
J’avais depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années, l’intention d’écrire un billet dédié à l’orgasme féminin, non pas que je sois un spécialiste de la question ni un obsédé sexuel – loin de moi cette idée ! – mais tout simplement parce que le démon de la curiosité scientifique ne m’a jamais quitté bien que j’aie démissionné de mes activités de chercheur en biologie il y a maintenant près de vingt années. Par exemple quand je me promène dans la rue je ne peux pas m’empêcher d’observer le comportement des passants et il y en a tellement qui manifestent sans s’en douter un instant des attitudes délicieuses pour un psychiatre alors je m’émerveille que la société puisse laisser en liberté tant de personnes dérangées d’une manière ou d’une autre, la plupart fort heureusement inoffensives. Cette espèce de passion pour l’observation fait donc toujours partie de ma vie de tous les jours. Un autre exemple de cette passion : je scrute chaque matin très tôt la position de Jupiter qui se trouve en ce moment juste au dessus de l’étoile Spica (l’Épi) dans la constellation de la Vierge et il y a quelques jours la Lune se trouvait aussi dans le ciel toute proche de Jupiter … Je me suis surpris alors à imaginer comment Galilée a pu interpréter le mouvement vers l’ouest de Jupiter par rapport à l’étoile Spica car savait-il précisément que la Terre tourne autour du Soleil 20 fois plus rapidement que Jupiter et que ce mouvement a pour résultat un changement apparent de la position de Jupiter par rapport aux étoiles ? Ceci étant il pointa la lunette de son invention vers Jupiter et découvrit 4 « lunes » gravitant autour de cette planète, observation qui lui permit d’affirmer l’héliocentrisme contrairement au dogme de la papauté d’alors du géocentrisme de l’Univers. Pourquoi la Lune ne tournait-elle pas aussi autour de la Terre ?
Venons-en donc à l’orgasme féminin à propos duquel les hommes – surtout les hommes – ont raconté n’importe quoi, prenant leurs désirs pour des réalités. L’orgasme masculin ne peut en aucun cas être transposé à celui de la femme. Il s’agit de deux réactions totalement différentes. Les grands sexologues ont imaginé que la femme éjaculait lorsqu’elle jouissait … foutaise totale. Ils ont imaginé également que la femme ne jouissait qu’avec son clitoris, une hypothèse totalement stupide qui a conduit pourtant à la pratique exécrable de l’excision, hypothèse que je me permets de réfuter totalement comme vous le constaterez en lisant ce billet jusqu’à son terme.
La femme dispose naturellement d’une capacité de jouissance physique d’une inimaginable diversité (et complexité) qui surpasse de très loin celle de l’homme qu’il est incapable de comprendre pleinement car il n’est réduit qu’à la fonction, fondamentale mais néanmoins triviale, de reproduction de l’espèce et de transmission de ses gènes, fonction qui se matérialise par une éjaculation lui procurant un plaisir, certes violent, mais ne durant que quelques fugaces secondes. La femme peut atteindre le plaisir avec son vagin, son clitoris, le bout de ses seins ou encore des caresses savamment distillées sur la plante de ses pieds. C’est vrai ! J’en ai fait l’expérience à de nombreuses reprises … Et ces orgasmes peuvent durer, qui plus est, plusieurs minutes !
Ma déformation professionnelle m’a donc conduit à observer scrupuleusement depuis quelques mois le comportement de ma fiancée (ma « novia ») quand nous faisons l’amour pour mener à bien ce projet. Entre parenthèses il m’a parfois fallu utiliser des mini-doses de sildenafil pour conduire à leur terme mes observations.
Cela m’a rappelé l’époque où je travaillais au Salk Institute. Il y avait des rats très bien domestiqués auxquels on avait implanté à demeure dans le cerveau des micro-seringues ainsi que des électrodes à peine visibles à l’oeil nu. Le tout était collé avec de l’araldite au sommet de leur crâne et les rats évoluaient librement dans leur petite cage quand naturellement ils n’étaient pas « connectés » pour une investigation. L’expérimentateur les branchait à des fils et des tubes très fins et pouvait influer directement sur le comportement de ces animaux en injectant des petits peptides qui étaient spécialement étudiés dans le laboratoire. Les rats éprouvaient du plaisir ou au contraire des douleurs intenses selon les produits qui étaient directement transférés dans leur cerveau à l’aide d’un léger courant électrique.
L’orgasme produit les mêmes effets sur le cerveau, une décharge soudaine d’ocytocine et de prolactine mais aussi et surtout d’endorphines (morphines endogènes naturellement produites par le cerveau), des petits peptides qui procurent une sensation soudaine d’euphorie et de relaxation. On pourrait alors très prosaïquement affirmer qu’un orgasme ce n’est finalement que de la chimie et que son intensité ne dépendrait que de l’aptitude du cerveau, en particulier de l’hypothalamus, à favoriser ces productions d’hormones peptidiques. Comme je ne dispose évidemment pas d’appareillages complexes de mesure dans mon modeste logement, je me suis prêté à des observations très simples pour tenter de quantifier l’intensité des orgasmes de ma dulcinée, le nom qu’utilisa si je ne m’abuse Cervantes pour la fiancée de rêve de Don Quixote. Je me suis particulièrement intéressé à deux paramètres, le temps qu’il faut à ma dulcinée pour s’endormir après un orgasme et la durée de la sieste qu’elle s’octroie – mais qui semble irrésistible – après cet évènement physiologique.
Avant de mettre ce billet noir sur blanc à l’écran de mon ordinateur j’ai fait une petite recherche bibliographique et je n’ai pas trouvé d’informations cohérentes sur les deux paramètres que je viens de mentionner. Apparemment aucun sexologue digne de ce nom ne s’est penché sur ces faits précis. Ou bien ma copine a un comportement particulier et qui lui est propre ou alors je suis en plein délire, mais je pense néanmoins avoir cerné ce problème de l’intensité de l’orgasme ressenti par une approche relativement simple. Pour être bref, je dirai qu’un petit orgasme rapidement atteint et superficiel provoque un assoupissement d’une demi-heure environ, alors qu’un orgasme ressenti intensément – selon les dires de ma partenaire – peut provoquer un sommeil profond, une sorte de narcose, de près de 90 minutes. Quant au laps de temps entre la fin de l’orgasme et l’installation de cet état d’inconscience, enviable pour des personnes qui souffrent d’insomnie ou ont des difficultés à trouver le sommeil, il est inversement proportionnel à l’intensité de l’orgasme. Plus l’orgasme est intense plus l’état d’inconscience profonde – une sorte de sédation – est rapidement atteint, parfois en moins de deux minutes.
J’ai corroboré mes observations par un bref interrogatoire de ma dulcinée. Elle classe ses orgasmes en trois catégories, petit (pequeño), moyen (bueno) et intense (muy grande) et ce classement confirme pleinement mes observations. Enfin lorsqu’elle ressent deux orgasmes successifs, ce qui lui arrive parfois quand je suis en pleine forme, elle plonge subitement dans un sommeil profond, une sorte d’état comateux durant lequel je peux lui caresser tout le corps sans qu’elle ne bouge le petit doigt.
C’est précisément ce qu’ont observé les physiologistes avec ces rats à qui on injectait des analogues des endorphines directement dans le cerveau, un état léthargique durable ressemblant à celui des opiomanes qui viennent de fumer leur boulette dans une fumerie des îles des Mers du Sud comme il en existait toujours il y a une vingtaine d’années. Certains rats presque en fin de vie furent sacrifiés après que l’expérimentateur leur eut broyé la queue d’un coup de marteau sans qu’ils aient réagi à la douleur alors que leur cerveau était sous l’effet de ces petits peptides particuliers. En conclusion je suis convaincu que le comportement de ma partenaire n’a rien d’exceptionnel et que beaucoup de mes lectrices se reconnaitront secrètement avec un léger sourire aux lèvres en lisant ce billet …
Illustration : « La Folie » de Wladyslaw Podkowinski (1894) censée illustrer un orgasme féminin.