Brève. Souvenirs de la mer et de l’air

Il y a quelques jours j’avais énuméré tous les aéroports d’où j’avais embarqué sur un aéronef. J’ai au cours du vol depuis Auckland versTokyo survolé l’archipel du Vanuatu puis de loin les îles Mariannes. A resurgi alors dans mes souvenirs trois aéroports d’où j’ai embarqué sur un avion : Incheon, la nouvelle installation aéroportuaire de Séoul, Palau, une île perdues à l’est des Philippines et enfin Saïpan au nord de l’île de Guam, dans l’archipel des Mariannes. Ces oublis portent donc à 80 cette liste qui ne prétend pas être exceptionnelle. Enfin, j’ai compris que les directives presque disciplinaires qui sont parfois imposées aux passagers ne dépendent que du bon vouloir du commandant de bord qui est le maître absolu à bord, un poste tout aussi important que celui du capitaine d’un bateau au long cours d’autrefois. Finalement un bateau propulsé par le vent ou un avion volant à 38000 pieds génèrent des êtres se considérant supérieurs s’étant arrogé le droit de vie ou de mort sur tous leurs subalternes. Les temps n’ont donc pas changé …

Cette revue d’aéroports a confirmé mon goût pour les îles. Honshu au Japon est une grande île et je n’ai pas compris quelle était l’origine de cette attirance bien que je n’aie jamais été un navigateur chevronné. En dehors d’un petit dériveur avec lequel j’éprouvais beaucoup de plaisir à régater, je n’ai fait qu’un périple dans les Caraïbes avec un vieil américain originaire de Boston qui avait construit lui-même son voilier de 45 pieds, une belle bête de mer, ce qui me permit de découvrir Saint-Kitts et Nevis ou encore Saint-Barthélemy. À une époque où toute l’électronique n’existait pas je suis resté un terrien … Et La Mer qu’on Voit Danser … ne fut en définitive qu’un univers mystérieux et souvent hostile que je n’aurai jamais maîtrisé pleinement.

Et aussi : vu sur la toile ces deux derniers jours :

Combat contre l’idéologie trans 

Patrick Buisson (féminisme)

https://www.tvl.fr/grand-angle-exclusif-patrick-buisson-le-feminisme-l-idiot-utile-du-capitalisme

Virginie Joron & Alexandra Henrion-Caude (Ligne droite)

Todd et l’évolution géopolitique du conflit ukrainien 

Maxime Amblard (Tatiana Ventôse) nucléaire

Laurent Montet (famille Biden)

Souvenirs

Il y a exactement 23 ans je me trouvais avec mon fils puiné et un de ses amis au sud de l’île de Tanna au Vanuatu dans une petite pension perdue dans la forêt au bord de Resolution Bay, du nom du bateau à bord duquel se trouvait le capitaine James Cook lors de son second voyage d’exploration dans l’Océan Pacifique sud. C’est là que je souffris de ma première crise de malaria. Cet épisode ne nous empêcha pas d’aller au bord du cratère du Yazur pour admirer le lac de lave qui était perturbé par de petites explosions à peu près toutes les 30 secondes. Depuis lors le lac de lave a disparu et le Yazur, considéré comme l’un des volcans les plus dangereux du monde, prépare peut-être son explosion cataclysmique. En effet le réservoir de magma sous-jacent soulève la partie sud de l’île puisque James Cook trouva une profondeur de 60 brasses (120 mètres) en 1774 alors qu’elle n’est plus que d’une dizaine de brasses aujourd’hui.

De retour à Port-Vila, je me documentais au sujet de la malaria et me munis de chloroquine mais il était illusoire de se protéger contre une nouvelle crise puisque celles-ci se succédèrent au cours des années suivantes, longtemps après avoir quitté ces lieux paradisiaques mais un peu dangereux sur le plan sanitaire. En effet le Plasmodium qui m’a empoisonné l’existence pendant plus de 20 ans est classé dans la catégorie vivax. J’avais également compris que les larves du parasite restaient dormantes dans le foie et j’en suis resté persuadé jusqu’à la lecture d’un article paru dans la revue Plos medicine ( https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1003632 ) ce 26 mai 2021 relatant une étude réalisée en Papouasie-Nouvelle Guinée et focalisée sur une histologie du pancréas de patients décédés de malaria ou ayant subi une ablation de cet organe. Comme au Vanuatu peuplé de papous, la malaria est endémique dans ces deux pays et les deux formes de Plasmodium coexistent, falciparum et vivax.

Lors d’une crise les hématies sont endommagées par le parasite et le sang est purifié par la rate. Les hématies endommagées s’accumulent dans cet organe et l’un des rôles de la rate est de recycler le fer de l’hémoglobine, pour faire court. Comme on aurait pu s’y attendre à chaque crise la rate s’enrichit en formes asexuées du Plasmodium comme on peut le noter dans la figure ci-dessus tirée de l’article en référence. Mais la rate ne reste pas le réservoir principal du parasite (en ce qui concerne le vivax) bien qu’au cours d’une crise la densité de parasite peut être 100 fois plus élevée que dans le sang. Ces observations invalident l’hypothèse d’un autre réservoir qui a été évoqué comme étant la moelle osseuse ( J Infect Dis. 2020:jiaa177. Pmid:32556188 ). La malaria est une maladie du sang et elle a longtemps été traitée avec de la chloroquine jusqu’à l’apparition de formes résistantes du parasite en particulier en Asie du Sud-est.

Les décrets « liberticides » français : et alors ?

Il paraît que trois décrets parus au Journal Officiel de la République (bananière) Française sont conformes à la constitution. Il s’agit selon les médias de « fichage » des citoyens, un fichage élargi, un truc supposé insupportable pour le citoyen lambda. Mais, me suis-je dit, les Français sont devenus complètement paranoïaques. Pour illustrer mon propos je vais donc revenir à mes souvenirs du Vanuatu comme je l’ai fait pour introduire la calamité que constitue le paludisme dans les pays tropicaux.

Très rapidement après mon installation dans ce pays j’ai rencontré plein de Français en particulier par l’intermédiaire de mon ami Daniel G. dont je n’ai plus de nouvelles depuis deux ans et aussi et surtout par l’Alliance française qui organisait toutes sortes de manifestations artistiques et conviviales pour faire vivre la francophonie dans ce pays afin de contrecarrer l’envahissement des Australiens, des Néo-Zélandais et plus discrètement des Chinois. C’est ainsi que j’ai pu participer à des tournois de bridge organisés par l’Alliance. Je jouais le plus souvent avec mon ami Daniel mais également avec des Anglais ou d’autres Français, le bridge étant un jeu très prisé par l’aristocratie anglo-saxonne et ils ont bien raison. Le bridge est en effet un jeu fascinant que seuls les Anglais pouvaient être capables d’inventer. Comme avec mon ami Daniel il nous arrivait souvent d’être la paire gagnante nous fûmes sollicités par un des protagonistes de ces tournois (par paire) pour aller jouer en privé dans sa résidence avec son épouse, une « soirée bridge » comme dans la bonne société. Il s’agissait de son Excellence l’Ambassadeur de France au Vanuatu.

J’avais remarqué ce monsieur lors de ces tournois organisés par l’Alliance mais on ne le voyait jamais apparaître dans le restaurant de Daniel pour « faire » un petit bridge entre copains. J’étais un peu intimidé mais pas outre mesure le premier soir où je fus invité par mon ami Daniel à jouer au bridge puis dîner et enfin jouer à nouveau au bridge dans la somptueuse résidence de l’ambassadeur. Je passe sur la qualité irréprochable du repas servi dans de la vaisselle avec le signe doré RF non pas au milieu de l’assiette mais sur le bord de celle-ci, tout de même il faut respecter la République quand on découpe une entrecôte de Charolais élevé dans les herbes hautes des pâturages du Vanuatu, je n’invente rien, les alcools, le cigare … L’Ambassadeur me prit par l’épaule et me dit en aparté, contemplant le magnifique spectacle de la baie de Port-Vila : « je sais tout, absolument tout de vous, ne vous faites aucun souci ». Je ne sus pas trop quoi lui répondre mais son propos n’éteignit pas en moi l’envie de continuer à jouer au bridge.

Cette histoire de décrets qui fait débat dans les médias français et effraye les bons citoyens est ridicule. L’Etat français connait tout de tout le monde. Au Vanuatu il y avait une quarantaine d’agents des « services » français qui surveillaient discrètement les Français mais pas seulement. Tous les résidents de longue date et tous les nouveaux arrivés étaient surveillés et fichés, quelque soit leur nationalité. Les activités portuaires étaient scrutées en détail, le Vanuatu étant à l’époque une plateforme importante pour toutes sortes de trafics. En France, aujourd’hui, il faudrait que le peuple se calme. Il ignore que tout le monde est surveillé par des dizaines de milliers de limiers minutieux qui exercent tous des professions de couverture et vivent au milieu de tout le monde, tous les jours. L’Ambassadeur de France connaissait tout de votre serviteur et c’est peut-être pour cette raison qu’il n’hésita pas à nous convier, mon ami Daniel que j’accompagnais pour jouer au bridge avec son épouse et lui-même, en profitant au passage de l’excellente cuisine française du chef attaché à l’Ambassade qui était peut-être aussi membre des services secrets, qui sait …

Une nouvelle arme contre la malaria : les microsporidies

Lorsque je suis arrivé il y a 24 ans à Port-Vila, capitale du Vanuatu, je n’avais pas en poches les 200000 dollars US de l’époque qu’il fallait déposer sur un compte en banque pour obtenir un visa de résident. Le seul moyen de communication avec la France était un fax qui se trouvait au bureau de poste mais avec les 10 heures de décalage horaire avec l’Europe il fallait au moins une journée de plus pour pouvoir espérer une réponse. Je restais donc assis sur les marches du bureau de poste situé près de la centrale électrique qui alimentait la ville et le ronronnement des moteurs diesel me tenait compagnie en attendant un fax qui m’était destiné. Un matin, peu de jours après mon arrivée dans ce pays dont j’ignorais l’existence une semaine auparavant, un Néo-Zélandais m’adressa la parole et me demanda ce que je faisais ici à Port-Vila. Lorsqu’il comprit que j’étais Français et que je parlais presque parfaitement anglais il me demanda si j’accepterais un poste d’enseignant à l’internat d’Onesua au nord de l’île d’Efate, île de l’archipel où se trouve Port-Vila. Après avoir conclu un accord de principe en buvant une bière il me glissa que ce n’était que pour quelques mois mais que je pourrais ainsi obtenir mon visa de résident.

Je partis entre deux avions à Nouméa pour acheter des livres de cours, un petit ordinateur portable et diverses fournitures scolaires. La librairie, apprenant que j’allais enseigner le français à Onesua, me fit cadeau d’un plein carton de toutes sortes de livres, de crayons et de cahiers pour mes élèves. De retour à Port-Vila j’achetai une petite Suzuki 4×4 et je partis avec mon sac et quelques provisions de nourriture à la très pesbytérienne et très anglophone pension Onesua High School à 4 heures de piste de Port-Vila. Très vite je compris qu’il y avait dans les deux classes dont j’avais la charge pour l’enseignement du français en permanence au moins un tiers des élèves qui étaient absents et à l’appel réglementaire lorsque je commençais mes cours les élèves me répondaient : « he is sick » ou « she is sick », cette pension était en effet mixte. La direction de l’école m’informa que la malaria était endémique et que malgré la distribution épisodique de chloroquine à tous les élèves il arrivait parfois que certains d’entre eux étaient victimes d’une crise de fièvre. Il n’y avait pas de médecin sur le campus, seulement une infirmière américaine également enseignante bénévole envoyée par son église ici au Vanuatu qui me confia plus tard que les deux formes de Plasmodium étaient présentes dans ce pays. J’eus la chance de n’attraper que la forme vivax de ce parasite et j’en souffre toujours encore épisodiquement …

Je compris que dans n’importe quel pays où la malaria est endémique le développement économique n’est tout simplement pas possible, et c’est le cas dans de nombreux pays d’Afrique encore aujourd’hui. J’ai écrit cette longue introduction pour replacer l’impact de cette maladie dans le contexte d’une étude réalisée au Kenya. Dans le cadre des nombreux travaux réalisés à l’Université de Nairobi pour tenter de trouver de nouvelles armes contre le moustique vecteur ou le parasite lui-même. L’attention des biologistes et des entomologistes a exploré une nouvelle voie pour combattre le moustique vecteur, essentiellement l’anophèle, mais peut-être aussi le plasmodium lui-même quand a été découverte l’existence d’un microsporide (ou microsporidie) infectant l’anophèle arabiensis. Un petit mot sur les microsporidies. Ce sont des eukaryotes et leur génome est le plus petit de tous les eukaryotes. Ce sont des parasites intra-cellulaires obligatoires qui se reproduisent en général en formant des spores. Il existerait autant d’espèces de microsporidies que d’espèces vivantes depuis les arthropodes jusqu’à l’homme mais il y a aussi des microsporidies qui infectent d’autres parasites obligatoires. L’intérêt de ces travaux de recherche réside dans le fait que ce parasite du moustique se transmet à la descendance par les œufs. De plus ce parasite ne réduit pas le nombre d’œufs produit par le moustique femelle après son repas de sang mais également, et c’est une découverte intéressante, il réduit la formation des oocystes du Plasmodium dans le tractus intestinal du moustique. Par conséquent, et cela a été démontré à l’aide de tests PCR, la formation des sporozoïtes du Plasmodium dans les glandes salivaires du moustique se trouve fortement diminuée voire totalement inhibée. Les sporozoïtes sont la forme infectante du Plasmodium pour les êtres humains. Enfin les microsporidies n’affectent pas le sex ratio du moustique.

Les microsporidies pourraient constituer un outil d’une exceptionnelle spécificité pour combattre la malaria. Puisque la transmission de ce parasite intracellulaire spécifique de l’anophèle est verticale il suffirait dans la pratique d’élever des moustiques porteurs de microsporidies et de les disperser dans la nature. Il s’agirait d’une sorte de lutte biologique qui sera chaleureusement accueillie par les partisans de la préservation des écosystèmes, la lutte chimique à grande échelle contre les moustiques n’étant pas envisageable dans des pays d’Afrique comme le Kenya mais également dans les archipels de l’Océan Pacifique comme les Salomon et le Vanuatu. Cette nouvelle approche pourra grandement contribuer au développement économique de tous ces pays en réduisant l’incidence de la malaria sur les populations …

Source : https://doi.org/10.1038/s41467-020-16121-y et pour les curieux : https://en.wikipedia.org/wiki/Microsporidia

Les petits pays insulaires envisagent de poursuivre en justice les émetteurs de carbone !

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Si on exclut les riches expatriés et les fonctionnaires anglais, australiens et français le Vanuatu, ancien condominium franco-anglais des Nouvelles-Hébrides, est classé parmi les pays les plus pauvres du monde. À Port-Vila, la capitale, il y a un parlement, le palais du Président de la République et des ministères disséminés dans la ville. Autour de celle-ci, encore une fois en excluant les quartiers résidentiels de luxe peuplés d’expatriés, il y a dissimulés dans la forêt des quartiers peuplés de « Ni-vans » venus de toutes les îles de l’archipel, attirés par les opportunités d’emploi dans les restaurants, les hôtels ou simplement comme domestiques chez un riche expatrié installé dans ce pays car c’est un des paradis fiscaux les plus opaques du monde. Quand il y a un cyclone ces accumulations de cases construites avec toutes sortes de matériaux récupérés ici ou là sont alors exposées au regard et on se demande comment toutes ces familles peuvent vivre ainsi. Surtout à Port-Vila et après un cyclone ce contraste entre les riches et les pauvres est presque insupportable.

L’archipel se trouve exactement dans la trajectoire des cyclones souvent dévastateurs sans oublier les tremblements de terre, les tsunamis et les volcans dont certains sont particulièrement dangereux. Bref, compte tenu de cette pauvreté de la population indigène, le gouvernement du Vanuatu, pays vivant de revenus inavouables et de confortables subventions de la Grande-Bretagne, de la France, les anciens pays colonisateurs, et aussi de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Chine et des USA, a toujours besoin d’argent et il vient d’émettre l’hypothèse d’un dépôt de plainte à l’encontre des grandes compagnies pétrolières et des plus importants pays émetteurs de carbone car l’archipel est menacé par le réchauffement climatique d’origine humaine. Rien que ça !

Le Ministre des Affaires étrangères du Vanuatu, un certain Ralph Regenvanu, a déclaré qu’il allait mettre sa menace à exécution. Le souci est que son voisin, l’Australie, l’un des pays les plus émetteurs de carbone par habitant et très important exportateurs de charbon, a immédiatement déclaré qu’il refuserait de payer un quelconque dollar (australien) s’il comptait parmi les pays poursuivis. Greenpeace qui est partie prenante dans ce genre de combat contre les producteurs de pétrole, de gaz et de charbon a immédiatement assuré de son soutien le gouvernement du Vanuatu, selon Jennifer Morgan, Directrice exécutive de Greenpeace International. Attendons d’assister au déroulement de cette future « class-action » car le Vanuatu cherche déjà d’autres petits pays qui « risquent » leur survie en raison du réchauffement du climat qui, pourtant, ne cesse de jouer au chat et à la souris depuis près de 20 ans …

Source et illustration : The Guardian. Selon toute vraisemblance il s’agit de la plage de Mélé avec en arrière plan les faubourgs ouest de Port-Vila lors du cyclone dévastateur Pam (2015, catégorie 5) mais que mes lecteurs se rassurent car lors d’un cyclone de catégorie 5 personne ne sort à découvert et la photo a été probablement prise alors que la dépression était déjà partie vers le sud. J’écris ceci car j’ai vécu trois cyclones dans ce pays dont deux de catégorie 5 …

Note. Le Vanuatu compte 275000 habitants autochtones d’origine mélanésienne répartis dans 82 îles et îlots volcaniques, dont 65 d’entre eux sont inhabités, disséminés sur un axe nord-sud de 1285 km entre les Îles Fiji et la Nouvelle-Calédonie. Il y a 22 volcans pour la plupart actifs dont 4 sous-marins dans l’archipel du Vanuatu. Pour l’anecdote il existe dans ce pays environ 150 dialectes différents hors le bislama, langue vernaculaire, l’anglais et le français, les trois langues officielles. Une partie de la population indigène vit encore isolée dans la forêt bien qu’alphabétisée. Les cultes catholiques et anglicans, réminiscences de l’occupation franco-anglaise, sont menacés par le prosélytisme évangéliste très actif. Enfin, mises à part les villes de Port-Vila et Luganville dans l’île de Santo, peu d’autres agglomérations disposent de l’électricité. L’action du gouvernement du Vanuatu est de profiter d’une opportunité « climatique » pour donner un peu d’oxygène aux finances du pays.

L’impact des éruptions volcaniques sur le comportement des hommes.

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La légende orale dans le nord de l’île d’Efate au Vanuatu décrit un cataclysme volcanique qui eut lieu 25 générations avant aujourd’hui. « La montagne s’ouvrit comme les cuisses d’une femme, du feu jaillit de ses entrailles puis elle se reposa comme après avoir enfanté« . Les peuples qui se vivaient dans une île au nord d’Efate sur les flancs d’un volcan prirent la fuite dans leurs pirogues avant l’éruption emportant avec eux leurs cochons et quelques biens dont en particulier des hameçons pour pouvoir pêcher afin de se nourrir et des sagaies pour éventuellement se défendre.  » Ils savaient que leur île allait « enfanter » car elle était depuis plusieurs lunes agitée de soubresauts presque quotidiens« . Ils se réfugièrent donc sur l’île d’Efate, mirent leurs pirogues à l’abri sur des hauteurs et partirent dans les montagnes massacrant au passage quelques tribus locales pour s’approprier leurs jardins, leurs femmes et leurs cochons. Quand la montagne explosa il y eut probablement un gigantesque tsunami comme il y en a encore dans cet archipel presque chaque année. Cette légende fut transcrite bien plus tard lorsque les premiers missionnaires arrivèrent dans l’archipel. J’en ai cité quelques brefs passages de mémoire.

Cette éruption fut par la suite documentée en étudiant les carottes glaciaires du Pôle Sud et du Groenland. Elle eut lieu en 1453 et il ne reste aujourd’hui de l’île qui disparut presque totalement que quelques îlots dispersés appelés les Shepherds dont certains furent utilisés par la marine américaine en 1942 comme cibles pour régler le tir des canons des navires qui allaient appareiller pour les îles Salomon. Un volcan sous-marin actif émettant des gaz et des pierres ponces est la seule preuve d’une forte activité volcanique dans cette partie de l’archipel. D’ailleurs les marins Nivans (le nom des habitants du Vanuatu) évitent de naviguer dans cette zone car l’eau bouillonnante constitue un danger mortel où les bateaux peuvent couler à pic en une fraction de seconde.

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Quelques 500 ans plus tôt, presque aux antipodes, eut lieu l’éruption de l’Eldgja en Islande et cet évènement fut décrit dans les sagas poétiques des occupants de l’île car ils maîtrisaient l’écriture contrairement aux Nivans. Cet évènement volcanique fut tout aussi puissant que celui des Shepherds durant lequel environ 100 millions de tonnes d’oxydes de soufre furent émis dans l’atmosphère. Cette éruption débuta dans une fissure d’environ 75 km de long du système volcanique sous-glaciaire du volcan Katla. Elle émit près de 20 km3 de lave dont certaines coulées arrivèrent jusqu’à la mer. Les analyses des carottes glaciaires du Groenland ont permis de dater cette éruption au courant de l’automne de l’année 939 et elle dura plus de 6 mois. Cette datation corrobore les chroniques irlandaises (et non pas islandaises) faisant état cette année-là d’un Soleil « rouge-sang » dans le ciel.

Dans ces mêmes carottes glaciaires les spécialistes ont retrouvé la signature de l’éruption volcanique du Changbaishan situé à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord qui eut lieu précisément à la fin de l’année 946 selon les registres officiels chinois. Il existe également toutes sortes de traces historiques écrites en Europe décrivant la rudesse des hivers qui suivirent cette éruption de l’Eldgja depuis la Chine jusqu’à la Sicile :

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La première illustration est la fissure près de la mer au sud de l’Islande près de la bourgade d’Ofaerufoss d’où le nom de la cascade en premier plan.

La calibration des carottes glaciaires a donc pu être précisément établie en se calant sur l’éruption chinoise de la fin 946. L’illustration ci-dessous ( https://doi.org/10.1007/s10584-018-2171-9 en accès libre) mérite quelques explications. À chaque hiver correspondent des pics de calcium et de chlore d’origine marine retrouvés dans la glace en raison des tempêtes sévissant aux latitudes comprises entre 60 et 75 degrés-nord. Le soufre d’origine non marine (nssS) évolue normalement erratiquement et le pic élevé de chlore succédant de quelques mois celui du soufre (volcanique) a été attribué à l’évaporation de quantités considérables d’eau de mer lorsque la coulée de lave est entrée par deux fois au moins en contact avec l’océan.

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Pourquoi ai-je mentionné le Vanuatu et sa légende au début de ce billet ? C’est tout simplement parce que la tradition écrite islandaise relate cet évènement de l’Eldgja dans le poème V Luspa. Ce poème décrit comment le dieu païen Odin enlève une prophétesse des morts. Elle annonce la fin du panthéon païen et l’arrivée d’un dieu nouveau dans une série de présages, l’un d’eux étant l’existence d’un monstrueux loup qui avale le Soleil. Il y a là une allusion à l’obscurcissement du Soleil par les fumées volcaniques. Plus précisément : « Le loup est rempli du sang de la vie des hommes condamnés, rougit les habitations avec des puissances horribles. Les rayons du Soleil deviennent noirs les étés suivants, le temps est tout triste. Vous savez encore quoi ? le Soleil commence à noircir, la terre s’enfonce dans la mer. La vapeur jaillit avec ce avec quoi se nourrit la vie, la flamme vole haut contre même le ciel« . Ce poème catalysa la conversion de l’Islande au christianisme qui eut lieu au tournant de l’an 1000. Faut-il que des évènements naturels violents aient suffisamment marqué les hommes pour qu’ils se réfugient dans une religion salvatrice alors que les dieux du panthéon scandinaves étaient tous plus ou moins maléfiques … les Nivans attendront plusieurs siècles l’arrivée des missionnaires pour se convertir au christianisme.

Source et illustrations : doi cité dans le texte, carte d’une partie de l’archipel du Vanuatu : Wikipedia.

Les kava-bars reviennent à la mode … à New-York

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Lorsque j’habitais à Port-Vila (Vanuatu) j’avais été sollicité par une petite société pour mettre en place un laboratoire d’analyses chimiques pour certifier la qualité du kava (Piper methysticum) qui était exporté vers l’Europe et les USA. Outre le tourisme c’était la seule activité locale rapportant des devises à ce petit pays, les anciennes Nouvelles-Hébrides, rare condominium franco-britannique issu de l’ « Entente Cordiale » mise en place entre le Royaume-Uni et la France au début du XXe siècle. Le kava, un arbuste de la famille du poivrier, présente une richesse d’alcaloïdes particuliers dans ses racines, tous très amers et dont l’un est de couleur jaune intense. Etant le seul biologiste présent dans ce pays j’avais acquis une certaine notoriété auprès des exportateurs de kava et j’avais été reçu par le Ministre de l’Industrie locale pour me féliciter de mon activité bénéfique pour le pays.

J’avais au cours de cet entretien situé dans les anciens locaux de l’hôpital français de Port-Vila mis en garde le Ministre au sujet de la dégradation de la qualité du kava – ce nom signifie « amer » dans la langue des Îles Marquises – exporté vers l’Europe. Bien que les racines séchées au sol provenaient d’arbustes sains des exportateurs peu scrupuleux bâclaient ce séchage pour augmenter leurs profits puisque la matière était facturée au poids. Il en résultait au cours du transport, bien qu’aérien, l’apparition de moisissures et il arriva ce qui devait arriver : plusieurs personnes consommatrices régulières de kava moururent à la suite de graves problèmes hépatiques provoqués par la présence d’aflatoxines ou d’autres mycotoxines produites par ces moisissures. Le kava fut donc interdit en Europe et les « kava-bars » parisiens ou allemands, pâles reproductions des nakamals du Vanuatu disparurent au grand dam des amateurs qui prisaient les vertus relaxantes de ce breuvage (photo, source AFP).

Les alcaloïdes du kava furent incriminés à tort car la consommation quotidienne d’une décoction des racines de cette plante répandue des Marquises jusqu’en Nouvelle-Calédonie, un gros consommateur de kava du Vanuatu, n’a jamais été décrite comme toxique pour le foie. La presse à grand tirage s’accapara de cette affaire et l’interdiction du kava fut entérinée alors qu’aucune base scientifique ne pouvait appuyer une telle décision. Jamais le rôle des aflatoxines ne fut évoqué dans cette histoire déplorable. Comme j’étais moi-même exportateur de kava avec mon associé local je finis par plier bagages à la suite de cette interdiction.

J’avais pourtant mis au point une technique de préparation d’extraits secs de kava qui servaient à fabriquer des petits gâteaux genre sablés en remplaçant une partie de la farine avec cet extrait. Chaque petit gâteau contenait l’équivalent en kavalactones d’une bolée du jus amer préparé par simple macération des racines broyées dans de l’eau et l’effet amplifié par la présence de beurre, un excellent « solvant » des kavalactones, avait pour un temps seulement assuré ma subsistance à Port-Vila car ma production avait remporté un vif succès auprès des touristes australiens ou néo-calédoniens mais aussi des consommateurs locaux de kava. C’était pour l’anecdote.

Depuis lors le Vanuatu, le plus gros exportateur de kava, en particulier vers la Nouvelle-Calédonie et l’Australie, a mis en place dès l’année 2002 un contrôle strict de la qualité des lots exportés. Aux USA, la FDA a mis en garde les consommateurs de kava à propos de l’éventuel effet hépatotoxique du kava. Cette plante est tolérée et la mode des « kava-bars » a récemment refait surface à New-York. Il est important pour les curieux d’ajouter que les kavalactones présentent le même effet pharmacologique global que le valium mais ne provoque pas d’accoutumance comme cette benzodiazépine. Ceci explique sa popularité soudaine à New-York et il serait intéressant qu’en France, le plus gros consommateur d’anxiolytiques d’Europe les kava-bars réapparaissent et proposent des bolées ou des petits sablés contenant ces principes actifs du kava. Note : les aflatoxines sont des substances produites par certains champignons du genre penicillium qui outre le fait qu’elles sont cancérigènes provoquent une nécrose du tissu hépatique par ingestions répétées à des doses infinitésimales de l’ordre de quelques dizaines de parties par milliard.

Source très partielle et illustration : AFP

Confirmation : c’est le changement climatique !!!

Confirmation du billet précédent :

Vanuatu: le changement climatique a contribué à la puissance de Pam

Le président du Vanuatu, Baldwin Lonsdale, a estimé lundi que le changement climatique avait « contribué » à la puissance dévastatrice du cyclone Pam. L’ouragan a rasé des villages entiers de l’archipel et fait « six morts et plus de 30 blessés » à Port Vila.

L’ampleur de la catastrophe restait très difficile à évaluer, plus de 48 heures après le passage de Pam, cyclone de catégorie 5, la plus élevée, avec des rafales de vent ayant dépassé les 320 km/h.

M. Lonsdale a fait état de « six morts confirmés et plus de 30 blessés seulement » dans la capitale. Mais les autorités, qui ont décrété l’état d’urgence samedi, redoutent un bilan plus lourd.

L’ONU a pour sa part évoqué la mort non confirmée de 44 personnes dans cet archipel du Pacifique sud aux 80 îles, l’un des pays les plus pauvres au monde, où commencent à atterrir des avions militaires étrangers chargés de nourriture et de matériel de secours.

(ats / 16.03.2015 03h06) <br /><br /><br /> (ATS / 16.03.2015 03:06)^

Billet d’humeur politique : cyclone sur le Vanuatu

Durant mon séjour au Vanuatu qui remonte maintenant à 15 années en arrière, j’ai vécu trois cyclones et deux dépressions tropicales. J’en garde un souvenir toujours vivant tant la peur est irraisonnée et intense, aussi intense que les vents et les précipitations. Il y eut d’abord Susan début 1998 un beau truc de catégorie 5 qui étêta pas mal de banians et déracina des tamanus peut-être centenaires. Les pluies dévastèrent un grand nombre de ponts et ruinèrent par endroits les pistes durablement. Le mouillage de plaisance de Port-Vila fut dévasté : 85 voiliers coulèrent dans les fonds séparant l’îlot d’Erakor de la ville. Ils n’ont jamais été récupérés car la profondeur y atteint plus d’une centaine de mètres. Les bidon-villes éparpillés dans la forêt jouxtant la ville de Port-Vila furent mis au jour et on s’aperçut de la misère dans laquelle vivaient les migrants des autres îles de l’archipel traités comme des parias par les natifs du coin. Il faut dire que dans ce pays surprenant l’entente n’est pas toujours bien huilée entre tribus … Les vents de plus de 240 km/h déversèrent au sol un mélange d’eau de pluie et d’eau de mer. Le sel défolia tous les arbres plus encore que le vent ou la pluie, aussi efficace que l’agent Orange. Le patron de la banque d’Hawaï retrouva des poissons dans son bureau au cinquième étage du building sur le front de mer, la grande baie vitrée de son luxueux office avait explosé sous la pression du vent combiné à la pluie.

L’année suivante, en janvier 1999 ce fut Dany, seulement force 4 avec des vents d’un peu plus de 200 km/h mais moins de pluie. Les dégâts furent donc moins importants et enfin en janvier 2000 ce fut Paula, force 4 également mais avec des précipitations tellement abondantes, plus de 700 litres d’eau par mètre carré en 12 heures que les dégâts furent beaucoup plus importants que ceux prévus par les services météo du Pacifique Sud. Des pans entiers de routes furent rayés de la carte. Des ponts pourtant en béton et apparemment solides disparurent, emportés au loin ou dans la mer par des flots gigantesques. La piste de l’aéroport de Bauerfield fut transformée en lagune avec près de deux mètres d’eau glauque et toute l’électronique et les éclairages de la piste furent endommagés, un spectacle de désolation. Il n’y eut aucune liaison aérienne possible pendant dix jours.

Le Vanuatu, comme les Fiji ou les Salomon est un habitué des cyclones, il y en a plusieurs chaque année et presque au moins un dévastateur. Cependant la fréquence et surtout l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes a tendance à diminuer depuis une quinzaine d’années et ce phénomène ne s’observe pas seulement dans le Pacifique Sud mais également dans d’autres zones de cet océan et plus encore dans l’Atlantique Nord. Quant aux tornades tant médiatisées qui s’abattent sur le Middle-West américain la tendance est aussi à la baisse.

On est donc étonné de lire dans les colonnes « électroniques » du Figaro la déclaration tonitruante et péremptoire de François Hollande :

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( http://www.lefigaro.fr/international/2015/03/14/01003-20150314ARTFIG00098-cyclone-pam-les-premiers-secours-attendus-dimanche.php ) et d’ajouter :

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La photo (Le Figaro) est prise depuis la plage de Mélé avec en arrière plan l’îlot d’Hideaway …

On comprend donc que cet événement a donné une occasion à François Hollande pour préparer les esprits au grand Concile de l’Eglise de Scientologie Climatique qui se tiendra à Paris en décembre prochain avec Mademoiselle Royal comme grande Prêtresse. La méthode Coué alimentant la peur séculaire des catastrophes naturelles – ça remonte à la Bible – c’est payant. S’il pouvait y avoir une invasion de criquets dans le Sud-Ouest de la France ce printemps ou un tsunami sur les plages du Languedoc puisque le dérèglement climatique favorise aussi les tsunami (dixit Hollande), ce serait parfait !

Du nouveau sur les Lapita

La civilisation Lapita encore très largement méconnue vient de connaître un renouveau d’intérêt après la découverte fortuite, lors de travaux de terrassement, d’un cimetière près de la localité de Teouma au sud-est de l’île d’Efate au Vanuatu. Les premières traces de cette civilisation ont été trouvées dans la péninsule de Foué en Nouvelle-Calédonie mais très peu de restes purent être rassemblés en dehors de quelques fragments de poteries grossièrement décorées d’ocre et de coquillages ouvragés tout aussi grossièrement. D’où venaient ces hommes, très probablement de Taïwan ou d’une autre contrée d’Asie du Sud-Est, et ils partirent pour de longs voyages sur les immenses étendues parsemées d’îlots du Pacifique occidental sur des pirogues avec leurs animaux domestiques. On suppose que les Lapita arrivèrent dans l’archipel de Bismark, à l’est et au sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée il y aurait une trentaine de milliers d’années pour ensuite « coloniser » l’ensemble de la Mélanésie jusqu’à Tonga (voir la carte, Wikipedia) mais s’ils poussèrent jusqu’à la Polynésie, rien ne peut l’affirmer puisque jamais aucun reste ne fut retrouvé jusqu’à ce jour.

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Des fouilles conséquentes permirent de retrouver de multiples fragments de poteries dans une île des Samoa dans les années cinquante mais tant aux Îles Salomon qu’au Vanuatu la rareté des restes archéologiques ne permettait pas de se faire une idée du peuplement de ces archipels très étendus et comprenant des centaines d’îles dispersées sur des milliers de kilomètres ni comment ces gens vivaient leur quotidien.

La découverte du cimetière de Teouma à une quinzaine de kilomètres à l’est de Port-Vila a permis de se faire une idée précise du mode de vie de ces premiers habitants de l’île qui comme on va le voir mangeaient déjà ce dont se nourrissent toujours aujourd’hui les indigènes de cet archipel.

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L’étude parue dans PlosOne est le résultat d’une collaboration entre l’Université de Canberra en Australie, de l’Université d’Otago en Nouvelle-Zélande, de l’Université d’Aix-Marseille et du pôle d’archéologie du CNRS à Nanterre. Pourquoi des Français ont participé à cette étude, tout simplement parce la France reste encore très active au Vanuatu avec une implantation notoire de l’IRD et de nombreuses collaborations dans les domaines agronomique et culturel, c’est normal, la moitié de la population parle un excellent français.

Le site de Teouma se trouve dans une zone composite comprenant de la forêt tropicale humide, des collines recouvertes d’herbes hautes et de fougères et des marécages traversés par une rivière assez imprévisible lors de la saison des pluies (voir la carte, PlosOne, ci-dessus). Le petite baie proche du site où se déverse la rivière dont j’ai oublié le nom s’appelle localement « Shark Bay » et cette dénomination est anecdotique mais peut intéresser mes lecteurs. Du temps des Nouvelles-Hébrides, un gros fermier français installé à Teouma avait coutume d’abattre ses animaux de la plus pure race charolaise, il faut le signaler, au bord de cette baie et jetait les abats, tripes et autres ossements dans la mer. Cette abondance constante de nourriture attira naturellement des requins qui restèrent dans les parages et le nom de « Shark Bay » est resté dans les mémoires.

Mais revenons à ce cimetière dans lequel furent trouvés 68 squelettes. L’analyse isotopique du collagène des ossements a permis de se faire une idée précise de la nourriture de ces occupants anciens puisqu’ils ont été précisément datés à environ 3000 ans avant notre ère. Ils mangeaient des roussettes, ces grosses chauve-souris frugivores dont le corps mesure près de 40 centimètres et qu’on déguste toujours dans certains restaurants de Port-Vila, des tortues qui viennent toujours nidifier le long des plages de sable corallien mais dont l’abattage est interdit, encore que les locaux ne se privent pas pour piller les nids et manger les œufs, et enfin des poulets et des cochons que les Lapita avaient certainement apporté avec eux sur leurs pirogues. Les Lapita devaient aussi probablement se ménager des jardins au milieu de la forêt pour cultiver des bananiers, du taro, du manioc et plus rarement du yam, une forme de production de subsistance toujours active aujourd’hui dans les villages isolés qu’il m’est arrivé de visiter au nord de l’île d’Efate et dans d’autres îles de l’archipel.

Ce cimetière a été remarquablement préservé pour deux raisons. Il se trouve dans une zone de sable corallien qui a été périodiquement recouverte des cendres volcaniques provenant du Kuwae, un volcan certainement imposant et en perpétuelle éruption pendant des milliers d’années jusqu’à son explosion au début de l’année 1453 et dont il ne reste aucune trace visible aujourd’hui au nord de l’île d’Efate sinon quelques petits îlots appelés les Sheperds et un volcan sous-marin actif. L’analyse isotopique fine du collagène osseux des squelettes a permis de reconstituer quelle était l’alimentation des Lapita en prenant en compte le fait que certains isotopes du carbone ou du soufre sont enrichis selon la provenance de la nourriture végétale ou carnée et aussi selon le régime alimentaire des cochons, des chauve-souris ou encore des tortues et enfin des poissons. Les Lapita de Teouma mangeaient donc leurs cochons d’élevage, qu’ils soient parqués ou en semi-liberté, des tortues, des chauve-souris, des poissons de récif et diverses plantes à tubercules ainsi que des noix de coco. Il n’y avait certainement pas d’arbre à pain car cette espèce fut importée au XVIIIe siècle des îles Marquises mais il y avait probablement de la canne à sucre qui n’apporte pratiquement pas de protéine et n’a pas laissé de traces dans le collagène analysé.

L’aspect le plus étonnant de cette étude réside dans le fait que l’alimentation était différente selon la hiérarchie dans le groupe, probablement un village comme on en trouve toujours aujourd’hui au Vanuatu, que ce soit près de la mer ou en pleine forêt. Les hommes et les femmes ne mangeaient tout simplement pas la même chose aussi incroyable que cela puisse paraître pour nous occidentaux modernes. En réalité, encore aujourd’hui les villages « ni-van » sont strictement hiérarchisés. Il y a un chef qui a tout pouvoir, de justice et de police en particulier, un genre de pouvoir régalien. La famille très proche du chef, fils ou cousins, occupe les hauts postes du village et ceux-ci possèdent les plus gros élevages de cochons. Il faut ajouter aussi que l’un des fils du chef deviendra chef à son tour et l’organisation de cette société patriarcale devait probablement déjà exister du temps des Lapita. Les membres haut placés hiérarchiquement avaient une nourriture plus riche en protéines, cochons, tortues et poissons, que les femmes et à un moindre degré les enfants. Les femmes trouvaient leur nourriture dans leurs jardins et ce qu’elles pouvaient glaner ici ou là. Les hommes chassaient et pêchaient et se goinfraient de cochons, excellents d’ailleurs encore aujourd’hui. Un cochon nourri avec des noix de coco est un vrai régal, croyez moi ! Une question qui n’a pas été soulevée dans cet article est de savoir si les Lapita possédaient encore, 2000 ans avant notre ère, le savoir-faire pour la construction de pirogues qui a été progressivement oublié au cours des siècles suivants et qui était essentiel pour capturer des poissons autres que les poissons de récif.

Tout compte fait la vie des femmes dans ces villages ne devait pas être très réjouissante, elles devaient faire des enfants, les élever et manger les restes des agapes du chef et de son proche entourage. Juste pour illustrer l’organisation de cette société patriarcale et l’importance du cochon encore aujourd’hui dans cette société : si vous voulez prendre femme dans un village il vous en coutera sept cochons si elle est encore vierge et seulement six si elle a été déflorée malencontreusement, le cochon est en quelque sorte une monnaie d’échange. La dent de cochon figure également sur le drapeau du Vanuatu (voir l’illustration, Wikipedia) et un bracelet fait d’une dent de cochon est une valeur sûre dans ce pays, à condition de pouvoir y faufiler sa main !

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Source : http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0090376