Le meilleur ami de l’homme : chien ou chat ?

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Il y a maintenant près de 30 années j’avais besoin d’un enzyme qui n’existait pas dans le commerce pour étudier la voie de synthèse de la vitamine B1 dans les plantes. C’était encore l’époque où le biologiste devait apporter des preuves chimiques de ses travaux. Je me suis donc procuré 10 kg de levures de boulangerie et j’ai extrait et purifié l’enzyme en question afin de vérifier que tout se passait (comme on le supposait sans jamais l’avoir prouvé auparavant) chez les plantes comme chez les levures. Il me fallut plusieurs semaines pour finalement arriver à un petit tube qui contenait l’enzyme me permettant de poursuivre mes travaux sur la vitamine B1. Sans levures j’aurais été contraint d’avouer mon incapacité à élucider l’une des voies métaboliques les plus importantes des plantes.

Bien avant que l’homme ait inventé le microscope il utilisait déjà les levures sans le savoir pour préparer de la bière – de la cervoise – ou encore du vin. Puis l’homme découvrit que la farine de céréale humide « levait » et que le pain qu’il préparait à partir de cette pâte levée était plus goûteux. C’était il y a des milliers d’années, probablement quand les hommes commencèrent à cultiver des céréales puis en se sédentarisant et en vivant alors en groupes de plus en plus imposants dans des villes. Mais il fallut des millénaires pour comprendre que la levure avait été l’être vivant le plus anciennement domestiqué par l’homme, peut-être bien avant le chien et le chat. Le Docteur Brigida Gallone de l’Université de Gent et le Docteur Jan Steensels de l’Université de Louvain en Belgique décrivent en ces mots la levure :

« Bien que les levures du vin partagent des ancêtres communs avec les levures de bière, elles ne présentent que peu de signes (génétiques) de domestication. L’explication probable est que les levures du vin ne sont utilisées qu’une fois par an pour fermenter le jus de raisin. Elles survivent et forment des spores et vont, pourquoi pas, se mêler à des levures sauvages. En ce sens les levures de la bière sont comme des chiens, elles sont complètement apprivoisées et adaptées à leur relation avec l’homme alors que le caractère des levures du vin ressemble plutôt au chat, une certaine indépendance impossible à circonscrire« .

Au cours des siècles, les brasseurs ont sélectionné des levures qui n’introduisaient pas de goût déplaisant à la bière. Les moines belges ont réussi à sélectionner des levures qui supportaient des taux d’alcool élevés pour élaborer des bières de haute lignée. Ce n’est que très récemment que les vignerons ont choisi d’utiliser des levures sélectionnées pour produire des vins qui finalement ont perdu une partie de leur caractère originel. L’étude réalisée au sein des Universités de Louvain et de Gent en étroite collaboration avec la société américaine White Labs, important fournisseur mondial de souches de levures, a montré que les levures de bière présentaient une homogénéité génétique remarquable alors que les levures du vin ou du pain étaient beaucoup plus hétérogènes. Par exemple la levure de bière a perdu sa capacité à produire des spores et elle est devenue incapable de reproduction sexuée, ce qui n’est pas le cas pour les levures du vin ou du pain. Ces caractères ainsi que par exemple la disparition de voies métaboliques indésirables pour le goût ou l’odeur sont le résultat d’un lent processus de sélection qui a abouti à la domestication totale de la levure de bière. L’étude a concerné plus de 150 souches de levure communément utilisées dans l’industrie agroalimentaire y compris pour la panification et la vinification et a permis de préciser les voies potentielles d’amélioration des milliers de souches de levures utilisées aujourd’hui dans l’industrie.

Source : Cell, doi : 10.1016/j.cell.2016.08.020 en accès libre

Cure de jouvence : petites confidences à mes lecteurs

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Je m’administre maintenant depuis une année une dizaine de grammes de glycine chaque jour. Quels sont objectivement les bienfaits de ce traitement peu coûteux ? Je signale à mes lecteurs que j’aurai 71 ans dans quelques jours et que je suis encore sexuellement actif. Ces deux remarques sont importantes pour la compréhension de la suite de ce billet. Le premier effet de la glycine est une croissance plus rapide des ongles des pieds et des mains, des cheveux, de la barbe et des poils pubiens. J’ai remarqué que mes cheveux avaient tendance à grisonner ainsi que quelques poils pubiens. La glycine semble avoir fait généralement régresser ce phénomène également évident au niveau de la barbe. Je ne rase ma broussaille faciale qu’une fois par mois par pure procrastination de longue durée et elle est nettement moins blanche.

Le blanchiment des cheveux est la conséquence d’une élimination défectueuse d’espèces chimiques oxydées. Or cette élimination fait appel à un mécanisme énergétique alimenté par les mitochondries, les petites centrales à énergie des cellules vivantes. Comme la glycine a justement pour effet de préserver la fonctionnalité des mitochondries, il n’est donc pas étonnant que mon système pileux ait retrouvé une petite jeunesse.

J’ai remarqué que mon sommeil était de meilleure qualité : je dors plus longtemps sans interruption et ne souffre plus d’insomnies parfois de plusieurs heures si pour une raison inconnue je me réveille par exemple à deux heures du matin. J’éprouve également l’irrésistible envie de faire une petite sieste de trois quarts d’heure l’après-midi. Comme il est bien connu qu’un sommeil de qualité est nécessaire pour éliminer toutes sortes de déchets cellulaires et que ce processus fait également appel à des équivalents réducteurs (excusez le terme technique) produits par les mitochondries peut-être que mon organisme, mieux préparé à l’élimination de ces déchets, me signale qu’il faut dormir …

J’ai également remarqué que si je décide de marcher une demi-heure en montant – ici toutes les rues sont pentues, la ville part de la mer pour atteindre l’altitude de 600 mètres en quelques kilomètres – je ne souffre plus de courbatures comme cela m’arrivait régulièrement. De plus l’apparition de courbatures m’arrivait fréquemment après avoir honoré ma compagne, un exercice qui fait appel à certains muscles qu’on n’utilise pas de manière intensive normalement. Même cas de figure : plus de courbatures. Encore une fois c’est facile à expliquer puisque les courbatures sont la conséquence d’une production d’acide lactique au niveau des muscles. Or l’acide lactique est un déchet qui doit être éliminé avec l’aide de l’activité mitochondriale. J’ajouterai que ces mêmes mitochondries sont lourdement sollicitées lors d’un effort musculaire intense. La glycine a donc bien un effet bénéfique sur l’activité musculaire.

Comme je prends aussi chaque soir (je ne dîne jamais le soir, un seul repas par jour) douze grammes de levures de bière fraiches depuis plus de 5 ans, je ne peux donc qu’imputer les effets bénéfiques décrits ci-dessus qu’à la seule glycine. Les levures fraiches constituent un apport en oligo-éléments et vitamines complet, ce n’est pas cher, ce n’est pas très bon mais on s’y habitue très vite.

Enfin, je viens de débuter un traitement sur le long terme avec des foies de morue dans leur huile en provenance d’Islande, j’en reparlerai dans six mois si je suis encore en vie …

https://Saint-Jacques-de-Compostelle/2015/06/08/rester-jeune-tres-simple-gavez-vous-de-glycine-acide-amino-acetique/

Les levures : les meilleurs amies de l’homme !

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Le premier organisme vivant domestiqué et utilisé par l’homme est la levure probablement depuis des temps immémoriaux, c’est-à-dire quand l’homme s’est aperçu que manger des fruits fermentés naturellement puis intentionnellement lui procurait une certaine euphorie. Ce comportement n’était pas réellement le propre de l’homme puisque ses cousins les singes avaient également découvert l’effet « bénéfique » de ce liquide résultant de la croissance des levures dans les fruits. Il fallut naturellement attendre la fin du XIXe siècle pour que la levure soit identifiée, celle qui est utilisée pour préparer du pain, de la bière ou du vin. Cet ami de l’homme est aussi indispensable dans l’élaboration de deux autres aliments tout aussi appréciés que les boissons alcoolisées, le chocolat et le café.

Cette intervention des levures dans l’élicitation du goût du chocolat ou encore du café est peu connue mais il s’agit bien du même microorganisme la levure de bière joliment appelée Saccharomyces cerevisiae, la levure qui aime le sucre – saccharose – et permet de préparer la cervoise, en d’autres termes la bière ou l’hydromel et enfin le vin. Comme il s’agit d’une créature se reproduisant par bourgeonnement et proche des champignons la levure est aussi capable de fabriquer des spores qui comme ceux de n’importe quel champignon sont très facilement disséminés dans la nature. C’est l’une des raisons pour lesquelles la levure communément utilisée pour la vinification est génétiquement très semblable quelles que soient les régions ou pays du monde producteurs de vins. C’est l’homme qui a disséminé cette levure en transportant le vin dans des amphores puis des tonneaux de chêne. On retrouve par exemple la même levure, à l’identique, dans de nombreux pays producteurs de vin que celle retrouvée en France, en Espagne ou en Italie car elle a été transportée par les tonneaux de chêne ou précédemment les amphores. Il y a de ce fait très peu de diversité génétique pour ce qui concerne la levure utilisée pour la vinification.

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Mais qu’en est-il du chocolat et du café ?

Une étude pilotée par le Centre des Sciences du Génome de l’Université de Washington à Seattle a répondu à cette question. Il est intéressant de rappeler que les graines de cacao doivent être soumises à un processus de fermentation impliquant essentiellement des levures mais aussi des bactéries lactiques et acétiques qui digèrent la pulpe de la graine composée de pectines. Ce processus initialement naturel mais aujourd’hui soigneusement contrôlé fait ressortir l’arôme et le goût caractéristiques du chocolat. Je défie quiconque de mâcher à l’aveugle une graine de cacao fraiche qui ressemble à peu près à une fève et de retrouver le goût du cacao. Le processus de fermentation est nécessaire pour d’une part que la graine, ou ce va en rester, brunisse et qu’elle devienne goûteuse, une saveur presque âpre si on n’y ajoute pas du sucre. Le processus de fermentation dure plusieurs jours et conduit à une espèce de pâte brune qui sera ensuite utilisée pour façonner des blocs de cacao ou de la poudre après séchage et broyage de ce qui reste des graines.

Pour ce qui concerne le café, le processus de fermentation est légèrement différent dans la mesure où les graines sont abandonnées pendant deux à trois jours dans l’eau ou jusqu’à 25 jours en milieu semi-humide afin que le processus faisant encore appel aux levures débarrasse ces graines de leur enveloppe et que des réactions biochimiques complexes aient lieu pour éliciter l’arôme du café. Ce traitement est à rapprocher de la digestion par les civettes des graines de café (voir le lien sur ce blog) mais il fait intervenir essentiellement des levures du même type que la levure de boulangerie ou de bière.

Les travaux publiés dans la revue Current Biology ont mis en évidence une diversité génétique importante des levures utilisées pour la fermentation des graines de cacao ou de café selon les régions du monde productrices de ces dernières. Soixante-dix-huit souches de levures utilisées pour la fermentation des graines de cacao ainsi que 67 souches utilisées pour les graines de café ont été étudiées en provenance de 27 pays producteurs. Les levures associées avec les grains de café ont été isolées et caractérisées à partir de grains non torréfiés qui avaient conservé des spores des levures utilisées lors des processus de fermentation. Les illustrations ci-dessous qui sont une sorte de résumé des travaux dirigés par le Docteur Aimée Dudley montrent la diversité génétique des divers échantillons étudiés. Ces représentations sont une image de la « distance » génétique entre ces diverses souches déduite des analyses d’ADN calculée selon des protocoles pondérant l’incidence des phénotypes résultant d’une seule mutation (SNPs). Il est évident que toutes les levures utilisées pour la vinification sont très proches génétiquement alors que les souches utilisées tant pour le cacao que pour le café présentent une variabilité très large.

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Les même représentations pour le café (C) et le cacao (D) sont également très parlantes, si l’on peut utiliser un tel terme. Il faut en effet rappeler ici que le cacao est une plante originaire des bassins de l’Orénoque et de l’Amazone alors que le café est originaire d’Ethiopie. Le cacao a été répandu dans le monde après qu’Hernan Cortes l’ait fait connaître à l’Europe en 1530 alors que le café fut disséminé par les marchands arabes au VIe siècle et ne fut introduit en Europe qu’au XVIIe siècle puis acclimaté dans divers pays du monde comme le cacao. Cette étude génétique montre clairement que cette diversité des ADNs des levures résulte de mélanges largement favorisés par l’activité humaine.

Pour conclure, ces travaux montrent que les niches génétiques régionales ont été façonnées au cours des siècles par les mouvements de marchandises sans toutefois avoir une influence significative sur les particularismes locaux. Et si on vinifiait un pinot noir avec des levures utilisées en Papouasie-Nouvelle Guinée pour fermenter le cacao, quel serait le résultat improbable …

Source : http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2016.02.012

https://jacqueshenry.wordpress.com/2016/01/25/du-kopi-luwak-dans-votre-tasse-ce-nest-plus-un-luxe-inaccessible/

Vers la biosynthèse totale des opiacés par des levures : un nouveau pas de franchi

Cette fois je ne vais pas abonder dans le sensationnel car le chemin est encore bien long avant une application industrielle des travaux conduits dans le laboratoire de bioengineering de l’Université de Stanford sous la direction du Docteur Christina Smolke. La publication des récents travaux dont j’avais relaté l’état d’avancement en septembre 2014 dans ce blog (voir le lien) a fait l’effet d’une petite bombe dans les milieux journalistiques avides de bonnes (ou de mauvaises) nouvelles. Comme Christina le reconnaît il faut maintenant oeuvrer pour améliorer le rendement de production de la thébaïne et de l’hydrocodone par des levures hautement modifiées génétiquement, comme on va le voir, d’un facteur d’environ 7 millions pour que l’opération soit envisageable industriellement. Un immense travail reste à faire pour optimiser une machinerie enzymatique extrêmement complexe essentiellement étrangère à la levure mais une étape cruciale a été franchie, et c’est l’objet de la publication dans le journal Science ( DOI: 10.1126/science.aac9373 ), la conversion enzymatique de la (S)-réticuline en l’isomère (R) après une manipulation génétique de haut vol permettant l’expression de cet enzyme afin qu’il puisse, pour le moment, réaliser cette étape essentielle vers l’obtention de thébaïne et d’hydrocodone. Pour les non-initiés, dont je fais partie, la thébaïne est le précurseur de la morphine et de la codéine, les deux médicaments les plus prescrits dans le monde et l’hydrocodone, interdite en France et de nombreux autres pays, qui est aussi un puissant analgésique présentant comme la codéine des propriétés antitussives. Ces deux molécules sont issues du pavot cultivé à cette fin. Pour produire 5 pilules de codéine et de morphine il faut un mètre carré de pavot et le pavot ne se récolte qu’une fois l’an. Ce serait donc une immense amélioration si on pouvait réaliser ce type de production avec des fermenteurs de 100 m3, une taille moyenne dans la bio-industrie.

Capture d’écran 2015-08-14 à 20.33.00Pour la petite histoire, l’équipe de Christina a inséré pas moins de 6 nouveaux gènes étrangers variés dans la levure, « éteint » l’expression d’un des gènes de la dite levure et inséré deux autres gènes modifiés comme le montre l’illustration ci-dessous, tout en réalisant des modifications profondes dans l’expression de divers gènes de la levure afin de l’orienter vers cette voie métabolique plutôt que de faire de l’alcool quand on lui donne des sucres comme toute nourriture :

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En gris clair, les gènes résidents de la levure, en gris sombres les gènes de la levure dont l’expression a été amplifiée, en vert les gènes issus de diverses variétés de pavot et de plantes (Papaver somniferum et bracteatum, Coptis japonica, Eschscholzia californica), en violet un gène issu du rat (Rattus norvegicus) et en orange deux gènes issus d’une bactérie (Pseudomonas putida). Les flèches surlignées représentent des gènes manipulés de telle sorte qu’ils soient exprimés dans le bon compartiment cellulaire et que l’activité de l’enzyme correspondant soit bien celle attendue. Il s’agit en particulier de l’enzyme DRS-DRR et du suivant, SalSyn, dans la voie de biosynthèse. Ces deux étapes méritent qu’on s’y attarde un peu pour bien mettre en évidence la complexité du travail réalisé à l’Université de Stanford par cette équipe restreinte.

Chimiquement et par voie de conséquence biologiquement, passer de la (S)-réticuline à son isomère (R) ne peut se faire qu’en deux étapes distinctes faisant intervenir un cofacteur appelé cytochrome P-450 dans un processus d’oxydation suivi d’une réduction et il a fallu la sagacité admirable de l’équipe de Christina Smolke qui a rapproché des chimistes et des biologistes pour découvrir que dans un pavot (P. bracteatum) un gène exprimait un enzyme hybride qui réalisait les deux étapes simultanément, une sorte d’ingénierie génétique naturelle. Il a fallu ensuite optimiser – pour le moment du moins puisque ce travail reste au stade actuel démonstratif de la faisabilité du processus – l’étape suivante catalysée par l’enzyme appelé SalSyn qui fait apparaître un nouveau cycle à 6 atomes pour produire la salutaridine toujours avec l’aide d’un cytochrome. Cet enzyme est normalement recouvert d’un sucre, on dit qu’il est glycosylé dans la plante, mais ça ne marchait pas du tout dans la levure. Il a donc aussi fallu modifier le gène de cet enzyme afin qu’il se conforme correctement dans la cellule de levure et fonctionne de manière satisfaisante.

Passons sur la sophistication stupéfiante du travail réalisé, toujours est-il qu’au final ces levures fabriquent bien au final de l’hydrocodone et de la thébaïne, les deux produits susceptibles d’être utilisés pour synthétiser la codéine et la morphine en s’affranchissant de la culture risquée du pavot. Au total il aura fallu mettre en œuvre l’expression de pas moins de 21 gènes étrangers, la sur-expression de deux gènes de la levure et l’extinction d’un gène de la même levure, ce qui n’est pas indiqué dans la figure ci-dessous (Stanford University) :

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Le Docteur Smolke est formelle, il reste beaucoup de travail à réaliser et l’excitation de la presse n’est pas encore de mise. Il a fallu plusieurs années pour réussir la production industrielle par des levures d’acide artémisinique, précurseur de l’artémisinine, une drogue active pour tuer le Plasmodium de la malaria. Le challenge réside donc maintenant dans l’optimisation de l’ensemble des promoteurs des différents gènes impliqués dans cette voie métabolique afin que la biosynthèse soit optimale tout en préservant une croissance satisfaisante des levures.

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/09/04/quand-les-levures-produisent-de-la-morphine-et-de-la-codeine/

Article paru dans Science aimablement communiqué par le Docteur Christina Smolke. Illustrations : Science et laboratoire du Dr Smolke

Quand les levures produisent de la morphine et de la codéine !

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On parle de la drogue, de l’héroïne et de bien d’autres produits illicites, illégaux, considérés comme des dangers pour la civilisation « bon chic bon genre » à tel point que depuis des décennies l’usage de tels produits entretient une criminalité internationale contre laquelle toutes les actions gouvernementales ont échoué et continueront à échouer. Prenons l’exemple de l’Afghanistan, pays dans lequel se sont empêtré les Américains et qui ont ignoré la culture intensive du pavot alors que celle-ci constituait pour les bandes armées qu’ils combattaient sur le terrain le seul moyen de financer leur lutte. Pour abonder dans le surréalisme, les dérivés du pavot constituent un ensemble de thérapeutiques essentielles dans la médecine de tous les jours et les évènements de l’Afghanistan ont conduit les entreprises pharmaceutiques à songer à s’affranchir des restrictions (pour faits de guerre) relatives à l’approvisionnement en opioïdes dérivés du Papaver somniferum, cette plante qui a été à la source de conflits récurrents comme par exemple la guerre de l’opium qui opposa l’Empire Britannique à celui du Milieu à la fin du XIXe siècle. On pourrait consacrer un billet entier au rôle que tint l’opium dans les sociétés occidentales bien-pensantes des années passées, toujours est-il que l’héroïne est toujours considérée comme une drogue illicite dans la plupart des pays du monde alors qu’il y a encore trente ans des fumeries existaient au coin de la rue ne serait-ce qu’à Port-Vila, aux Nouvelles-Hébrides, ce condominium franco-anglais où tous les vices étaient tolérés et même encouragés.

Les choses ont changé et le conflit afghan a poussé les compagnies pharmaceutiques pourvoyeuses d’opioïdes à reconsidérer leurs sources d’approvisionnement en matière première pour préparer, conditionner et commercialiser les principaux analgésiques issus du pavot qui sont universellement utilisés dans le monde entier, même si l’Afghanistan n’a jamais constitué l’essentiel de la production de pavot destiné à l’industrie pharmaceutique. La production de morphine et de codéine à usage médical nécessite le traitement industriel de milliers de tonnes de pavot chaque année et des pays comme la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne ou encore la France et l’Australie contribuent à cette industrie finalement pas très lucrative mais qui doit satisfaire à la demande constante des hôpitaux car mis à part la morphine on n’a toujours pas trouvé de traitements réellement efficaces contre certaines douleurs …

Le pavot est donc aussi la source incontournable de la codéine, une molécule largement utilisée comme antitussif et anti-diarrhéique, mais il y a aussi dans le pavot la papavérine, un vasodilatateur puissant et la thébaïne, précurseur pour la synthèse d’autres dérivés opioïdes comme l’hydrocodone ou l’hydromorphone. Bref l’un des soucis des compagnies pharmaceutiques du monde entier est d’assurer ses arrières en termes d’approvisionnement pour extraire et produire tous ces dérivés issus du pavot. Pour des raisons faciles à comprendre quand on contemple la structure de la morphine et de la codéine, la morphine étant en tous points identique à la codéine excepté pour le groupement méthyle fixé  sur un oxygène (CH3) qui est absent dans la molécule de morphine :

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leur synthèse en laboratoire et a fortiori dans une usine n’est pas économiquement viable et n’a d’ailleurs jamais été envisagée sérieusement. C’est pourquoi le rêve des chimistes est de forcer des microorganismes à faire en sorte qu’après des modifications génétiques adéquates ils deviennent capables d’assumer cette nouvelle tache. On a bien fait en sorte que des bactéries synthétisent de l’insuline, pourquoi pas la morphine ?

En fait obliger une bactérie à fabriquer de l’insuline n’est pas très compliqué puisque l’insuline est une vulgaire petite protéine. Un peu de manipulation génétique et le tour est joué car la bactérie dispose de tout l’équipement requis pour une telle tâche. Mais synthétiser une molécule de morphine est une toute autre histoire car la plante, le pavot, a imaginé des activités catalytiques complètement inattendues pour ne pas dire ésotériques aux yeux des biochimistes pour arriver à un résultat aussi inattendu en terme de structure, pour les adeptes de la chimie il s’agit de la famille des benzylisoquinolines, c’est dit ! Tenter de modifier par sélection le pavot pour obtenir de meilleurs rendements est une vue de l’esprit car la voie de biosynthèse est tellement complexe qu’on aboutirait fatalement à l’accumulation d’intermédiaires qui finiraient par bloquer l’ensemble du système de biosynthèse. On est arrivé, par exemple, après des travaux titanesques à réussir à faire fabriquer en quantités négligeables de l’artémisidine par des levures mais le succès commercial reste encore à prouver.

Les enjeux économiques et politiques étant immenses car la morphine est le premier analgésique utilisé et la codéine l’un des produits les plus prescrits dans le monde ont conduit de nombreux laboratoires universitaires à détricoter le schéma de la biosynthèse de cette molécule, d’en identifier tous les gènes, donc les enzymes impliqués, et de tenter d’introduire toute cette information génétique dans le meilleur ami de l’homme, la levure. En effet, la levure dispose de toutes sortes de ressource qui sont absentes dans une bactérie triviale comme Escherichia coli tout juste bonne à produire une protéine qui pourra servir de matière première pour élaborer un vaccin. La synthèse d’une molécule comme la morphine fait de plus appel à une compartimentation intracellulaire or les bactéries sont dénuées de ce type de spécialisation à l’échelle microscopique. En effet, il faut arriver, dans une voie métabolique complexe, à faire en sorte qu’un intermédiaire ne s’accumule pas dans un compartiment cellulaire spécifique et c’est pourquoi la levure, après tout assez proche de nous et aussi des plantes, semblait être le matériel biologique le plus apte à être modifié pour tenter de reproduire ce qui se passe dans le pavot.

C’est ce que poursuit inlassablement depuis plus de dix ans une petite équipe de biologistes du Département de Bioengineering de l’Université de Stanford en Californie dirigée par le Docteur Christina Smolke.

Pour comprendre la suite de cet exposé il est malheureusement nécessaire de faire un petit rappel de la voie de biosynthèse de la morphine et de ses proches cousins dans le pavot et beaucoup de mes lecteurs vont croire que je prends un malin plaisir à les « stupéfier » avec des formules chimiques imbuvables …

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Cette voie de biosynthèse comprend pas moins de 17 étapes et il est difficile d’en calculer le rendement final puisqu’il s’agit d’un processus biologique contrairement à la synthèse chimique que l’on contrôle étape par étape ( voir : http://www.scs.illinois.edu/denmark/presentations/2006/gm-2006-01n31.pdf ). L’idée était au départ d’ignorer les premières étapes de la biosynthèse et d’orienter la levure à produire de la morphine à partir de la thébaïne, l’un des intermédiaires naturels qui représente jusqu’à 2 % des alcaloïdes du pavot, la codéine et la morphine représentant respectivement 4 et 12 % de ces derniers. En effet maîtriser une telle voie de biosynthèse ne peut être atteint que par étapes successives. L’équipe du Docteur Smolke avait déjà mis au point une levure capable de produire avec des rendements satisfaisants la réticuline à partir d’un aminoacide très commun, la tyrosine, puis la thébaïne à partir de cette même réticuline. Restait la dernière et cruciale étape du travail consistant à faire exprimer par la levure, mais pas nécessairement la même souche transformée préalablement, les bons enzymes pour le passage de la thébaïne à la codéine et enfin à la morphine. Or il s’est trouvé que la levure n’est pas un tissu structuré comme une plante qui possède divers types de cellules et localise certaines étapes de synthèse dans un type bien précis de cellules. Les levures ont en quelque sorte privilégié des voies alternatives pour passer de la thébaïne à la codéine alors que la plante optimise la production de l’un ou l’autre des produits finaux.

L’astuce a été d’introduire un nombre adéquat de copies des gènes des divers enzymes du pavot dans la levure afin d’obtenir à peu près cette optimisation et en ajoutant un morceau de protéine à certains enzymes pour qu’ils se localisent spontanément par exemple sur une membrane intra-cellulaire, tout ça naturellement par ingénierie génétique en fabriquant des sortes de protéines hybrides pour les contraindre à, par exemple, se trouver au même endroit et réduire ainsi les risques de transformation spontanée de certains intermédiaires de la biosynthèse qui réduisent le rendement final. L’autre intérêt de cette « haute couture » à l’échelle de l’ADN a été de dévier également le travail imposé à la levure en l’obligeant à produire d’autres opiacés présentant un intérêt thérapeutique encore plus intéressant que ceux de la codéine ou de la morphine. Enfin la dernière action pour infléchir cette synthèse dans le sens souhaité est de forcer l’activité de l’un ou l’autre enzyme en ajoutant dans le milieu de culture l’un des substrats utilisés par l’enzyme, dans ce cas tout simplement du glutamate qui se transforme dans la levure en 2-oxoglutarate et active les étapes de transformation de la thébaïne en néopinone et de la codéine en morphine :

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Figure tirée de l’article de Nature aimablement transmis par le Docteur Christina Smolke. T6ODM : Thébaïne-6-O-demethylase, CODM : codéine-O-demethylase, COR : codeinone reductase, seulement pour les curieux.

Enfin, l’un des intérêt de ces modifications génétiques complexes est d’obtenir des levures qui sont capables de produire de l’hydrocodone qui est un plus puissant antitussif que la codéine avec des effets secondaires hypnotiques, type morphine, amoindris, malgré d’autres effets secondaires comme la mort soudaine d’enfants traités par ce produit, ce qui n’est pas anodin on en conviendra. La technique développée à l’Université de Stanford reste tout de même intéressante car elle permettra également de produire l’hydromorphone à moindre frais, un analogue de la morphine 15 fois plus puissant et atteignant le système nerveux central très rapidement. Cette déviation a été réalisée en introduisant dans les levures les gènes d’enzymes présents dans des bactéries qui se multiplient sur les résidus d’extraction des pavots. Il s’agit donc d’un travail remarquable dans la mesure où dans un avenir peut-être proche il ne sera plus nécessaire de cultiver du pavot pour produire la morphine et la codéine.

Sources : University of Stanford et Nature Chemical Biology, article aimablement communiqué par le Docteur Christina Smolke

Maladie de Parkinson : un espoir (encore lointain) de traitement …

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Les progrès constants de la médecine ont pour résultat un accroissement de l’espérance de vie et une diminution de la mortalité due aux cancers et aux maladies cardiovasculaires. Ces deux effets sont d’ailleurs à l’évidence liés. Mais l’autre conséquence est que, la population vieillissant, l’apparition de maladies neurodégénératives est en constante augmentation et c’est inévitable. C’est la raison pour laquelle la quête de nouveaux médicaments permettant de combattre les trois principales maladies qui affectent de plus en plus de personnes que sont les maladies de Parkinson, d’Alzheimer et de Huntington est une des préoccupations majeures des équipes de recherches privées et publiques. Si la maladie de Huntington est d’origine génétique, son évolution n’est pas sans rappeler les deux autres maladies neurodégénératives y compris au niveau de l’accumulation d’une protéine appelée huntingtine qui est anormalement exprimée et perturbe profondément le fonctionnement normal du cerveau. Le tableau cytologique de la maladie d’Alzheimer montre également une accumulation de fragments de la protéine beta-amyloïde résultant d’une conformation anormale de cette protéine ainsi qu’une modification de la protéine tau, deux composants essentiels de l’intégrité des neurones. Quant à la maladie de Parkinson, il y a également accumulation dans les neurones d’une protéine appelée alpha-synucléine. Cette dernière protéine, différente de la protéine beta-amyloïde de la maladie d’Alzheimer, a tendance a subir spontanément, au moins dans un tube à essai, une autolyse conduisant à divers fragments qui sont toxiques pour la cellule nerveuse et qui ont été retrouvés après étude post mortem du tissu nerveux de malades. Le rôle de l’alpha-synucléine est mal connu mais on sait cependant qu’elle est essentielle dans le maintien de la structure fonctionnelle du neurone, de son métabolisme énergétique et de la régulation de la sécrétion des neurotransmetteurs stockés dans des vésicules intracellulaires car l’alpha-synucléine interagit avec les membranes lipidiques des organites intracellulaires comme les mitochondries, les centrales énergétiques de la cellule, et l’appareil de Golgi, le lieu où s’effectuent les synthèses en particulier de ces neurotransmetteurs. Dans le développement de la maladie de Parkinson cette protéine s’accumule anormalement dans des inclusions appelées corps de Lewy mais encore une fois la cause de ces dérèglements est toujours inconnue. Ce que l’on sait par contre depuis une dizaine d’années, c’est que l’alpha-synucléine est toxique pour les levures car elle se lie aux membranes des mitochondries et perturbe profondément le métabolisme énergétique de ces organismes. C’est en mettant à profit cette observation qu’une équipe pluridisciplinaire du MIT a mis au point un test permettant d’effectuer un screening haute fréquence de plus de deux cent mille composés chimiques. Pour mettre au point un test rapide et simple le choix des levures comme « animal de laboratoire » n’a pas été fait par hasard car la levure est un microorganisme complexe dont les fonctions cellulaires sont presque identiques à celles de n’importe quelle cellule humaine, que ce soit le métabolisme énergétique ou celui des lipides. Les levures ont d’abord été modifiées génétiquement pour sur-exprimer l’alpha-synucléine, mais pas trop afin qu’elles ne meurent pas mais aient une croissance ralentie car la toxicité de l’alpha-synucléine perturbe, comme pour les neurones, le métabolisme. Le screening haute fréquence met le plus souvent en œuvre des boites de culture en polyéthylène constituées de 96 alvéoles et c’est sur une mesure rapide de la croissance des levures à l’aide d’appareils optiques simples que repose justement la rapidité du test. Si un composé chimique inhibe la production d’alpha-synucléine alors la levure se multiplie normalement puisque la toxicité de la protéine est supprimée. Un seul composé chimique a été identifié comme actif dans ce modèle très éloigné de la maladie de Parkinson elle-même. Il s’agit d’un aryl benzymidazole qui a ensuite été étudié plus en détail sur d’autres systèmes cellulaires en culture dont des neurones de nématode ou de rat utilisés comme modèle de la maladie de Parkinson. Plus probant encore, même si une telle molécule sera ou ne sera jamais un médicament car de nombreuses autres études devront être réalisées dans ce but, ces mêmes biologistes ont utilisé des cellules provenant de patients présentant une forme rare de maladie de Parkinson d’origine génétique et bien identifiée comme résultant d’une mutation du gène codant pour l’alpha-synucléine. Ces cellules, par exemple d’épithélium buccal, ont été rendues pluripotentes et redirigées pour générer des neurones avec parallèlement, comme contrôles, des cellules traitées de la même manière mais obtenues à partir d’un sujet sain. Comme on pouvait s’y attendre les neurones, ou plutôt les cellules nerveuses obtenues en culture présentaient les même symptômes, corps de Lewy et fragilité métabolique, que celle du patient dont elles étaient issues. L’aryl benzimidazole identifié par le test sur les levures s’est révélé actif sur ces neurones en culture en restaurant les fonctions cellulaires déficientes en raison de cette mutation. Il reste un long chemin à parcourir car l’alpha-synucléine n’est pas synthétisée par la cellule par hasard et interférer avec cette synthèse pourrait faire apparaître des effets adverses pires que le mal lui-même. Les recherches ultérieures devront montrer que la dégradation spontanée de l’alpha-synucléine peut être directement atteinte et éventuellement stoppée par cette molécule, un espoir tout de même dans le traitement de cette maladie pour laquelle il n’existe pour le moment aucun traitement de la cause primaire mais seulement des traitements partiels des effets et qui ne permettent en aucun cas ni de ralentir et encore moins de soigner la maladie.

Source et illustration : Whitehead Institute, MIT.