
Durant les jours qui précédèrent le grand tremblement de terre du Tohoku le vendredi 11 mars 2011 se tenait une conférence internationale de séismologie dans la ville de Kashiwa, au nord de la baie de Tokyo (préfecture de Chiba) à 300 kilomètres de la côte où eut lieu ce tremblement de terre suivi d’un tsunami dévastateur qui restera longtemps dans les mémoires des Japonais. Il état trois heures moins le quart de l’après-midi et tous les spécialistes réunis pour parler de tremblements de terre se mirent à rire quand justement la terre commença à trembler. Ils regardèrent leur montre et la terre trembla presque en continu pendant 4 minutes. Avant même d’obtenir les informations officielles relatives à la magnitude de ce tremblement de terre ils surent tous que celui-ci avait atteint au moins 9 sur l’échelle de Richter car plus les secousses durent longtemps plus elles sont puissantes : 15 secondes pour une magnitude de 6,9, trente secondes pour 7,5, une minute pour 7,9 et ainsi de suite.
Il y avait eu quelques secousses les jours précédents mais quand la terre commença à trembler ce jour-là il y eut une progression dans l’intensité durant la première minute puis tout se mit à bouger avec de plus en plus de violence. Les conférenciers sortirent à l’extérieur, il faisait froid, limite neige, les arbres tremblaient aussi en émettant un bruit étrange, la totalité du building commença à se déplacer en creusant son chemin de quelques dizaines de centimètres dans le sol, le Docteur Chris Goldfinger (je reprend ses propos) continuait à décompter les minutes – ces minutes paraissaient immensément longues – et la terre tremblait toujours. Goldfinger et ses collègues conférenciers, étaient tous persuadés que le Japon était à l’abri d’un tremblement de terre de magnitude supérieure à 8,4 mais cette fois, après 4 minutes de secousses ininterrompues, il fallut se rendre à l’évidence que celui-ci avait probablement atteint la magnitude 9. Les prévisions du géologue Yasutaka Ikeda, spécialiste japonais des tremblements de terre, faites en 2005 s’avérèrent exactes mais personne n’avait suivi son avertissement. Il fallait selon lui s’attendre à une secousse majeure de magnitude 9 dans un futur proche mais personne ne prit malheureusement au sérieux Ikeda.
Tous les spécialistes réunis dehors prirent leur ketaï – leur téléphone portable – et comme ils avaient prédit un tsunami géant à la suite de cette secousse particulièrement longue, ils purent voir la gigantesque vague arriver sur la côte sur le petit écran de leurs ketaïs filmée par les hélicoptères de la chaine NHK trente minutes plus tard. Au final, ce tremblement de terre tua plus de 18000 personnes, dévasta toute la région du nord-est de Honshu, provoqua l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi et bien d’autres accidents sur d’autres sites industriels et coûta au bas mot plus de 220 milliards de dollars. Pour le Docteur Chris Goldfinger, spécialiste d’une zone de subduction nord-américaine, ce tremblement de terre était pour lui un avertissement de ce qui pourrait se passer entre la Colombie Britannique et la Californie très prochainement.
Comme le Japon, la côte pacifique du continent américain se trouve être sur ce qu’on appelle la ceinture de feu. Les plaques océaniques géologiquement récentes s’enfoncent sous les plaques continentales plus anciennes provoquant l’apparition de chaines de volcans, des tremblements de terre et des tsunamis. Presque tout le monde a entendu parler de la faille de San Andreas qui coupe littéralement en deux la Californie sur près de 1000 kilomètres. Cette faille est étudiée et scrutée 24 heures sur 24 à l’aide de balises GPS et de sismomètres. Tous les modèles et l’évolution de l’activité sismique prévoient au pire un tremblement de terre de degré 8,4 soit à peine 10 % de l’énergie de celui du Tohoku. Certes il y aura des dégâts mais rien à voir avec ceux qu’endura le Japon en 2011. Par contre, plus au nord, entre l’extrémité nord de la Californie et la Colombie Britannique se trouve une vaste zone de subduction appelée Cascadia qui s’étend sur une longueur de 1200 kilomètres et est également scrutée avec soin car il se pourrait bien qu’un jour prochain on assiste exactement au même type de tremblement de terre que celui du 11 mars 2011 au Japon.
Pourquoi une telle affirmation ? D’abord, autour de la ceinture de feu du Pacifique il ne se passe pas dix ans sans qu’il y ait une secousse majeure du genre 8,5 et plus, voire 9,2, sur l’échelle de Richter, que ce soit en Alaska, au Japon, au Chili ou en Mélanésie. Mais le « real big one » si l’on peut s’exprimer ainsi pourrait survenir sur la totalité de cette zone de subduction et occasionner des dégâts immenses. La raison est simple à expliquer depuis que les géologues ont finalement trouvé une explication au tsunami orphelin qui dévasta le Japon en janvier 1700. Un tsunami orphelin survient sans secousse sismique antécédente ou annonciatrice, il provient donc d’un tremblement de terre ayant eu lieu ailleurs. Ce tsunami dévasta la côte japonaise de Tanabe au sud de Kyoto jusqu’à Kuwagasaki au nord de Honshu. La vague géante bien décrite par l’administration japonaise de l’époque provenait de l’est-sud-est. À cette époque il n’existait pas d’administration dans l’ouest des Etats-Unis et personne ne fit mention d’un tremblement de terre monstrueux dans la zone des Cascadia. Il fallut plus de 300 ans pour trouver la cause du tsunami orphelin de janvier 1700 au Japon : une gigantesque secousse dans cette zone de subduction des Cascadia libérant une énergie considérable accumulée depuis plusieurs centaines d’années.

La plaque de Juan de Fuca s’enfonce à cet endroit-là sous la plaque américaine à la vitesse de 36 millimètres par an, pas de quoi fouetter un chat et pourtant, en 315 ans ce mouvement tectonique représente plus de 11 mètres. Or il n’y a pas eu de tremblement de terre dans cette région ces 315 dernières années. Les spécialistes de séismologie prévoient donc une rupture qui pourrait provoquer une secousse de 9,2 sur l’échelle de Richter, le « very big one ». Pour se faire une idée de ce qui pourrait arriver, selon Goldfinger, dans l’hypothèse où la totalité de la zone libérerait d’un seul coup l’énergie accumulée avec le temps comme pour ce qui s’est passé au Japon – il n’y avait pas d’épicentre précis dans le cas du tremblement de terre du 11 mars 2011 – la plaque continentale commencera à s’effondrer d’un mètre et demi puis s’étendra alors vers l’ouest d’environ 25 mètres déplaçant d’immenses quantités d’eau océanique. Une partie de cette eau partira en direction de l’Asie et en particulier vers le Japon comme en 1700, l’autre partie reviendra vers la côte ouest américaine quelques 15 minutes après la fin du tremblement de terre. Selon toutes les simulations effectuées par les géophysiciens les paysages familiers des Etats de Washington et de l’Oregon seront tout simplement méconnaissables, environ 7 millions de personnes ne pourront pas échapper au tsunami géant. Des villes comme Seattle, Tacoma, Portland seront en presque totalité profondément endommagées, la plupart des ponts et viaducs s’effondreront, les zones côtières seront complètement dévastées. Les estimations les plus optimistes font état de 13000 morts ou disparus, d’autres prévisions parlent de plusieurs millions de morts. Si le tremblement de terre survient en milieu de journée, la plupart des écoles, des bâtiments administratifs, des universités et des hôpitaux s’effondreront sur leurs occupants.
Il y a seulement 40 ans que les scientifiques ont pris conscience du danger que représente la zone de subduction de Cascadia et seulement une quinzaine d’années qu’ils trouvèrent une explication au tsunami orphelin qui dévasta le Japon en 1700. Ce n’est qu’aux alentours des années 1960 que la tectonique des plaques permit d’expliquer la récurrence des grands tremblements de terre de la ceinture de feu du Pacifique : Japon, 2011 : 9,0, Indonésie 2004 : 9,1, Alaska, 1964 : 9,2, Chili, 1960 : 9,5. L’immensité de l’Océan Pacifique explique la violence de ces tremblements de terre. Comment découvrit-on l’activité tectonique des Cascadia et la relation avec le tsunami orphelin de 1700 au Japon ? C’est presque anecdotique.

Des géologues curieux s’intéressèrent à la forêt fantôme de la Copalis River près de la côte pacifique de l’Etat de Washington et ils trouvèrent une explication à la mort des cèdres rouges, la présence d’eau salée qui décima d’un seul coup tous les arbres. Par dendrochronologie, on put montrer que le dernier cerne de croissance de ces arbres datait de 1699. La seule explication serait que le sol s’est soudainement affaissé favorisant l’arrivée d’eau salée puis s’est alors relevé mais l’hypothèse du tsunami n’a pas pu être exclue de ce scénario catastrophe.
Il y eut donc bien un tremblement de terre gigantesque de l’ordre de 9,0 de magnitude dans la zone des Cascadia au début de l’année 1700. Selon les géologues la fréquence des tremblements de terre dans cette zone devrait être d’environ 300 ans et le délai a été largement dépassé. Le prochain pourrait aussi à nouveau dévaster par voie de conséquence le Japon … Le dernier tsunami orphelin qui dévasta le Japon, c’était le 27 janvier 1700, le huitième jour du douzième mois de la douzième année de Genroku.
Source : The New Yorker et
http://pubs.usgs.gov/pp/pp1707/chapters/03_JapanIntro_26-35.pdf