Les propriétés organoleptiques du cacao redécouvertes

Parmi les différentes variétés de cacaoyer, Criollo, Forastero et Nacional il existe aussi le Trinitario, un hybride naturel entre le Criollo et le Forastero. Toutes ces variétés sont issues d’Amérique centrale et des pays du nord de l’Amérique du sud. Elles diffèrent par leur susceptibilité aux ravageurs, leurs rendements et enfin, et surtout leur arôme. Mais il ne suffit pas d’ouvrir le fruit et d’en extraire les graines qu’on appelle aussi des haricots en raison de leur forme pour en préparer du chocolat. Ces graines sont entourées d’une pulpe dont on se débarrasse en accumulant celles-ci et en permettant une sorte de fermentation qui débarrasse les graines de cette pulpe. Il s’agit d’une étape cruciale dans la révélation de l’arôme de ce qui servira plus tard à préparer le chocolat. Cette étape de fermentation est mal contrôlée et provient directement des pratiques ancestrales qui n’ont été que peu modifiées au cours des siècles. Ce processus de fermentation dure en moyenne cinq jours. Les graines débarrassées de cette pulpe parfois par une intervention humaine directe avec les mains voire les pieds puis séchées à l’abri du soleil sont enfin expédiées vers les centres de production de chocolat dont en particulier en Europe dans des conditionnements totalement privés d’oxygène afin de prévenir toute prolifération de larves d’insectes.

La préparation de la poudre de cacao requiert une dernière étape importante et critique, la torréfaction qui va permettre la séparation du corps de la graine de sa peau puis la préparation de la poudre proprement dite, la matière première pour la production du chocolat. La théobromine, un alcaloïde très amer est l’un des principaux constituants de la poudre de cacao, jusqu’à 2 % en poids selon les variétés, d’où le nom de Theobroma cacao pour la plante. Le cacao est également riche en caféine et en une multitude d’autres composés chimiques qui rendent le cacao et le chocolat très recherchés. La « chimie » de l’arôme et du goût du chocolat est complexe et l’équipe du Docteur Irene Chetschik à l’Université des Sciences Appliquées de Zurich à Wädenswil s’est penchée dans le détail de cette composition chimique en la reliant à la saveur perçue pour chaque composant, un point crucial dans cette recherche, car l’appréciation des odeurs et des saveurs se doit d’être objective. Lien :https://doi.org/10.1021/acs.jafc.1c08238

Le but de ces travaux était d’obtenir la meilleure expression de ces composés chimiques. Des graines de cacaoyer de la variété Trinitario non fermentées, c’est-à-dire directement séchées dans des séchoirs à l’abri du soleil et des graines fermentées selon la méthode traditionnelle puis séchées ont été obtenues auprès d’une exploitation agricole au Costa Rica. Au laboratoire les graines non fermentées ont subi un processus dit d’imprégnation humide dans une solution contenant 9 grammes par litre d’acide lactique et 5 % d’éthanol et après réhydratation incubées pendant trois jours en présence d’oxygène à 45 degrés C. Les teneurs en produits odorants de ces trois lots, non fermentés, fermentés et « incubés » ont été comparés par chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectrographe de masse et les résultats obtenus avec la poudre de cacao obtenue finalement sont plutôt surprenants comme l’indique l’illustration ci-dessous.

Cette illustration mérite quelques explications. Quelques 29 composés chimiques différents ont été identifiés dans la poudre de cacao. Pour exemple

le 2-phenylethyl acetate a une odeur de fruit sec et la 4-hydroxy-2,5-dimethyl-3(2H)-furanone une odeur de caramel. Pour dresser un profil de chaque poudre de cacao obtenue il a été fait appel à des volontaires pour « sentir » ces composés odorants en « double-aveugle » afin d’obtenir un résultat objectif, le goût et l’odorat étant deux sens intimement liés. Le profil sensoriel des trois poudres est très différent. Dix paramètres ont été pris en considération. L’odeur florale, de fruit sec, de malt, de caramel, de verdeur, l’odeur de grillé, de douceur, l’acidité, l’amertume et l’astringence. La poudre provenant de graines non fermentées (en vert) est beaucoup trop astringente, amère et en outre possède trop de verdeur. La verdeur caractérise un vin trop jeune ou un fruit « trop vert », comprenez pas assez mûr, une notion difficile à décrire avec des mots. Les graines fermentées (en noir) ont un profil presque équilibré pour tous ces paramètres mais la surprise avec les graines incubées, tel que cela a été décrit plus haut, montre que la poudre obtenue présente plusieurs caractéristiques améliorant la qualité gustative et les propriétés organoleptiques du produit : moins d’astringence, d’amertume et de verdeur que la poudre traditionnelle obtenue par fermentation et plus d’arômes en général, goût de malt, de fruits secs, de miel, de caramel et enfin cette caractéristique elle aussi difficile également à expliquer avec des mots, la douceur (sweetness en anglais).

Le protocole de maturation des graines de cacao élaboré par l’équipe du Docteur Chetschik présente donc des avantages loin d’être négligeables pour la production d’un chocolat pouvant satisfaire tous les consommateurs de cette « douceur » gustative. Il reste néanmoins un détail technique : comment les producteurs locaux de cette matière première, habitués au processus de fermentation traditionnelle, pourront-ils mettre en œuvre une incubation contrôlée avec une solution alcoolique à 5 % contenant de l’acide lactique. Certes ce sont deux produits très peu coûteux mais la mise en œuvre de ce procédé sur les lieux de production pourrait rencontrer quelques difficultés. En conclusion le procédé mis au point à l’Université de Zurich ouvre la voie à la production de chocolats d’exceptionnelle qualité et en Suisse la qualité n’est pas un vain mot …

Le Docteur Irene Chetschik est vivement remerciée pour m’avoir communiqué un tiré à part de l’article cité en référence au début de ce billet.

Le chocolat : une invention de l’homme très ancienne

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Il y a environ 5500 ans les Amérindiens de la culture Mayo-Chinchipe utilisaient déjà le cacao. Il s’agit d’une découverte réalisée en analysant des poteries retrouvées sur le site archéologique de Santa Ana-La Florida en Equateur, dans le bassin supérieur de l’Amazone. Et elle remet en cause l’origine du cacao qui était considérée comme provenant de l’Amérique centrale. Des poteries très élaborées ont été soumises à une analyse par chromatographie et spectrographie de masse (LC-MS/MS) et la présence de théobromine, un alcaloïde spécifique du cacao a été retrouvé. La théobromine ne contient pas de brome car son nom dérive de celui du cacao Theobroma cacao et son action neurotrope est sensiblement identique à celle de la caféine mais à un moindre degré. Dans les poteries découvertes par les archéologues et analysées ensuite, des grains d’amidon typiques du cacao ont aussi été retrouvés et de l’ADN a été identifié comme provenant également du cacao. Des recherches génétiques sur le cacao ont également indiqué que les formes les plus diversifiées génétiquement se retrouvaient toutes dans cette région de l’Equateur. Il s’agit de la variété très répandue aujourd’hui dite Forastero qui se trouvait initialement à l’état sauvage dans la forêt amazonienne.

Auparavant la primeur de l’utilisation du cacao revenait à l’Amérique centrale, précisément au Honduras où les Amérindiens utilisaient le cacao il y à 3100 ans et il provenait donc du bassin supérieur de l’Amazone car il n’existe pas de cacao sauvage en Amérique centrale. La véritable domestication du cacao eut donc lieu vraisemblablement en Amérique centrale. Le cacao servait à préparer une boisson rituelle alcoolisée après fermentation préalable des graines, une étape qui existe toujours pour la préparation du chocolat, suivie d’une éventuelle torréfaction et enfin d’un broyage pour obtenir une pâte brune.

Cette découverte fait apparaître une autre énigme qui ne sera peut-être jamais éclaircie. La viabilité des graines de cacao est très courte, quelques mois seulement, et si le cacao est bien originaire de cette partie amazonienne de l’Equateur puisqu’il n’existe aucun plan sauvage de cacao en dehors de cette région précise de la culture Mayo-Chinchipe, alors comment les cacaoyers ont-ils pu être transportés sur de longues distances et en peu de temps ? Peut-être qu’au cours des migrations vers le nord les Amérindiens emportaient avec eux des plants de cacaoyer et les plantaient dans leur nouvelle étape et ainsi de suite, un peu comme le Petit Poucet semait des cailloux blancs pour retrouver son chemin … En plus de 2000 ans il y a eu beaucoup d’évènements migratoires dans cette région américaine.

Sources : Heredity (2002) 89, 380-386 et Science Magazine, illustration site archéologique de Santa Ana-La Florida.

Les levures : les meilleurs amies de l’homme !

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Le premier organisme vivant domestiqué et utilisé par l’homme est la levure probablement depuis des temps immémoriaux, c’est-à-dire quand l’homme s’est aperçu que manger des fruits fermentés naturellement puis intentionnellement lui procurait une certaine euphorie. Ce comportement n’était pas réellement le propre de l’homme puisque ses cousins les singes avaient également découvert l’effet « bénéfique » de ce liquide résultant de la croissance des levures dans les fruits. Il fallut naturellement attendre la fin du XIXe siècle pour que la levure soit identifiée, celle qui est utilisée pour préparer du pain, de la bière ou du vin. Cet ami de l’homme est aussi indispensable dans l’élaboration de deux autres aliments tout aussi appréciés que les boissons alcoolisées, le chocolat et le café.

Cette intervention des levures dans l’élicitation du goût du chocolat ou encore du café est peu connue mais il s’agit bien du même microorganisme la levure de bière joliment appelée Saccharomyces cerevisiae, la levure qui aime le sucre – saccharose – et permet de préparer la cervoise, en d’autres termes la bière ou l’hydromel et enfin le vin. Comme il s’agit d’une créature se reproduisant par bourgeonnement et proche des champignons la levure est aussi capable de fabriquer des spores qui comme ceux de n’importe quel champignon sont très facilement disséminés dans la nature. C’est l’une des raisons pour lesquelles la levure communément utilisée pour la vinification est génétiquement très semblable quelles que soient les régions ou pays du monde producteurs de vins. C’est l’homme qui a disséminé cette levure en transportant le vin dans des amphores puis des tonneaux de chêne. On retrouve par exemple la même levure, à l’identique, dans de nombreux pays producteurs de vin que celle retrouvée en France, en Espagne ou en Italie car elle a été transportée par les tonneaux de chêne ou précédemment les amphores. Il y a de ce fait très peu de diversité génétique pour ce qui concerne la levure utilisée pour la vinification.

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Mais qu’en est-il du chocolat et du café ?

Une étude pilotée par le Centre des Sciences du Génome de l’Université de Washington à Seattle a répondu à cette question. Il est intéressant de rappeler que les graines de cacao doivent être soumises à un processus de fermentation impliquant essentiellement des levures mais aussi des bactéries lactiques et acétiques qui digèrent la pulpe de la graine composée de pectines. Ce processus initialement naturel mais aujourd’hui soigneusement contrôlé fait ressortir l’arôme et le goût caractéristiques du chocolat. Je défie quiconque de mâcher à l’aveugle une graine de cacao fraiche qui ressemble à peu près à une fève et de retrouver le goût du cacao. Le processus de fermentation est nécessaire pour d’une part que la graine, ou ce va en rester, brunisse et qu’elle devienne goûteuse, une saveur presque âpre si on n’y ajoute pas du sucre. Le processus de fermentation dure plusieurs jours et conduit à une espèce de pâte brune qui sera ensuite utilisée pour façonner des blocs de cacao ou de la poudre après séchage et broyage de ce qui reste des graines.

Pour ce qui concerne le café, le processus de fermentation est légèrement différent dans la mesure où les graines sont abandonnées pendant deux à trois jours dans l’eau ou jusqu’à 25 jours en milieu semi-humide afin que le processus faisant encore appel aux levures débarrasse ces graines de leur enveloppe et que des réactions biochimiques complexes aient lieu pour éliciter l’arôme du café. Ce traitement est à rapprocher de la digestion par les civettes des graines de café (voir le lien sur ce blog) mais il fait intervenir essentiellement des levures du même type que la levure de boulangerie ou de bière.

Les travaux publiés dans la revue Current Biology ont mis en évidence une diversité génétique importante des levures utilisées pour la fermentation des graines de cacao ou de café selon les régions du monde productrices de ces dernières. Soixante-dix-huit souches de levures utilisées pour la fermentation des graines de cacao ainsi que 67 souches utilisées pour les graines de café ont été étudiées en provenance de 27 pays producteurs. Les levures associées avec les grains de café ont été isolées et caractérisées à partir de grains non torréfiés qui avaient conservé des spores des levures utilisées lors des processus de fermentation. Les illustrations ci-dessous qui sont une sorte de résumé des travaux dirigés par le Docteur Aimée Dudley montrent la diversité génétique des divers échantillons étudiés. Ces représentations sont une image de la « distance » génétique entre ces diverses souches déduite des analyses d’ADN calculée selon des protocoles pondérant l’incidence des phénotypes résultant d’une seule mutation (SNPs). Il est évident que toutes les levures utilisées pour la vinification sont très proches génétiquement alors que les souches utilisées tant pour le cacao que pour le café présentent une variabilité très large.

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Les même représentations pour le café (C) et le cacao (D) sont également très parlantes, si l’on peut utiliser un tel terme. Il faut en effet rappeler ici que le cacao est une plante originaire des bassins de l’Orénoque et de l’Amazone alors que le café est originaire d’Ethiopie. Le cacao a été répandu dans le monde après qu’Hernan Cortes l’ait fait connaître à l’Europe en 1530 alors que le café fut disséminé par les marchands arabes au VIe siècle et ne fut introduit en Europe qu’au XVIIe siècle puis acclimaté dans divers pays du monde comme le cacao. Cette étude génétique montre clairement que cette diversité des ADNs des levures résulte de mélanges largement favorisés par l’activité humaine.

Pour conclure, ces travaux montrent que les niches génétiques régionales ont été façonnées au cours des siècles par les mouvements de marchandises sans toutefois avoir une influence significative sur les particularismes locaux. Et si on vinifiait un pinot noir avec des levures utilisées en Papouasie-Nouvelle Guinée pour fermenter le cacao, quel serait le résultat improbable …

Source : http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2016.02.012

https://jacqueshenry.wordpress.com/2016/01/25/du-kopi-luwak-dans-votre-tasse-ce-nest-plus-un-luxe-inaccessible/

L’invraisemblable croisière du Carnival Magic

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Décidément la fièvre hémorragique Ebola n’en finit pas d’agiter les médias et pour cause, il vaut mieux faire peur, c’est toujours payant ! Ce bateau de croisière, sorte d’hôtel flottant transportant jusqu’à 4000 figues sèches, je veux parler des clients de ce genre d’excursion en mer, se devait de « faire visiter » aux dites figues sèches quelques îles paradisiaques de la Caraïbe et quelques lieux offrant éventuellement des sites archéologiques à découvrir en moins d’une heure, les contraintes horaires aidant. Or il s’est trouvé par un hasard qui a alimenté l’avidité des journalistes et autres gogos qu’avait embarqué sur ce bateau la directrice du laboratoire d’analyse de l’hôpital texan où fut soigné le ressortissant libérien qui mourut de la fièvre Ebola il y a quelques jours. Par un malheureux autre hasard cette femme avait effectué (ou supervisé, on n’en sait rien) des analyses sur les fluides du malade en question. Autant dire que quand le CDC a divulgué l’information, le bateau a été condamné à faire des ronds dans l’eau en attendant que la personne en question, en quarantaine comme son époux et son enfant dans des cabines calfeutrées, développe éventuellement des signes fébriles. C’est vraiment du grand n’importe quoi !

Quiconque est allé musarder dans un laboratoire d’analyse hospitalier aura pu constater que toutes les précautions élémentaires sont prises par le personnel pour se prémunir contre une quelconque contamination par n’importe quel agent pathogène, que ce soit un virus ou une bactérie. La psychose est organisée par les sphères gouvernementales américaines pour faire diversion auprès du public car il y a bien d’autres sujets hautement préoccupants qu’il faut oublier !

Toujours est-il que plus de 5000 personnes sont en quasi quarantaine au milieu du Golfe du Mexique et aucune escale prévue n’a pu être effectuée. Le navire va revenir tranquillement à Galveston, son port d’attache où il sera probablement soumis à une désinfection des cales aux superstructures, on ne sait jamais.

Autre nouvelle hautement médiatisée localement, l’infirmier (ou infirmière ? J’avoue n’avoir pas trop suivi cette histoire) hospitalisé sous haute précaution à l’hôpital Candelaria de Santa Cruz de Tenerife souffrait tout simplement d’une crise de paludisme qu’il (elle) avait contracté en Sierra-Leone. C’est bien connu, ce pays n’est pas exempt de paludisme mais les médecins avaient semble-t-il oublié qu’il en était ainsi.

Pour rappel :

Ebola en Afrique de l’Ouest : 5500 morts en 7 mois soit 26 par jour.

Paludisme dans le monde : 2000 morts par jour.

Feux ouverts des cuisines dans les cases : 20000 morts par jour.

On marche sur la tête et c’est proprement scandaleux. Ce ne sont ni la Sierra-Leone, ni le Liberia, ni la Guinée Conakry qui importent, ce sont au contraire les quelques cas importés dans les pays occidentaux et aussi et surtout l’évolution du cours du cacao au cas où cette fièvre venait atteindre la Côte-d’Ivoire …

Statistiques : OMS

La guerre du cacao aura-t-elle lieu, et la suivante ?

Le Ghana, un des rares pays africains dont on n’entend pas ou peu parler s’est engagé il y a quelques années dans un vaste programme d’éradication du virus qui ravage les plantations de cacaoyer du pays. Pour rappel, le Ghana est le premier producteur mondial de cacao et l’économie de l’ensemble du pays repose donc fragilement sur cette monoculture. Le virus en question est le CSSV, acronyme de Cocoa Swollen-Shoot Virus, littéralement le virus du gonflement des tiges du cacaoyer. Ce virus, comme tous les virus phyto-pathogènes est transmis par un insecte et dans le cas du cacaoyer par un parasite parfois appelé à tort mouche blanche mais qui est réalité une cochenille. Cet insecte parasite a la particularité de sécréter un miellat dont raffolent certaines fourmis qui ont vite compris que la « culture » des cochenilles était tout bénéfice pour elles mais pas du tout pour le cacaoyer. Entre 2005 et 2010, ce sont près de trente millions de cacaoyers qui ont été arrachés et brûlés, simplement au Ghana. Au Cameroun ou en Côte-d’Ivoire, deux autres pays africains producteurs de cacao, la situation est tout aussi alarmante. Plus grave encore, les fourmis transportent au cours de leur travail d’élevage des cochenilles un champignon tout aussi dévastateur qui attaque le cacaoyer au niveau des blessures occasionnées par les cochenilles. Ce champignon microscopique de la famille des Phytophthora, plus proche d’ailleurs génétiquement des algues brunes que des champignons, constitue un autre ennemi mortel du cacaoyer difficile à éradiquer à l’aide de fongicides traditionnels puisqu’il se loge dans les blessures et sous l’écorce de l’arbuste. Ce champignon a également la malencontreuse idée de s’attaquer aux fruits du cacaoyer, ce qui signifie qu’avant sa mort certaine en quelques années à cause de l’infection virale, le cacaoyer ne produit plus que quelques fruits et le fermier ne doit plus sa survie qu’aux efforts constants et gigantesques des autorités du Ghana pour planifier des plantations entourées de no man’s lands afin de prévenir la transmission des cochenilles d’une plantation à une autre. Les fermiers ne voient pas d’un bon œil ces terres inutilisées mais ils sont en permanence avertis que c’est la seule solution pour leur survie. Mais le but ultime de cette histoire relatant brièvement le triste destin des cacaoyers ghanéens est beaucoup plus vaste. Le Phytophthora fait partie des ravageurs des cultures vivrières comme d’autres champignons provoquant la « rouille » mais parmi ces ravageurs, il faut inclure les insectes, les nématodes, ces vers microscopiques qui attaquent les racines, et les rongeurs variés, du mulot au rat. On estime que près de 30 % des récoltes dans le monde sont tout simplement perdues en raison des ravageurs. Des pays comme la Chine ont déclaré la guerre aux rats, mais qu’arriverait-il si un champignon résistant à tous les pesticides connus pullulait brusquement ? Le fait que les cours du cacao fluctuent à cause de ces maladies – aucun traitement contre les affections virales n’existe pour les plantes, comme chez l’homme à quelques rares exceptions près – n’est pas vraiment vital en soi, à la limite on peut se passer de chocolat, mais si une grande culture vivrière comme le riz venait à être décimée en partie par une rouille provoquée par un champignon phyto-pathogène mutant et résistant à tous les traitements phytosanitaires, ce serait la famine immédiate pour des centaines de millions de personnes et qui dit famine dit violence, guerre, émigration. Il faut se souvenir que la grande famine irlandaise du milieu du XIXe siècle fut causée par le ravage des cultures de pommes de terre justement par un Phytophthora. En quelques années la population du pays chuta de plus de 25 %, mortalité et émigration confondues. A l’échelle mondiale, il est impossible d’imaginer un scénario plausible au cas où la production d’une ou plusieurs grandes cultures vivrières, blé, maïs, riz ou soja, chutait même de seulement 30 %. La situation s’aggrave pour une autre raison inattendue, plus aucun étudiant d’université n’a envie de se spécialiser en mycologie, en entomologie, en bactériologie ou virologie végétale, on ne trouve plus aucun taxonomiste, ce biologiste spécialiste capable d’identifier un champignon microscopique pathogène pour les plantes, et l’expérience des « anciens » partis à la retraite a disparu. Enfin, la mise au point de nouvelles molécules chimiques permettant de combattre les ravageurs des végétaux est longue et coûteuse. Entre l’instant où on identifie une nouvelle molécule chimique de synthèse active au laboratoire sur un champignon donné et le jour où cette même molécule se retrouve sur le marché, il peut se passer dix à quinze années. Un crise alimentaire mondiale de grande ampleur ne peut donc pas être exclue y compris dans un proche avenir. Le cas de l’Irlande est là pour rappeler que les conséquences de la famine sont ingérables et conduisent à des guerres et des tueries. Et comme pour assombrir le tableau, les stocks des 4 grandes cultures citées plus haut sont à peine suffisants pour nourrir la planète pendant six mois. Plus que toute autre ressource primaire de la planète, l’agriculture vivrière est un colosse aux pieds d’argile qui peut s’effondrer à tout moment.

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Source et photo : National Geographic

Cancer (?) et phénols (thé, café et autres viandes fumées)

J’ai déjà écrit un billet sur la protéine p53 qui commande la mort des cellules malades mais est aussi impliquée dans la réparation de l’ADN cellulaire si ce dernier est endommagé par des facteurs externes comme les ultra-violets ou des substances chimiques délétères, et il y en a ! A l’Université Johns Hopkins (Kimmel Cancer Center) une équipe pluridisciplinaire réunissant des chimistes des aliments et des biologistes spécialisés dans l’étude des causes du cancer ont montré sans ambiguité que certains produits présents dans l’alimentation étaient susceptibles d’endommager l’acide désoxy-ribonucléique (ADN) le support de l’hérédité et si ces dommages étaient mal contrôlés une cellule pouvait devenir cancéreuse avec les conséquences que l’on sait. Le gène de la protéine p53 est activé pour produire cette protéine quand l’ADN a été endommagé et c’est donc une sorte de marqueur des risques de cancer dont un test par fluorescence de l’activation a été mis au point dans le laboratoire de Scott Kern à la Johns Hopkins School of Medicine. Les chimistes des aliments ont effectué divers extraits de toutes sortes d’aliments ou boissons ou encore des sauces et ont redilué ces extraits pour qu’ils soient étudiés à des doses sensiblement identiques à celles présentes dans les aliments avec des cultures de cellules en suivant l’activation du gène de la protéine p53.

Partant d’une hypothèse simple que je retranscris de l’anglais ainsi : « On ne sait pas trop ce que contient notre alimentation et quels effets elle a sur les cellules de notre corps », cette équipe a trouvé que des composés apparemment anodins pouvaient être considérés comme vraiment dangereux d’après le test utilisé. Par exemple les sauces « barbecue » sont particulièrement dangereuses (potentiellement) ainsi que d’autres agents de saveur plus ou moins artificiels ajoutés aux saucisses, par exemple pour qu’elles aient un goût de fumé, mais aussi le thé vert, le thé noir et le café sont aussi potentiellement dangereux. Les chimistes ont ainsi montré que les deux principaux composés qui activaient le gène de la p53 étaient l’acide gallique et le pyrrogallol. Or ces deux phénols se retrouvent en quantités variées dans le saumon fumé, ou d’autres viandes boucannées, mais aussi dans la fumée de cigarette, les colorants pour les cheveux (mesdames attention!) le thé, le café, la croute de pain (mon dernier petit-fils en rafolle) le malt qui sert à fabriquer la bière et le whisky, mes deux boissons préférées, ou encore la poudre de cacao.

Heureusement que Scott Kern, qui doit être un amateur de whisky ou de bourbon, a vite vérifié que le whisky écossais ou tout au moins des extraits dûment préparés dans les conditions strictes du protocole utilisé n’avait qu’un effet mineur sur le gène de la p53, ouf ! Bien d’autres additifs du genre sauces, les Américains sont friands de « dressings » pas vraiment prisés des Français, tabasco, sauce au soja, sauce aux haricôts noirs, kim chee, sauce au paprika ou wasabi pour n’en citer que quelques unes, n’ont aucun effet dans le test utilisé.

En conclusion de ces résultats, leurs auteurs considèrent que des études complémentaires sont nécessaires pour bien préciser quel est l’effet de ces phénols sur la cancérogénèse. A suivre donc et bon appétit.

Source et p53 dans ce blog : http://www.hopkinsmedicine.org/news/media/releases

https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/02/02/un-espoir-dans-le-traitement-des-cancers-enfin/