Malgré des exercices physiques réguliers et un régime alimentaire correctement équilibré il est très fréquent de grossir en particulier au niveau du ventre. Cet embonpoint, s’il n’est pas pathologique, a été mal étudié et expliqué car suivre ce processus nécessiterait d’effectuer des biopsies chez un nombre d’individus suffisamment grand pour que des études difficiles par ailleurs à mettre en oeuvre permettent d’expliquer ce qui se passe au niveau du tissu adipeux « blanc ». Ce tissu est constitué de cellules adipeuses qui stockent des triglycérides et ces cellules ont la particularité, contrairement au tissu adipeux « brun », de ne pas utiliser ces triglycérides. La fonction du tissu adipeux brun, riche en mitochondries d’où sa couleur caractéristique, est de maintenir la température du corps à un niveau physiologiquement correct en « brûlant » ces réserves triglycérides.
Pour comprendre ce qui se passe au cours des années avec l’apparition de cet embonpoint graisseux une équipe de biologistes du Karolinska Institutet à Stockolm a suivi deux groupes de personnes en effectuant un prélèvement de tissu adipeux blanc sous-cutané la première année et un second prélèvement 16 ans plus tard. Afin de déterminer la disparition ou l’apparition de triglycérides (turn-over) le fait qu’il existe du carbone-14 (14C) dans l’atmosphère produit pas spallation cosmique a été compliqué par la décroissance de ce radio-isotope apparu en excès à la suite des essais nucléaires atmosphériques depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à la signature du traité d’interdiction de ce type d’essais en 1963. En effet, la mesure de la radioactivité des triglycérides est mise à profit pour déterminer l’influx ou l’efflux dans les cellules adipeuses au cours du temps. Connaissant très précisément la teneur en 14C atmosphérique à l’instant de la première ponction puis à l’instant de la seconde ponction de tissu adipeux blanc sous-cutané, les biologistes du Karolinska ont pu décrire quel phénomène participait à l’hypertrophie de ce tissu adipeux blanc.
Au cours des essais nucléaires atmosphérique la valeur du rapport 14C/12C par rapport à la valeur de base mesurée avant les premiers essais nucléaires a doublé pour atteindre un pic peu après l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques et pour ensuite décroitre exponentiellement sans pour autant avoir atteint sa valeur d’avant-guerre aujourd’hui. Cette anomalie du Δ14C/12C, abrégé Δ14C a permis de déterminer l’âge des triglycérides présents dans le tissu adipeux et l’évolution de ce Δ14C entre l’année zéro de l’étude et 16 ans plus tard a clarifié l’intensité des flux de triglycérides vers l’intérieur des adipocytes et vice-versa. L’examen des flux de lipides chez 91 personnes âgées de 18 à 80 ans, en majorité des femmes, a permis d’affiner les paramètres agissant sur la vitesse de « turn-over » des lipides emprisonnés dans le tissu adipeux. Ces flux ont été quantifiés par analyse du Δ14C dans le CO2 exhalé en soumettant les sujets à ce type d’expérimentation dans une chambre métabolique, un pensum auquel je me suis soumis par solidarité avec un collègue il y a bien longtemps pendant 24 heures afin de mesurer la température corporelle, le CO2, les fluides émis tels que la sueur et l’urine, l’eau également exhalée, des paramètres qui permettent de se faire une idée très précise du métabolisme général du corps. L’un des facteurs incriminés provoquant la prise de poids avec l’âge est la baisse de l’activation par les catécholamines de la lipolyse. Il s’agit de la dopamine, de la norépinéphrine et de l’épinéphrine communément appelées noradrénaline et adrénaline. Ces hormones sont produites par les glandes surrénales. Agir sur la teneur circulante en ces composés n’est pas sans risques. Certaines amphétamines miment les effets des catécholamines dont en particulier l’éphédrine qui est connue pour provoquer une perte de poids en stimulant la lipolyse du tissu adipeux brun est cependant inefficace pour stimuler la lipolyse du tissu adipeux blanc. L’épidémie d’obésité stimulera les travaux de recherche dans ce domaine métabolique complexe et encore mal compris.
Source et illustrations : Nature Medicine, doi : 10.1038/s41591-019-0565-5 aimablement communiqué par le Docteur Kirsty Spalding qui est vivement remerciée ici.
Note. Dans la première illustration figurent trois courbes de couleur qui montrent l’âge des triglycérides normalisée en fonction de la teneur en 14C atmosphérique et sa décroissance au cours du temps depuis l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques. Les points noirs représentent les cohortes des divers individus étudiés. Cette approche ressemble aux « marquages » isotopiques largement utilisés en laboratoire pour étudier des voies métaboliques, que ce soit avec des isotopes radioactifs du carbone, du soufre ou du phosphore.