de côté pour se concentrer sur les populations d’Iran, de l’est de la Turquie et d’Europe orientale dans une zone allant de la mer Caspienne à l’Ukraine et la Turquie. Les pays nommés ici sont ceux existant dans leurs frontières géographiques actuelles. L’outil de détermination géographique génétique dont il a été fait mention plus haut a donc ciblé ces populations afin de tenter de remonter à l’origine des Ashkénazes. Il est utile de préciser que les mouvements migratoires se firent essentiellement par voie terrestre et que les Judéens du premier siècle après JC, par exemple, passèrent par l’est de la Turquie et comme ils étaient des marchands et des négociants ils suivirent tout naturellement les embranchements de la route de la soie comme le firent en leur temps les émigrés après 586 avant JC, cette route de la soie traversant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le nord-est de la Turquie. Pendant près de 1000 ans (après la destruction du temple de Jérusalem par les Romains) ces populations que seule la religion unissait continuèrent a prospérer en faisant du négoce.

Sans entrer dans les détails méthodologiques il est apparu que l’origine la plus probable du peuple Ashkénaze est une petite région du nord-est de la Turquie, proche de la Géorgie et de l’Arménie actuelles.

L’illustration tirée de l’article relatif à ces travaux (voir le DOI, en accès libre) résume l’ensemble des résultats obtenus. Très curieusement il existe dans cette région des villages aux noms évocateurs de l’origine des Ashkénazes qui y séjournèrent probablement très longtemps …

Source et illustration : doi: 10.1093/gbe/evw046 en accès libre

Édition de gènes humains : il était temps de statuer.

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Une réunion d’une importance extrême pour l’humanité toute entière se tient en ce moment à Washington depuis le premier décembre et pour seulement trois jours. Cette assemblée a été organisée presque dans l’urgence par les Académies des Sciences de Chine, de Grande-Bretagne et des USA et l’Académie de Médecine américaine. Des observateurs et intervenants ont été naturellement conviés à ce sommet international qui concerne l’édition des gènes humains, l’International Summit on Human Gene Editing (lien : nam.edu).

Mes lecteurs commencent à être des familiers de l’édition de gènes à l’aide de l’outil CRISPR-cas9 et c’est justement en raison de l’utilisation de cet outil d’édition génique que cette réunion a été organisée dans l’urgence. La dernière fois que des scientifiques de haut niveau se sont réunis sur ce thême c’était en … 1975 quand apparurent les premiers enzymes de restriction appelés aussi endonucléases n’agissant qu’en des points précis ( https://en.wikipedia.org/wiki/Restriction_enzyme ) et qu’il devenait clair qu’on allait pouvoir un jour ou l’autre insérer ou retirer un gène du patrimoine génétique d’un organisme. Tout alla ensuite très vite puisque dans le domaine végétal apparurent les premières plantes génétiquement modifiées et dans le domaine bio-médical la première insuline humaine obtenue par transgenèse put être produite et commercialisée. La tache était ardue, coûteuse et hasardeuse car on ne maitrisait pas les insertions de gènes étrangers dans un organisme.

Depuis le début des années 80 l’évolution de la biologie moléculaire a été tellement spectaculaire qu’on peut parler d’une révolution technologique majeure au même titre que l’invention de l’électricité ou que le développement du nucléaire civil. Tous les domaines de la vie courante sont maintenant concernés par la biologie moléculaire, depuis l’industrie agroalimentaire, la production de lessives, l’industrie textile, la chimie, la production de médicaments de nouvelle génération, de vaccins, d’hormones, bref, la biologie moléculaire a envahi notre société à tous les niveaux et on ne peut plus s’en passer.

L’arrivée du CRISPR dans ce domaine a rendu urgente la mise en place de régulations. Je rappelle à mes lecteurs les billets des 22 février et 12 août 2015 de ce blog et il faut reconnaître également que le succès immense du CRISPR est en grande partie dû aux travaux d’une biologiste française expatriée, le Docteur Emmanuelle Charpentier.

L’objet de cette réunion de Washington est de définir les limites à ne pas franchir dans les manipulations génétiques car tout est en place maintenant pour réaliser de l’eugénisme au niveau moléculaire sur des embryons humains, en effet la boite de Pandore est entre-ouverte et il y a danger. Ce danger se concrétise déjà avec l’émergence d’une multitude de petites sociétés de biologie qu’on appelle en anglais des bio-hackers. Pour l’instant ces « chercheurs » d’un nouveau genre, en marge des laboratoires universitaires, s’amusent à fabriquer des plantes luminescentes ou des bactéries qui fabriquent de la caséine afin de fabriquer du lait totalement synthétique mais ils peuvent tout aussi bien « s’amuser » avec des embryons de souris ou pourquoi pas des embryons humains. La manipulation d’embryons d’animaux de laboratoire est devenue courante, pour ne pas dire banale, pour établir des lignées de souris qui aident par exemple à la compréhension des mécanismes de la maladie d’Alzheimer. La technologie est exactement la même pour les embryons humains. Contrôler les laboratoires de recherche universitaires ou de grandes firmes privées reste encore dans le domaine du possible mais les bio-hackers officiant dans leur garage sur des embryons humains susceptibles d’être viables et pouvant être réimplantés dans un utérus en accord avec un client prêt à payer pour une modification génétique sur son futur enfant, pour qu’il ait les yeux bleus, pourquoi pas, n’est plus du domaine de la science-fiction.

Il était donc urgent de définir des règles applicables à tous. Espérons que cette réunion aboutira rapidement à un résultat législatif incontournable car il en va de l’avenir de l’humanité.

Certes, l’utilisation du CRISPR dont le mécanisme ressemble un peu à la fonction « chercher-remplacer » d’un éditeur de texte (voir l’article du 29 novembre 2015 sur ce blog) peut maîtriser des maladies génétiques handicapantes comme la thalassémie mais la même technique peut aussi créer des monstres. Le premier enfant traité par thérapie génique avec succès est une petite fille souffrant de leucémie aigüe lymphoblastique qui fut traitée avec des cellules souches de moelle génétiquement modifiées pour résister à l’alemtuzumab (voir la note et le lien) en guise de greffe de moelle osseuse. Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont demandé que soit appliqué dans un premier temps un moratoire sur l’utilisation du CRISPR à des fins thérapeutiques en médecine humaine afin d’organiser la législation à l’échelle mondiale car le CRISPR, c’est pour le meilleur mais aussi pour le pire …

Note : L’alemtuzumab ( https://en.wikipedia.org/wiki/Alemtuzumab ) est un anticorps monoclonal recombinant dirigé contre les lymphocytes matures et est utilisé dans le traitement de certains types de leucémies et de lymphomes. Ce produit est commercialisé par Sanofi. Il s’agit d’un médicament dit de « nouvelle génération ».

Sources : The Guardian, Wired, etc. Illustration : plante génétiquement modifiée pour être luminescente, une sorte de vers luisant végétal qui provoqua la fureur des milieux écologistes (crédit AAAS).

Trisomies et autres gènes : Entre tests de dépistage et tests de diagnostic il faudra choisir …

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Depuis la montée en puissance des machines d’analyse automatique d’ADN toutes les portes vers l’inconnu génétique se sont ouvertes, pour le pire mais aussi pour le meilleur. Par exemple il ne faut pas se leurrer car ces techniques d’analyse pourraient aboutir à une certaine forme d’eugénisme sophistiqué et basé non plus sur l’apparence, en d’autres termes le phénotype ou l’expression visible de nos gènes, mais sur le contenu génétique de chacun de nous. L’époque où le bel aryen blond aux yeux bleus était sélectionné pour établir un peuple pur est révolue. Les robots d’analyse de l’ADN répondent déjà, moyennant quelques milliers de dollars, à vos angoisses existentielles. Angelina Jolie a repoussé les limites du nombrilisme en se faisant enlever les deux glandes mammaires et maintenant les ovaires parce qu’elle dispose malencontreusement des deux allèles du gène BRCA1 prédisposant aux cancers du sein et des ovaires. Cette actrice fort belle par ailleurs incarne le nombrilisme, certes, mais aussi une forme d’eugénisme redoutable. Elle a ouvert une porte dangereuse et la publicité qui a entouré son choix de mutilation volontaire va certainement motiver des centaines de milliers de femmes dans le même sens, à savoir la recherche des éléments d’information génétique risqués. La boite de Pandore est donc ouverte pour le plus grand profit d’une société comme Illumina par ailleurs fabricant des robots de séquençage d’ADN et leader dans ce domaine.

C’était pour le pire des aspects de cette nouvelle technologie issue de la biologie moléculaire mais il y a aussi « le meilleur » si l’on peut dire les choses ainsi.

La détection prénatale de la trisomie 21 ou syndrome de Down (et des trisomies 13 et 18) constitue une préoccupation sociétale majeure. Il y a encore trente ans les femmes enceintes dites à risque, nullipares et ayant dépassé l’âge de 35 ans, n’étaient pas systématiquement soumises à la recherche de la trisomie car il s’agissait d’un protocole relativement lourd. L’intervention appelée amniocentèse consistait (et consiste toujours) à prélever un échantillon de liquide amniotique dans l’utérus et n’était pas anodine puisque cette opération conduisait pour une femme sur 600 à une fausse-couche. Il fallait ensuite cultiver les fibroblastes fœtaux recueillis tant bien que mal et établir un caryotype en faisant un cliché au microscope de cellules en cours de doublement (mitose). Il fallait ensuite faire un tirage photographique des chromosomes et les classer en découpant la photographie pour déterminer si tout était normal. Il fallait avoir un œil assez exercé pour effectuer ce genre de travail qui était monstrueusement coûteux mais la détection de la trisomie 21, comme des trisomies 13 et 18, beaucoup plus rares, en justifiait l’infrastructure généralement hospitalière occupant à plein temps plusieurs personnes. L’amniocentèse ne pouvait pas être pratiquée avant trois mois et demi de grossesse afin de ne pas endommager le placenta ou au pire le fœtus.

Avec le développement des techniques automatiques et rapides de séquençage de l’ADN ou de l’ARN, on s’est rendu rapidement compte que dans le sang maternel on retrouvait de l’ADN foetal qui pouvait être amplifié et séquencé. Il n’est donc pas difficile de comprendre les enjeux économiques d’une telle approche et les grands laboratoires pharmaceutiques se sont bien entendu précipité sur l’opportunité à saisir en particulier les laboratoires Roche qui expérimentent un test appelé Harmony déjà utilisé chez près de 16000 femmes enceintes présentant peu de risques de trisomie car toutes âgées de 30 ans au maximum. Le corps médical, toujours un peu réticent devant l’innovation, a conseillé aux femmes dont le test Harmony révélait une trisomie 21 de se soumettre à une amniocentèse de contrôle. Le test de Roche identifia tous les 38 cas confirmés par la suite alors que l’approche traditionnelle n’en avait révélé que 30. Pour bien comprendre ce dont il s’agit ces 16000 femmes faisaient partie à leur insu d’un essai clinique en phase 3 et avaient donc vu leur sang analysé et subi une amniocentèse. Neuf faux positifs ont été identifiés mais parmi ces 16000 femmes le test ne fut pas réalisable pour 600 d’entre elles en raison de la faible teneur en ADN foetal dans le sang maternel. S’il s’agit d’une étude supposée réalisée pour promouvoir le test Harmony de Roche et financée par ce dernier, d’autres start-up impliquées avant ce géant du diagnostic dans le dépistage des trisomies ne tolèreront pas cette attitude agressive de Roche auprès du corps médical. Car il y a de gros problèmes de protection industrielle entre la société Sequenom et Ariosa. Ariosa a été racheté par Roche mais le test mis au point par cette société, justement le test Harmony, contrefait un brevet déposé par Sequenom. La situation est douteuse dans la mesure où Sequenom a acquis les droits du brevet faisant l’objet de litiges auprès de la société Isis et ce brevet expire en 2017. Autant dire qu’il y a urgence à se positionner.

Encore une fois l’efficacité de ces tests varie selon les études, les faux positifs variant de 0,01 à 0,2 %, ce qui laisse une grande marge pour confirmer au final le test par une amniocentèse, business is business. Enfin, le corps médical ne peut pas se permettre de prendre des risques ni professionnels vis-à-vis de ses patientes ni juridiquement. S’agit-il de tests de dépistage ou de diagnostic ? La confusion n’a pas lieu d’être puisque la nuance n’apparaît plus, dans le cas de la détection des trisomies à l’aide des techniques modernes de la biologie moléculaire. Il s’agit en effet d’un dépistage rapide, précoce (moins de dix semaines après les dernières règles), non invasif et déjà remarquablement fiable. La biologie moléculaire devra rester un outil pour le corps médical qui a parfaitement raison d’évoluer lentement et prudemment, car cette technologie permettra beaucoup d’autres diagnostics (et dépistages rendus ainsi possibles) qui feront partie du quotidien dans quelques années.

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Source : Thomson Reuters et New England Journal of Medicine et pour les curieux en ce qui concerne les faux-positifs cet article en libre accès : http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1408408#t=articleTop

Klotho, un gène prometteur pour soigner les maladies neurodégénératives …

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Qui connait ou se souvient de Klotho, Lachesis et Atropos, les trois « Destinées » de la mythologie grecque. J’avoue franchement que je n’ai jamais été très féru de mythologie grecque et j’avoue aussi que je n’avais jamais entendu parler des « Destinées ». Les amours de Zeus et Leda, une partouze zoophilique improbable, m’avaient plus impressionné dans ma jeunesse … Klotho avait le pouvoir de décider de la vie ou de la mort des simples mortels et de changer le destin de ces derniers ou même de les ressusciter. C’est ainsi que quand le roi de Pise dans le Péloponnèse, fils de Tantale, fut tué, coupé en morceaux et transformé en ragout par son propre père pour l’offrir aux dieux, Klotho le ramena à la vie. Inutile d’insister plus avant sur le pouvoir que possédait cette Destinée.

Si j’ai fait cette digression au sujet de Klotho c’est tout simplement parce qu’une équipe de biologistes japonais a appellé « klotho » un gène qui, quand il devient inactif à la suite d’une mutation, induit un vieillissement prématuré, une durée de vie largement diminuée, l’infertilité, l’apparition d’artériosclérose, d’atrophie de la peau, d’ostéoporose et de troubles respiratoires typiques de la vieillesse. Le gène klotho a donc un droit de vie ou de mort sur un individu et il code pour un enzyme de type particulier impliqué dans l’hydrolyse des formes conjuguées d’hormones stéroïdes. Les hormones stéroïdes, notamment sexuelles, circulent dans le sang attachées à du glucose et l’enzyme codé par klotho permet à ces hormones de recouvrer leur activité au niveau cellulaire en se fixant sur leurs récepteurs spécifiques. L’expression de cet enzyme diminue avec l’âge, ceci expliquant cela, mais si à la suite d’une manipulation génétique adéquate on fait en sorte que le dit gène soit sur-exprimé chez des souris ces dernières vivent plus longtemps et en excellente santé.

Il en est de même chez les humains ! On a identifié chez certains sujets des variants génétiques du gène klotho qui est alors légèrement sur-exprimé. Ces sujets présentent, leur âge avançant, de meilleures facultés cognitives et une mémoire également améliorée en comparaison de personnes ne présentant pas ces mutations. Cependant, malgré ces observations relevant d’ « études de cas » comme on dit en médecine, il avait été impossible d’établir un lien entre le produit du gène klotho et les désordres cognitifs tels que ceux caractérisant la maladie d’Alzheimer. Il existe en laboratoire des souris génétiquement modifiées de telle manière qu’elles présentent tous les symptômes de la maladie d’Alzheimer tels qu’ils sont observés chez l’homme et si on fait en sorte que le gène klotho soit sur-exprimé chez ces mêmes souris, donc doublement transgéniques, on observe alors une amélioration significative des déficits cognitifs, une atténuation des dysfonctionnements cérébraux et un allongement de la vie alors que la formation de plaques amyloïdes reste pourtant inchangée chez ces souris spéciales servant de modèle pour l’étude de la maladie d’Alzheimer. Le produit du gène klotho rend curieusement le cerveau résistant à la dégradation induite par ces plaques amyloïdes toxiques pour les neurones. Et cette protéine, qui existe sous forme circulante dans le sang et également sous une forme intégrée aux membranes cellulaires, agit directement sur un récepteur cérébral particulier appelé NMDA. Les biologistes japonais ont fait preuve de créativité culturelle en donnant à un tel gène le nom d’une divinité grecque, NMDA n’est qu’une vulgaire abréviation qui signifie N-methyl-D-aspartate (voir note en fin de billet). Ce récepteur est en réalité un récepteur du glutamate, un neurotransmetteur très important, et également un transporteur d’ions dans les cellules nerveuses induisant une stimulation de ces dernières. Il joue également un rôle dans la plasticité neuronale, un élément clé pour maintenir l’apprentissage et la mémorisation à des niveaux satisfaisants. C’est ce qui a été montré avec ces souris doublement transgéniques, d’une part reproduisant la maladie d’Alzheimer et d’autre part sur-exprimant le produit du gène klotho, elle présentaient une activité amplifiée de ce récepteur NMDA.

Idéalement il resterait à trouver une drogue agissant sur le promoteur du gène klotho pour contrecarrer en stimulant son expression les effets toxiques et inflammatoires de la maladie d’Alzheimer sur les neurones. Un beau sujet d’investigation qui risque malheureusement d’être très long avant d’en entrevoir des applications thérapeutiques …

Note : le récepteur du glutamate appelé NMDA pourrait faire croire que le N-methyl-D-aspartate est un constituant naturel de l’organisme. Or il n’en est rien, il s’agit d’un produit de synthèse qui tue les cellules nerveuses en les sur-excitant par son rôle d’agoniste du récepteur du glutamate sur lequel il se fixe. Il existe parfois des ambiguïtés dans la prose scientifique et appeler ce récepteur du nom d’un de ses agonistes finalement neurotoxique sème le trouble dans la bonne compréhension de ce travail réalisé à l’Université de Californie à San Francisco. Finalement les Japonais avaient raison d’appeler leur gène klotho.

Source : Gladstone Institutes et UCSF, illustration:les trois Destinées (Wikipedia).

Bataille entre les Université de Berkeley et d’Harvard pour la « propriété » du CRISPR !

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Je ne voudrais pas ennuyer mes lecteurs avec un exposé tellement spécialisé que moi-même je dois faire un effort pour comprendre de quoi il s’agit mais il se passe en ce moment une bataille féroce et complexe entre deux laboratoires américains à propos d’un brevet dont les potentialités d’application sont tellement vastes, des milliards voire des dizaines de milliards de dollars en jeu, qu’il est intéressant d’en faire un compte-rendu aussi compréhensible que possible. Il s’agit de savoir qui est propriétaire du brevet d’application du CRISPR dans le domaine des thérapies géniques et des manipulations de l’ADN. Je sens que certains de mes lecteurs vont décrocher, thérapies géniques, CRISPR, c’est déjà ésotérique … Il s’agit pourtant de l’une des plus grandes avancées, peut-être la plus grande, de ces dernières années dans le domaine de la biologie moléculaire avec des applications tellement vastes que même les auteurs des brevets ne peuvent toutes les embrasser clairement à ce jour dans les « revendications » formulées à l’appui de la demande de ces brevets.

CRISPR, acronyme de « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats », je ne le répéterai pas, est un système mis au point par les bactéries pour se défendre contre les attaques virales, en quelque sorte un système immunitaire au niveau moléculaire consistant à détruire l’ADN d’un virus attaquant ces bactéries. En bref il s’agit d’un complexe de protéines comprenant un système de reconnaissance spécifique de l’ADN à attaquer lui-même constitué d’ADN et d’une machinerie d’enzymes qui vont couper cet ADN viral étranger pour le rendre inactif. La bactérie se défend comme elle peut mais ce truc est fantastiquement sophistiqué et efficace. Depuis sa découverte à la fin des années 80 par une équipe de biologistes de l’Université d’Osaka dirigée par le Professeur Yoshizumi Ishino qui ne comprit pas ce à quoi il avait à faire, ce système de reconnaissance au niveau de l’ADN de séquences très précises a fait l’objet d’une intense recherche qui s’est focalisée pour utiliser le CRISPR comme outil moléculaire pour éteindre ou éditer des gènes de manière ultra-spécifique et cette approche fut rendue possible en grande partie avec l’apparition de machines permettant d’une part de séquencer l’ADN rapidement et également de machines synthétisant des brins d’ADN répondant à une utilisation ciblée. Ce système, d’origine bactérienne et ubiquitaire, c’est-à-dire qu’il est universellement présent dans les bactéries, constitue un outil d’une versatilité quasiment sans limites. Les curieux peuvent se plonger dans le long article de Wikipedia relatif au CRISPR : http://en.wikipedia.org/wiki/CRISPR . Subodorant à juste titre que les applications potentielles de cet outil étaient immenses le laboratoire de génomique de l’Université de Berkeley dirigé par le Docteur Jennifer Doudna déposa un brevet en mai 2012 relatif aux applications du CRISPR dans une multitude de domaines. Pendant le même temps une autre équipe travaillant sur le même sujet au Broad Institute de génomique du MIT sur le campus de l’Université d’Harvard et dirigée par le Docteur Feng Zhang a déposé quasiment le même brevet concernant les applications du CRISPR sur les cellules eucaryotes, c’est-à-dire possédant un noyau, plantes, animaux et êtres humains, pressentant comme Doudna les immenses potentialités de cet outil.

Le MIT a immédiatement affuté ses couteaux comme Doudna de son côté et il appartient maintenant à la justice de décider qui a ce qu’on appelle l’antériorité de la découverte du CRISPR mais aussi de ses applications. L’affaire est en effet complexe car ces applications potentielles et déjà démontrées dans une multitude de situations semblent « évidentes » pour les uns mais « leur » propriété pour les autres, tout dépend de quel côté on se place … L’affaire est bien décrite côté MIT en suivant ce lien :

http://www.technologyreview.com/featuredstory/532796/who-owns-the-biggest-biotech-discovery-of-the-century/ mais les Régents de l’Université de Californie, propriétaires du brevet de Doudna ne l’entendent pas du tout de cette oreille bienveillante ni le Helmholtz Center for Infection Research à Braunschweig en Allemagne, copropriétaire du brevet déposé par le laboratoire de Doudna en la personne d’une certaine Emmanuelle Charpentier, biologiste française exilée et de renommée mondiale, co-auteur de ce brevet (voir le lien). On va donc droit vers un duel à rebondissements d’autant plus que Zhang n’a pas apprécié la réception fastueuse organisée par le gratin de la Silicon Valley, Zuckerberg était présent, pour remettre à ces deux biologistes talentueuses le Breakthrough Prize, ça se passait le 9 novembre 2014, trois millions de dollars à chacune …

Qui a l’antériorité du brevet, là est toute la question. C’est seulement en 2012 que Doudna et Charpentier ont démontré toute la potentialité du CRISPR en synthétisant une molécule faisant partie d’un CRISPR modifié qui pouvait pénétrer dans une bactérie et couper l’ADN à un endroit choisi par avance. En janvier 2013 elles franchirent une nouvelle étape en réussissant à couper un gène dans des cellules humaines et à le remplacer par un autre gène toujours avec ce même outil, ce qu’on appelle une « édition » de gène. L’équipe d’Harvard publia des travaux presque identiques au même moment. La compétition s’accéléra alors et en quelques mois des centaines d’expérimentations furent couronnées de succès prouvant que cette technique peut révolutionner l’agriculture et la médecine. Un gène a pu être ainsi introduit chez une souris souffrant d’une maladie génétique et se retrouver guérie à la suite de cette insertion ciblée au bon endroit sans perturber le reste du chromosome ! Des gènes variés ont été « édités » avec des plantes. On peut même rêver de pouvoir, dans un proche futur, créer des super-embryons (humains) présentant des caractéristiques génétiques améliorées. L’industrie pharmaceutique pourtant souvent réticente à considérer immédiatement les avancées de la recherche fondamentale s’intéresse de très près au CRISPR comme par exemple Novartis qui envisage très sérieusement d’éditer par cette technique des gènes d’immunoglobulines pour attaquer certains cancers …

Mais revenons à la polémique sur les brevets. En réalité personne n’a inventé le CRISPR que les bactéries ont mis au point depuis des centaines de millions d’années. Nous nous sommes seulement contenté de comprendre comment ce truc fonctionnait, Ishino est passé à côté de cette compréhension car il était trop surpris par la séquence de ce gène atypique. Une fois qu’il eut identifié le gène qu’il appela « iap », Ishino regarda autour de ce gène pour savoir s’il n’y aurait pas un site (une séquence de bases de l’ADN) pouvant être éventuellement reconnu par une protéine entrainant alors l’expression de ce gène ou au contraire la répression de son expression. En fait il ne trouva pas ce qu’il cherchait mais au contraire un enchainement bizarre répété cinq fois de petits bouts de séquence d’ADN de 29 bases les uns à la suite des autres mais séparés les uns des autres par des espaceurs de 32 bases. Ishino et son équipe ne purent trouver d’explication à ce résultat pour le moins surprenant. Avec l’avènement des machines à séquencer quelques années plus tard on découvrit que ces séquences répétitives se retrouvaient pratiquement dans toutes les bactéries et le nom de CRISPR fut adopté en 2002 par Ruud Jansen de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas. Jansen observa que ces séquences étaient toujours accompagnées autour d’elles des même gènes codant pour des DNAses, des enzymes coupant l’ADN comme une paire de ciseaux coupe un fil. Les machines à séquencer facilitèrent alors la compréhension de cet enchainement répétitif « palindromique » de petites séquences d’ADN : elles avaient une origine virale et servaient donc à se lier à l’ADN d’un virus pénétrant dans la bactérie pour que le produit des gènes associés, ces DNAses, détruisent l’ADN viral.

Doudna comprit très vite l’intérêt que représentait ce système pour construire un outil permettant de couper spécifiquement n’importe quel ADN à un endroit précis choisi à l’avance alors que les biologistes ne disposaient alors que d’enzymes pour la plupart d’origine bactérienne coupant l’ADN, certes au niveau de séquences de bases connues, mais de manière non spécifique, pas du tout exactement là on on le souhaitait comme par exemple à un endroit précis d’un chromosome. En modifiant le CRISPR à l’aide d’une séquence d’ARN pouvant s’hybrider avec une région bien précise de l’ADN Doudna réussit à lui associer deux DNAses qui permirent de carrément éliminer un gène d’un chromosome ! À l’inverse en construisant une autre panoplie enzymatique autour du CRISPR il est possible d’introduire un gène à la bonne place dans un chromosome, une immense avancée dans l’ingénierie génétique. Autant dire que les applications sont tellement variées que la bataille pour le brevet entre l’Université de Californie et l’Université d’Harvard promettent un feuilleton à rebondissements … À suivre

Sources : Doudna RNALab ( http://rna.berkeley.edu )

http://www.helmholtz-hzi.de/en/research/research_topics/bacterial_and_viral_pathogens/regulation_in_infection_biology/e_charpentier/

http://www.technologyreview.com/featuredstory/532796/who-owns-the-biggest-biotech-discovery-of-the-century/