Comment l’ocytocine (l’hormone de l’amour) peut aider à traiter l’angoisse ?

 

Le « conditionnement » à la peur est un phénomène psychologique bien décrit dans la littérature spécialisée. Quand on a par exemple été victime d’un accident de la circulation, le moindre crissement de pneus ravive immédiatement des souvenirs désagréables. Certains sons ou images restent intimement gravés dans la mémoire et sont interconnectés avec les régions du cerveau impliquées dans la peur, l’angoisse ou la souffrance. Et cette mémoire des signaux nous met dans une situation dont la finalité est de fuir le danger ou de se protéger instinctivement. La réécriture dans le cerveau d’autres évènements ayant une signification inverse de celle de l’expérience passée de la peur n’efface pas complètement cette information et toute perception d’un danger ravive la « vieille » peur toujours présente. La peur dite ancestrale des araignées ou des rats est-elle transmise génétiquement ? Nul ne le sait, mais ce qui vient d’être précisé à l’Université de Bonn en Allemagne permet de préciser le mécanisme de ce qu’on appelle « l’extinction » progressive de la mémoire de la peur qui reste l’une des causes premières de l’anxiété quand ce processus d’extinction est partiellement déficient.

La maîtrise de cette « extinction » des souvenirs de peur constitue l’un des traitements centraux de l’anxiété. Par exemple une personne éprouvant une phobie non maîtrisable des araignées peut se soumettre à une sorte d’apprentissage lui permettant de réduire et de maîtriser cette phobie. Après s’être familiarisé avec des araignées – en images ou en courtes vidéos – le sujet peut finalement arriver à tenir une tarentule dans sa main, ayant appris ou plutôt pris conscience lors de cet apprentissage que la tarentule est une araignée certes repoussante mais tout à fait inoffensive. C’est cette maîtrise consciente du danger qui permet une guérison. Cependant l’apprentissage est très long et une rechute est toujours à craindre car la mémoire a gardé quelque part des traces de la peur originale. Le phénomène d’extinction n’est pas total comme lorsqu’on « écrase » un fichier avec un autre fichier dans un ordinateur. C’est la raison pour laquelle les thérapeutes cherchent à améliorer ce processus d’extinction afin de pouvoir mieux traiter des patients maladivement anxieux car l’anxiété ne concerne naturellement pas que les araignées !

L’hormone de l’amour ou ocytocine (voir le billet de ce blog du 13 octobre 2014) est aussi un puissant anxiolytique et c’est dans cette direction que des scientifiques du département de psychiatrie de l’Université de Bonn ont cherché à comprendre le mécanisme de la peur, sa mémorisation et le processus d’extinction. L’équipe dirigée par le Professeur René Hurlemann a exploré la réponse du cerveau au conditionnement pavlovien de l’extinction de la peur et de l’anxiété et parallèlement l’effet de l’ocytocine sur ce processus. Les sujets anxieux présentent en effet une sorte de découplage entre l’amygdale, première région du cerveau et le cortex préfrontal, l’autre région du cerveau, impliquées dans le « traitement cérébral » de l’anxiété. Etudier un effet de l’ocytocine est en effet relativement aisé dans la mesure où l’administration de cette hormone polypeptidique se fait par simple spray nasal. En effet l’ocytocine parcourt le trajets des nerfs olfactifs directement en contact avec l’extérieur et se retrouve immédiatement dans le cerveau sans pour autant que l’hypophyse ait participé à cet effet.

Soixante-deux sujets de sexe masculin en bonne santé, c’est-à-dire ne présentant pas de problèmes psychologiques et n’ayant pas utilisé de substances psychotropes, constituant un échantillon homogène selon une série de critères socio-économiques et non fumeurs, ont été choisis en les laissant dans l’ignorance de la nature des tests auxquels ils seraient soumis. Au cours du conditionnement des stimuli visuels neutres ou accompagnés d’une décharge électrique construisaient par effets répétés un réflexe dit de Pavlov en associant une image à l’aspect défavorable avec une décharge électrique. Cette première partie du test consistait donc à conditionner les sujets selon la terminologie de Pavlov.

La moitié des sujets étaient ensuite traités avec un spray nasal d’eau saline isotonique, les témoins placebo, ou d’une solution saline contenant de l’ocytocine. On leur faisait endurer une nouvelle série de tests mais en les soumettant également à une analyse par imagerie en résonance magnétique nucléaire fonctionnelle. Comme dans la première partie du test les images étaient montrées à l’aide d’un visionneur tridimensionnel attaché au visage comme ceux utilisés dans certains jeux vidéo. L’imagerie fonctionnelle fut basée sur le contraste dépendant du taux d’oxygène sanguin, une approche devenue maintenant classique pour suivre l’activité cérébrale. Durant la phase d’extinction plusieurs régions du cerveau semblent coopérer et cette activité est commandée par la partie droite de l’amygdale. Ce couplage fonctionnel n’est évident que durant la phase précoce de l’extinction. L’ocytocine amplifie ces connexions en particulier avec le cortex préfrontal droit mais réduit sensiblement l’activité au niveau de l’amygdale droit, le centre de la peur bien que cette même hormone ait tendance à exacerber la réponse à la peur des chocs électriques au début de la phase d’extinction.

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Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles thérapies pour les sujets chroniquement anxieux d’autant plus que l’ocytocine peut également faciliter l’échange entre le patient et le médecin traitant et ainsi augmenter les chances de succès du traitement.

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Dans les deux illustrations ci-dessus d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique basée sur la consommation d’oxygène les taches colorées résultent de la différence de contraste calculée entre les sujets traités avec de l’ocytocine (OXT) ou un placebo (PLC). Une région du cortex préfrontal droit (PFC) est fortement activée en présence d’ocytocine (ocytocine > placebo) alors qu’au contraire l’amygdale droit est moins activé en présence d’ocytocine (ocytocine < placebo). Ces résultats montrent pour la première fois quelles sont les régions du cerveau directement impliquées dans la perception de la peur, l’amygdale, et dans le processus d’extinction, le cortex préfrontal, et le rôle de l’ocytocine dans ces deux fonctions. L’exploration fine du fonctionnement du cerveau réserve donc encore bien des surprises !

Source : Biological Psychiatry ( http://dx.doi.org/10.1016/j.biopsych.2014.10.015 ) article aimablement communiqué par le Professeur René Hurlemann qui est vivement remercié ici, illustration tirées de l’article.

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