Parmi les différentes variétés de cacaoyer, Criollo, Forastero et Nacional il existe aussi le Trinitario, un hybride naturel entre le Criollo et le Forastero. Toutes ces variétés sont issues d’Amérique centrale et des pays du nord de l’Amérique du sud. Elles diffèrent par leur susceptibilité aux ravageurs, leurs rendements et enfin, et surtout leur arôme. Mais il ne suffit pas d’ouvrir le fruit et d’en extraire les graines qu’on appelle aussi des haricots en raison de leur forme pour en préparer du chocolat. Ces graines sont entourées d’une pulpe dont on se débarrasse en accumulant celles-ci et en permettant une sorte de fermentation qui débarrasse les graines de cette pulpe. Il s’agit d’une étape cruciale dans la révélation de l’arôme de ce qui servira plus tard à préparer le chocolat. Cette étape de fermentation est mal contrôlée et provient directement des pratiques ancestrales qui n’ont été que peu modifiées au cours des siècles. Ce processus de fermentation dure en moyenne cinq jours. Les graines débarrassées de cette pulpe parfois par une intervention humaine directe avec les mains voire les pieds puis séchées à l’abri du soleil sont enfin expédiées vers les centres de production de chocolat dont en particulier en Europe dans des conditionnements totalement privés d’oxygène afin de prévenir toute prolifération de larves d’insectes.
La préparation de la poudre de cacao requiert une dernière étape importante et critique, la torréfaction qui va permettre la séparation du corps de la graine de sa peau puis la préparation de la poudre proprement dite, la matière première pour la production du chocolat. La théobromine, un alcaloïde très amer est l’un des principaux constituants de la poudre de cacao, jusqu’à 2 % en poids selon les variétés, d’où le nom de Theobroma cacao pour la plante. Le cacao est également riche en caféine et en une multitude d’autres composés chimiques qui rendent le cacao et le chocolat très recherchés. La « chimie » de l’arôme et du goût du chocolat est complexe et l’équipe du Docteur Irene Chetschik à l’Université des Sciences Appliquées de Zurich à Wädenswil s’est penchée dans le détail de cette composition chimique en la reliant à la saveur perçue pour chaque composant, un point crucial dans cette recherche, car l’appréciation des odeurs et des saveurs se doit d’être objective. Lien :https://doi.org/10.1021/acs.jafc.1c08238
Le but de ces travaux était d’obtenir la meilleure expression de ces composés chimiques. Des graines de cacaoyer de la variété Trinitario non fermentées, c’est-à-dire directement séchées dans des séchoirs à l’abri du soleil et des graines fermentées selon la méthode traditionnelle puis séchées ont été obtenues auprès d’une exploitation agricole au Costa Rica. Au laboratoire les graines non fermentées ont subi un processus dit d’imprégnation humide dans une solution contenant 9 grammes par litre d’acide lactique et 5 % d’éthanol et après réhydratation incubées pendant trois jours en présence d’oxygène à 45 degrés C. Les teneurs en produits odorants de ces trois lots, non fermentés, fermentés et « incubés » ont été comparés par chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectrographe de masse et les résultats obtenus avec la poudre de cacao obtenue finalement sont plutôt surprenants comme l’indique l’illustration ci-dessous.

Cette illustration mérite quelques explications. Quelques 29 composés chimiques différents ont été identifiés dans la poudre de cacao. Pour exemple
le 2-phenylethyl acetate a une odeur de fruit sec et la 4-hydroxy-2,5-dimethyl-3(2H)-furanone une odeur de caramel. Pour dresser un profil de chaque poudre de cacao obtenue il a été fait appel à des volontaires pour « sentir » ces composés odorants en « double-aveugle » afin d’obtenir un résultat objectif, le goût et l’odorat étant deux sens intimement liés. Le profil sensoriel des trois poudres est très différent. Dix paramètres ont été pris en considération. L’odeur florale, de fruit sec, de malt, de caramel, de verdeur, l’odeur de grillé, de douceur, l’acidité, l’amertume et l’astringence. La poudre provenant de graines non fermentées (en vert) est beaucoup trop astringente, amère et en outre possède trop de verdeur. La verdeur caractérise un vin trop jeune ou un fruit « trop vert », comprenez pas assez mûr, une notion difficile à décrire avec des mots. Les graines fermentées (en noir) ont un profil presque équilibré pour tous ces paramètres mais la surprise avec les graines incubées, tel que cela a été décrit plus haut, montre que la poudre obtenue présente plusieurs caractéristiques améliorant la qualité gustative et les propriétés organoleptiques du produit : moins d’astringence, d’amertume et de verdeur que la poudre traditionnelle obtenue par fermentation et plus d’arômes en général, goût de malt, de fruits secs, de miel, de caramel et enfin cette caractéristique elle aussi difficile également à expliquer avec des mots, la douceur (sweetness en anglais).
Le protocole de maturation des graines de cacao élaboré par l’équipe du Docteur Chetschik présente donc des avantages loin d’être négligeables pour la production d’un chocolat pouvant satisfaire tous les consommateurs de cette « douceur » gustative. Il reste néanmoins un détail technique : comment les producteurs locaux de cette matière première, habitués au processus de fermentation traditionnelle, pourront-ils mettre en œuvre une incubation contrôlée avec une solution alcoolique à 5 % contenant de l’acide lactique. Certes ce sont deux produits très peu coûteux mais la mise en œuvre de ce procédé sur les lieux de production pourrait rencontrer quelques difficultés. En conclusion le procédé mis au point à l’Université de Zurich ouvre la voie à la production de chocolats d’exceptionnelle qualité et en Suisse la qualité n’est pas un vain mot …
Le Docteur Irene Chetschik est vivement remerciée pour m’avoir communiqué un tiré à part de l’article cité en référence au début de ce billet.