L’écologie se financiarise et ça pourrait mal se terminer …

La Disclosure Insight Action (DIA), aussi appelée CDP, est une ONG basée à Londres avec une antenne à Tokyo dont l’activité consiste à attribuer une note aux entreprises dans le cadre de leur respect de l’environnement. Cette notion est vague malgré le fait que l’un des principaux critères permettant ce classement est, en autres aspects, les émissions de carbone, la préservation des forêts et des ressources en eau. Cette organisation a passé au crible 13000 entreprises, celles qui ont daigné répondre à leurs enquêtes, et 17000 autres entreprises n’ont pas daigné donner suite aux sollicitations de DIA. Parmi les 13000 entités industrielles et commerciales considérées seules 272 ont été finalement classées dans la catégorie A, les autres étant reléguées dans les catégories B à D et ne pouvant que peu accéder aux investisseurs qui respectent les critères ESG.

Il est intéressant de noter que parmi ces 272 entreprises figurent par exemple Diageo, Infosys, PepsiCo, TetraPak, AstraZeneca, Colgate Palmolive et Lenovo. Il faudrait que DIA-CDP explique pourquoi PepsiCo figure dans cette liste puisque avec CocaCola et tous les producteurs d’eaux minérales en bouteille elle figure parmi les plus gros pollueurs de la planète, les bouteilles en polyéthylène-téréphtalate (PET) n’étant recyclées que dans de rares pays développés. À l’autre extrémité du classement on trouve Chevron, ExxonMobil, Glencore et Berkshire Hathaway, par exemple, déclassées d’office puisqu’elles n’ont pas daigné répondre à l’enquête. Curieusement malgré les critères retenus par DIA on retrouve dans ce classement Holcim et UBS. Il faut être convaincu qu’UBS ne cible ses investissements dans les secteurs industriel et commercial que si ces derniers respectent strictement les critères ESG, je demande à voir. Plus étonnant encore est la présence du cimentier suisse quand on sait que la production d’une tonne de ciment provoque fatalement la production d’une tonne de CO2. À ma connaissance, mais je dois être mal informé, aucun cimentier dans le monde ne s’est aventuré dans la capture du CO2 émis car le prix du ciment quadruplerait immédiatement.

Si vous voulez des éclaircissements, les voici. Le seul piège à CO2 efficace et économique est la chaux vive ou CaO, le principal composant du ciment, selon la réaction CaO + CO2 → CaCO3, l’inverse exact de la production du ciment. Par conséquent un cimentier tuerait immédiatement son activité s’il lui prenait l’envie de piéger le CO2 qu’il dégage

À quoi sert un tel classement ? C’est très simple ! Pour les traders il faut un support à la cotation des divers indices permettant de réaliser des gains sur l’évolution des critères ESG afin d’orienter leurs options sur le marché par exemple des permis d’émission de carbone. Il existe 7 indices qui servent d’orientation. Une revue de ces indices est édifiante. Le CRB index (Thomson Reuters) est une moyenne arithmétique des prix « futures » des 19 principales « commodities » englobant l’énergie, l’agriculture, les métaux précieux et les métaux industriels de base. Le LME index (London Metal Exchange) concerne six métaux : Aluminium, cuivre, zinc, plomb, nickel et étain. Le GSCI (Standard&Poor) est un indice composite englobant 24 « commodities » n’intéressant que les investisseurs sur les « futures » long terme. Le Wind Energy Index englobe toutes les sociétés cotés du secteur de l’énergie éolienne et des fournisseurs de ce secteur. Cet indice chute depuis plus d’un an pour des raisons encore mal connues (mais j’ai ma petite idée). De loin l’indice le plus actif est l’EU Carbon Permit index. Il s’agit de la cotation des permis d’émission de carbone mise en place par l’Union Européenne et qui sert de référence mondiale aujourd’hui ( https://ec.europa.eu/clima/eu-action/eu-emissions-trading-system-eu-ets_en ). Ce marché très actif ouvre toutes sortes de possibilités de gains pouvant à la limite être spéculatifs. En effet le cours des permis d’émission est passé en 5 ans de 4 à 85 euros/tonne et a triplé depuis le 1er janvier 2021. Il concerne toutes les activités industrielles et commerciales et constitue donc un facteur non négligeable d’inflation des prix. Restent le Nuclear Energy Index et le Solar Energy Index dont le marché des futures fluctue, le premier vers la hausse (20 % de hausse depuis le début de l’année 2021) et le second au comportement erratique qui rend ce indice maintenant très spéculatif.

Tous ces indices subissent le classement du Disclosure Insight Action car seuls les « bons élèves » respectant les critères ESG sont pris en compte. En conclusion ces entités para-gouvernementales ou plutôt para-boursières favorisent la spéculation, autant dire que dans ce marché des « futures » sur les indices cités ci-dessus, sans cette « agence de notation » d’un nouveau genre, beaucoup de traders seraient au chômage. Il existe d’autres agences de classement sur la base du respect des critères ESG dont par exemple Moody’s et MSCI (ex Morgan Stanley).

Notes. « Commodity » = toute matière première cotée sur les marchés boursiers et par extension les indices mentionnés ci-dessus et certains produits dérivés cotés sont considérés comme « commodities ». Exemples : nickel, soja, blé, cuivre, électricité, têtes de bétail, … « Futures » : il s’agit de véritables contrats sur l’évolution future d’un indice ou d’une corbeille d’indices. Le prix est prédéterminé pour une date spécifique entre parties qui ne se connaissent pas. L’actif peut être une « commodity » ou un instrument financier. Les contrats futurs comprennent deux partenaires l’acheteur qui est en position « longue » et le vendeur en position « courte ». Les premiers contrats future concernaient les denrées agricoles. L’acheteur n’avançait qu’une partie de la somme due sur une récolte à venir et au terme du contrat, c’est-à-dire à la date de fin de contrat fixée, l’acheteur pouvait réaliser des bénéfices très élevés en cas, par exemple, de mauvaise récolte. Pour l’anecdote les premiers véritables contrats « future » apparurent en 1697 à Osaka au Japon à la demande des samouraïs qui étaient le plus souvent rémunérés en riz et qui réclamaient une conversion stable en monnaie en cas d’une succession de mauvaises récoltes, c’est-à-dire le but précis des contrats future, une protection contre les aléas des cotations. Les « futures » sont beaucoup plus simples à utiliser que les actions ou encore les obligations car il s’agit d’agréments entre deux parties sur l’évolution des indices. À ce sujet l’EU Carbon Permit Index est peut-être l’une des rares réussites de l’Union européenne sur le plan de la finance internationale, mais il faut relativiser car ni les USA, ni l’Inde ni la Chine ne souscrivent à ce marché très opaque dont il faudra un jour dénoncer à quel point il favorise toutes sortes de prises de risque. En effet cet indice est exclusivement négocié sur le marché des « futures » et je peux sans risquer de me tromper qu’il s’agit d’une grande escroquerie répondant aux insistantes demandes des écologistes pour taxer les émissions de carbone devenues un admirable instrument de spéculation puisque le volume des permis d’émission est par définition limité dans la mesure où la finalité de la mise en place de ce système est de réduire les émissions de carbone. Reprenons l’exemple d’Holcim. Cette société va tenter d’acheter des droits d’émission de carbone sur le marché de l’indice des permis d’émission de carbone si elle envisage une reprise économique. Détentrice de « futures » elle pourra alors proposer un ciment à un prix abordable et pourra ainsi conquérir de nouveaux marchés. Malgré toutes ces remarques l’évolution du seul Carbon Permit Index impactera l’ensemble des économies occidentales et tout ça va certainement mal se terminer …

https://www.cdp.net/en/companies/companies-scores

https://sciencebasedtargets.org et au sujet du premier marché des futures :https://doi.org/10.1016/0378-4266(89)90028-9

3 réflexions au sujet de « L’écologie se financiarise et ça pourrait mal se terminer … »

  1. Ping : L’écologie se financiarise et ça pourrait mal se terminer … – Qui m'aime me suive…

  2. C’est toute la « joie » et la complexité des critères « E.S.G », et donc « Environnement, et pas que émissions de CO2, Social, pratiques de respect des droits fondamentaux, équité H/F, travail des enfants, corruption etc, et Gouvernance, transparence entre autres.
    Je ne justifie en rien le « classement » de DIA/CDP que je ne connais pas, mais il est trop réducteur de s’arrêter sur les critères « émissions de CO2 ».
    J’en sais quelque chose, ayant travaillé chez Air France, évidemment gros émetteur de CO2, qui était classé dans les « premiers » en ESG, notamment par le DJSI (Dow Jones Sustainability Index) pendant plusieurs années de suite… dans la catégorie « Transport et tourisme »<;

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