La CIA et le changement du climat : un peu d’histoire pour se « rafraîchir » les idées

C’est un document daté d’août 1974 émanant de la CIA, disponible auprès de la Library of Congress à Washington sous forme de photocopie, énumérant les risques qu’encourrait l’humanité en cas de refroidissement du climat. La CIA s’intéressa à ce sujet car à la fin du premier optimum climatique du XXe siècle, vers la fin des années 1950, il y eut un cycle solaire anormalement faible (cycle #20, mais beaucoup plus robuste que celui qui se termine actuellement, #24) et qui contribua à imprimer dans nos mémoires le fameux hiver 1962 durant lequel toute l’Europe grelotta. L’hiver 1955-1956, particulièrement froid, coïncida avec la fin du cycle solaire #19. La CIA, dont l’une des missions est de prévoir les effets de l’évolution du climat sur la géopolitique, constata qu’à la fin du premier optimum moderne (1930-1950, il n’y a pas d’accord sur ces dates en raison des décalages entre observations météorologiques et activité solaire) il y eut une période d’instabilité qui poussa les limiers de cet organisme à analyser les possibles conséquences d’un refroidissement du climat. Les prévisionnistes d’alors penchaient en effet vers un refroidissement du climat. La magazine National Geographic eut vent de cette étude et publia d’ailleurs un article à ce sujet en novembre 1976 ( http://www.sealevel.info/NatGeo_1976-11_whats_happening_to_our_climate/ ).

Dans ce rapport il y a d’abord une revue des évènements liés au changement du climat et je les cite pour information.

Birmanie (1973) sécheresse et pas de riz disponible à l’exportation

Corée du Nord (mars 1973) importation record de céréales en raison des faibles récoltes de 1972

Costa Rica et Honduras (1973) pires sécheresses depuis 50 ans

USA (1973) inondations du siècle dans la région des Grands Lacs

Japon (1973) vague de froid exceptionnelle endommageant sérieusement les récoltes de riz

Pakistan (mars 1973) importation de céréales des USA en raison des faibles récoltes de grains

Pakistan (août 1973) pires inondations depuis 20 ans

Vietnam du Nord (septembre 1973) d’importantes inondations détruisent les récoltes

Philippines (mars 1974) manque de riz de grande envergure

Equateur (Avril 1974) manque de riz entrainant une crise politique

URSS (juin 1974) mauvais temps et maigres récoltes de céréales attendues

Chine (juin 1974) sécheresses et inondations

Inde (juin 1974) retard de la mousson

USA (juillet 1974) alternance de sécheresse et de fortes pluie endommageant les grandes cultures.

De nombreux pays dont la Chine, l’URSS et le Japon se sont alors (on était en 1974) munis de nouveaux services de prévisions météorologiques considérant que le facteur climatique devait être sérieusement pris en compte. L’un des facteurs alarmants était les stocks mondiaux de céréales qui sont passés entre 1969 et 1972 de 600 millions de tonnes à moins de 100 millions de tonnes en raison de divers évènements climatiques. À l’époque 100 millions de tonnes représentaient moins d’un mois de consommation mondiale. Pour la CIA climat et disponibilité en nourriture sont à l’évidence intimement liés avec les conséquences géopolitiques attendues et par conséquent surveillées de près.

Il n’existait pas à l’époque une multitude de satellites scrutant en permanence la Terre et le Soleil mais le rapport de la CIA est pourtant explicite, je cite littéralement :

« Depuis la fin des années 1960 un certain nombre de publications scientifiques dans les domaines du climat, de la météorologie et de la géologie ont montré que :

(1)un changement du climat est en cours,

(2)ce changement du climat pourrait créer des problèmes agricoles mondiaux« .

Au début des années 1970 les couvertures de neige et de glace ont augmenté dans le monde de 10 à 15 % (ce n’est pas moi qui l’affirme c’est écrit dans ce rapport à la page 7). Au nord du Québec et au Groenland des températures en dessous de la moyenne ont été observées, un phénomène jamais vu depuis un siècle (je cite encore ce rapport). La région de Moscou a souffert de sécheresses d’une intensité jamais vue depuis 300 ans. Il en a été de même en Australie, en Amérique Centrale, en Chine, en Asie du Sud-Est et en Afrique sub-saharienne. Selon les auteurs de ce rapport se référant à des études archéologiques les aléas climatiques ont provoqué la disparition de civilisations comme les civilisations de l’Indus, des Hittites, des Mycéniens et de l’Empire du Mali, toujours en raison d’un refroidissement du climat, modifiant la circulation atmosphérique et provoquant des sécheresses à répétition.

Vient alors dans ce document un résumé en trois points de la compréhension de la climatologie qu’il est opportun de citer :

1. le principe que la nature ne supporte pas une distribution hétérogène de l’énergie

2. l’énergie en provenance du Soleil est modulée par les variation de l’orbite de la Terre, des variations de son axe de rotation, des composants de l’atmosphère (poussières, nuages, etc) et des fluctuations mêmes de l’activité solaire.

3. l’atmosphère terrestre n’absorbe qu’une infime partie de l’énergie solaire.

L’atmosphère est un puits pour l’énergie radiative à toutes les latitudes alors que la Terre est une source de chaleur à l’exception des régions polaires. Afin d’éviter que la surface de la Terre ne se réchauffe et que l’atmosphère ne se refroidisse la chaleur provenant du Soleil est donc dissipée vers l’atmosphère et cet échange est principalement favorisé par la vapeur d’eau présente dans l’atmosphère (je cite toujours ce rapport, voir d’ailleurs un dernier billet de ce blog relatif à la magie de l’eau).

À l’époque où ce document a été écrit il existait trois écoles de climatologie, en Grande-Bretagne (Université d’East-Anglia, Professeur HH Lamb), aux USA (Université de Princeton, Docteur Smagorinsky) et en URSS dans le laboratoire du Professeur M.I. Budyko à Leningrad. Les Anglais professaient qu’il fallait étudier les variations climatiques du passé pour expliquer le présent et éventuellement le futur. L’école américaine prônait une meilleure compréhension de la circulation atmosphérique pour envisager des prévisions et l’école russe penchait plutôt pour une étude détaillée de la distribution globale de la chaleur sur la Terre et dans l’atmosphère. Les idées de Budyko qui à l’époque (1955) de la publication de ses premiers travaux alimentèrent une controverse dans le monde de la climatologie prirent finalement le dessus. Budyko considérait que l’ensemble des mouvements atmosphériques étaient inhomogènes et ne pouvaient pas être prédits par une approche mathématique ni simple ni complexe. On parla plus tard de théories du chaos et de fractales pour les mathématiciens.

Vint alors l’école du climat de l’Université du Wisconsin qui avait étudié en détail les variations des températures et des précipitations en Islande. À l’époque (donc à la fin des années 1960) tous les indicateurs étaient en faveur d’un refroidissement du climat. La période faste des années 1930 à 1950 qui avait permis de nourrir une population mondiale qui avait doublé, l’industrie favorisant cette révolution verte, n’allait devenir qu’un lointain mais cuisant souvenir ! L’ « école climatique » du Wisconsin se posait la question reprise dans ce document de la CIA de savoir si un retour du climat vers les conditions qui prévalaient au XIXe siècle (petit âge glaciaire) pouvait être concrètement envisagé. La réponse était déjà non car la population mondiale souffrirait presque immédiatement de famine ! Alors qu’à l’époque la population mondiale n’était « que » de 4,5 milliards – elle atteint aujourd’hui en 2017 près du double …

En étudiant le passé – 14 situations durant 1600 ans – l’école du Wisconsin remarqua qu’il fallait au moins 60 ans aux populations pour s’adapter à un changement du climat et parfois plus de 180 ans pour atteindre une stabilisation durable de ces populations. La malnutrition, les famines, les épidémies et les guerres constituèrent des facteurs de « stabilisation » comme l’évoquaient ces spécialistes de l’Université de Madison. L’émigration massive des Irlandais au cours du « petit âge glaciaire » en est un exemple emblématique : à chaque personne mourant de famine en Irlande dix autres mouraient de maladies principalement favorisées par la malnutrition !

Le rapport en arrive au constat qu’en l’état des connaissances (en 1974) il est impossible de se livrer à un quelconque pronostic sur l’évolution future du climat. Au printemps 1974 se tint à San Diego une réunion organisée par l’Office de Recherche et Développement (ORD) mandaté par la CIA pour accélérer les travaux relatifs aux prévisions climatiques. Il résulta de ce groupe de travail de très haut niveau réunissant les meilleurs climatologues du monde que le climat allait changer et que l’on ne reviendrait pas dans les conditions favorables des années 1930-1950 et qu’aucune prévision au delà de 5 ans pouvait être prise au sérieux. Devant les mises en garde de la CIA, entre autres organismes fédéraux, les USA accélérèrent les travaux de recherche sur l’évolution du climat.

La situation a bien évolué depuis, en particulier sous l’impulsion de la CIA mais quelle confiance adopter, aujourd’hui encore, aux prévisions des climatologues contemporains qui disposent pourtant de moyens techniques des millions de fois plus puissants qu’il y seulement 40 ans ? Il y eut depuis ce rapport 4 cycles solaires dont trois puissants de par leur intensité ( les cycles #21, 22 et 23, constituant le deuxième optimum solaire moderne) qui ont démenti les prévisions alarmistes de l’école du Wisconsin mais le dernier cycle, le 24e de la nomenclature est particulièrement faible et peut-être bien que ces prévisions n’avait que quarante ans d’avance … Qu’est-ce que c’est que quatre décennies à l’échelle géologique et les savants n’ont-ils pas aussi droit à l’erreur ? Toujours est-il que les variations du climat font bien entendu partie des préoccupations de la CIA et il serait intéressant de connaître l’opinion, en cette fin d’année 2017, de cet organisme à propos du « réchauffement » ou mieux encore, ce qu’ils pensent des alertes récentes de nombreux spécialistes relatives au refroidissement généralisé du climat (voir un prochain billet à ce sujet) …

Traduction libre et partielle du document de l’Office de Recherche et Développement de la CIA en accès libre auprès de la Librairie du Congrès à Washington sur simple demande.

Illustration : récents cycles solaires, source NASA

Une réflexion au sujet de « La CIA et le changement du climat : un peu d’histoire pour se « rafraîchir » les idées »

  1. Très instructif !
    Il faudrait remplacer 1973/1974 par 2015/2015 (ou 2016/2017), tout ce qui parle de refroidissement par réchauffement, et ne pas oublier de »convertir » l’URSS en Russie (et peut être d’autres pays ayant changé de nom), de balancer ça à un média peu scrupuleux (si ça existe ? :)) en espérant que cela fasse la une « un nouveau rapport de la CIA etc… », pour voir les commentaires des grand gourous climatologues.
    Une petite remarque : 7,5 milliards(de terriens) « presque deux fois » 4,5 milliards, oui, bon 2/3 de plus c’est déjà pas mal !

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