Et si on reparlait encore de malbouffe …

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En avril 1999, au trente-et-unième étage d’une tour au sud de Minneapolis une dizaine de VIPs participent à une réunion secrète. Ce sont les patrons des géants de l’industrie agroalimentaire américaine qui prennent acte de l’obésité dévastatrice qui ravage le bon peuple américain. Si rien ne filtre de cette réunion, rien ne changera non plus par la suite dans les pratiques douteuses sinon écoeurantes de ces gros bonnets de la malbouffe. Le journaliste du New-York Times, Michael Moss, prix Pulitzer en 2010, a osé aller voir de plus près comment fonctionnait cette industrie qui pour lui est la principale cause de l’obésité – un quart de la population américaine est cliniquement obèse – et la moitié de cette même population est en surpoids dont plus de 12 millions d’enfants. Les coûts induits par cette situation catastrophique pour la société toute entière sont astronomiques car l’obésité est synonyme de maladies cardio-vasculaires, de diabète, d’hypertension, d’arthrite, d’insuffisance pulmonaire et de cancers. Ce scandale est tout simplement le fait de l’appât du gain de ces gigantesques compagnies tentaculaires. Tout repose sur trois ingrédients, piliers de la nourriture industrielle à l’origine de cette épidémie qui se répand aussi en Europe à grande vitesse : le sel présent partout pour rehausser le goût dès la première bouchée, les matières grasses qui apportent l’essentiel des calories et le sucre pour exciter le cerveau. Ce cocktail détonnant favorise la suralimentation sans qu’on s’en rende compte et est décliné dans des milliers de recettes pour modifier les habitudes des consommateurs et les pousser à toujours plus manger. À cela s’ajoute un marketing sophistiqué qui culpabilise la mère active qui préférera acheter des plats tout prêts plutôt que de passer des heures à cuisiner et qui émancipe les enfants qui vont au coin de la rue acheter leur hamburger-frites sans déranger leur mère, dans le seul but de simplifier la vie du consommateur moderne.

Dès les années 50 General Foods propose des « produits simples à acheter, stocker, ouvrir, préparer et manger » et l’imagination des industriels, sur ce principe, devient débordante puisque des milliers de produits nouveaux apparaissent sur les linéaires des supermarchés. Par exemple les céréales, riches en sucres, remplacent progressivement le traditionnel bacon accompagné d’un œuf brouillé. Des centaines de chercheurs en neuroscience et en psychologie aident les industriels à cibler les enfants et optimiser les ajouts de sucre pour que ces derniers atteignent ce qu’il est convenu d’appeler « le point de félicité » qui se mesure très précisément en fonction des propriétés physiques, chimiques et nutritives des aliments. Les adultes ne sont pas en reste, en particulier les femmes qui ont mieux à faire que de passer des heures à la cuisine. Le gras, le sucré et le salé sont les trois paramètres manipulés pour produire la plus importante impression de récompense dans le cerveau.

Tout les moyens sont bons pour les industriels qui montrent une faculté d’adaptation époustouflante. Par exemple dans les années 70, le sucre est directement mis en cause pour favoriser l’apparition de caries dentaires. Pas de souci, il est remplacé par bien pire, du sirop de maïs enrichi en fructose, liquide, donc plus facilement formulable, au pouvoir sucrant supérieur au vulgaire saccharose de canne ou de betterave et surtout beaucoup moins coûteux. Le gigantisme des entreprises permet une réduction des coûts, de meilleurs rendements et dégagent des profits gigantesques permettant des budgets publicitaires pharaoniques pour inciter les consommateurs à manger toujours plus de produits nouveaux. Les curieux peuvent consulter la liste des produits de la seule société Kraft qui appartient à Philip-Morris comme d’ailleurs General Foods (http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Kraft_brands), c’est tout à fait impressionnant.

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Kraft a réalisé la prouesse industrielle de fabriquer un fromage pour pizzas contenant 27 ingrédients différents dont aucun d’entre eux n’est directement d’origine lactée ! Dans le domaine de la viande la publicité renforcée a orienté les consommateurs vers la viande « maigre ». Qu’est-ce au juste que de la viande maigre, un bon steak ? Non pas, c’est compliqué à faire cuire et surtout difficile à mâcher ! La viande est broyée et centrifugée pour séparer les matières grasses autrefois réservées à la production de suif et maintenant destinées aux nourritures pour animaux. La viande ainsi dégraissée, traitée à l’ammoniac gazeux pour la stériliser, est conditionnée en blocs de 13 kilos, congelée et expédiée aux fabricants de steaks hachés qui y ajoutent d’autres ingrédients comme du sirop de maïs, du sel, des agents de texture et des acides gras hydrogénés, les trois piliers de la malbouffe industrielle et divers autres additifs dont il vaut mieux ignorer la nature.

Quinze années après cette fameuse réunion, rien n’a vraiment changé, la malbouffe est partout y compris en Chine où le nombre de personnes en surpoids est devenu récemment supérieur à celui des personnes sous-alimentées. La France n’est pas en reste puisque l’obésité est passée de 8,5 à 14,5 % de la population depuis 1997. Rien d’étonnant quand on sait que plus de 60 % des plats proposés dans les restaurants de quartier parisiens sont d’origine industrielle. C’est tellement plus facile et tellement moins cher de passer une poche de bœuf-carottes congelé, précuit et prêt à l’emploi dont la sauce contient les mêmes trois ingrédients – sirop de maïs, sel et acides gras hydrogénés – au four à micro-ondes … Pour le pays du Guide Michelin, c’est une belle performance …

Inspiré d’un article paru dans le quotidien Le Temps. A lire « Sucre, sel et matières grasses, comment les industriels nous rendent accros », Michael Moss, Calman-Lévy ; Illustrations : deux marques françaises emblématiques propriétés de Philip-Morris également propriétaire de Marlboro comme chacun sait.

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