Les Ashkénazes ont été depuis des temps reculés considérés comme des juifs errants parlant une langue qualifiée d’allemand de mauvaise qualité. C’est d’ailleurs sur ces a priori sans fondement qu’Hitler organisa l’Holocauste. Mais que sait-on en réalité des origines de ce peuple disséminé aujourd’hui sur les 5 continents : pas grand-chose sinon que la langue parlée par les Ashkénazes était et est toujours, mais de moins en moins, le Yiddish. L’origine de cette langue vernaculaire datant de plus de 1000 ans s’explique assez aisément si l’histoire des Ashkénazes est prise en considération. Cette langue est clairement un mélange de slave, d’hébreu et d’allemand avec quelques touches d’iranien, de romanche, d’ukrainien et de turc, c’est assez compliqué. Les mots d’origines diverses comme le vocabulaire d’origine allemande ont été profondément déformés ou modifiés. Quant à la syntaxe elle est fondamentalement différente de celle de l’allemand et peut être assimilée à celle du romanche. Difficile dans ces conditions de trouver une origine précise pour les Ashkénazes parlant encore cette langue si l’on se réfère seulement à la langue.
C’est en allant fouiller dans les banques de données génétiques, travail qu’effectua une équipe de biologistes de l’Université de Sheffield en collaboration avec l’Université de Tel Aviv, qu’est apparue l’origine des Ashkénazes en prenant en compte l’histoire de ces derniers pour cibler les recherches en utilisant un outil informatique permettant de préciser l’origine géographique d’un individu en quantifiant les mélanges génétiques apparaissant après analyse de l’ADN par rapport à un éventail de populations dont l’origine géographique est parfaitement connue. Si les « distances génétiques » sont faibles, on se rapproche de cette origine géographique et inversement. Comme la pauvreté des restes archéologiques concernant la population ashkénaze n’a pas permis de remonter dans le temps avec des analyses d’ADN directes, celles-ci ont été effectuées auprès de 367 volontaires ayant pu prouver l’origine ashkénaze de leurs ancêtres. Parmi ces personnes, une bonne moitié purent indiquer clairement que leurs parents ou grand-parents parlaient le yiddish et parlaient encore eux-mêmes cette langue. Une autre moitié des participants ne parlaient plus le yiddish. L’essentiel des participants fut trouvé dans la communauté juive ultra-orthodoxe d’Amérique du Nord.
Pour expliquer comment fut ciblé l’outil de recherche, il faut faire un peu d’histoire des mouvements de populations originaires de Judée. Il y eut d’abord l’exil dit « romain » suivant la mise à sac de Jérusalem par les Romains en 70, exil qui fut précédé en 586 avant l’ère présente par l’invasion babylonienne de la Judée provoquant une vague d’émigration vers l’Iran. Après 70 ces émigrants arrivèrent en Italie puis en France vers 200-400 après JC. L’installation des « Judéens » – les futurs Ashkénazes – en Rhénanie et en Bavière ne date que des années 1000 de notre ère, ce qui explique la date d’émergence du Yiddish tel qu’il est connu aujourd’hui. Ces mouvements successifs expliquent aussi que cette langue s’enrichit de mots allemands tout en conservant une syntaxe dite judéo-romance acquise pendant de nombreux siècles entre l’Italie et la France ainsi que certains mots issus de l’hébreu. Quant aux Judéens qui émigrèrent vers l’Iran bien avant ces épisodes ils réapparurent dans diverses populations turques puis slaves avant de rejoindre finalement au XVe siècle leurs lointains coreligionnaires pour former le peuple ashkénaze tel qu’il est défini aujourd’hui. Ces populations, bien établies sur la route de la soie dans l’empire Khazar fuirent cette région à peu près aux alentours de l’an 1000 quand Sviatoslav I de Kiev conquit Atil, la capitale de cet empire. Pour les non-initiés dont je fais partie, le Khazar était un riche état couvrant l’ensemble du Caucase, une grande partie de l’Ukraine actuelle et les marches sud-ouest de la Russie telle qu’on la connait de nos jours. Le Khazar contrôlait la majeure partie des diverticules de la route de la soie autres que ceux passant par l’Iran et l’Irak. Les Khazars toléraient toutes les pratiques religieuses et c’est la raison pour laquelle les ancêtres des Ashkénazes eurent la possibilité de prospérer pendant plus de 1000 ans, aidés par les opportunités commerciales qui leur étaient offertes par cette route de la soie qui joua un rôle immense durant des siècles dans cette région.
Au cours de cette étude l’hypothèse d’une origine rhénane ou bavaroise de ce peuple a été mise de côté pour se concentrer sur les populations d’Iran, de l’est de la Turquie et d’Europe orientale dans une zone allant de la mer Caspienne à l’Ukraine et la Turquie. Les pays nommés ici sont ceux existant dans leurs frontières géographiques actuelles. L’outil de détermination géographique génétique dont il a été fait mention plus haut a donc ciblé ces populations afin de tenter de remonter à l’origine des Ashkénazes. Il est utile de préciser que les mouvements migratoires se firent essentiellement par voie terrestre et que les Judéens du premier siècle après JC, par exemple, passèrent par l’est de la Turquie et comme ils étaient des marchands et des négociants ils suivirent tout naturellement les embranchements de la route de la soie comme le firent en leur temps les émigrés après 586 avant JC, cette route de la soie traversant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le nord-est de la Turquie. Pendant près de 1000 ans (après la destruction du temple de Jérusalem par les Romains) ces populations que seule la religion unissait continuèrent a prospérer en faisant du négoce.
Sans entrer dans les détails méthodologiques il est apparu que l’origine la plus probable du peuple Ashkénaze est une petite région du nord-est de la Turquie, proche de la Géorgie et de l’Arménie actuelles.
L’illustration tirée de l’article relatif à ces travaux (voir le DOI, en accès libre) résume l’ensemble des résultats obtenus. Très curieusement il existe dans cette région des villages aux noms évocateurs de l’origine des Ashkénazes qui y séjournèrent probablement très longtemps …
Source et illustration : doi: 10.1093/gbe/evw046 en accès libre