La Vénus de Willendorf revisitée

La très célèbre statuette d’une hauteur de 11 cm découverte en Basse-Autriche en 1908 rassemble tous les symboles de la fertilité. Elle a été datée du Gravettien à 30000 ans avant l’ère commune. Elle a été taillée dans un calcaire appelé oolithe qui ne se trouve pas dans la région de Willendorf et ce détail, si l’on peut dire, a occupé l’esprit des anthropologues pendant plus d’un siècle. Le Docteur Gerhard Weber de l’Université de Vienne a soumis la statuette à une micro-tomographie atteignant une résolution de 11,5 microns pour en révéler la composition interne. Faisant appel aux connaissances de géologues spécialistes des oolithes des échantillons de cette roche provenant de toute l’Europe, de la France à la Russie occidentale et de l’Allemagne à la Sicile ont été examinés pour tenter de trouver l’origine de l’oolithe de la Vénus de Willendorf.

L’oolithe est une roche sédimentaire composée de dépôts marins d’origine planctonique se présentant sous forme de globules (ooïdes) dont la partie interne se dissous avec le temps rendant la roche particulièrement facile à sculpter. Par tomographie et surtout microscopie en fluorescence sous éclairage UV l’origine de l’oolithe de la Vénus correspond parfaitement avec celle trouvée près de Lac de Garde sur le versant sud des Alpes. À cette époque la chaine des Alpes était probablement recouverte de glaciers infranchissables et les communautés humaines se déplaçaient sans cesse pour trouver du gibier. La voie la plus probable empruntée par ces chasseurs-cueilleurs était celle d’un contournement des Alpes par l’est le long des rivières sans jamais être obligés d’emprunter des itinéraires à des altitudes supérieures à 1000 mètres car seules les plaines étaient habitables et giboyeuses en raison des rigueurs du climat. Pour se rendre du Lac de Garde à Willendorf il s’agissait d’un périple d’environ 700 kilomètres passant la la plaine du Po, la Slovénie actuelle, la Bulgarie, les côtes ouest de la Mer Noire jusqu’à l’embouchure du Danube. Cette observation montre l’incroyable mobilité des groupes humains à cette époque. Pour rappel l’homme d’Ötzi retrouvé récemment dans les Alpes effectua la traversée du massif montagneux il y a 5300 ans c’est-à-dire lors de l’Holocène bien après le Dryas qui marque la fin de la dernière glaciation de l’Europe.

Source : doi : 10.1038/s41598-022-06799-z

Brève. Les habitants du Portugal momifiaient leurs morts il y a 6000 ans

La position dans laquelle des squelettes ont été retrouvés dans le site de la vallée de Sado au sud du Portugal a été réexaminée récemment alors que les fouilles de ce site datent des années 1960. L’étrange position des ossements a suggéré que les morts étaient naturellement momifiés, les jambes repliées le long du tronc, une situation inhabituelle très rarement rencontrée dans d’autres fouilles archéologiques en Europe.

Le processus de momification mettait à profit la très faible hygrométrie atmosphérique dans cette région du Portugal et les chairs se desséchaient naturellement tout en maintenant le corps recroquevillé à l’aide de lanières. Après trois semaines le corps avait perdu les trois quarts de son volume et la totalité de ce processus de momification devait durer environ sept mois. Les études réalisées sur des cadavres réalisés par des spécialistes de la médecine légale (illustration) ont validé cette hypothèse.

Pourquoi ces peuplades se livraient-elles à un tel traitement de leurs morts. L’explication partielle mais convaincante réside dans le fait que la coutume voulait que le mort soit enseveli dans une petite fosse après momification sans avoir été enveloppé dans un linceul puisque aucune trace de tissu n’a été retrouvée, la rigidité du corps momifié permettant l’inhumation sans autre précaution pour maintenir le corps dans la position retrouvée lors des fouilles.

Un indice supplémentaire confirme cette hypothèse. Il s’agit des os tarsiens qui sont restés à leur place maintenus dans leur position grâce aux tendons desséchés. Aujourd’hui encore dans de nombreuses peuplades les dignitaires morts sont maintenus dans une position assise afin d’être vénérés par le commun des mortels qui n’a pas droit à ce traitement. Il en était de même dans l’ancienne Égypte, pays où seuls les membres de la famille royale étaient ensevelis par un processus de momification complexe.

Source et illustrations : https://doi.org/10.1017/eaa.2022.3

Il y a exactement 1000 ans les « hommes du nord » découvraient l’Amérique

Dans le province canadienne actuelle du Newfoundland des navigateurs européens appelés Vikings ou « Norse », littéralement « les hommes du nord », s’établirent jamais plus longtemps qu’une saison sur un site dit « l’Anse aux Meadows », l’Anse aux prairies. Des fouilles archéologiques ont été effectuées sur ce site qui était à l’époque une forêt de sapins, de thujas et de genévriers. Les conditions climatiques étaient telles qu’au cours des mois d’hiver il n’y avait pas ou très peu de chutes de neige. Ces explorations lointaines eurent lieu au cours de ce qui est connu aujourd’hui comme l’optimum climatique médiéval. Néanmoins le climat régnant à l’Anse aux Meadows à cette époque ne pouvait pas être considéré comme vraiment chaud, plutôt proche des Highlands d’Ecosse mais sans neige en hiver. Le port d’attache de ces explorateurs se trouvait au sud du Groenland, la Terre verte, bien que venant d’Islande après avoir traversé l’Atlantique nord depuis la Scandinavie. Les sagas islandaises décrivent en détail ces diverses explorations mais il n’existe aucune évidence dans ces sagas d’une quelconque date.

Or les techniques modernes d’analyse des cernes des arbres permettent de remonter dans le temps. Il s’agit de la dendrochronologie, une science faisant appel à la spectrographie de masse pour déterminer la teneur en carbone-14 des échantillons ligneux obtenus sur les sites archéologiques. Cette approche expérimentale requiert aujourd’hui d’infimes quantités de matériel et c’est ainsi qu’il est possible de quantifier la teneur en carbone-14 au niveau des cernes individuels. Sur le site de l’Anse aux Meadows un grand nombre d’artéfacts en bois travaillés dans le but de construire des abris à l’aide d’outils en fer dont disposaient les « hommes du nord » ont été soumis à une telle analyse. Dans l’ensemble du monde la dendrochronologie dispose de références extrêmement précises universellement utilisées pour dater les artéfacts archéologiques. Il s’agit dune abondance anormale de carbone-14 pour les années 775 et 993 de l’ère commune. Les cernes des arbres étudiés ont en effet révélé que pour ces deux années la teneur en carbone-14 était supérieure de 1,2 % à la valeur normale attendue. Si un cerne individuellement analysé présente une telle anomalie et que par ailleurs on connait par d’autres « proxys » à peu près à quelle époque l’échantillon d’arbre étudié fut coupé et utilisé, il suffit ensuite de compter les cernes en s’éloignant du cœur de l’arbre pour dater précisément l’âge de l’échantillon.

Ce qui fut fait pour le site canadien de l’Anse aux Meadows en analysant les cernes des branches d’arbre utilisées sur le site en s’éloignant du cœur du bois vers l’écorce. Tous les résultats convergent vers l’année 1021, en d’autres termes les arbres abattus par les « hommes du nord » pour construire des abris l’ont été en 1021, date du cerne le plus proche de l’écorce, c’est-à-dire le tissu appelé liber. Pour rappel en 5730 ans la moitié du carbone-14 disparaît et une surabondance de cet isotope de 1,2 % correspond à environ 100 ans de vie de l’isotope. Il n’y a donc pas d’ambiguïté possible dans la datation.

Certains des épisodes des sagas islandaises datent donc de 1000 ans lorsqu’elle relatent le dernier établissement des explorateurs dont il est fait mention dans ces sagas dites d’Erik le Rouge, le chef des « hommes du nord » établis au sud du Groenland. Il reste une explication à donner à ces teneurs anormales en carbone-14. La seule hypothèse plausible est une forte éruption solaire ayant donc eu lieu en l’an 993 ayant favorisé directement la formation de cet isotope ou indirectement en perturbant le champ magnétique terrestre qui ne peut alors plus dévier le rayonnement cosmique mais cependant de manière transitoire. L’hypothèse de l’explosion d’une supernova a été rejetée puisqu’aucun reste n’a été identifié, du moins pour l’instant.

Source en accès libre : https://doi.org/10.1038/s41586-021-03972-8 Illustration : reconstitution de l’habitat de l’Anse aux Meadows

Nouvelles du Japon : le peuplement du sud de l’archipel des Ryukyu

500px-Japan_glaciation.gif

Il y a 20000 ans une grande partie du nord de l’hémisphère nord était recouvert de glaciers. Ces glaces avaient recouvert près de la moitié des Îles Britanniques d’un côté du continent eurasien et une partie du nord du Japon qui était raccordé à l’extrême est de la Sibérie par des « ponts » de terre ferme. Des peuplades ont pu se rendre du continent vers l’île d’Hokkaido à pied sec à la faveur d’un épisode de climat relativement tempéré bien qu’au beau milieu de cette dernière grande glaciation, le niveau de la mer, plus bas qu’aujourd’hui de 130 mètres, ait autorisé cette traversée à pied. Cette migration date de 15000 à 18000 ans avant l’ère présente selon les datations qui ont pu être réalisées sur l’île d’Hokkaido.

Mais à la faveur de travaux effectués en 2007 sur l’île d’Ishigaki au sud d’Okinawa pour créer un nouvel aéroport des restes humains ainsi que des os d’animaux furent découverts dans une grotte située dans une couche de calcaire corallien. Leur datation avec la technique du Carbone-14 permit de situer leur présence entre 30000 et 20000 ans, donc bien avant l’arrivée des chasseurs-cueilleurs dans ce que serait par la suite l’île d’Hokkaido après la période de glaciation avec la remontée du niveau des océans séparant l’île de Sakhalin d’Hokkaido.

L’archipel japonais fut donc occupé entre 25-30000 ans par le sud et 15-18000 ans avant l’ère présente par le nord. De plus les recherches archéologiques ont été compliquées par le fait que vers 20000 ans avant l’ère présente deux gigantesques éruptions volcaniques, l’une dans le Kanto (région de Tokyo) dans le massif des montagnes Tanzawa et l’autre au sud de l’île de Kyushu dont il reste l’immense caldera de Aira. La presque totalité de l’archipel fut recouverte d’une épaisse couche de cendres parfois de plusieurs mètres d’épaisseur.

Sur le plan génétique près de 30 % de la population contemporaine du Japon dérive soit des Aïnous, descendants des peuples venus de Sibérie par Shakalin, soit dans une très modeste proportion des descendants des peuplades indigènes des îles Ryukyu encore appelés Uchinaanchu (Okinawa jin). Les migrations à partir de la péninsule coréenne sont toutes très postérieures à ces premiers peuplements et datent de l’ère dite Jomon.

Cependant aucune preuve n’a jamais pu être apportée pour déterminer la provenance des peuplade établies dans ces îles méridionales du district d’Okinawa. La seule hypothèse est que ces peuples venaient de l’île de Taiwan.

last_plan2019_en.jpg

L’île la plus à l’ouest de l’archipel des Ryukyu est Yonaguni jima. Elle peut être aperçue par temps clair du sommet des montagnes du nord de Taiwan mais est invisible depuis le bord de mer. Effectuer une traversée en ligne directe depuis Taiwan vers Yonaguni est impossible en raison du très fort courant appelé Kuroshio qui longe la côte est de Taiwan dont la direction est sud-nord. Une embarcation légère serait immédiatement déportée en direction de la péninsule coréenne. L’archéologue Yousuke Kaifu du Musée national de la nature de Tokyo a donc décidé d’appareiller depuis le sud de Taiwan, de maintenir en ramant un cap plein est et de se laisser porter par le courant, ce qui correspondra donc au même chemin que le plus court existant entre Taiwan et Yonaguni sur une carte, environ 70 kilomètres.

Capture d’écran 2019-07-03 à 18.03.57.png

La pirogue d’une longueur de 7 mètres a été creusée à l’aide d’outils en pierre à partir du tronc d’un arbre de un mètre de diamètre et l’archéologue effectuera cette traversée avec quatre coéquipiers dont un Maorais connaissant la navigation avec les étoiles sans sextant ni règle de Cras car aucun instrument moderne ne sera embarqué à bord de la pirogue.

Capture d’écran 2019-07-03 à 18.03.33.png

Cette expédition pourra donc lever deux énigmes (si elle réussit, on peut l’espérer) : 1. démontrer que le peuplement des Ryukyu provenait de Taiwan et 2. comment ces hommes du néolithique ont pu par la suite occuper tout l’archipel qui s’étend sur une distance de 1200 kilomètres de Taiwan à l’île de Kyushu. Bon vent !

Source : sciencemag.org

Hérodote n’avait pas rêvé …

7087.jpg

Il y a 2459 ans le grand historien grec Hérodote décrivit dans son ouvrage Historia les étranges bateaux qui naviguaient sur le Nil. Hérodote avait en effet visité l’Egypte et il fut particulièrement surpris par ces curieuses embarcations à fond plat et gouverne externe. Personne ne le crut : ces embarcations ne pouvaient pas exister telles qu’il les avait décrites, tout simplement. Hérodote insista en seulement une vingtaine de lignes de son ouvrage sur la technique utilisée pour construire la coque de ces bateaux appelés « baris » après une brève visite dans des chantiers navals. « Sur des membrures robustes ils insèrent des planches de deux coudées de large fixées avec des tenons. Puis ils assurent l’étanchéité entre les planches avec de l’étoupe faite de papyrus. Il y a un gouvernail qui traverse le haut de la quille. Le mât est en acacia et les voiles en papyrus tressé« .

Aucun archéologue ne crut le récit d’Hérodote jusqu’à la découverte dans les fonds marins près d’Aboukir des restes d’un de ces baris qui assuraient le commerce le long du Nil. Hérodote mentionnait de « longues cotes internes », en réalité les membrures. Les planches en acacia étaient maintenues ensemble par de longues nervures, certaines planches d’environ 2 mètres attachées aux nervures avec des chevilles. Le bateau pouvant atteindre une longueur de près de 30 mètres était dirigé par une gouverne solidaire d’une barre axiale traversant le haut de la coque.

Hérodote n’avait donc pas écrit n’importe quoi et la précision de sa description a stupéfait les archéologues car les restes de l’épave retrouvée dans la vase et de ce fait bien préservée ont parfaitement vérifié les affirmations du grand historien. Pour l’anecdote la cité engloutie de Thonis-Heraclion où les fouilles ont été effectuées se trouve à quelques centaines de mètres du rivage d’Aboukir.

Source et illustration : The Guardian

Naissance dans un cercueil : une histoire très macabre !

Capture d’écran 2019-04-01 à 15.44.58.png

Entre le septième et le huitième siècle de l’ère commune, en Lombardie, plus précisément à Imola, une femme enceinte mourut et fut enterrée. L’enfant qu’elle portait fut expulsé lorsque le processus de putréfaction fit augmenter la pression des gaz générés par cette putréfaction dans le ventre de la défunte et le foetus fut propulsé entre les jambes de la mère. Des côtes de l’enfant allèrent choir au cours de ce processus près des genoux de cette jeune femme. Il s’agissait d’un cas rarissime d’expulsion foetale post mortem qui attira l’attention de nombreux spécialistes quand le cercueil en briques fut découvert au cours de fouille urbaines.

Capture d’écran 2019-04-01 à 15.45.32.png

La mère était enceinte de 7 mois environ et devait probablement souffrir d’une forte tension artérielle appelée pré-éclampsie expliquant qu’elle fut trépanée, un traitement couramment utilisé au cours du Haut Moyen-Age pour traiter ce genre de pathologie. Elle survécut quelques semaines à cette trépanation puisque l’os du crâne avait commencé à cicatriser.

Capture d’écran 2019-04-01 à 15.46.06.png

Les causes de la mort de cette jeune femme n’ont pas pu être précisément déterminées mais les hypothèses, en particulier appuyées sur la trépanation, font état d’un décès en raison de cette supposée pré-éclampsie, une pathologie qui affecte plus de 3 % des femmes enceintes, cause importante de mortalité maternelle et considérée comme une urgence médicale majeure.

Source : Medical News Today (2018)

Leda et le Cygne à Pompéi

Capture d’écran 2018-11-20 à 11.56.46.png

L’archéologie et la mythologie se confondent souvent et la preuve la plus récente est la découverte d’une peinture érotique dans une chambre à coucher d’une maison à Pompéi. Il s’agit de la scène de copulation entre Leda, une princesse mythique de Sparte, et Zeus qui s’était transformé en cygne pour la séduire. Le cygne (Zeus) utilisa un stratagème astucieux pour séduire Leda et s’unir à elle. Il prétendit venir se réfugier entre ses bras car il était poursuivi par un aigle. De cette union, que d’aucuns pourraient classer dans la catégorie zoophilie, Leda accoucha de deux oeufs qui furent, selon la légende, soigneusement incubés par le cygne, en l’occurence Zeus mais c’est peu vraisemblable, plutôt un autre cygne ou encore Leda elle-même. Toujours est-il que de ces oeufs naquirent Hélène de Troie et Castor. Force est de constater que la mythologie ne s’embarrassait pas trop avec la vraisemblance des faits. Toujours dans cette mythologie il faut préciser que Clytemnestre, fille de Leda et de Tyndare, roi de Sparte, devint la femme d’Agamemnon et reine de Mycène. Quant à Castor et Pollux ils étaient demi-frères, Castor ayant résulté de l’union de Leda et de Zeus qui avait pris l’apparence d’un cygne, Pollux étant le fils légitime de Leda et de son époux Tyndare. Les deux oeufs issus de l’union entre Leda et le cygne donnèrent donc naissance à Hélène et Castor.

Sans vouloir offusquer les chrétiens cette légende aurait-elle inspiré les Evangiles ? Car Marie mère de Jésus avait copulé au sens allégorique du terme avec le saint-esprit, mais je m’égare …

L’accouplement entre Leda et le cygne est magnifiquement reproduit dans cette maison de Pompéi, découverte il y a quelques jours, avec un réalisme qui n’a rien à envier aux représentations plus modernes de cette scène mythique qui inspira de nombreux peintres et sculpteurs comme par exemple MichelAnge dont l’oeuvre originale, perdue, a été copiée par un de ses élèves :

Leda_-_after_Michelangelo_Buonarroti.jpg

Source et illustration : Sciences News, autre illustration Wikipedia.

Le chocolat : une invention de l’homme très ancienne

Capture d’écran 2018-10-31 à 18.00.21.png

Il y a environ 5500 ans les Amérindiens de la culture Mayo-Chinchipe utilisaient déjà le cacao. Il s’agit d’une découverte réalisée en analysant des poteries retrouvées sur le site archéologique de Santa Ana-La Florida en Equateur, dans le bassin supérieur de l’Amazone. Et elle remet en cause l’origine du cacao qui était considérée comme provenant de l’Amérique centrale. Des poteries très élaborées ont été soumises à une analyse par chromatographie et spectrographie de masse (LC-MS/MS) et la présence de théobromine, un alcaloïde spécifique du cacao a été retrouvé. La théobromine ne contient pas de brome car son nom dérive de celui du cacao Theobroma cacao et son action neurotrope est sensiblement identique à celle de la caféine mais à un moindre degré. Dans les poteries découvertes par les archéologues et analysées ensuite, des grains d’amidon typiques du cacao ont aussi été retrouvés et de l’ADN a été identifié comme provenant également du cacao. Des recherches génétiques sur le cacao ont également indiqué que les formes les plus diversifiées génétiquement se retrouvaient toutes dans cette région de l’Equateur. Il s’agit de la variété très répandue aujourd’hui dite Forastero qui se trouvait initialement à l’état sauvage dans la forêt amazonienne.

Auparavant la primeur de l’utilisation du cacao revenait à l’Amérique centrale, précisément au Honduras où les Amérindiens utilisaient le cacao il y à 3100 ans et il provenait donc du bassin supérieur de l’Amazone car il n’existe pas de cacao sauvage en Amérique centrale. La véritable domestication du cacao eut donc lieu vraisemblablement en Amérique centrale. Le cacao servait à préparer une boisson rituelle alcoolisée après fermentation préalable des graines, une étape qui existe toujours pour la préparation du chocolat, suivie d’une éventuelle torréfaction et enfin d’un broyage pour obtenir une pâte brune.

Cette découverte fait apparaître une autre énigme qui ne sera peut-être jamais éclaircie. La viabilité des graines de cacao est très courte, quelques mois seulement, et si le cacao est bien originaire de cette partie amazonienne de l’Equateur puisqu’il n’existe aucun plan sauvage de cacao en dehors de cette région précise de la culture Mayo-Chinchipe, alors comment les cacaoyers ont-ils pu être transportés sur de longues distances et en peu de temps ? Peut-être qu’au cours des migrations vers le nord les Amérindiens emportaient avec eux des plants de cacaoyer et les plantaient dans leur nouvelle étape et ainsi de suite, un peu comme le Petit Poucet semait des cailloux blancs pour retrouver son chemin … En plus de 2000 ans il y a eu beaucoup d’évènements migratoires dans cette région américaine.

Sources : Heredity (2002) 89, 380-386 et Science Magazine, illustration site archéologique de Santa Ana-La Florida.

Les fouilles de Çatalhöyük en Turquie

Çatalhöyük_with_surroundings..jpg

Un grand nombre de fragments de poteries retrouvées sur ce site de Çatalhöyük ont été étudiées très finement et ces études basées sur la signature isotopique des résidus carbonés imprégnant ces poteries a conduit à une compréhension très précise du mode de vie de ces premières communautés sédentaires vivant là il y a près de 8000 ans avant l’ère présente.

Pour comprendre l’intérêt de cette étude, il faut ici faire un petit rappel des mécanismes de fixation du CO2 par les plantes, mécanisme indépendant de la lumière, cette dernière – la photosynthèse – étant là pour produire les équivalents réducteurs (NADPH) et de l’énergie sous forme d’ATP. Il existe deux sortes de mécanismes de cette fixation du CO2 atmosphérique l’un présent dans les plantes dites C3, la très grande majorité des plantes, et l’autre présent dans les plantes dites C4. Les plantes en C3 fixent directement le CO2 avec la Rubisco sur un ribulose bis-phosphate pour produire deux molécules de 3-phosphoglycérate, d’où leur nom de C3. Or cette réaction n’est pas très efficace car l’oxygène a tendance à l’inhiber et comme l’oxygène a aussi tendance à diffuser à l’intérieur des cellules végétales pour que des dernières puissent respirer il est donc bien connu des maraîchers qu’enrichir l’atmosphère d’une serre en CO2 stimule la croissance végétale car l’activité de la Rubisco est favorisée.

Cross_section_of_maize,_a_C4_plant..jpg

Un peu plus tard au cours de l’évolution environ 3 % des plantes ont inventé un système judicieux de fixation du CO2 dit C4 en deux étapes qui se trouvent dans deux compartiments différents des feuilles. D’abord le CO2 est transformé en ion carbonate qui est incorporé dans un métabolite intermédiaire appelé phospho-énol-pyruvate pour former de l’oxaloacétate un di-acide à 4 atomes de carbone. Cette première étape se passe dans les cellules du mésophylle de la feuille (en vert) c’est-à-dire le tissu qui se trouve entre les nervures. Ces nervures constituent en fait le système vasculaire de la feuille. La deuxième étape a lieu avec la Rubisco dans des cellules formant une gaine entourant le système vasculaire (en violet dans l’illustration) et cette gaine est relativement protégée par les cellules du mésophylle. Un système de transport transfère le résultat de cette condensation, pour faire bref, dans les cellules péri-vasculaires relativement isolées de l’oxygène, le CO2 est alors libéré et incorporé à son tour par la Rubisco. Les plantes en C4 poussent beaucoup mieux et ont besoin de moins d’eau que les plantes en C3. Au niveau isotopique les plantes en C4 – puisque la Rubisco fonctionne mieux – fixent plus de CO2 « lourd » c’est-à-dire contenant du carbone-13. Il est dès lors possible en réalisant une analyse isotopique 12C/13C des dépôts organiques retrouvés dans ces débris de poterie de savoir d’où provenaient ces acides gras ainsi que les protéines d’origine animale outre celles du lait et quelle était la plante à l’origine de l’alimentation de l’animal dont étaient issus le lait ou la viande. L’enrichissement en 13C est également retrouvé dans les protéines. Or parmi les plantes en C4 qui se trouvent encore naturellement sur le site de Çatalhöyük il existe deux plantes en C4 qui servent de fourrage pour les ruminants. Il s’agit d’une Poacée (Chloris gayana) et du millet, également une poacée, comme d’ailleurs le maïs, la canne à sucre et le sorgho, les principales plantes en C4 de grande culture avec quelques 5000 espèces de plantes herbacées et d’arbustes.

Capture d’écran 2018-10-16 à 08.19.46.png

Cette étude apporte enfin quelques éclaircissement sur l’usage des poteries. Celles-ci servaient à réaliser des aliments à base de lait mais aussi à stocker des produits carnés ainsi que des préparations réalisés à partir de céréales dont l’ancêtre du blé (Triticum aestivum) qui, comme les autres céréales dont le riz, n’est pas une plante C4. Cette utilisation diversifiée des poteries signe la sédentarisation organisée en cellules familiales comme les fouilles du site de Çatalhöyük occupé à partir de 7500 ans avant l’ère présente l’ont montré. Source : Nature communications, 10.1038/s41467-018-06335-6

Note au sujet du carbone-13. Ce rapport 12C/13C a été utilisé pour calculer la contribution de l’activité humaine dans la teneur en CO2 atmosphérique en utilisant le même type d’analyse isotopique et a conduit à l’évidence que le temps de présence de ce CO2 qui a une « signature isotopique » particulière n’est que de 5,7 ans et une contribution de quelques ppm seulement : https://jacqueshenry.wordpress.com/2017/03/19/crise-climatique-cest-le-delire-total-3/

Il y a 15000 ans, après le fromage et le pain : la bière.

Capture d’écran 2018-09-27 à 16.59.22.png

Ce sont encore les Natufiens qui ont inventé la boisson alcoolisée. Cette civilisation moyen-orientale inventa le pain (voir un précédent article sur ce blog du 23 août 2018) et qui dit pain dit alcool dès l’instant où la pâte est colonisée par des levures, un processus spontané. J’ai coutume de dire que la levure de bière (ou de pain) est l’animal le plus anciennement domestiqué par l’homme et il n’a pas eu à faire d’efforts particuliers car les levures se trouvent partout dans la nature. En étudiant la grotte de Raqefet (illustration) en Israël au Mont Carmel utilisée entre 13700 et 11700 avant l’ère présente utilisée pour enterrer les morts, mais pas seulement, des excavations cylindriques ont été mises à jour. Elles servaient à broyer diverses plantes et grains utilisés pour l’alimentation, peut-être pour fabriquer de la farine afin de faire du pain … Les analyses microscopiques ont en effet indiqué que ces sortes de mortiers étaient imprégnés de restes de grains d’amidon de diverses céréales dont des variétés ancestrales de blé et d’avoine. Ces graminées ainsi que d’autres plantes de la famille du pois ont été identifiées en étudiant la morphologie des granules d’amidon récupérés par lavage délicat des parois de ces mortiers avec de l’eau à l’aide d’une sonde à ultra-sons comme en utilisent les dentistes pour détartrer les dents.

Capture d’écran 2018-09-27 à 17.24.14.png

Ces grains d’amidon ont fait l’objet d’une étude détaillée qui a montré que dans ces excavations le processus de saccharification enzymatique avait eu lieu in situ, un processus qui peut être obtenu par exemple par l’amylase salivaire, un enzyme qui détruit la structure de l’amidon. Mais il préexiste aussi le même type d’enzyme dans les grains eux-mêmes qui est activé lors de l’hydratation du grain pour favoriser la germination. Ce n’est qu’après cette première étape que la levure va se nourrir des sucres fermentescibles, essentiellement du glucose, pour produire de l’alcool. Selon la structure des grains d’amidon récupérés lors des lavages de ces mortiers le processus de fermentation a pu être ainsi précisé. L’amidon le plus abondant provenait du souchet rond (Cyperus rotundus), une plante poussant dans les lieux humides dont le rhizome était également riche en amidon et utilisé pour fabriquer du pain.

Les études microscopiques ont aussi montré la présence de fibres végétales ce qui suggère que le moût, mélange d’eau et de farine, devait être entreposé après confection de la farine dans des paniers qui restaient dans le fond de l’excavation. La séparation du résidu semi-solide du liquide alors alcoolisé par le processus de fermentation naturelle devait permettre d’obtenir un breuvage légèrement alcoolisé.

Les déductions des archéologues au sujet de cette pratique de fabrication de bière la rapproche des rites funéraires qui étaient probablement l’occasion d’une sorte de festin « arrosé » puisque des os d’animaux ont été retrouvés aux cotés des individus enterrés dans la grotte. Aménager de tels équipements a très certainement induit une certaine sédentarisation de ces peuplades qui maitrisaient le stockage des grains et maîtrisaient également la fabrication du pain, et ces découvertes situent la sédentarisation plutôt dans cette région de la civilisation natufienne s’étendant de l’est de la Turquie actuelle, depuis les rives de l’Euphrate jusqu’au Sinaï alors que cette sédentarisation est communément localisée en Mésopotamie quelques 4000 ans plus tard.

Source et illustration : https://doi.org/10.1016/j.jasrep.2018.08.008