La culture hors-sol en milieu urbain : un rêve non rentable

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Des rangées de bok choï (chou chinois), de persil, d’estragon et de basilic joliment disposées aux côtés de dizaines de variétés de laitue poussent en harmonie sous la lueur rose de lumières LED dans une ancienne sucrerie. L’eau infusée de nutriments ruisselle sur les tours vertes, gardant les plantules hydratées et nourries. Il s’agit d’une ferme verticale intérieure techniquement avancée enfouie au fond d’un sous-sol dans un ancien entrepôt de Tate & Lyle devenu maintenant le Liverpool Life Sciences UTC.

Deux universitaires ont mis leurs ressources en commun, recruté des étudiants en doctorat et en maîtrise et cultivent la nourriture de manière hydroponique dans les tours – un concept de plus en plus populaire où les salades et les légumes à feuilles sont cultivés toute l’année dans des conditions précises dans des lits remplis de mousse synthétique empilés verticalement sans lumière du soleil ni sol naturels.

La ferme est la création de Jens Thomas et Paul Myers, tous deux issus de milieux scientifiques, qui se sont rencontrés pour la première fois lors d’une conférence puis à nouveau lors d’un cours de boxe thaï avant de décider de travailler ensemble. Ils ont fondé Farm Urban en 2014. Depuis lors, ils ont installé des systèmes dans toute la ville, notamment à l’Université de Liverpool, à l’hôpital pour enfants Alder Hey et aux jardins botaniques Ness et ont mené une série d’activités de sensibilisation du public. Leur objectif est de changer notre relation avec l’alimentation : les méthodes agricoles traditionnelles, disent-ils, et l’utilisation d’acres de terre ne sont plus « durables ». La population mondiale augmente – l’Organisation mondiale de la santé estime qu’elle atteindra 9,7 milliards d’habitants d’ici 2050, 70% des habitants vivant en zone urbaine.

Pour préserver les habitats naturels et améliorer la sécurité alimentaire mondiale, il faut une refonte complète des méthodes de production alimentaire, affirment Thomas et Myers. C’est une affirmation risquée car des projets similaires ont échoué, dont un dans le Grand Manchester. La Fondation de la Biosphère (Biospheric Foundation), basée dans un moulin sur les rives de la rivière Irwell à Salford, était censée être une ferme aquaponique urbaine de pointe, où les déchets de poisson fournissaient la source de nourriture pour les plantes en croissance, et les plantes devaient filtrer naturellement l’eau. Trois ans après son ouverture, le projet a été endetté de plus de 100 000 £ et la réputation de l’ensemble de la conception du système est partie en lambeaux.

Ces programmes de production alimentaire sont confrontés à des défis financiers très réels. Premièrement, il y a des coûts qui, s’ils ne sont pas gérés avec soin, pourraient finir par être astronomiques. Ils sont principalement associés à la consommation d’énergie requise pour maintenir un environnement contrôlé et fournir de la lumière artificielle. Il y a le problème de l’empreinte carbone de l’utilisation de grandes quantités d’énergie dans les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. On a également critiqué ce type d’exploitations agricoles pour leur capacité à produire uniquement des légumes verts feuillus et non des cultures plus caloriques.

Pourtant Thomas et Myers insistent sur le fait que leur projet est différent. Leurs objectifs sont qualifiés d’ « hyperlocaux ». Il s’agit de démarrer une production de petite taille et susciter un intérêt commercial local croissant pour leurs produits. Leur ferme verticale actuelle, qui a été expédiée du Canada, a été payée par First Ark, une organisation d’investissement social basée à Knowsley. Le financement de 150 000 £ est en partie prêté et en partie subventionné. Thomas et Myers espèrent récupérer une partie de l’argent en vendant des caisses de salade pour 12,50 £ aux particuliers et aux entreprises, les abonnements annuels coûtant 600 £. Ils ont également lancé une campagne de financement participatif, Greens for Good, où chaque boîte de légumes verts achetée par une entreprise locale doit aussi prendre en charge une autre boîte de légumes verts allant dans une école locale. Ils ont levé plus de 17 000 £ sur leur objectif de 25 000 £.

Myers s’est intéressé à la production alimentaire tout en préparant son doctorat à l’Institut national du cancer. Des milliards sont dépensés pour la recherche sur les médicaments, mais il estime qu’il doit y avoir une approche plus globale pour examiner comment le régime alimentaire et la qualité des aliments peuvent affecter la santé. «C’est l’agriculture du futur. Sans pesticides passant directement de l’agriculture traditionnelle avec traction animale en court-circuitant celle des tracteurs qui détruit régulièrement la planète afin d’atteindre une approche plus durable », dit-il. Myers est pleinement conscient des risques de son cheminement de carrière choisi. « Oui, j’ai un peu peur – nous avons contracté une énorme dette – mais nous l’avons minimisée autant que possible humainement et maintenant il ne s’agit plus que de continuer et de travailler pour que cela fonctionne. »

Cet article paru sur The Guardian mérite quelques remarques. La culture hydroponique hors-sol n’est rentable que si elle est pratiquée en l’absence de source lumineuse artificielle ou, par conséquent, si l’énergie électrique est disponible à un coût modique. Ces genres de situations se retrouvent dans le désert du Neguev – ensoleillement abondant, donc inutilité d’un éclairage artificiel – et à l’opposé en Islande où l’électricité et le chauffage sont pratiquement gratuits. J’ai visité il y a quelques années des serres dans lesquelles étaient cultivés des légumes à feuilles en hydroponie dans un pays tropical. Pour assurer la circulation de l’eau et un éclairage d’appoint pour stimuler la croissance des plantes, l’alternance jour-nuit étant de 12 heures, ces serres étaient donc dépendantes d’un groupe électrogène puisqu’elles se trouvaient dans une zone non reliée au réseau électrique. Une aberration … Dans les propos rapportés dans cet article il y a enfin une stupidité quand l’un des objectifs de ce type de culture est de réduire les émissions de CO2 alors que de nombreux maraîchers pratiquent l’enrichissement de l’atmosphère de leurs serres justement avec ce gaz pour augmenter jusqu’à 30 % la vitesse de croissance des plantes. Le seul avantage des cultures hors-sol en milieu totalement contrôlé, requérant donc une filtration micronique de l’atmosphère et une stérilité draconienne, est de s’affranchir de l’usage de pesticides, en particulier de fongicides. Ce type d’approche nécessite la création de sas d’accès et un respect total des conditions de stérilité, ce qui complique considérablement l’installation. Il apparaît donc que l’objectif « écologique » d’un tel projet est tout à fait contestable.

12 réflexions au sujet de « La culture hors-sol en milieu urbain : un rêve non rentable »

  1. Il me semblait qu’une usine à salade était tout à fait opérationnelle et rentable, au japon, le cout de l’éclairage étant tout à fait compensé par la non utilisation des pesticides.

    Concernant l’ajout de co² ds les serres, mon aîné bosse chez un maraîcher « bio » qui brûle des palettes pour apporter chaleur et co² ds ses serres…

  2. Je suis bien d’accord pour constater que dans le contexte économique actuel ce type d’agriculture est presque partout non-rentable et affligé d’un bilan écologique douteux.
    Mais dans la situation de chaos et de famine qui nous attend, ce savoir-faire pourrait, qui sait, permettre à quelques survivalistes ingénieux de survivaler, pour peu qu’ils puissent trouver du carburant et qu’ils aient eu la bonne idée de planquer sous leur BAD un groupe électrogène.
    Je lis donc avec une curiosité teintée de bienveillance les articles techniques sur la culture hydroponique et les imprime au cas où….

    • en situation de famine et de chaos, penser qu’il y aura accès à du carburant… Comment dire …. ^^

      De plus, faire pousser des légumes pour se nourrir, faut être un paquet de monde pour abattre le boulot donnant un faible rendement sans mécanisation.

      Perso dans une telle situation je me rabats sur des chèvres, des poules et des arbres fruitier

      • J’abonde dans votre commentaire ! Si on pouvait survivre en broutant de l’herbe ça se saurait depuis longtemps. Personnellement je ne mange plus aucun légume depuis plusieurs années (sauf quand je séjourne au Japon) et je me porte très bien. Par contre je mange des fruits locaux : en ce moment c’est la fin de la saison des mangues et le début de la saison des fraises et des framboises. Je déguste parfois des bananes canariennes excellentes – il y en a toute l’année – et bientôt ce seront les abricots, la floraison est maintenant terminée ici à Tenerife. Se nourrir de salades : il ne faut pas rêver !!!!

  3. Deux remarques /questions :
    1/ même avec éclairage à leds (qui sont en principe utilisées) ?
    2/ Et quid du Japon où il existe 300 « fermes verticales » (manque de terre arable+vieillissement population agricultures obligent ?) et où des grandes boites comme Toshiba ont investi dans ces fermes ?

    • Au Japon la situation est un peu différente : le territoire du Japon est à 70 % montagneux, il représente environ 70 % de celui de la France, 380000 km2 en comparaison de celui de la France (hors DOM-TOM) de 550000 km2 et il doit nourrir 125 millions d’habitants, l’objectif du Japon étant d’importer le minimum de denrées alimentaires de l’étranger. Imaginez un instant qu’en France la région Aquitaine soit la seule où toute culture soit possible !!! Il est donc tout à fait compréhensible qu’il existe une multitude de fermes de culture hydroponique ou sous serre qui occupent une surface plus importante que celle des cultures maraîchères situées près de l’agglomération parisienne par exemple. Le cas d’Israël est caractéristique. Dans le désert du Neguev de nombreuses exploitations agricoles hors-sol existent et … elles sont alimentées en eau par des usines de dessalage de l’eau de mer, un peu comme ici à Tenerife qui dispose de 7 usines de ce type toutes construites par des sociétés israéliennes pour que les chasse-d’eau des hôtels pour les touristes soient alimentées … Autres lieux autres moeurs.

  4. Comme quoi les « végans » vont succomber à l’industriel qui les effraie tant !!! Comme toute technique ces cultures basées sur des connaissances agronomiques peuvent être utiles et rentables en parallèle avec des productions traditionnelles. On peut imaginer que dans des zones au climat peu propice à l’agriculture: désertiques ou glaciales des solutions très techniques soient utiles. Dans nos zones tempérées la terre ne manque pas pour une agriculture raisonnée et des jardins privatifs très productifs et très économiques. Je n’approuve pas la privation de légumes, ils représentent une palette de goûts incomparable et sont meilleurs pour la santé que l’accumulation de sucres. Peut-être que le dogmatisme est la maladie la plus grave…

    • « jardins privatifs très productifs et très économiques » euh… si vous le dites, encore faut-il être un tantinet « formé » à l’horticulture ?

      • La couronne de nombreuses grandes villes était un immense jardin il n’y a pas si longtemps… On a créé des zones pavillonnaires avec des parcelles de surface ridicule qui ne permettent pas la moindre culture pour produire local afin de préserver les grands champs de maïs et ne pas « miter » la campagne (dixit mon maire).
        Beaucoup de nos anciens étaient heureux avec leur petit « bordage » dans les régions à l’habitat dispersé. Ils avaient fruits et légumes en « circuit court. Si on comptait les surfaces de jardin des villes en terre agricole on gémirait moins…

  5. C’est une alternative de luxe, qui attend son Yves Cochet pour les subventions, la réglementation ad hoc et les achats imposés.
    A une époque, où il est possible de créer chimiquement des goûts (le goût de fraise par une écorce d’un arbre australien, par exemple), pourquoi dépenser tant pour soi-disant répondre à une urgence alimentaire quand il serait plus efficace de gérer les stocks, l’approvisionnement, sélectionner des ressources ou (horreur) les modifier génétiquement ?
    Les champignons (de Paris) par exemple ne sont pas trop gênés par l’humidité… Il suffit de trouver un complément nutritionnel.

    http://www.ephphata.net/ecologie/ecologie-aromes-naturels.html

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