Avec quelques jours d’intervalle le monde entier a appris que la Chine était devenue l’incontestable leader mondial de l’énergie nucléaire du futur : le chargement en combustible du premier réacteur nucléaire à très haute température et la mise en fonctionnement d’un réacteur à sels de thorium fondu. Ces deux programmes de démonstration ont été planifiés il y a plus de dix ans et ont chacun nécessité le travail de milliers d’ingénieurs souvent formés dans des universités occidentales et de techniciens hautement qualifiés ainsi que le savoir-faire d’une multitude de petites entreprises de haute technologie. La Chine s’oriente donc résolument vers un avenir énergétique fiable et peu onéreux.
Le réacteur à très haute température refroidi avec de l’hélium est situé à Shidaowan dans la province du Shandong. Il s’agit de deux unités qui fourniront de la vapeur de très haute qualité pour alimenter une turbine de 210 MW électriques. La première unité est déjà opérationnelle et le complexe sera raccordé au réseau électrique avant la fin de cette année. La construction de cette usine a débuté en décembre 2012. La température de l’hélium en sortie de réacteur est de 750°C et après passage dans un générateur de vapeur cet hélium refroidi à 250°C retourne dans le réacteur. Le réacteur lui-même se trouve dans une cuve de 11 mètres de haut et de 3 mètres de diamètre comprenant des déflecteurs en graphite et des barres de contrôle entourant un dispositif innovant constitué d’un lit fluidisé de billes de combustible de 60 millimètres de diamètre. À pleine charge le combustible comprend 420000 billes de céramique contenant chacune 7 grammes d’uranium enrichi à 8,5 % d’isotope 235. Il faut un mois pour que le chargement soit complet.
L’intérêt d’un tel dispositif est que le réacteur peut fonctionner sans arrêt de rechargement puisque celui-ci peut être effectué en continu et en cas d’incident les billes peuvent être stockées dans des cuves ayant un volume tel que le processus de fission s’arrête en raison du déficit de quantité critique d’uranium. Il s’agit pour l’instant d’un prototype néanmoins producteur d’électricité qui permettra aux ingénieurs de se former pour l’étude d’unités de puissance plus importante ainsi que pour développer toutes les technologies afférentes dont en particulier la production d’hydrogène.
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L’autre innovation chinoise se trouve implanté à WuWei dans la province du Gansu. Il s’agit du premier réacteur à sels fondus de thorium. Bien que cette technologie ait été explorée au début des années 1960 aux USA elle n’a jamais fait depuis l’objet de nouvelles recherches car le fonctionnement de ce réacteur est beaucoup plus problématique. Le fonctionnement en continu d’une telle installation requiert absolument une unité de retraitement chimique en ligne afin de séparer les produits de fission qui empoisonnent le fonctionnement normal de la fission en raison de leur très grande section de capture des neutrons. L’isotope naturel du thorium est le thorium-232 qui n’est pas « fissile » comme l’uranium-235 ou le plutonium-239. Il faut donc une source de neutrons pour initier la réaction nucléaire. Celle-ci est constituée d’uranium-235. Le thorium-232 capte un neutron et se transforme alors en uranium-233. Mais la situation se complique avec l’apparition de protactinium-233. Tous ces métaux se trouvent sous forme de fluorures mixtes fondus à partir d’une température d’environ 290°C. Le prototype de 3 MW thermiques permettra surtout d’étudier le cycle du combustible, le flux de neutrons étant particulièrement délicat à contrôler. Depuis 1969 aucun pays dans le monde n’a envisagé la construction d’un tel prototype.
Pourquoi s’intéresser au thorium ? D’abord parce que le thorium est beaucoup plus abondant que l’uranium et ensuite parce que la Chine accumule des quantités impressionnantes de « stériles » provenant de la purification des terres rares, stériles très riches en thorium. Pour clore ce deuxième chapitre il n’existe aucune information disponible quant au choix technologique des ingénieurs chinois : simple flux ou double flux. S’il s’agit de la technologie double flux la Chine est alors très novatrice en ce qu’un tel dispositif peut fonctionner indéfiniment car il ne comporte pas de réflecteur en graphite mais il est beaucoup plus complexe à mettre en œuvre (voir le lien wikipedia ci-dessous). Si les ingénieurs chinois réussissent ils auront fait franchir un grand pas à l’humanité qui n’aura alors dans l’avenir plus aucun problème d’énergie.
Sources : World Nuclear News, https://www.nature.com/articles/d41586-021-02459-w et
https://en.wikipedia.org/wiki/Liquid_fluoride_thorium_reactor#Removal_of_fission_products