Le gène de l’obésité ? Pas de quoi en faire tout un pataquès médiatique !

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Encore un « non-évènement » scientifique qui a alimenté les rumeurs journalistiques : on a découvert le gène de l’obésité ! De plus ce genre de nouvelle stupidement reprise par des journalistes en quête de sensationnel représente un réel danger pour des centaines de millions de personnes dans le monde qui vont finir par se persuader qu’après tout c’est de la faute de leurs gènes s’ils ont de l’embonpoint. Ils continueront à se gaver jusqu’à en mourir prématurément … Ce n’est pas du tout ainsi qu’on peut honnêtement présenter la situation présente des recherches sur l’obésité. Ce qu’on vient de préciser, la découverte date déjà de plusieurs années (2007, doi:  10.1126/science.1141634 ), c’est la corrélation entre les modifications ponctuelles d’un unique gène et l’apparition de l’obésité mais de là à envisager un traitement préventif (ou curatif) il faudra attendre des dizaines d’années, pas de quoi donc se réjouir d’avance.

On comprend l’engouement journalistique quand on réalise une petite avancée dans la compréhension des mécanismes d’apparition du surpoids et de l’obésité, mais l’obésité infantile d’origine strictement génétique reste très rare, à peine 0,01 % de la population, soit une personne sur 10000. Or aux USA, en Arabie Saoudite et quelques autres pays le pourcentage de personnes en surpoids ou obèses atteint 60 % ! Il y a donc comme un fossé que la génétique ne peut pas expliquer clairement. L’obésité est le résultat de multiples facteurs dont la malbouffe et l’excès de malbouffe, le manque d’exercices physiques et un dérèglement progressif du métabolisme lorsque les tissus adipeux commencent à croître de manière anarchique et c’est un peu sur ce dernier point que les recherches se sont concentrées. Pourquoi certaines personnes peuvent se goinfrer ad libitum et ne grossissent pas alors que d’autres grossissent dès le premier plat de spaghetti ingurgité. Ce qui avait été montré par une équipe de biologistes de l’Université d’Oxford en 2007 est l’existence d’un lien entre l’apparition de diabète de type 2 et de l’obésité. Après une étude ayant porté sur des analyses génétiques de 3757 personnes souffrant de diabète de type 2 et en surpoids par rapport aux mêmes analyses conduites sur 5346 personnes ne souffrant pas de ces deux affections, il est apparu que le gène FTO, acronyme de FaT mass and Obesity, situé sur le chromosome 16 était significativement et systématiquement altéré dans le cas des obèses et diabétiques. Le problème était qu’on ignorait la fonction de ce gène et c’est là que réside l’avancée récente dans ce domaine de recherche. Les travaux publiés ce 19 août 2015 dans le NEJM (New England Journal of Medicine) précisent ce qui se passe au niveau des tissus adipeux et quelle est la cause première de l’obésité sans toutefois mentionner une quelconque approche thérapeutique possible.

Pour comprendre comment les choses se passent au niveau cellulaire l’équipe dirigée par le Docteur Manolis Kellis de la Harvard Medical School a étudié des cultures cellulaires de tissus adipeux provenant de 52 sujets répertoriés dans les banques de données génétiques qui étaient homozygotes pour un allèle à risque présentant des mutations ponctuelles sur le gène FTO appelé variant rs1421085 et ont comparé leurs investigations identiquement conduites avec 50 échantillons de tissus sous-cutanés de sujets ne présentant ni indice de masse corporelle supérieur à 24 kg/m2 ni diabète de type 2. L’étude s’est focalisée sur un certain nombre de paramètres permettant d’aboutir à une bonne représentation du métabolisme général du tissu adipeux et en particulier du métabolisme énergétique. Il faut rappeler en effet qu’il existe deux sortes de tissus adipeux, ceux qu’on appelle « bruns » car ils contiennent des mitochondries, les usines productrices d’énergie de l’organisme, qui sont naturellement brunes car elles sont colorées par des pigments impliqués dans la respiration, et il existe un tissu adipeux qu’on peut qualifier d’inutile, plus clair car il ne contient que très peu de ces mitochondries, qui ne sert qu’à accumuler des corps gras en provoquant le surpoids et l’obésité.

Pour déterminer dans quelle mesure ce gène FTO intervient dans l’apparition du tissu adipeux clair ou blanc, une accumulation de mauvaise graisse, une série de paramètres a été suivie, dont l’expression du taux d’expression de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique. Pour utiliser une comparaison imagée de ce qui se passe dans l’organisme, il y a deux sortes de sources d’énergie, les sucres et les graisses. Les sucres, c’est comme de la paille, ça brûle vite et ce n’est utilisé qu’en cas d’urgence, en dehors du cerveau qui ne peut utiliser que cette source d’énergie. Les graisses sont comme le pétrole, elles sont beaucoup plus riches en énergie et constituent le réservoir disponible en continu à condition qu’elles soient correctement stockées dans les tissus adipeux bruns car les mitochondries sont capables de les dégrader rapidement pour satisfaire les besoins en énergie de l’organisme. Comme ce processus met en jeu des dizaines d’activités enzymatiques différentes, le seul moyen pour comprendre le rôle du gène FTO dans cette histoire était d’ « éteindre » les uns après les autres les gènes de chacune de ces activités en utilisant entre autres techniques l’outil fantastique que constitue le CRISPR dont j’ai déjà parlé dans plusieurs billets de ce blog.

Deux gènes dont l’expression a été démontrée comme étant sous la dépendance du gène FTO ont été identifiés et ils interviennent dans la thermogenèse, c’est-à-dire la dissipation d’énergie sous forme de chaleur par les mitochondries. Quand le gène FTO est défectueux, ces deux gènes (IRX3 et IRX5) sont plus intensément exprimés et les graisses ne sont plus « brûlées » normalement. Il en résulte une accumulation de ces graisses et une raréfaction progressive des mitochondries. Ces gènes codent pour des protéines favorisant une dissipation de l’énergie lors de l’oxydation des acides gras par les mitochondries. Le gène FTO, lorsqu’il est défectueux, et ces défauts sont légèrement plus fréquents chez les sujets obèses, conduit donc à une déviation du métabolisme qui ne produit plus de chaleur – processus participant à l’équilibre général de l’organisme – mais au contraire favorise l’accumulation de graisses, l’augmentation des triglycérides circulants et une diminution de la consommation d’oxygène.

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On en arrive donc à partir de ce qui est observé au niveau des cultures de cellules au tableau pathologique de l’obésité : le manque d’exercice physique correspond très exactement à la diminution de la demande en oxygène au niveau cellulaire, la non disponibilité des acides gras pour la fourniture d’énergie compte tenu de la raréfaction des mitochondries dans le tissu adipeux « inutile » conduit par voie de conséquence à une sensation de faim accentuée par le besoin de régulation de la température du corps qui ne peut plus être assurée par l’oxydation des graisses, d’où l’envie de sucreries et là c’est le cerveau qui décide, et le malade, car l’obésité est une maladie, n’a plus aucun pouvoir pour réfréner son emballement à se nourrir plus que de mesure.

Tout se passe donc au niveau du gène FTO qui apparaît, selon les travaux exposés dans ce récent article, être un facteur d’expression d’une série de gènes impliqués étroitement dans la thermogenèse et la balance énergétique des cellules et donc de l’organisme tout entier.

Il fallait trouver des preuves validant ce mécanisme de régulation et ce fut fait en utilisant des souris chez qui on avait « éteint » l’expression du gène IRX3. Le résultat fut presque spectaculaire car ces souris étaient incapables de prendre du poids quand elles étaient soumises à un régime riche en graisses, dépensaient plus d’énergie sous forme de chaleur et leur tissu adipeux était majoritairement « brun ». De plus elle consommaient plus d’oxygène de nuit comme de jour.

Le gène FTO perturbe donc non pas directement la modification des adipocytes du type « brun » utiles pour l’homéostasie vers le type « blanc » inutile mais en modifiant l’expression de quelques gènes seulement. Ce gène intervient déjà aux stades précoces de différenciation cellulaire conduisant soit aux adipolyses bruns soit aux adipocytes blancs inutiles. Cette étude lève donc un coin du voile masquant les mécanismes de l’apparition de l’obésité mais la prédisposition génétique n’explique pas tout, loin de là. Une hygiène personnelle générale restera toujours l’une des meilleures approches pour éviter de prendre inconsidérément du poids …

Les amateurs de science peuvent se plonger dans la lecture passionnante de l’article du NEJM disponible en ligne et dont voici le lien : DOI: 10.1056/NEJMoa1502214

Illustrations : Harvard University News Desk et Reuters

Et si l’air conditionné contribuait à l’obésité ?

 

Notre organisme possède deux types de réserves d’énergie, le glycogène qu’on trouve dans le foie et les muscles, c’est un polymère de glucose qui se forme quand le taux de glucose dans le sang dépasse un certain seuil et ce processus est commandé par l’insuline, quand tout se passe bien, et le même processus a lieu dans les muscles. Il y a un autre système de stockage de l’énergie qui est constitué par la graisse dite brune ou encore « bonne » graisse. D’abord cette graisse est particulière parce qu’elle se trouve dans des cellules adipeuses le plus souvent associées au système musculaire et elle est brune parce que ces cellules censées fournir de l’énergie à la demande sont très riches en mitochondries dont la couleur est effectivement brune car elles contiennent des pigments contenant du fer. Les mitochondries sont les centrales énergétiques de toutes les cellules et quand il y a une demande soudaine en énergie, par exemple un effort musculaire, elles brûlent littéralement les graisses avec un équipement enzymatique particulièrement efficace pour quasiment inonder le tissu annexe avec de l’ATP (adénosine triphosphate), l’unité d’énergie de l’organisme. Pour que tout fonctionne bien la graisse se trouve sous forme de très fines gouttelettes dans ces cellules pour qu’elle soit justement rapidement disponible. C’est tout le contraire avec la graisse blanche qui a envahi la cellule et bloqué la vascularisation des tissus adipeux, les « mauvais » tissus adipeux, alors que la graisse brune est richement irriguée de fins vaisseaux pour transporter l’énergie le plus rapidement possible et recevoir également l’oxygène tout aussi rapidement. De surcroit la graisse « blanche » se présente sous forme de gros amas inaccessibles contrairement à la graisse brune.

La graisse brune joue un autre rôle essentiel qui est le maintien de la température du corps en brûlant encore une fois des graisses, cette fois sans produire d’énergie mais au contraire de la chaleur. Pour terminer cette petite entrée en matière déjà passablement compliquée, il faut rappeler que les graisses qui sont stockées dans les tissus adipeux bruns (ou blancs) sont fabriquées à partir des sucres, du glucose et du fructose, et non pas comme on a tendance à le croire à tort à partir des graisses que l’on ingère car ces dernières sont dégradées dans le foie pour également fournir de l’énergie par un autre système.

Donc, la température du corps est régulée par les tissus adipeux bruns et on peut facilement visualiser ces derniers en imagerie par émission de positrons en injectant dans le sang un analogue du glucose, le désoxyglucose marqué avec du fluor radioactif ( F18). J’en ai déjà parlé dans un billet mais ce marqueur est un outil de choix pour visualiser les tissus adipeux bruns ou plus généralement la graisse brune. Ce fluor radioactif a une demi-vie d’un peu plus de 100 minutes, de quoi réaliser un examen radiologique mais il faut également qu’on puisse le produire sur place en bombardant dans un cyclotron de l’eau enrichie en isotope 18 de l’oxygène qui capte un proton, plus prosaïquement un noyau d’hydrogène, pour former ce fluor 18. Il faut ensuite vite synthétiser le désoxyglucose marqué, c’est maintenant réalisé avec un robot, et aller tout aussi vite dans le service de radiologie de l’hôpital le plus proche. Le fluor 18, quand il revient à sa destination initiale, émet deux positrons simultanément qui partent dans deux directions opposés et il reforme alors de l’oxygène 18, l’autre isotope stable de l’oxygène. Le tomographe détecte donc seulement les positrons deux par deux émis en coïncidence et un traitement informatique adéquat permet de réaliser une image de l’endroit où le désoxyglucose marqué est allé préférentiellement s’accumuler puisque les tissus croient qu’il s’agit de glucose. Et les tissus adipeux bruns font partie de ceux-la car leur métabolisme est très actif comme d’ailleurs celui des tumeurs, cette technique d’imagerie est pour ces raisons largement utilisée pour localiser ces dernières.

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Comme on peut le constater sur cette image le désoxyglucose-F18 se retrouve naturellement dans le foie, on s’y attendait, mais aussi dans les tissus adipeux bruns qui se trouvent à l’intérieur du corps et non pas à l’extérieur comme les tissus adipeux blancs devenus inutiles pour l’organisme et n’ayant plus d’autre fonction que de dégrader la silhouette des personnes obèses ou en surpoids. Dans ce cliché la réponse rénale est élevée car d’une part le rein est « colonisé » par de la graisse brune.

Mais revenons à la régulation de la température du corps. Il existe une température extérieure, vingt quatre degrés précisément, qui correspond au minimum de dépense énergétique de l’organisme pour spécialement maintenir sa propre température à 37 degrés, pour nous humains. En deçà l’organisme dépense de l’énergie pour se chauffer, au delà il dépense de l’énergie pour se refroidir car plus il fait chaud plus l’échange de température entre le corps et l’air ambiant est difficile, c’est un principe thermodynamique fondamental qui veut que la chaleur va toujours du corps chaud vers le corps froid. Pour étudier dans le détail ce qui se passe au niveau des tissus adipeux bruns au cours de la régulation thermique du corps il n’y a pas d’autre solution que de soumettre des volontaires à diverses températures ambiantes et d’observer par tous les moyens dont dispose un biologiste quelles sont les modifications du métabolisme, d’une part, et donc des tissus adipeux bruns, d’autre part, justement par tomographie d’émission de positrons. C’est ce qui a été entrepris au National Institute of Health à Bethesda près de Washington dans le cadre d’un programme d’étude des effets de l’exposition chronique de l’organisme au froid et ses conséquences sur le développement éventuel du diabète puisque tout est en définitive une histoire de glucose.

Les résultats obtenus sont contre-intuitifs comme on va le voir plus loin en ce qui concerne le tissu adipeux brun. Cinq volontaires en bonne santé ont accepté de se soumettre pendant plusieurs mois à un test, contre une substantielle rémunération puisqu’ils étaient isolés dans ce qu’on appelle une chambre métabolique qui permet d’effectuer toutes sortes de mesures durant les dix heures au cours desquelles ils n’exerçaient pas leur activité professionnelle, c’est-à-dire la nuit. Une chambre métabolique permet de mesurer la chaleur dégagée par le corps, l’oxygène consommé et le gaz carbonique et l’eau rejetés par la respiration, etc. Le premier mois ils se reposaient et dormaient dans une pièce à la température de 24 degrés, celle dont j’ai parlé plus haut, le mois suivant ils dormaient à une température ambiante de 19 degrés, retour à 24 degrés le mois suivant pour revenir à une sorte de condition de contrôle et enfin le dernier mois à 27 degrés. Chaque fin de mois une série de paramètres impressionnante était scrupuleusement analysée et les volontaires étaient soumis à une tomographie par émission de positrons pour se faire une idée de l’évolution de leur tissu adipeux brun. Le protocole à chaque fin de mois était donc le suivant :

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Lors du mois passé, la nuit, à 19 degrés, on aurait pu s’attendre intuitivement à une diminution significative du tissu adipeux brun puisque l’organisme dépense de l’énergie pour maintenir sa température à 37 degrés. Pas du tout ! Comme le montrent clairement les imageries par émission de positrons, c’est tout le contraire qui se passe.

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L’organisme dépense moins d’énergie pour se réchauffer  et plus d’énergie pour se refroidir et le tissu adipeux régresse après trente nuits passées à dormir à 27 degrés suivant le mois de référence à 24 degrés où il était revenu à la normale. Ce résultat est totalement contre-intuitif et il a été vérifié avec une série de paramètres sanguins dont une plus grande sensibilité à l’insuline et aux hormones thyroïdiennes. Ce résultat suggère que les personnes qui se trouvent dans des conditions de vie leur permettant d’accumuler plus de graisses brunes ont besoin de moins d’insuline que leurs contreparties ayant moins de graisses brunes pour réguler le taux de glucose sanguin. L’une des conclusions suggérées par cette étude est que l’utilisation forcenée de l’air conditionné aurait des effets dévastateurs sur le métabolisme des graisses car lorsque les tissus adipeux bruns sont saturés l’organisme choisirait alors de stocker ses surplus de graisses dans les tissus adipeux blancs, ceux qui causent le surpoids et l’obésité et par voie de conséquence l’apparition de diabète. Et il s’agit pourtant d’une différence discrète de seulement 3 degrés ! En conclusion, à côté d’une mauvaise alimentation, trop riche en sucres, et d’un manque d’exercices physiques réguliers, s’abstenir de mettre l’air conditionné la nuit quand il fait chaud ne peut avoir que des effets bénéfiques sur la santé. On peut tout de même encore dormir confortablement quand la température atteint 27 degrés dans sa chambre surtout si c’est pour éviter de devenir obèse et diabétique, un bon ventilateur est beaucoup plus sain … Reste une question en suspens, se chauffer à 27 degrés, au moins la nuit, en plein hiver est-il vraiment écolo-compatible ? Peut-être que la santé est plus importante que le climat !

Source : American Diabetes Association

Pour les curieux : DOI: 10.2337/db14-0513 et« supplementary data », l’accès à l’article lui-même est payant. Illustrations tirés de Wikipedia et de cet article.