La bonne (et la mauvaise) humeur est contagieuse : par la transpiration !

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Nous recevons des signaux chimiques, visuels et sonores de notre entourage. Naturellement quand nous nous trouvons dans une configuration, dirons-nous, plus intime ces signaux relèvent du toucher, de l’odorat ou encore du goût, par exemple lors de l’échange de caresses ou de baisers. Cependant, au cours de notre évolution, nous avons perdu certains sens comme l’organe voméronasal qui n’est plus qu’un vestige datant de nos lointains ancêtres primates. L’acuité de notre odorat a également dégénéré si l’on peut décrire la situation ainsi. Nous sommes donc limités dans nos possibilités de communication primale mais nos terminaisons nerveuses restent de manière vestigiale sensibles à certains signaux chimiques que l’on a très bien décrit dans certaines situations. Par exemple les phéromones sexuelles exsudées sont toujours détectées par notre sens de l’odorat bien que nous n’en ayons nullement conscience. La sueur n’a pas le privilège de signaler que nous risquons de conduire en état d’ébriété (voir un précédent billet), elle n’est pas non plus seulement révélatrice d’éventuels dérangements métaboliques ou d’abus d’aliments fortement émetteurs de substances volatiles, il y a aussi dans la sueur des substances qui permettent de transmettre à notre proche entourage l’état de notre statut émotionnel. Nous produisons, selon une étude parue dans le journal de l’Association for Psychological Science, des substances qui se retrouvent dans notre sueur et que d’autres personnes sont susceptibles de détecter : nous leur transmettons notre bonne (ou mauvaise) humeur !

Des travaux ont montré que les émotions négatives liées au dégout et à la peur sont communiquées par la sueur par l’intermédiaire de signaux chimiques mais peu d’études se sont concentré sur le même type de signalisation en ce qui concerne les émotions positives. Le Docteur Gün Semin de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas a montré que lorsque l’on est exposé à la transpiration de personnes émotionnellement heureuses cet état devient « contagieux » en quelque sorte comme le fou-rire se répand par contagion. Souvenons-nous de cette fameux scène du film d’Hitchcock « North by North-West » (en français La Mort aux Trousses si je me souviens bien) qui se déroule dans un ascenseur. Cary Grant joue contre son gré le rôle d’un agent de la CIA. Il est accompagné par sa mère qui se met à rire de l’histoire invraisemblable que lui narre son fils (Cary Grant, Roger O Tornill dans le texte) poursuivi par deux sanguinaires tueurs présents dans la cabine de l’ascenseur. Elle commence à rire et ce rire se communique à toutes les personnes présentes dans cet ascenseur y compris aux deux tueurs. On peut analyser cette scène d’anthologie du cinéma de grande qualité des années cinquante-soixante selon les hypothèses du Docteur Semin, le rire ou l’émotion positive est communicatif et ce d’autant plus dans un espace confiné comme celui d’une cabine d’ascenseur.

Il fallait tout de même démontrer sans ambiguité que la sueur est bien le véhicule de cette transmission « contagieuse » de la bonne humeur et pour ce faire Semin et ses collaborateurs ont étudié si la sueur prélevée sur des personnes heureuses pouvait avoir une influence sur l’état émotionnel d’autres individus. Ils ont fait appel à 12 volontaires de sexe masculin non fumeurs, exempts de tout traitement médical et de désordres psychologiques de quelque nature que ce soit. Durant la durée du test ils ne devaient pas boire d’alcool, ne pas avoir de relations sexuelles ni d’exercices physiques intenses et ne pas manger de nourriture excessivement odoriférante. Les « donneurs de sueur » arrivèrent au laboratoire du Docteur Semin, rincèrent et séchèrent leurs aisselles contre lesquelles on appliqua des couches de gaze adsorbante. Ils revêtirent des tee-shirts propres et se tinrent assis durant la durée du test. On leur demanda de regarder des video-clips dont la finalité était d’induire chez eux un état émotionnel particulier de peur, de joie ou au contraire neutre. Ils étaient également censés noter implicitement leur état émotionnel en regardant par exemple des caractères chinois ou d’autres images. On ôta les compresses ayant absorbé leur sueur et celles-ci furent stockées dans des flacons.

Pour la seconde partie de l’expérience, on recruta 36 femmes de type européen en bonne santé sachant que les femmes ont un odorat plus sensible que celui des hommes et sont également plus sensibles aux émotions que ces derniers. L’étude fut conduite en double aveugle de telle manière que ni les membres du laboratoire ni les participantes ne pouvaient disposer d’information sur les échantillons de sueur qui seraient présentés au moment de l’expérience. On leur demanda de s’asseoir et de poser leur menton sur un repose-menton leur faisant face. Les flacons contenant les échantillons de sueur furent placés sur un plateau devant le repose-menton. À chacune des femmes on présenta un échantillon correspondant à la « joie », la « peur » ou à la réaction « neutre » tel que précédemment décrit avec des intervalles de 5 minutes entre chaque exposition aux échantillons de sueur. Sachant que la première partie de l’expérience avait confirmé que les vidéo-clips avaient influencé l’état émotionnel des participants masculins, ces émotions étaient-elles transmissibles aux participantes au cours de cette deuxième partie de l’expérience alors qu’on leur montrait des vidéo-clips du même type que ceux utilisés lors de la première partie de l’expérience ?

L’examen minutieux de la face des participantes indiqua qu’effectivement les échantillons de sueur induisaient une réaction caractéristique de la peur quand on leur présentait l’échantillon de sueur correspondant. Les muscles médio-frontaux commandant le mouvement des sourcils étaient beaucoup plus sollicités. En revanche les échantillons correspondant à de la joie entrainaient une plus forte activité des muscle faciaux impliqués dans le sourire dit de Duchenne en formant les pattes d’oie caractéristiques du sourire de chaque côté des orbites oculaires, une caractéristique de la manifestation de la joie ou de la satisfaction. L’intensité des signaux émis par la sueur ne put pas être exactement quantifiée. D’autres observations indiquèrent que les femmes soumises aux échantillons de sueur correspondant à la « joie » réagissaient de manière plus constructive aux stimuli visuels que l’expérimentateur leur présentait. Mais l’épreuve des caractères chinois ne fut pas concluante, ce qui tendrait à montrer que les échantillons de sueur, dans ce dernier cas, n’ont pas d’influence sur l’était émotionnel implicite.

Ces résultats, quoique préliminaires, indiquent que l’on communique notre état émotionnel positif ou négatif à l’aide de signaux chimiques suffisants pour produire une réaction dans notre entourage, une contagion de notre état émotionnel. Et les retombées peuvent être surprenantes en particulier pour les industriels de l’odeur qui pourraient mettre au point un parfum (ne sentant rien du tout) communiquant de la bonne humeur. Reste naturellement à déterminer la nature des molécules chimiques contenues dans cette sueur puis à étudier en détail leur effet neurologiques. On peut imaginer toutes sortes d’applications possibles, d’ailleurs plus ou moins orwelliennes, pour influencer l’état d’esprit de tout un chacun. L’une d’entre elles venant à l’esprit serait la mise en condition d’un train entier de voyageurs à l’heure de pointe du matin pour qu’ils commencent leur journée de travail de bonne humeur et dans la joie. Mais on peut aussi imaginer le contraire comme conditionner des foules à l’agressivité et au mécontentement et tout cela à l’insu de chacun car ces molécules volatiles inodores sont probablement faciles à synthétiser. Des retombées d’une expérience apparemment simple pouvant aboutir à l’asservissement de populations entières, de la fiction devenue bientôt une réalité …

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Source : Association for Psychological Science. Il est intéressant de noter que ce travail a été en partie soutenu par Unilever.