Énergie électrique : l’Europe a décidé de se suicider

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Il aura fallu un peu moins de 9 années pour que les deux EPR chinois à Taishan soient successivement connectés au réseau électrique à quelques mois d’intervalle, le résultat d’une longue coopération de 35 années dans le domaine du nucléaire civil entre la France et la Chine datant du premier balbutiement du pays dans ce domaine pour la construction du réacteur nucléaire de Daya Bay de type 900 MWe par Framatome et EDF. Le 29 juin 2018 restera donc une date symbolique tant pour la France que pour la Chine quand le premier EPR du monde a été connecté au réseau suivie du 13 décembre de la même année quand le statut commercial a été finalement accordé à cette installation industrielle après de multiples vérifications ultimes. Pour ceux qui se posent des questions au sujet de cette coopération en profondeur entre EDF et le groupe China General Nuclear Power (CGN) il faut rappeler que plus de 200 ingénieurs français ont travaillé sur le site de Taishan et que 40 compagnies françaises ont été directement impliquées dans la construction de cette usine. Qu’en est-il des accords de transfert de technologie ? Il ne faut pas attendre de réponse de la part d’EDF ni du gouvernement français à ce sujet.

Toujours est-il que cette réalisation qui a nécessité plus de 15000 personnes sur le site est surtout le résultat de la préoccupation de la Chine de disposer d’une source d’énergie propre et disponible à bon marché 24/24 heures tout en évitant l’émission de carbone dans l’atmosphère à hauteur de 21 millions de tonnes par an et par réacteur ainsi qu’à l’acharnement au travail admirable du peuple chinois. Il y a actuellement deux autres réacteurs EPR en cours de finalisation : Olkiluoto-3 en Finlande et Flamanville-3 en France, et sur le site d’Hinkley Point C le tout début de la construction de deux EPR. Pour ce qui concerne l’EPR d’Olkiluoto il se pourrait qu’en cette année 2019 on assiste à la conclusion de la plus longue saga de construction d’une centrale nucléaire en Europe. C’est en 2002 que le gouvernement finlandais manifesta le désir de construire un nouvel équipement électro-nucléaire. Cette décision représentait un changement de politique puisque en 1993 les autorités avaient décidé de ne plus développer l’énergie nucléaire dans le pays. Aujourd’hui avec plus de 7 ans de retard sur le programme initié en 2002 – cet EPR devait être raccordé au réseau en 2012 – le chargement en combustible devrait débuter dans quelques semaines et l’installation être opérationnelle au cours de l’année 2020. Le budget global de la construction de cette usine aura triplé par rapport aux estimations initiales. Quant au réacteur EPR de Flamanville, bien que l’autorisation de fonctionnement ait été accordée par l’agence de sécurité nucléaire française (ASN), il est probable que le couvercle du réacteur soit changé au cours du premier arrêt pour rechargement de combustible puisqu’il présente des anomalies !

Avec l’entrée en service d’Olkiluoto-3 la Finlande pourra réduire substantiellement ses importations d’électricité en provenance de Suède et de Norvège mais pour l’EPR de Flamanville la situation est plus technique que politique, quoiqu’en disent les détracteurs de l’énergie nucléaire car cet installation sera la bienvenue dans un marché européen de l’électricité beaucoup trop volatile.

Et cette volatilité va aller en s’aggravant dans les années à venir pour diverses raisons. Seulement en 2018 plus de 15 GW d’unités de production thermique conventionnelle ont été fermées et seuls 3 GW de production au gaz ont été installés tandis que des modifications significatives du réseau électrique européen ont rendu la Finlande, l’Italie, la Hongrie et la Lituanie encore plus dépendantes de leurs importations d’électricité. De plus dans des conditions hivernales rigoureuses comme l’Europe en connaît actuellement l’Autriche, la Belgique, la Slovaquie et la Slovénie doivent aussi importer de l’électricité. Les politiques de transition énergétique décidées par plusieurs pays européens consistant à abandonner massivement le charbon mais aussi, quoique progressivement, le nucléaire vont au cours des années 2020 encore plus aggraver la situation énergétique de l’Europe. Le bureau d’études Platts Analytics prévoit au cours de cette période des fermetures nettes de 65 GW de puissance installée en particulier pour le charbon dont l’abandon total est programmé pour 2022 en France, 2025 pour la Grande-Bretagne et 2030 pour les Pays-Bas.

Pour le nucléaire l’Allemagne fermera 10 GW de capacité d’ici 2022, la Belgique 6 GW d’ici 2025 et le Royaume-Uni 4,3 GW entre 2024 et 2026. Pour ces EPRs tant en France qu’en Grande-Bretagne il vaut mieux tard que jamais, même si Hinkley Point C ne permettra de pallier que partiellement à ces fermetures d’installations de production. L’avenir électrique de l’Europe semble donc compromis car ce ne sont ni les éoliennes ni les panneaux solaires ni la biomasse devant conduire à une réduction de 50 % des émissions de carbone à l’horizon 2030 qui pourront remplacer toute la puissance installée en particulier nucléaire et quand on sait que la prolongation d’exploitation de certains types d’installations électro-nucléaires peut atteindre plus de 30 années il est évident que ces transitions énergétiques non seulement fragiliseront le paysage électrique européen de manière critique tant pour l’industrie que pour les populations mais constitueront un désastre économique et financier. Autant dire tout de suite que l’Europe a décidé de se suicider …

Source : S&P Global Platts blog The Barrel (blogs.platts.com)

23 réflexions au sujet de « Énergie électrique : l’Europe a décidé de se suicider »

  1. Il serait question de remplacer la centrale de Fessenheim par un parc éolien alors que l’Alsace est (avec la Franche Comté et la Bourgogne) une des régions les moins venteuses de France.
    La ville de Genève a également porté plainte contre la centrale du Bugey, alors que la Suisse possède à elle seule 5 réacteurs nucléaires fournissant 26 TWh d’énergie.
    Les véhicules électriques sont en train de provoquer une hausse de la demande électrique.
    Rajoutons à cela l’instabilité chronique du réseau (on a frôlé le black-out jeudi 10 janvier 2019 vers 20 heures, il manquait à la France la production d’une centrale comme celle de Fessenheim et RTE a procédé à des délestages d’urgence en expliquant de façon peu convaincante que le problème provenait de l’Allemagne). Il suffit donc maintenant d’un hiver plus rigoureux que la normale pour plonger le pays et une partie de l’Europe dans le noir.
    Quand on laisse des idéologues prendre des décisions techniques que seuls des ingénieurs compétents sont capables de prendre, on arrive toujours à des catastrophes. « A recipee for disaster » comme disent nos voisins British…

    • Le problème provenait en réalité d’une demande excessive de la Slovaquie qui a déstabilisé le réseau autrichien ! Ceci prouve que l’interconnexion européenne est extrêmement fragile.
      Un vague de froid intense et tout saute. Celle-ci est prévue pour le début du mois de février par les experts américains mais comme chacun sait la météo n’est pas une science exacte.
      Il reste qu’un black-out remettrait les esprits en place et il m’arrive de le souhaiter.
      Au moins à Tenerife on est à l’abri de ce genre de situation. Il y a deux chaudières au fuel lourd et quatre chaudières au fuel léger et la raffinerie de pétrole locale (propriété d’Abou Dhabi, CEPSA) fonctionne à plein régime. Car il faut dessaler à plein régime car il y a toujours des centaines de milliers de touristes et le ciel est désespérément bleu …

      • « …… comme chacun sait, la météo n’est pas une science exacte ! »
        La météo à quelques jours, c’est vrai. Mais prévoir (ou plutôt prédir) le climat à la fin du siècle, c’est possible. C’est le GIEC lui-même qui le dit …..C’est vous dire !
        Climatiquement vôtre. JEAN

      • La météo et le climat sont des processus stochastiques chaotiques, c’est-à-dire qu’ils sont sensibles aux conditions initiales…on peut modéliser le début d’un tel processus qui va diverger très rapidement des calculs pour un changement infime de paramétrage à t=0. C’est ce qu’on appelle l’effet papillon. Bref, c’est non-modélisable et c’est pourquoi la météo ne peut être fiable à plus d’une poignée de jours. Quant au climat -vu la période de quelques décennies considérée-, c’est encore plus compliqué à prévoir à l’échelle globale, mais alors à l’échelle locale, autant dire que c’est la quadrature du cercle. Si on rajoute à cela que les modèles utilisent encore des moyennes de températures qui n’ont aucune signification physique (et donc les écarts à la moyenne n’ont pas davantage de réalité), si on rajoute également que des paramètres fondamentaux comme l’influence du soleil et la configuration des planètes du système solaire ne sont pas pris en compte dans ces modèles, on peut en conclure logiquement sans être un spécialiste du climat que le GIEC a tout faux depuis le début.

  2. En effet, en plus des records de froid rencontrés au Canada et aux USA, on a une vague de froid ponctuelle qui sévit en Afrique du nord (je pense à la Tunisie notamment), ce qui est rarissime à cette latitude. La météo n’étant pas fiable à plus de 3 jours, on est condamné à attendre de voir si des tempêtes de froid vont s’inviter en Europe d’ici le mois de mars. Le Gulf Stream semble encore jouer son rôle de courant chaud ouest-est quand on regarde la carte des températures comparativement à celle des US ou des pays de l’est de l’Europe.

    • Comme d’habitude, l’hiver dans le nord-est américain est détestable : froid, neige, pluie verglaçante… Mais, jusqu’à présent, on ne peut pas parler de records de froid. Du moins pas encore. La seule chose digne de mention à propos de cet hiver, c’est qu’il a débuté de bonne heure : novembre plutôt que décembre.

      • @Didier Fessou : Merci pour cette info…j’en étais resté aux dernières déclarations de Trump pour la vague de froid qui sévit aux USA, notamment en ce qui concerne les états du nord et de l’est comme le Wisconsin, le Massachusetts ou l’état de Washington, et au fait que les chutes du Niagara étaient presque figées du fait des températures glaciales (-25 °C).
        L’hiver dans l’hémisphère nord cet année a été précoce en effet.
        En Europe de l’ouest, et notamment en France, nous bénéficions encore de la protection du Gulf Stream, ce qui est très appréciable.

      • Les climato-réchauffistes admettent maintenant qu’il y a un refroidissement global depuis une vingtaine d’années côté hémisphère nord : https://sciencepost.fr/2019/01/comment-la-fonte-de-la-banquise-arctique-conduit-a-un-refroidissement-des-hivers-en-asie/
        Evidemment, ils l’interprètent en fonction de leurs filtres en disant que c’est le réchauffement anthropique qui fait fondre l’arctique et qui génère du froid dans l’hémisphère nord. Ce rétropédalage nous montre au moins une chose, il fait globalement plus froid dans l’hémisphère nord.
        On peut rajouter également que les glaces de l’antarctique ne cessent de s’agrandir. Je ne ferais pas de conclusions hâtives sur la chose mais si j’étais un climato-réchauffiste, je me sentirais un peu mal là… 🙂

  3. Héla, il ne sert à rien d’avancer des arguments scientifiques ou même de simple « bon sens ».
    Le nucléaire c’est pas bien, c’est Hiroshima (Nagasaki est moins présent dans l’esprit des français), Tchernobyl et Fukushima (en incluant, de préférence, les morts suite tsunami aux dégats de l’accident nucléaire, grave effectivement).
    A se demander si les français ne sont pas particulièrement industrialo-masochistes ?
    Deux constructeurs autos français qui fabriquaient parmi les meilleurs moteurs diesel : pas beau le diesel, out.
    Une réussite européenne, mais très française quand même, l’aéronautique, pas beau l’avion qui fait KK de vilain CO2
    Une chimie fût un temps…
    Des semenciers qui avaient bien progressé pour, horreur malheur, des OGM ! OUT !
    Et, last but not the least (même si j’en oublie certainement), une industrie nucléaire à la pointe (jadis ) de l’extraction au retraitement : OUT
    Un bémol, nous sommes devenus les champions du solaire (zéro entreprise « significative » française) et de l’éolien (le dernier constructeur, qui occupait pourtant un marché de niche, Vergnet, a fait faillite)

    • Vous avez tout compris : quand on veut se débarrasser de concurrents industriels gênants, on leur envoie les écolos de service qui vont se débrouiller (« à l’insu de leur plein gré ») pour mettre les politiques dans la boucle et leur faire prendre des mesures pour stopper l’activité industrielle en question. Ne reste plus qu’à racheter ensuite leurs brevets et embaucher leurs meilleurs éléments, et le tour est joué. Tout cela pour « sauver la planète »…paraît-il.

      • Vous oubliez de mentionner l’ « affaire » Technip, fleuron industriel français des tubes sans soudure. Premier client de Technip l’industrie pétrolière. Parti ! Vendu à un fond américain avec l’accord de l’Elysée. Vous en avez entendu parler dans les journaux ?

      • Tout à fait…Technip rachetée par l’américain FMC. Les capitaux américains et chinois ont racheté les boites industrielles les plus importantes du CAC40, au rang desquelles on a évidemment Alstom. La désindustrialisation de la France a commencé avec Giscard d’Estaing dans les années 70, ses conseillers de l’époque (Minc et Attali) étant d’avis de laisser tomber l’industrie pour les services. Cette stratégie débile a servi depuis 40 ans la désindustrialisation de la France, pour le plus grand bonheur de nos concurrents américains et chinois (et allemands aussi).

  4. La « feuille de route » pour la programmation énergétique de la France vient de sortir des téléscripteurs du ministère de l’écologie, et c’est assez surréaliste : les français devront consommer moins, avoir moins de centrales nucléaires, un poil plus de moulins à vent et exporteront leurs énormes surplus vers les pays voisins : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/energie-la-strategie-francaise-suspendue-a-une-forte-hausse-des-exportations-electriques-805213.html
    Donc selon ces personnes, le scénario de black-out ne leur a apparemment même pas effleuré l’esprit. Je ne sais pas quelle est la formation de ces gens qui bossent dans ce ministère, mais on peut légitimement s’inquiéter de leur niveau de compétences.

    • meuh non, c’est le progrès.
      comme a dit Cohn-Bendit en parlant du nucléaire ; « Cette technologie du passé », tant il est vrai que l »éolie n’a que quelques milliers d’années d’existence, le solaire quelques milliards (lol), et même la pile à combustible, plus de 150 ans, alors que le nucléaire civil doit tutoyer les 75 ans (soit à peu de choses près l’âge de l’émetteur de cette ânerie)!

      • Si l’on prend en considération les réacteurs naturels de la mine d’Oklo au Gabon il a presque raison. 😉
        Ces réacteurs ont produit des réactions de fission pendant plusieurs milliers d’années et il y a quelques millions d’années. Il y avait certes déjà du vent et du soleil mais aucun humain pour domestiques ces énergies…

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  6. Bonjour,

    Une petite précision concernant la première phrase de cette publication : le second EPR de Taishan n’est pas encore couplé au réseau ni-même chargé en combustible. Ces actions devraient être entreprises dans le courant de l’année 2019.
    Comme vous, il m’arrive de souhaiter un black-out pour que l’on revienne aux réalités.

    En attendant ce jour je vous propose d’aller jeter un œil sur cette pétition contre les subventions à l’éolien et au photovoltaïque :
    https://www.change.org/p/monsieur-le-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-pour-%C3%A9conomiser-et-redistribuer-121-milliards-d-en-pouvoir-d-achat

  7. Je viens de lire un billet intéressant sur l’énergie éolienne dont la première phrase est très démonstrative, je cite : « On connaissait l’inefficacité redoutable des énergies renouvelables intermittentes. Leur taux de charge (temps de production moyen annuel d’électricité) n’excède pas en France 20 % pour éolien et 12 % pour le solaire photovoltaïque, contre 80 % pour le nucléaire. On a aussi récemment découvert le coût exorbitant de ce projet mobilisant 144 milliards d’euros de subventions publiques. Ce sont trente années d’ISF et plus de deux fois le coût de la réfection des 60 réacteurs du parc nucléaire ». D’autant plus qu’on « découvre » qu’au bout de 20 ans, le coût de démantèlement et de recyclage d’une éolienne est hors de prix (béton, pales, etc..).
    Cette blague nous aura donc coûté deux fois les frais de maintien en conditions opérationnelles du parc nucléaire français qui auraient permis ainsi d’allonger la durée de vie de chaque centrale à 80 ans et donc de réduire encore plus les factures d’énergie payées par le contribuable.
    Pendant ce temps là, tout le monde aura constaté que la facture EDF a été augmentée de 650 % en 20 ans (on a donc multiplié par un facteur de 7.5) et il est question pour le « régulateur du prix de l’énergie » d’augmenter le prix de l’électricité de 6 % dans les semaines qui viennent.
    On remerciera au passage Mr Yves COCHET (1) d’avoir en tant que ministre organisé ce système de racket public, et qui selon les dernières nouvelles, a plaidé pour la réduction et la suppression des allocations familiales afin de réduire la natalité en France et permettre l’accueil d’un plus grand nombre de migrants d’Afrique sub-saharienne. Trop géniaux ces écolos…LOL.
    Source : https://www.contrepoints.org/2019/01/31/335989-eoliennes-chronique-dun-naufrage-annonce
    (1) : prof de mathématiques de formation paraît-il, apparemment s’il sait résoudre théoriquement des systèmes d’équations à plusieurs inconnues, il a encore du mal à faire de simples additions avec des milliards d’euros qui ne lui appartiennent pas 🙂

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