Comme exposé dans un récent billet la période interglaciaire est d’une durée plus courte que la période glaciaire elle-même comme le rappelle l’illustration ci-dessous. Comme on peut le remarquer les pics culminants des périodes interglaciaires 320000 ans, 240000 ans et 125000 ans avant nos jours sont très courts, de l’ordre de 20000 ans. La dernière période interglaciaire, actuelle c’est-à-dire que nous vivons aujourd’hui semble présenter un pic qui débuta il y a environ 13000 ans (période du Dryas récent) et les incertitudes, comme cela était rappelé dans ce billet sont le résultat d’une stabilisation toujours en cours de la partie supérieure de la glace prélevée par carottage au Groenland et en Antarctique. Cette incertitude paraissait difficile à lever jusqu’à la publication ce 11 janvier 2023 de travaux réalisés à l’Institut de Recherche Arctique et Alpine de l’Université du Colorado à Boulder sous la direction du Docteur Tyler R. Jones que je vais tenter d’exposer ici.

Des forages réalisés dans l’Antarctique de l’Ouest ont été réexaminés très finement, c’est-à-dire millimètre par millimètre depuis la surface des carottages afin de différencier par exemple les couches de glace issues directement de la chute de neige et également du dégel de la partie superficielle au cours de l’été austral suivi à nouveau d’un gel au cours de l’hiver austral. L’évolution des températures a été corrélée à l’abondance de l’isotope lourd de l’hydrogène (deutérium) et les dépôts éoliens ont également pris en compte au cours des analyses. Les chutes de neige étant étroitement liées au taux d’humidité de l’air, d’une part, et aux fluctuations des températures de surface de l’Océan Antarctique lors du cycle saisonnier, d’autre part, deux paramètres liés entre eux à l’évidence, le transfert d’énergie thermique entre cet océan et la calotte glaciaire a pu être évalué. Ce type de reconstruction bénéficie du fait qu’il existe une saison avec ensoleillement maximal suivie d’une nuit polaire avec une transition relativement courte. Sur ce dernier point apparaissait un autre problème résidant dans la diffusion des gaz dissous dans la neige non encore compactée au cours de l’alternance saisonnière soleil-obscurité. C’est ce point qui a occupé les glaciologues de l’Université de Boulder. Il s’agissait de déterminer l’origine des gaz emprisonnés par la neige en calculant leur diffusion dans la glace en cours de formation ainsi que l’éventuelle stratification de l’eau légère et de l’eau deutérée. Ce paramètre a été déterminé en extrapolant les résultats obtenus sur des fenêtres consécutives glissantes de 140 ans de durée. En transposant les amplitudes de variation isotopiques saisonnières de la glace en variation de la température de surface de l’Océan entourant le continent Antarctique il est devenu possible de procéder à une analyse fine de la couche superficielle de glace non encore totalement compactée sur les 15000 dernières années.Il s’agit précisément de cette période d’incertitude mal étudiée jusqu’à ce jour.

Ces modèles ont permis d’atteindre une remarquable résolution comme illustré par la figure ci-dessus tirée de l’article de la revue Nature, en accès libre : https://www.nature.com/articles/s41586-022-05411-8 .Les figures sont extraites de la Fig.1 de l’article cité. La première est une illustration des variations saisonnières du taux de deutérium δD exprimé en ‰ sur l’intervalle de temps 5010-5000 ans avant aujourd’hui. On constate que la modélisation permet de différencier la variation de température entre la saison ensoleillée, l’été austral, et la saison hivernale sans soleil avec correction de la diffusion selon le modèle obtenu à l’Université de Boulder. La partie droite de l’illustration est l’amplitude annuelle du δD en ‰ sur la totalité de l’intervalle de temps 11000 ans jusqu’à aujourd’hui. Cette moyenne globale est exprimée pour chaque intervalle de 50 années : (moyenne estivale moins moyenne hivernale)/2. Il faut noter que le δO18 reste relativement négligeable dans l’Antarctique dont les eaux océaniques sont froides, ce qui n’est pas le cas pour la calotte glaciaire du Groenland. En d’autres termes l’enrichissement relatif en oxygène-18 également exprimé en ‰ est faible dans l’Antarctique.
L’autre illustration toujours extraite de la fig.1 du même article est la représentation globale détaillée de la partie droite de l’illustration précédente. Le profil c en rouge est la moyenne des maxima de δD l’été, en bleu des δD l’hiver et en violet la moyenne de ces deux profils (été – hiver)/2 la barre horizontale étant la moyenne des δD durant toute cette période. Il est important d’insister sur le fait que ces δD ne sont qu’une image des températures de surface de l’Océan Antarctique, plus cet océan est chaud, plus l’évaporation de l’eau contenant du deutérium est favorisée. Il s’agit d’une grande sans dimension puisqu’elle est exprimée en ‰. Que signifie ce résultat qui lève enfin l’incertitude soulignée dans la première illustration de ce billet ? Onze-mille années avant aujourd’hui : il s’agissait de la fin du Dryas récent, une période de réchauffement très brusque qui provoqua une montée du niveau des océans de plus de 60 mètres, la période de réchauffement précédente (Dryas moyen) ayant, elle, provoqué une montée de ce niveau des océans de d’environ 60 mètres également par rapport au minimum de la période glaciaire. Le Dryas récent correspond également aux premières implantations de l’agriculture au Moyen-Orient.

Cette reconstruction détaille l’évolution du climat durant les 11000 dernières années à partir des forages glaciaires exclusivement et elle corrobore les résultats obtenus avec d’autres « proxys » dont en particulier les sédiments lacustres et marins. Cette reconstruction ne met pas en évidence l’optimum climatique de l’Holocène (8000-4000 ans) qui favorisa le verdissement du Sahara mais par contre elle confirme le lent refroidissement qui a été débuté il y a environ 2000 ans. L’Océan Antarctique reflète-il l’évolution du climat dans le reste de la planète ? La question mérite d’être posée car d’autres études ont montré que depuis la fin de l’optimum climatique de l’Holocène la Terre semble avoir amorcé un refroidissement continu seulement depuis 2000 ans. Ces deux mille années de climat favorable ont permis l’explosion de l’humanité telle qu’on la connait aujourd’hui mais il ne faut pas se méprendre, cet optimum climatique actuel ne durera pas : il faut songer à ce qui s’est passé à la surface de notre planète par le passé. Il y a toujours eu beaucoup plus de périodes très froides que d’épisodes tels que celui que l’on connait aujourd’hui. L’humanité ne commencera à ressentir les effets de l’entrée dans une nouvelle ère glaciaire que dans une cinquantaine d’années au plus tôt …