Pourquoi l’énergie nucléaire s’impose-t-elle?

En dehors de quelques pays européens qui font de la politique énergétique démagogique et électoraliste, le reste du monde s’engage résolument dans la voie nucléaire. Les projets de développement y sont de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus variés, notamment avec l’émergence des SMR (Small Modular Reactors).

Par Roger Stump, analyste financier, 8 juillet 2021 sur le site investir.ch

Voici tous les avantages comparatifs de l’industrie nucléaire

  1. L’énergie nucléaire est pilotable* (voir notes en fin de billet), donc produite à la demande. C’est indispensable à la stabilité du réseau électrique où offre et demande doivent toujours correspondre.
  2. L’énergie nucléaire produit 2 fois moins de CO2 que l’éolien et 7 fois moins que le photovoltaïque.
  3. La quantité de matériaux nécessaires à la construction d’une centrale nucléaire est respectivement 9 et 14 fois inférieure à celle nécessaire pour l’éolien et le photovoltaïque pour produire le même térawatt/heure.
  4. Le nucléaire nécessite 1000 fois moins de surface au sol que l‘éolien et le solaire pour produire le même TWh.
  5. L’énergie dégagée par la fission de l’uranium génère plusieurs centaines de milliers de fois plus d’énergie que la combustion d’une quantité équivalente de charbon, de pétrole ou de gaz, d’où une quantité très faible de déchets en proportion de la quantité d’énergie produite.
  6. Pour pourvoir un être humain occidental en énergie pour toute sa vie, il suffit de 6 kilos d’uranium, soit le volume d’une cannette de coca (l’uranium étant 19 fois plus lourd que l’eau). Pensez ne serait-ce qu’à la quantité d’essence que chacun de nous a déjà consommé dans sa vie !
  7. En moyenne, le facteur de charge d’un réacteur nucléaire est de 92%, ce qui fait de l’énergie nucléaire la plus fiable de toutes, bien loin devant le gaz (55%) et le charbon (54%), et évidemment l’éolien et le solaire.
  8. De toutes les industries énergétiques, le nucléaire est la plus sûre et son bilan humain (90 décès par 1000 TWh) est même inférieur à celui de l’éolien (150), du solaire (440) et de l’hydroélectrique (1400).
  9. Les déchets totaux de l’industrie nucléaire depuis sa naissance représentent le volume d’un stade de foot de 10 mètres d’épaisseur, soit 100000 m3 ou 2 millions de tonnes. Aucune industrie au monde ne s’astreint à une gestion aussi précise de ses déchets et, à ce jour, aucune irradiation, aucun accident n’a jamais été à déplorer avec des déchets nucléaires. Notez aussi qu’une grande partie des déchets sont susceptibles d’être encore réutilisés dans le futur avec l’émergence d’autres technologies de fission nucléaires ou de production de batteries utilisant la radioactivité !

Le marché de l’uranium en deux graphiques

Le premier illustre les ratios de couverture en uranium des opérateurs de centrales nucléaires européens et américains (environ 50% du total des réacteurs). Cette situation est inédite.

Les besoins non-couverts par des contrats à terme devront être comblés dans un marché souffrant déjà d’un déficit de production.
Rappelons au passage que les stocks des producteurs sont également au plancher!

Le deuxième illustre le déficit de l’offre d’uranium dans le contexte d’une demande en croissance selon deux scénarios établis l’année dernière par le World Nuclear Association. L’évolution actuelle de la demande penche désormais clairement vers le scénario le plus élevé.

Des exemples récents illustrent le propos. Parmi ceux-ci citons Shikoku Electric (Japon) qui se prépare à redémarrer son réacteur Ikata No3 le 12 octobre prochain. Il avait été stoppé en décembre 2019 sur décision d’une cour de justice. Aux Etats-Unis Duke Energy vient de faire les démarches en vue d’une demande de renouvellement/prolongation de licence d’exploitation jusqu’à 80 ans de ses trois réacteurs de la centrale d’Oconee en Caroline du Sud, jusqu’en 2053 et 2054 et l’administration Biden prend des mesures pour constituer une réserve d’uranium, une proposition faite sous l’ère Trump. La Société CEZ Group qui exploite la centrale nucléaire de Dukovany II en République Tchèque a sollicité une offre de trois constructeurs pour un nouveau réacteur. En Inde, la construction de deux nouveaux réacteurs russes de plus de 1000 MW chacun a démarré, les unités 5 & 6 de la centrale de Kudankulam. Plus globalement, selon la World Nuclear Association, on compte actuellement 445 réacteurs en fonction, représentant une puissance 24/7 installée de 396 GW. 60 réacteurs sont en construction (66 GW), 99 sont en planification avancée ou commandés et 325 sont proposés. La Chine qui veut augmenter de 40% sa puissance nucléaire d’ici à 2025 et l’Inde qui planifie de tripler son parc nucléaire pour 2030 sont deux acteurs majeurs de ce secteur.

Quid du prix de l’uranium?

Le sommet historique du prix de l’uranium de 140$/lb atteint en mai 2007, ajusté de l’inflation, serait aujourd’hui de 177 $/lb. Le prix actuel de la livre d’uranium navigue aux environs des 32 dollars. Un minimum de 45-50 dollars (niveau du coût moyen d’extraction) est requis pour redémarrer les mines en maintenance et un prix de 65-70 dollars pour développer les nouvelles mines nécessaires à rétablir l’équilibre. Or, il faut 8 à 10 ans pour qu’une mine atteigne le stade de la production, et la production requise de ces mines doit représenter celle de deux fois le Kazakhstan, le plus gros producteur du monde (35%)…

Mais encore

De part et d’autre de l’Atlantique, le bon sens semble vouloir définitivement l’emporter. Les Etats-Unis affichent désormais leur intention d’inclure le nucléaire dans les énergies propres, alors que de l’autre côté, le rapport du groupe d’experts mis en place par la Commission européenne est favorable à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie des investissements durables, ce qui devrait ainsi faire intégrer le nucléaire à l’acte délégué sur la finance verte. Cette perspective n’est pas sans conséquence sur le secteur uranifère, car si un seul petit pourcent des fonds de placement ESG devait lui être alloué, ce pourcent aurait la capacité d’acheter 100% de toutes les sociétés uranifères listées à trois fois le prix actuel …

Notes explicatives. La puissance d’un réacteur est modulable (pilotable) entre 95 et 100 % de sa puissance nominale. Pour un réacteur d’une puissance de 1000 MWe il s’agit donc de 50 MWe soit 1/6e de la puissance d’une centrale thermique de taille moyenne. En dessous de 95 % la qualité de la vapeur se dégrade et l’exploitant évite de dépasser ce seuil. À propos du CO2 ces chiffres sont pessimistes car un réacteur nucléaire peut fonctionner jusqu’à 80 ans alors que la durée de vie d’une éolienne est au mieux de 25 ans. Il s’agit ici des émissions de CO2 pour la construction de ces installations. Autre précision le facteur de charge de 92 % comprend les opérations de changement du combustible hors arrêts de maintenance de plus longue durée planifiés à l’avance.

En ce qui concerne les déchets générés par les réacteurs à neutrons lents dits thermiques type PWR les données figurant dans l’énumération ci-dessus ne font pas état du retraitement. Ce retraitement consiste à éliminer les produits de fission et certains transuraniens. Le plutonium, transuranien le plus léger, peut-être réutilisé comme combustible en remplaçant l’uranium-235. Quelques pays seulement utilisent le MOX, combustible contenant du plutonium, il s’agit en premier lieu de la France puis de la Russie, du Japon et enfin de l’Inde. Partant du fait que lors d’un cycle du combustible une infime fraction de ce dernier est effectivement consommée, le retraitement réduit notoirement les volumes de déchets dits radioactifs. L’uranium « appauvri » n’est pas pris en compte dans les déchets. En attendant des jours meilleurs, comprenez le développement inévitable des surrégénérateurs, cet uranium appauvri non fissile, essentiellement de l’uranium-238, est stocké sous formes d’oxydes.

14 réflexions au sujet de « Pourquoi l’énergie nucléaire s’impose-t-elle? »

  1. Ping : Pourquoi l’énergie nucléaire s’impose-t-elle? – Qui m'aime me suive…

  2. Bonsoir.
    Elle s’impose sur le papier mais son temps d’implantation est hors phase par rapport aux besoins.

    Je l’ai démontré dans ce post :

    Indicateurs 2021

    Le temps de fabrication d’un Reacteur 900MWe pour ajouter 6TWh/an est plus long que de palier à la demande avec des panneaux solaires et des élices.

    Pour arrondir en ERN on peut ajouter 10TWh/an de consommation, avec le nucléaire c’est 5 ans minimum pour faire le réacteur.

    Le nœud du problème c’est le temps d’installation. Pas le cout longue durée ni la pollution.

    Le discours est déconnecté des réalités fondamentales pour cause de nécessité urgente de faire du fric avec un nouveau business modèle. le nucléaire est en phase de réduction, jusqu’à temps que le système entier ait frôlé le crash total.

    Le nucléaire va disparaitre parce que c’est trop long, trop gros, trop problématique à la fermeture, impopulaire et en inadéquation avec le niveau moyen des humains pour le faire fonctionner qui régresse d’année en année. cf EPR….

    • Bonjour
      Les technologies de stockage et traitement ont énormément évolué depuis 1967 …
      On ne stocke plus les déchets dans des bidons au fond de l’ocean comme le chantaient Crosby, Stills, Nash and Young ! (Barrel of pain, 1983).
      La technologie de nos jours va permettre la mise en service de SMRs de plus en plus rapidement, on parle de 500 jours pour construire, livrer et mettre en service un SMR.
      Les Russes ont une avance considérable, ils ont des dizaines de navires brise glace alimenté uniquement par ces petits réacteurs.
      Le seul problème avec le nucléaire: il fait peur.

      • Comprenez-moi bien, je ne suis pas antinucléaire, nos choix énergétiques d’après-guerre furent les meilleurs de toute l’Europe. Je dis simplement que les gens sont stupides et malléables, on leur a bourré le mou avec Fukushima comme quoi il fallait faire plus propre et plus sur, mais pendant tout l’avènement de l’informatique, les années minitel jusqu’en 2010, on ne s’est jamais demandé d’où venait l’électricité.

        Le système capitaliste est mort, il est en fin de chaine, il ne peut plus se renouveler, la création de nouveaux marchés se fait dans la destruction sociétale absolue au point de menacer l’équilibre global. Pour information, attendez après-demain et vous aurez le détail du green deal européen, vous apprécierez de constater que nous allons manger de la merde plus cher en plus petite quantité d’ici peu de temps.

        Arrivé à un % donné dans le mix énergétique on voit bien que l’Allemagne cet hiver pour les bus, s’est ridiculisée par exemple. Vendre des produits et technologies immatures, non fonctionnelles dans le cadre de leur utilisation, c’est du foutage de gueule. Malheureusement, plus on bourre le mou aux gens, plus ils suivent, plus ils se font vacciner pour aller voir les match ou manger au restaurant, plus ils roulent en électrique et mettent la stabilité du grid en danger à terme. etc, etc

        allez lire la conclusion de ma dernière publication sur les boomers, la gen. X et les zombies. Je pense que vous serez entièrement d’accord sur la folie ambiante.

    • EDF a mis 25 ans pour construire 58 tranches nucléaires. En 18 ans elle n’a pas été fichue de mettre un seul EPR en service. La cause ? la casse d’EDF et de ses services d’équipement et de R&D, principalement la conséquence de décisions politiques stupides.
      Mais si de vrais décideurs avec pour objectif l’intérêt national arrivent au pouvoir, ça peut changer …
      Et puis pas forcément besoin de grosses centrales, des petites genre celles qui sont dans les sous-marins peuvent très bien faire l’affaire. Production locale …

  3. Concernant le point 8, il me semble que le nombre de morts officiel pour la catastrophe de Tchernobyl est d’une trentaine de personnes…Partant de là, difficile de faire confiance aux chiffres de décès.
    Pour le point 9, le stockage des déchets, il y a déjà eu des problèmes dans une mine de sel allemande inaugurée en 1967 et qui a commencé à présenter des fuites dans les années 80. La mine devra être entièrement vidée de ses déchets pour éviter une contamination de la nappe phréatique.
    Si un des pays les plus avancé technologiquement parlant peut commettre ce genre d’erreur sur une échelle de temps aussi courte, affirmer que le stockage est sûr pour des milliers d’années et qu’il n’y aura aucune contamination me paraît assez osé.

    • Les déchets à courte vie sont les plus dangereux. Plus la durée de vie est longue, moins ils sont dangereux. On peut toucher sans crainte une pastille d’un produit qui se désintègre en 100000 ans. Pour les plus courtes durées de vie, 300 à 500 ans en surface dans des bâtiments en béton suffisent. Il suffira de refaire l’étanchéité du toit régulièrement. Puis on saura les brûler quasi complètement dans quels dizaines d’années, nécessité faisant loi.

  4. la politique actuelle de enerdis est devenue l’inverse en ce qui concerne le point 1.
    Faire correspondre la demande à l’offre…..
    Comment est ce possible?
    il existait auparavant deux methodes pour adapter la demande à l’offre mais pas vraiment en temps reel et sans blackout.
    la premiere etait le prix du kwh dans le style jour/nuit….EJP ..ou tempo..ça fonctionne pas trop mal mais reste soumis à la bonne volonté des utilisateurs.
    La seconde c’est le delestage pur et dur pour eviter l’effondrement du reseau mais la remise en route est delicate.
    La nouvelle solution avec le linky est beaucoup plus fine et permet de baisser les contrats individuellement en temps reel à l’aide d’algorthme et d’IA ,ce qui laisse un acces energetique minimm pour les usages essentiels mais pas pour les consommations differables comme le chauffage de l’eau ou eventuellement dans le contexte actuel la recharge de la batterie automobile.
    pour ceux qui voyaient dans le linky un outil d’espionnage ou autre delire,il faut bien comprendre que c’est un outil de gestion fondamental pour des productions aleatoires et qui permet d’eviter les importations à tarif astronomique pendant les periodes de pointe

    • Un outil de gestion de pénurie en poussant un peu loin.
      Je connaissais une paysanne âgée. Elle avait une lampe rouge qui s’allumait au-dessus du compteur pour lui signaler que le tarif était au plus haut.
      Nous avons encore le mode nuit/jour, et le CE ne chauffe qu’en période creuse.

      • Ah oui encore. Chez nous le chauffage par la bi-jonction stoppe quand c’est le tarif rouge. 1 ou 2 kWh de moins. En principe, cela ne doit pas durer. Mais avec ces bracaillons au pouvoir, on aura à y faire face.

  5. Voila ce qui arrive quand on laisse à des écologistes politiques incompétents des responsabilités écrasantes comme l’agriculture, l’aménagement du territoire et la gestion de l’énergie. Il est urgent de créer un ministère de l’industrie autonome séparé de Bercy staffé avec des ingénieurs aux cheveux gris qui ont de la bouteille, qui ont managé des équipes nombreuses et qui savent de quoi ils parlent. Cela dit, la propagande écologiste a tellement bien réussi que même en ce moment où on a un mois de juillet froid et maussade, la majorité des gens pensent qu’on va griller sous l’effet du RCA. Même les jeunes écervelés d’étudiants à Polytechnique/Palaiseau demandent qu’on vire le centre de R & D énergies nouvelles du groupe TOTAL qui finira son installation sur place l’an prochain (Pouyané son PDG étant un X-Mines de formation). Y’a du boulot ! Et quand on pense qu’en 2035, seules 50 % des tranches actuelles seront en état de fonctionnement…aïe aïe aïe, mais la réalité technique rattrape toujours les rêveurs satellisés sur l’orbite géostationnaire de la pensée magique (coucou M’sieur Nicolas Hulot !). Il suffit d’attendre gentiment qu’un crash réseau monumental se produise pour que tous ces charlots reviennent sur Terre et prennent sous la pression de l’urgence les mesures de bon sens que les techniciens d’EDF et D’ENEDIS leur soufflent à l’oreille depuis 20 ans. Il est déjà trop tard pour la partie nouveaux produits comme les RNR et autres SMR qu’on achètera à la Russie et que les Chinois nous installeront sur place.

      • Bonsoir.

        A l’aune de l’intention de restreindre le mondialisme et de faire une UE autonome et puissante  » en toute situation » pour l’alimentaire, et quand on annonce une réindustrialisation des produits de premières nécessités, personnellement, j’y vois une politique de replis d’avant-guerre.

        Par conséquent, laisser la Chine venir faire des réacteurs quand nous étions le pays phare de cette technologie il y a 50 ans, je pense que c’est une erreur d’interprétation de votre part. A minima je ne pense pas comme vous. ca n’est pas parce qu’ils acheètes les espaces publicitaires de l’euro 2020 jouée en 2021 qu’ils sont tous les pouvoirs et s’approprier le secteur énergétique d’un pays aussi minable soit-il que le nôtre.

        Je maintiens que le temps de mise en place est un multiple des ENR, je ne suis pas pro ENR mais ils feront tout pour que les besoins soient juste couverts. Relisez ce que j’ai écrit sur les calculs pour ce qui annoncé pour 2024 : 28.5TWh/an c’est un petit réacteur par an, ils n’investiront jamais plus dans le nucléaire, le parc existant fera le nocturne, les ENR feront le diurne.

        l’ajout est juste là pour absorber un shift des véhicules mais il n’ira pas lui-même au bout de la conversion du parc.

        Au lieu d’une chiée d’ingénieurs pour faire un réacteur, il suffit d’une chiée de péons électriciens pour relier le + avec le + et le – avec le – et de visser le panneau sur un bâti en aluminium. C’est nettement plus en phase avec la réalité de l’emploi dans le btp et de la représentation des savoirs faire du pays. Il faut avoir l’humilité de raviser les possibilités en fonction du réel…

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