Il y a quelques jours, peu après l’intervention de la Turquie au delà de sa frontière avec la Syrie, je discutais avec un ami au sujet des évènements de Syrie et j’ajoutais en conclusion que je ne comprenais plus rien, tout paraissait trop complexe pour moi. Fort heureusement un article de Federico Pieraccini (journaliste et écrivain free-lance) paru sur le site Strategic Culture (strategic-culture.org) m’a permis d’y voir un peu plus clair. Voici donc une traduction de cet article qui, je pense, éclairera aussi mes fidèles lecteurs.
« Moscou et Damas ont toujours affirmé qu’ils s’opposaient à toute forme de partition ou à toute présence étrangère illégale en Syrie ».
Moscou a réussi à maintenir des contacts avec toutes les parties impliquées dans le conflit syrien, même en dépit de sa position contre la partition du pays et la présence étrangère illégale. Des pourparler trilatéraux entre l’Iran, la Turquie et la Russie ont eu lieu à Astana, à l’invitation de Moscou. Poutine a réussi à réunir à Sotchi le gouvernement syrien et des groupes d’opposition pour discuter de l’avenir de la Syrie. À Genève Moscou a réussi à jouer un rôle de médiateur entre Damas et la communauté internationale, protégeant ainsi la Syrie de la corruption diplomatique des États-Unis et des autres ennemis de la Syrie. La Turquie, uniquement à la suite de sa défaite en Syrie, se trouve maintenant dans un dialogue actif avec Moscou et Téhéran. Alors qu’Ankara endure une détérioration de ses relations avec Washington et d’autres capitales européennes, Moscou voit là une grande opportunité de rapprocher la Turquie de Damas.
L’opération diplomatique russe était complexe et demandait beaucoup de patience mais grâce aux négociations supervisées par la Russie ainsi qu’au courage des soldats syriens la quasi-totalité des poches terroristes disséminées sur le territoires syrien ont été progressivement annihilées. Outre la province d’Idlib, le principal problème de Damas résidait dans l’occupation américaine dans le nord-est du pays, sous prétexte de protéger les Kurdes (SDF) du « régime Assad » ainsi que de « combattre Daesh ».
Erdogan se trouve actuellement coincé dans une économie en déclin, menacé par ses alliés – l’achat de systèmes anti-missile russes S-400 a irrité beaucoup de gens à Washington et à l’OTAN – et il a désespérément besoin de présenter à sa population une sortie du conflit syrien en forme de victoire. C’est peut-être la principale raison justifiant la décision d’Erdogan d’intervenir en Syrie sous prétexte que le YPG est une organisation terroriste liée au PKK afin de créer une zone tampon le long de la frontière turquo-syrienne puis de déclarer « missions accomplie » pour redorer sa popularité. Avec Trump, Erdogan cherche à détourner l’attention du Président trop occupé par la procédure de destitution (encore un autre canular). C’est ainsi que Trump a décidé d’un mini-retrait des troupes américaines stationnées dans les zones syriennes à majorité kurde, laissant ces derniers à leur destin. Il est vrai que Trump ne prête que peu d’attention à SDF – c’était plutôt l’affaire du parti démocrate américain – et il a ainsi retiré une partie des troupes américaines en déclarant au passage que l’Amérique avait remporté une victoire, pour la énième fois, contre Daesh.
Trump, à longueur de tweets rageurs, dénonce les folles dépenses du Pentagone et le coût exorbitant des conflits passés dans lesquels l’Amérique était impliquée pour justifier le retrait des troupes américaines de Syrie pour justifier son objectif « Amérique d’abord » à l’approche des élections. Et malgré les propos très durs de la Maison-Blanche l’administration américaine a résolu le conflit interne au sein de l’OTAN en rétablissant un dialogue lors de la visite du vice-Président accompagné du secrétaire d’Etat Pompeo à Ankara. En réalité l’accord entre les Kurdes (SDF) et Damas est la conclusion du long travail diplomatique orchestré par Moscou qui avait pour but de favoriser cette réconciliation pour parachever la reconquête de l’ensemble du territoire syrien par Damas. De fait ni Washington ni Ankara n’ont eu l’occasion d’empêcher Damas de réunifier le pays. Moscou a toujours pensé que les États-Unis et la Turquie chercheraient un moyen de se sortir du problème syrien tout en déclarant une semi-victoire. C’est ce que Poutine et Lavrov ont concocté pour donner à leur sortie un semblant de victoire. Diplomatiquement c’est un véritable chef-d’oeuvre.
Trump déclarera certainement qu’il ne s’intéresse que très peu à un pays situé à 11000 kilomètres de Washington et Erdogan se déclarera satisfait, mais avec un peu de réticence, que la frontière turquo-syrienne soit tenue par l’armée syrienne garantissant ainsi la sécurité de son pays vis-à-vis des Kurdes. Poutine a sans doute conseillé à Assad et aux Kurdes d’entamer un dialogue dans l’intérêt commun de la Syrie. Il aurait probablement convaincu Erdogan et Trump de la nécessité d’accepter ce plan. Cet accord récompense donc Damas et Moscou en sauvant les Kurdes tout en laissant à Erdogan et à Trump un semblant de dignité en s’extrayant d’une situation difficile à expliquer aux citoyens américains et turcs.
L’armée russe conjointement avec l’armée arabe syrienne a entamé des patrouilles le long de la frontière turquo-syrienne, surtout dans le but d’éviter tout affrontement direct entre les armées turque et syrienne. Si Ankara met fin dans les prochains jours à ses opérations militaires Damas reprendra le contrôle des champs de pétrole.
Le monde aura alors assisté à l’un des plus grands chefs-d’oeuvre diplomatiques jamais connus en se rapprochant d’une issue au conflit syrien qui ravage le pays depuis sept ans.
Bref commentaire. Que font encore les quelques soldats des armées française et britannique en Syrie ? Jamais Assad n’a demandé l’assistance militaire de la France ou le la Grande-Bretagne. Il n’y a jamais eu d’accord d’assistance mutuelle entre la France et la Syrie contrairement aux accords avec la Russie. La présence de la France et de la Grande-Bretagne sur le sol syrien est donc illégale. Ces deux pays devront un jour rendre des comptes devant l’opinion internationale de même que les USA …
Notes. YPG : organisation kurde de protection du peuple, FDS (SDF en anglais) : forces démocratiques syriennes kurdes dont le bras armé est l’YPG, PKK : parti des travailleurs du Kurdistan officiant en Turquie, lié à l’YPG. Il est facile de comprendre que le rapprochement récent entre Damas et les Kurdes signe la fin prochaine du conflit. Subissant la pression de Moscou l’YPG a donc été contraint de déposer les armes et le PKK se trouvera ainsi isolé en Turquie. Il y aura certainement encore quelques soubresauts mais la marche vers la paix est engagée et ne peut plus être arrêtée.
Pour se faire une autre idée de la complexité des questions syrienne et kurde je conseille à mes lecteurs de lire les trois articles de Thierry Meyssan parus ces derniers jours sur son site voltairenet.org où on comprendra l’implication française dans cette région, implication plutôt malsaine : https://www.voltairenet.org/article207884.html