Des smartphones pour combattre l’onchocercose et le loa !

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Chaque semaine ou presque, une nouvelle utilisation du smartphone est imaginée ou fait déjà l’objet d’une exploitation commerciale et c’est souvent au sein d’une université que les projets se concrétisent. Il faut en effet des équipes pluridisciplinaires pour faire aboutir un projet exploitant l’optique d’un smartphone qui si elle semble rudimentaire est en réalité d’une redoutable performance avec des logiciels d’analyse vidéo sophistiqués. Plutôt que de se contenter de capturer des milliers de selfies on peut exploiter l’optique d’un smartphone dans un but inattendu comme le diagnostic de parasitoses qui sont endémiques dans les pays sub-tropicaux et équatoriaux. C’est ce type de projet qui a été concrétisé au département de Bioengineering de l’Université de Californie à Berkeley avec la collaboration de la Faculté de Médecine de Yaoundé au Cameroun et l’IRD à Montpellier.

L’optique du smartphone est utilisée pour identifier et quantifier les parasites contenus dans une goutte de sang prélevée au bout d’un doigt et transférée dans un capillaire. Le smartphone réalise un film rapide et une application spécialement développée dans ce but permet de reconnaître le type de parasite et d’effectuer un comptage. Plus besoin de microscope ou de loupe binoculaire fragiles et couteux. Le smartphone est logé sur un boitier fabriqué par impression 3D contenant l’ensemble des éléments essentiellement mécaniques commandés par le smartphone en Bluetooth. Il n’est plus nécessaire de procéder à des marquages fluorescents des parasites pour les reconnaître ni de préparer des lames qu’il faut colorer, ce qui prend beaucoup de temps et les différentes étapes de manipulation d’un échantillon accroissent les possibilités d’erreurs. Le smartphone réalise un film des parasites en mouvement dans le capillaire contenant le sang fraichement prélevé et par analyse des mouvements et comptage rend le résultat en quelques secondes. Se déplacer en brousse auprès de populations souffrant de parasitoses de manière endémique avec ce boitier à peine plus grand qu’un paquet de cigarettes permettra ainsi de dépister la présence de loa, filaire responsable de prurits, d’éléphantiasis et de problèmes visuels quand il prend à ce nématode qui peut atteindre quelques centimètres de long l’idée d’aller visiter la conjonctive. Le vecteur de ce nématode est une mouche suceuse de sang, la chrysops.

Le « périphérique » de smartphone mis au point à l’U.C. Berkeley est également adapté à la détection d’un autre nématode responsable de l’onchocercose, une parasitose beaucoup plus redoutable car elle est responsable d’un grand nombre de cécités irréversibles, la cécité des rivières. Le parasite est également transmis par une mouche suceuse de sang au nom charmant de simulie. De plus l’onchocercose est extrêmement débilitante pour l’état de santé général car le ver, à sa mort, libère des antigènes induisant de très fortes réactions immunitaires pouvant éventuellement conduire à la mort. Au cours du cycle de reproduction on retrouve des micro-filaires dans le sang et l’invention de l’UC Berkeley est donc adaptée pour différencier, dans les zones infestées, la présence de Loa ou d’Onchocerca volvulus. Les praticiens locaux peuvent alors décider du traitement à administrer aux malades. Un seul produit est réellement efficace pour ces parasitoses qui affectent des dizaines de millions de personnes en Afrique et en Amérique Centrale, l’ivermectine. L’ivermectine est distribuée gratuitement par les Laboratoires Merck dans les pays où les filarioses sont endémiques mais il y a un gros problème, ce produit est indirectement toxique pour le cerveau. Les campagnes massives de traitement des personnes parasitées doivent impérativement débuter par une identification précise de la présence de l’un ou l’autre ou des ceux nématodes. En effet, si on veut traiter un malade atteint d’onchocercose avec de l’ivermectine et que celui-ci est également infecté par le loa car une forte densité de ce ver dans le sang peut, lors de sa destruction massive par l’ivermectine provoquer des atteintes cérébrales graves, ce ver libérant également des toxines provoquant une encéphalopathie souvent mortelle. Comme le loa infeste plus d’une douzaine de millions de personnes en Afrique et que ces mêmes individus sont susceptibles d’être également parasités par l’onchocerca, ce « détail » a freiné l’éradication de ces nématodes à l’aide d’ivermectine.

On peut donc se féliciter de l’ingéniosité de ces universitaires et de leurs étudiants qui a abouti à cet outil de dépistage peu coûteux qui va permettre de mettre enfin en place une campagne d’éradication car l’homme est le seul réservoir naturel de ces parasites.

Sources :

http://newscenter.berkeley.edu/2015/05/06/video-cellscope-automates-detection-of-parasites/

http://cellscope.berkeley.edu

Comment le caféier fabrique la caféine

Deux milliards deux cent cinquante millions de tasses servies chaque jour, 87 millions de tonnes produites et un chiffre d’affaire de plus de 15 milliards de dollars, 26 millions de personnes vivant de cette production dans 52 pays occupant 11 millions d’hectares, voilà les statistiques du café, une plante qui, comme le cacao, le maté et le thé, contient le psychotrope le plus utilisé dans le monde, la caféine. Pas de quoi s’étonner qu’une vaste équipe de biologistes et de généticiens se soit intéressée au séquençage du génome complet du caféier et pour une fois, qui n’est plus vraiment la coutume, on doit ce travail majestueux majoritairement à des Français de l’IRD et du CEA mais en collaboration avec beaucoup d’autres laboratoires répartis presque dans le monde entier. Décrypter le génome d’une plante n’est en effet pas une amusette. La technologie moderne permet malgré quelques manipulations préalables de faire en sorte que les machines automatiques développées par des sociétés comme Illumina dont j’ai déjà parlé dans un précédent billet de ce blog ainsi que des dispositifs proposés par la société suisse Roche permettent à l’aide d’une analyse informatique sophistiquée de décrypter le génome de n’importe quel organisme vivant assez rapidement. J’avoue que je suis dépassé par la rapidité de l’évolution de la biologie. Pour que mes lecteurs comprennent quelle est ma position qui me demande un effort d’analyse devant des recherches qui parfois me dépassent, j’en suis resté à l’art de la purification d’une protéine, par exemple un enzyme, qui doit présenter tous les critères de pureté et d’activité que l’on doit attendre ou espérer. En ce qui concerne cette élucidation du génome du caféier, il se trouve que les résultats sont exceptionnellement intéressants dans la mesure ou pour que cette plante se spécialise dans la production de caféine, son patrimoine génétique s’est trouvé modifié au cours du temps de manière à privilégier la voie métabolique aboutissant à la production de cette molécule relativement simple dérivée de la xanthosine. Pour les curieux, la xanthosine est dérivée de la xanthine, une base purique de la famille de la guanine et de l’adénine, les constituants fondamentaux de l’ADN. La xanthosine est le précurseur de la caféine et de la théobromine, le principal alcaloïde du chocolat.

Mais revenons au caféier. Pour que cette plante puisse produire des quantités appréciables de caféine et par voie de conséquence soit recherchée par les milliards de consommateurs de café de par le monde, elle s’est arrangé au niveau génétique pour s’enrichir en quelques activités enzymatiques qui conduisent de la xanthosine à la caféine, pas plus compliqué que cela, encore fallait-il le démontrer. C’est ce qu’est arrivé à prouver cette équipe multinationale en réalisant une cartographie complète du génome du caféier. Quelque part et pour des raisons qui échappent à l’analyse, le caféier s’est spécialisé dans la production de caféine. Mai si on regarde de plus près cette espèce de comportement atypique il se trouve que la caféine est un insecticide qui protège le caféier des ravageurs car cette plante produit aussi de la caféine dans ses feuilles et pas seulement dans les graines. Pour les graines, les grains de café que tout le monde connait, la caféine remplit aussi un rôle bénéfique puisqu’elle inhibe la germination des autres graines qui pourraient se trouver fortuitement en compétition dans le même espace quand elle tombent au sol. Un peu comme la nicotine qui est un puissant insecticide protégeant la plante des ravageurs mais la caféine et la nicotine, deux psychotropes bien connus, n’ont rien à voir au niveau chimique.

Revenons donc à cette élucidation de la totalité du génome du caféier. Schématiquement, il est apparu que la plante s’est arrangée par un mécanisme encore inexpliqué à faire en sorte que les gènes correspondant aux enzymes impliqués dans les étapes de la biosynthèse de la caféine se retrouvent plus ou moins dans les mêmes chromosomes et soient présents en plusieurs exemplaires. C’est un peu ce que la firme Monsanto a fait avec le maïs résistant au glyphosate, faire en sorte que la plante sur-exprime dans le cas du glyphosate la cible de cet herbicide. Le caféier n’a pas attendu les technologies modernes et s’est donc arrangé lui-même pour produire des quantités impressionnantes de caféine dans le but, comme je le disais plus haut, de se protéger. On dirait presque que cette plante est intelligente. Il a fallu cependant réaliser cette étude détaillée pour élucider la totalité du génome de cette plante afin d’expliquer au niveau moléculaire la stratégie choisie pour produire de la caféine. Ce que cette étude dirigée par le Professeur Philippe Lashermes depuis longtemps impliqué dans l’étude du caféier au sein de l’IRD ( http://www.ird.fr/toute-l-actualite/actualites/communiques-et-dossiers-de-presse/sequencage-du-genome-du-cafeier ) pas seulement en ce qui concerne la caféine mais aussi de nombreuses autres molécules pharmacologiquement actives présentes dans le café.

La caféine est une molécule extraordinairement simple si on la compare à la morphine ou à la codéine (voir un précédent billet de ce blog) et à n’en pas douter n’importe quelle levure convenablement manipulée génétiquement pourrait excréter de la caféine pour la plus grande satisfaction des fabricants de boissons énergétiques. Il est beaucoup plus rentable de faire appel aux services de Nestlé par exemple (un des sponsors de la présente étude) pour se procurer de la caféine issue des procédés de décaféinisation à l’aide de CO2 supercritique à l’échelle industrielle, à tel point que la caféine est en réalité un résidu pratiquement sans valeur marchande à moins d’être incorporée dans ces dites boissons « énergétiques » dont la consommation ne cesse d’augmenter. Ces considérations mercantiles mises à part, il se trouve que le caféier à réussi un ingénieux transfert de gènes d’un chromosome vers un autre, une espèce de prouesse génétique inattendue, pour en quelque sorte regrouper sur seulement deux chromosomes au cours de l’évolution les gènes codant pour les activités enzymatiques conduisant à la synthèse de la caféine à partir de la xanthosine. Dans les faits la plante s’est arrangée pour que l’expression de ces gènes soit la plus efficace possible afin de forcer la production de caféine, un genre de manipulation rêvée par les généticiens !

Tout est (presque) dit dans les illustrations tirées de l’article paru dans la revue scientifique Science aimablement communiquée par le Docteur Lashermes. D’abord un bref rappel de la voie de biosynthèse de la caféine à partir de la xanthosine, de la xanthine fixée à un sucre (ribose), consistant en trois ajouts successifs de groupements méthyle. Ça paraît simple encore faut-il que les étapes s’effectuent dans le bon ordre et de manière synchrone, c’est la raison pour laquelle la plante a fait en sorte d’exprimer de manière optimale les enzymes nécessaires à cette synthèse, des N-méthyl transférases (NMT), chaque méthyle étant ajouté sur des azotes (N) de la xanthine :

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Il y a donc intervention de trois enzymes différents dans ce processus. D’aucuns pourraient penser qu’il peut s’agir des mêmes enzymes mais pas du tout, la particularité d’un enzyme est de remplir une fonction très précise et chaque réaction chimique dans le milieu vivant requiert un enzyme bien individualisé. Dans le cas de la biosynthèse de la caféine, les trois catalyseurs, XMT, MXMT et DXMT, respectivement xanthosine méthyl transférase, théobromine synthase et caffeine synthase, utilisent le méthyl situé sur l’aminoacide méthionine, pour faire simple.

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Cette autre illustration explique clairement ce qui s’est passé au cours de l’évolution de la plante. A partir du chromosome 1 ancestral, il y a eu des duplications de gènes puis des blocs entiers de l’ADN ont été transférés sur le chromosome 9 (en rouge) et tous les gènes codant pour les méthyl-transférases (NMT) ont été en quelque sorte regroupés pour se retrouver contrôlés de concert. L’expression des différents gènes a pu être suivie au cours du développement de la plante, des racines jusqu’à la graine mature 320 jours après la pollinisation (DAP, days after pollinisation) dans la partie droite de l’illustration.

En outre l’élucidation du génome du caféier a montré que cette plante exprimait 25574 protéines différentes dont les gènes se trouvent répartis sur 11 chromosomes dupliqués, soit 22 au total. L’étude a été réalisée sur un parent de l’arabica appellé Coffea canephora. Enfin l’acide linoléique, un acide gras polyinsaturé essentiel pour la conservation de l’arôme du café après la torréfaction est également le résultat d’un regroupement de gènes assurant sa biosynthèse optimale.

Comme quoi l’élucidation du génome complet d’une plante aussi importante que le café sur le plan commercial est riche en informations parfois inattendues.

Sources : IRD et Science. Le Docteur P. Lashermes (IRD) est ici vivement remercié pour avoir aimablement fourni le reprint de l’article paru dans Science.

La malaria a encore de beaux jours devant elle

J’avais écrit un billet sur le Duffy au mois de novembre dernier (voir le lien) qui est le récepteur, une hémagglutinine à la surface des globules rouges, sur lequel se fixe le Plasmodium vivax. On ne sait pas trop d’où provient le P. vivax et ce qui est acquis par les études génétiques est que le plus proche parent du P. vivax pathogène pour l’homme est retrouvé chez les singes macaques d’Asie. On en avait déduit que ce parasite était originaire d’Asie d’autant plus que la population africaine native n’est pas porteuse du récepteur Duffy. Les deux observations se confortaient l’une l’autre et l’hypothèse d’une origine africaine du parasite avait été abandonné. Ce n’est que récemment que tout a été remis en question par hasard.

Ce qui a intrigué des biologistes de l’Université de Pennsylvanie collaborant avec des collègues de l’Université d’Edimbourg et de l’Institut de Recherche pour le Développement à Montpellier est que des personnes en contact avec des singes africains, gorilles ou chimpanzés, se retrouvaient infectées par un P. vivax différent de celui d’Asie alors que la population locale est supposée résistante à près de 100 % car elle n’exprime pas le Duffy. Il a fallu analyser plus de 5000 échantillons d’excréments de ces primates, chimpanzés, gorilles de l’est et de l’ouest africains et bonobos pour se rendre compte qu’ils étaient tous infectés par des P. vivax génétiquement diversifiés mais relativement proches du vivax infectant les hommes, à l’exception des bonobos. A ce propos, il faut rappeler que les chimpanzés et les bonobos ont divergé il y a environ 2 millions d’années quand le fleuve Congo s’est formé, séparant les deux population. Les chimpanzés et les gorilles vivent au nord de ce fleuve alors que les bonobos vivent au sud et comme ils sont de piètres nageurs, ils ne se sont jamais mélangé à nouveau, ce qui pourrait expliquer que les bonobos ne soient pas porteurs endémique du P. vivax.

Les études génétiques ont montré que les P. vivax retrouvés chez les gorilles ou les chimpanzés ne présentaient pas de spécificité d’espèce hôte et qu’il y a donc un mélange mais néanmoins une sorte d’arbre génétique des différentes familles de ces P. vivax a pu être construit. Il a montré que le parasite infectant l’homme est génétiquement très uniforme contrairement à celui infectant les singes d’Afrique mais qu’il fait partie intégrante de cet arbre. Ces résultats sont en total désaccord avec l’origine asiatique du vivax qui infecte l’homme et que ce dernier est bien originaire d’Afrique et descend d’un ancêtre unique à tous les P. vivax infectant les grands singes de ce continent. Il y a donc un réservoir substantiel de P. vivax en Afrique malgré le fait que la population (humaine) est insensible en raison de l’absence du Duffy.

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La même équipe de biologistes avait précédemment démontré que le réservoir naturel du Plasmodium falciparum était le gorille, ce qui est en accord avec l’hypothèse de l’apparition d’une seule mutation pour que le P. vivax des grands singes devienne pathogène pour l’homme alors que ces singes sont porteurs sains, le plasmodium ne se multipliant pas dans leur sang. Il a d’ailleurs fallu qu’un singe porteur sain soit piqué par un moustique et que ce dernier aille terminer son repas en piquant un homme se trouvant près de la communauté de singes pour que ce dernier se retrouve infecté et développe une crise de malaria.

L’hypothèse la plus plausible est que l’ancêtre du P. vivax était à l’origine capable d’infecter les hommes comme les gorilles et les chimpanzés jusqu’à l’apparition de la mutation négative sur le Duffy, il y a environ 30000 ans pour éliminer la malaria dans ces régions africaines. Selon ce scénario le P. vivax n’a survécu, si l’on peut dire, qu’en quittant l’Afrique pour rencontrer des populations porteuses du Duffy. Mais si pour le moment seulement quelques personnes ont été infectés par ce P. vivax originaire des grands singes, il se pourrait que ce parasite se recombine avec le vivax « humain » et alors, compte tenu de cette diversité génétique dont il a été fait mention plus haut, la population locale normalement résistante pourrait devenir susceptible. Le fait qu’une souche de P. vivax « humain » originaire de Madagascar semble s’être adaptée à l’absence du récepteur Duffy est un élément supplémentaire d’inquiétude d’autant plus qu’une recombinaison entre les parasites d’origines humaine et simiesque pourrait faire apparaître un super P. vivax résistant à tous les médicaments anti-malaria actuellement connus. Il y a donc un réel souci et la malaria a encore de beaux jours devant elle !

https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/11/17/vivax-et-duffy-lentente-pas-tres-cordiale/

Source : Penn University