On trouve sur le chromosome 15 un gène appelé HERC2 codant pour une protéine qui a pour fonction de fusionner plusieurs protéines entre elles mais pas n’importe comment sinon ce serait un peu la pagaille au niveau cellulaire. Quand une mutation atteint ce gène, il semble qu’il n’y a pas trop de problèmes sauf que un autre gène situé tout près et appelé celui-ci OCA2 est affecté dans son expression pour une raison encore assez mystérieuse. À vrai dire cette histoire de gènes serait anecdotique puisqu’il n’existe aucune conséquence sur la santé mais ce qui a intrigué les biologistes est que le produit du gène OCA2 est un transporteur de la mélanine ou de son précurseur la tyrosine et il ne se trouve pas n’importe où. Il est très abondant au niveau de l’iris de l’oeil (pas de la fleur).
Il a fallu l’opiniâtreté du Docteur Hans Eiberg de l’Université de Copenhague pour démontrer que le produit du gène OCA2 est responsable de de la couleur bleue des yeux. Les êtres humains, dans l’immense majorité, ont les yeux bruns ou noirs et ceci s’explique par la présence de mélanine, le pigment noir qui colore également la peau, au niveau de l’iris. Or si une mutation vient perturber l’activité de cette protéine particulière on comprend qu’il puisse apparaître toutes sortes de modulations de la couleur des yeux comme le montre l’illustration tirée d’un article publié par Eiberg dans la revue Human Genetics il y a quelques années (lien).
Le Docteur Eiberg a étudié la génétique de plus de 400 familles de Copenhague pour faire le tour de la question et expliciter les relations existant entre la couleur bleue des yeux, de la pigmentation de la peau et des cheveux. Tous ces caractères secondaires n’affectant pas la santé des individus sont sous la dépendance d’un nombre important de mutations sur une seule base de l’ADN (SNP) mais la question qui est apparue par la suite était de savoir d’où proviennent ces mutations en d’autres termes quel groupe ethnique les a introduit en Europe puisque c’est en Europe qu’on trouve la plus grande variabilité dans la couleur des yeux. Il y a quelques jours j’ai laissé sur ce blog un billet relatif à la présence d’un groupe d’humains restés isolés dans le flanc sud du Caucase durant la dernière grande glaciation du Würm (voir le lien). Or la présence des yeux bleus n’est pas particulièrement abondante dans cette région de l’Europe.
En réalité la localisation géographique des mutations provoquant la couleur bleue de l’iris a fait l’objet d’une véritable enquête policière. Le transfert des gènes liés à ce phénotype a eu lieu à la fin du dernier maximum glaciaire aux alentours de moins 18000 ans quand les glaciers ont commencé à se retirer. Les gènes des yeux bleus ont été apportés par les populations pratiquant l’agriculture en Jordanie, Irak, Turquie et Syrie actuels qui sont arrivés par vagues successives en Europe quand le climat est devenu progressivement plus clément. L’établissement de cette couleur est devenu stable environ 10000 ans avant l’ère présente, peut-être un événement coïncidant avec la disparition de la culture de Gobekli Tepe au sud de la Turquie, pas très loin de l’endroit où Erdogan fit abattre un avion russe il y a quelques jours, qui étaient déjà des agriculteurs et des bâtisseurs il y a plus de dix mille ans avant notre ère. Ce lent processus s’explique par la redistribution incessante des gènes au cours des générations en particulier parce que ces gènes n’affectent pas les chances de survie des individus. La palette de couleurs des yeux, du bleu clair au vert profond en passant par la couleur noisette pour aller jusqu’au noir insondable est le résultat de cette facétie de la nature …
Source : Human Genetics DOI : 10.1007/s00439-007-0460-x
https://jacqueshenry.wordpress.com/2015/11/27/a-la-recherche-du-troisieme-homme/
Voir aussi : https://youtu.be/eHG9URGDt6s