
Vue du jardin de la maison de mon fils il y a deux petites maisons séparées l’une de l’autre de moins d’un mètre. Le confortable mur appartenant à la maison de mon fils et recouvert d’une plante grimpante protège en quelque sorte le domaine privé de ma belle-fille et de son époux. Il y a des fleurs et, luxe rare dans ce quartier, une petite pelouse. Les deux petites maisons voisines m’ont conduit à écrire ce billet décrivant ce qui se passe dans cette banlieue à près de 20 kilomètres à l’ouest du quartier de Shinjuku. La petite maison blanche a été récemment repeinte et il y a quelques jours des géomètres sont venus faire des relevés probablement pour un projet de vente. Depuis lors j’entends quand je vais fumer ma cigarette dans le jardin des éclats de voix incessants presque jour et nuit avec une petite voix féminine et de bonnes grosses répliques graves masculines. Est-ce un couple se déchirant à propos d’une vente de cette maison ? J’ai posé la question à mon fils qui m’a tout de suite répondu que c’était la mère, une vieille dame de plus de 70 ans, qui débattait avec son fils âgé d’une cinquantaine d’années et ce dernier est un « hikikomori ». J’avais à plusieurs reprises entrevu le visage spectral d’une sorte de fantôme avec de longs cheveux gris m’observant par la fenêtre protégée par une tenture entre les volets anti-typhons du premier étage.
Les hikikomori sont des gens ayant décidé de s’isoler de l’extérieur et de vivre dans leur chambre sans jamais sortir de chez eux. Que font-ils, je l’ignore, pour quelle raison, des hypothèses parvenant de psychiatres ayant examiné deux douzaines de ces personnes, un échantillon très restreint, ont conclu qu’ils ne présentaient aucune pathologie bien définie. L’explication la plus communément admise est un « burn-out » au cours des études très compétitives pour accéder à la high school ou à l’université. Il y a des « vieux » hikikomori comme le voisin de mon fils, d’une cinquantaine d’années. Ils ont échoué lors de la féroce compétition des années quatre-vingt à la suite de la crise financière que traversa le Japon. Il y a maintenant de jeunes hikikomori rejetés par la tout aussi féroce compétition qui règne à tous les niveaux du cursus scolaire. Les estimations communément admises font état de près d’un million d’hikikomori au Japon, une énorme perte pour l’économie du pays dont la population est vieillissante.
L’autre maison recouverte d’ampélopsis est abandonnée depuis plusieurs années. Dans un hypothétique avenir elle sera rasée mais son accès, comme c’est aussi le cas pour la maison blanche, est réduit à une petite allée. Cette allée en impasse débouche sur la rue à peine plus large mais comme toujours dans ces quartiers résidentiels le dédale de ruelles n’oblige jamais les entreprises à bloquer un accès aux maisons environnantes. Cette maison abandonnée ne présente aucun danger et un tremblement de terre violent ne la précipitera pas au sol à moins que sa structure en bois soit déjà largement détériorée par les termites. Dans toute la région de Tokyo il y aurait plus de 200000 maisons abandonnées, la plupart d’entre elles n’étant pas mises en vente par la famille, les descendants s’il y en a, car les procédures administratives sont complexes, leur démolition coûteuse pour proposer un terrain nu à la vente et le fisc se sert en priorité sur le fruit de cette vente. En conséquence le nombre de maisons abandonnées est considérable. Je citerai le cas de la maison des grand-parents de ma bru à Shikoku. Après leur décès elle a été tout simplement abandonnée et personne n’y pense plus. Voilà quelques aspects déroutants d’un pays en pleine effervescence économique compte tenu de la chute du yen par rapport au dollar et aux autres devises et à ma connaissance il n’y a pour l’instant pas d’inflation, mais elle arrivera aussi dans le pays du soleil levant un jour.