Il a donc été fait mention de la Chine dans le précédent billet et de son ambitieux programme électro-nucléaire. Il s’agit de la “transition énergétique” à la chinoise. Actuellement 55 réacteurs nucléaires sont opérationnels, 21 sont en cours de construction, 80 autres sont déjà planifiés pour être concrétisés dans un futur proche et enfin 76 autres installations sont prévues dans un futur plus lointain c’est-à-dire au delà de 2030. L’objectif premier de ce programme était de réduire la pollution des grandes villes et c’est la raison pour laquelle de nombreuses unités en cours de construction ou planifiées comportent aussi une cogénération lorsqu’elles sont situées près de grandes agglomérations afin de profiter de la chaleur de refroidissement du circuit secondaire pour le chauffage urbain. Toujours dans le registre de cette transition énergétique les technologies intermittentes sont confiées à des entreprises privées dont les projets sont très partiellement financés par l’Etat, à ces entreprises de produire un kWh compétitif pour le marché intérieur. Le réseau de transport comporte de plus en plus de lignes haute tension de 1 million de volts alternatif et 800000 volts continu. Dès le début de ce programme les autorités scientifiques ont insisté sur la nécessité pour la Chine de disposer d’un circuit combustible fermé, en d’autres termes la nécessité de construire des surrégénérateurs à neutrons rapides pour prendre en charge les transuraniens de haute activité. Dans le décompte ci-dessus les premières usines comportant un ensemble de SMRs couplés à une seule turbine sont considérés comme étant une seule unité de production. La technologie SMR (100 MW électrique par unité au minimum) pourrait être généralisée à l’horizon 2030 si le coût de construction d’une unité équivalant à celle d’un réacteur de 400 MW électrique s’avère avantageux. Quant aux réacteurs à très haute température ou à lits fluidisés, il s’agit d’installations expérimentales qui permettront dans le futur d’ouvrir d’autres applications industrielles telles que la production d’hydrogène. Divers billets de ce blog l’ont déjà mentionné. L’objet du présent billet est de décrire l’état d’avancement de la filière à neutrons rapides en Chine.
Depuis l’abandon du projet NERSA en France plus connu sous le nom de Super-Phénix il n’existe aucun projet de surrégénérateur en Europe occidentale ou aux USA. Aujourd’hui il faut aller en Russie, au Japon et en Chine pour trouver un programme nucléaire incluant les réacteurs à neutrons rapides. Le petit surrégénérateur japonais, frère jumeau du réacteur Phénix de Marcoule en France et fruit d’une étroite collaboration avec la France est en cours d’amélioration. La Russie est incontestablement le leader mondial des réacteurs à neutrons rapides avec le réacteur de recherche BOR-60 (60 MW électrique) opérationnel depuis 1968, le BN-600 (500 MW électrique) opérationnel depuis 1980 et le BN-800 (880 MW électrique) opérationnel depuis 2016. Ces unités sont couplées au réseau électrique. Il faut également mentionner les sous-marins russes à propulsion nucléaire équipés de petits surrégénérateurs refroidis avec du sodium qui présentent l’avantage de pas nécessiter de rechargement de combustible pendant plus de deux années.
La Chine, compte tenu de son programme électro-nucléaire ambitieux dans la filière des neutrons thermiques type PWR de conception originelle sous licence Westinghouse pour leur grande majorité nécessite le développement de la filière à neutrons rapides, c’est-à-dire non modérés par l’eau utilisée dans ces PWR. La filière à neutrons rapides permet en effet de se débarrasser des transuraniens dont principalement les divers isotopes du plutonium et le curium. On pourrait dire que dans l’urgence la Chine a importé la technologie russe. Il s’agit des deux CFR-600 du site de Xiapu d’une puissance électrique de 600 MW. La construction du premier réacteur a commencé à la fin de l’année 2017 et est en cours de chargement de combustible (voir ci-après) et la construction de la deuxième unité, sur le même site a commencé à la fin de l’année 2020. Ces deux unités sont identiques et les assemblages de combustible sont produits par TVEL ( https://www.tvel.ru/en/ ), un département de Rosatom. Les deux CFR-600 sont des clones améliorés des BN-600. Comme pour le BN-600 le fluide caloporteur transparent aux neutrons est le sodium liquide.

La fermeture de Super-Phénix installé en France, un projet coopératif international et européen, constitue encore aujourd’hui la plus grande erreur de la France dans le domaine énergétique, la France ne pouvant qu’entretenir son parc nucléaire existant mais fatalement condamnée à accumuler des déchets de haute activité en l’absence de ce maillon essentiel que constituait ce surrégénérateur. En effet l’avantage du réacteur à neutrons rapides, c’est-à-dire non modérés par le fluide caloporteur comme dans le cas de l’eau des PWR, BWR ou Candu est de favoriser la capture de ces neutrons d’énergie supérieure à 1 MeV pour induire la fission des noyaux transuraniens ainsi que l’uranium-238 fertile mais non fissile. Il n’existait aucun argument scientifique pour justifier la fermeture de cette usine.
À ce propos et pour insister sur l’incurie des décideurs politiques français il en est de même pour la fermeture de l’usine de Fessenheim : les seules motivations étaient d’ordre bassement politique. L’unité de temps des réflexions des politiciens est leur échéance électorale, c’est-à-dire 5 ans en France. Les projets énergétiques incluant l’énergie nucléaire, le combustible nucléaire entrant pour moins de 5 % dans le coût global du MW électrique final étant le moins coûteux et paradoxalement “renouvelable” grâce à la filière neutrons rapides, demandent des investissements de recherche et développement sur le long terme. Dans le cas d’un réacteur à eau pressurisée classique, le seul élément de l’usine qui ne peut pas être remplacé est la cuve du réacteur : tous les autres éléments de l’installation peuvent être remplacés par du matériel neuf, en particulier les pompes primaires et les générateurs de vapeur. La durée de vie d’un PWR type Fessenheim correspondant à l’AP-1000 dépend de l’état de cette cuve. À chaque arrêt pour rechargement en combustible cette cuve est minutieusement inspectée à l’aide de robots construits à cet effet. La surface de la cuve est nettoyée à l’aide du même robot. Pour l’anecdote j’ai de mes yeux vu un tel robot en opération dans une cuve de 900 MW sur le site de Tricastin en France. Jusqu’à présent jamais aucune détérioration notoire de cette cuve n’a été notée. C’est la raison pour laquelle les autorités de sureté américaines par exemple ont prolongé la durée de vie opérationnelle de la plupart des réacteurs type Westinghouse comme ceux du parc nucléaire français jusqu’à 80 ans. La fabrication de ces cuves est confiée à des entreprises spécialisées et il n’en existe plus qu’un nombre limité dans le monde, en Chine, au Japon, en Russie.
L’avantage du réacteur à neutrons rapides est exceptionnel en comparaison du PWR. Le réacteur lui-même est de type “piscine” puisqu’il baigne dans sa totalité dans un bain de sodium liquide (température de fusion 98°C et d’ébullition 882°C) transparent aux neutrons et à la pression atmosphérique contrairement aux quelques 100 bars de pression de l’eau des PWR. Technologiquement la situation est beaucoup plus simple à mettre en œuvre. Le seul point plus compliqué dans ce type d’installation est la nécessité d’une boucle sodium secondaire également à la pression atmosphérique pour produire la vapeur de très bonne qualité qui va vers la turbine de l’alternateur. Les opérations de chargement en combustible sont entièrement robotisées sous atmosphère inerte (argon). Le cœur du réacteur est entouré d’une couverture d’assemblages de combustibles pouvant aisément contenir les transuraniens dont on veut se débarrasser afin de réduire pratiquement à zéro les déchets de haute activité tout en produisant de l’énergie. Enfin l’autre avantage, et mes lecteurs auront l’impression que je me répète, le réacteur à neutrons rapides permet de “brûler” l’uranium naturel appauvri ainsi que le thorium.
En conclusion cette filière abandonnée par la France est celle de l’avenir et la Russie et la Chine l’ont très bien compris. Il n’y aura jamais de pénurie d’uranium puisque l’uranium appauvri servira avantageusement de combustible pour produire de l’énergie électrique. Grâce à l’énergie nucléaire on peut lucidement envisager un avenir meilleur …
Illustration : assemblages de combustibles fabriqués par TVEL destinés au réacteur CFR-600 chinois sous licence Rosatom. Autres sources : World Nuclear Association, en particulier cette source : https://www.world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-a-f/china-nuclear-power.aspx . Lien ci-dessous : https://www.youtube.com/watch?v=MVUYIJRgUwk&ab_channel=LCP-Assembl%C3%A9enationale . L’intervention de Jospin devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale est un sommet de la mauvaise foi des politiciens qui exposent une problématique dont ils ignorent suprêmement les ressorts scientifiques, ici de l’énergie nucléaire. Clamer haut et fort que “la filière à neutrons rapides n’a aucun avenir” relève de l’ignorance sinon de la sénilité. On peut tout de même pardonner à Jospin qui, à 85 ans, a au moins gardé en mémoire son idéologie de gauche sympathisant avec les ultra-gauchistes que constituent les partis écologistes. Il est vrai qu’un politicien de carrière comme Jospin ne peut pas créer la surprise en osant faire amende honorable devant des députés, lui qui fut un sinistre premier ministre …
Merci beaucoup pour ce billet.
Il me conforte malheureusement dans l’idée que pour la France match est terminé.
Éducation, formation, langues étrangères, vision d’avenir etc etc
Il ne reste que de faux combats et des divertissements.
Woke, races, durée du travail haha !!, Netflix, réchauffement climatique, la liste est trop longue.
Vu mon âge je suis devenu observateur du monde et c’est avec une curiosité presque scientifique que je vie cet effondrement; c’est passionnant….. Malheureusement.
La France est en cours d’effrondrement, tout comme l’UE.
En route vers la servitude, dirigée par ses maitres sagement hors UE.
Bonjour « les seules motivations étaient d’ordre bassement politique. L’unité de temps des réflexions des politiciens est leur échéance électorale, c’est-à-dire 5 ans en France. »
Cette phrase pourrait faire croire que vous etes royaliste, selon la theorie que seul un roi peut planifier à longue échéance, car inamovible.
Ce sont des démocraties qui ont projeté et mis en place le parc nucléaire en France, aux USA, et dans d’autres pays. Ceux qui sont à blamer sont nos élus, et ceux qui les élisent.
Je suis sensible à cela, car en Espagne beaucoup croient encore que Franco a fait sortir le peuple de la misère et entrer l’Espagne dans le modernisme. Donc vive la dictature. Argument non recevable, Nous l’avons fait aussi, avec des démocraties.
Avec un peu de chance la guerre en Ukraine avec le refus des énergies russes aura pour conséquence le retour à la realité, la remise à sa petite place des utopies écolo, et le redémarrage du nucléaire.
C’est vrai Franco a juste empêché Staline de s’installer tranquillement en Espagne. C’est déjà pas mal.
https://www.exteriores.gob.es/fr/PoliticaExterior/Paginas/EspanaOTAN.aspx
Les autres factions républicaines se seraient opposées aux staliniens. Il y a bien eu entre républicains une guerre civile à l’intérieur de la guerre civile.
Ping : Les réacteurs nucléaires surrégénérateurs : Russie et Chine – Qui m'aime me suive…
Je vois dans le démantèlement de la filière nucléaire française la même destinée que pour les fleurons industriels français : turbines Arabelle d’Alstom digérées par l’Américain GE, l’aéronautique et le spatial toulousains phagocytés par les Allemands, l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi désossée au profit du Japon (Toyota) et de l’Allemagne (VW), le complexe militaro-industriel de construction des sous-marins obligé de réduire sa voilure au profit des USA, etc., les exemples ne manquent pas et il faut être aveugle pour ne pas les remarquer.
Il y a un plan derrière tout cela, et le traité d’Aix-La-Chapelle qui ouvre à nos voisins Allemands le savoir-faire français nous indique qu’ils y jouent un rôle plutôt pervers. Ces mêmes voisins font en ce moment tout ce qu’ils peuvent via leurs écologistes mondialistes pour finir le travail de sape de ce qu’il reste du tissu industriel hexagonal. Les écologistes ont une fonction politico-économique qui n’a rien à voir avec la protection de l’environnement.
Il est grand temps que les Français se réveillent. Le peuvent-ils encore ? 🙂
Vous devriez envoyer votre article a M. Lionel Jospin pour qui la filière surgénération n’a aucun avenir…, avec copie à Mme et Mrs Borne, Macron, Lemaire