Pourquoi dégage-t-on des mauvaises odeurs sous les aisselles ?

Les odeurs corporelles désagréables – presque personne n’y échappe – font les délices des grandes multinationales de la cosmétique. C’est la raison pour laquelle Unilever a financé une très belle étude dont le but à peine dissimulé est de mettre au point un produit susceptible de contrecarrer spécifiquement le processus biologique produisant ces « mauvaises odeurs » corporelles. Les travaux ont été réalisés en majeure partie à l’Université de York en Grande-Bretagne et il me paraissait intéressant de les commenter sur mon blog. La perception des odeurs corporelles est très relative selon les personnes mais également selon les ethnies. Certains Africains considèrent que les Blancs « sentent la mort » alors qu’inversement il arrive à un Européen de trouver qu’un Africain dégage une odeur pour laquelle il ne trouve pas facilement de description : acide, aigre, poivrée … ? Je n’ai jamais trouvé qu’une belle Africaine sentait le vinaigre ! Notre odeur corporelle est le résultat d’un mélange complexe de molécules chimiques volatiles depuis des acides gras à courte chaine comme l’acide butyrique et son isoforme l’acide isobutyrique ou encore l’acide valérique dont l’odeur est franchement incommodante. Il existe également des composés soufrés volatiles qu’il est facile de déceler au niveau des aisselles. Qui n’a jamais fait l’expérience d’une aisselle d’un voyageur dans une rame de métro en fin de journée se tenant le bras levé pour tenir une poignée alors qu’il fait chaud et que l’on transpire ? C’est parfois très désagréable.

C’est exactement ce petit détail qui préoccupe les fabricants de cosmétiques et auquel il fallait trouver une explication. Il existe trois zones principales émettant des odeurs dites corporelles : les aisselles, les tétons et les organes génitaux externes, zones du corps auxquelles il convient d’ajouter les pieds. La peau d’un être humain comporte un peu plus de 4 millions de poils et donc autant de follicules pileux auxquels sont associées des glandes sébacées. Le derme renferme aussi des glandes eccrines dont la fonction est d’excréter essentiellement de l’eau c’est-à-dire la sueur qui est totalement inodore contrairement à ce que l’on croit. Il existe enfin des glandes dites apocrines qui excrètent diverses substances bénéfiques pour la santé générale de l’épiderme. Les aisselles, les tétons et la partie externe des organes génitaux sont particulièrement riches en glandes apocrines. L’excrétion de ces glandes est constituée de lipides, de protéines, d’acides gras à longue chaine, de dérivés de la glutamine et enfin des petits peptides contenant de la cystéine, l’un des amino-acides constituant les protéines qui contient du soufre. Les aisselles sont colonisées par diverses bactéries qui se nourrissent de ces « aliments » gratuitement mis à leurs disposition par les glandes apocrines.

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Le premier résultat de l’étude dont il est fait mention ici (voir le lien en fin de billet) n’a pas été d’identifier quel produit volatile était le constituant de ces mauvaises odeurs. En effet il s’agit d’une approche hasardeuse car certaines de ces molécules chimiques sont détectées par les cellules olfactives alors qu’elles se trouvent dans l’air environnant à des concentrations infinitésimales. L’approche plus logique fut de mettre en présence les bactéries variées retrouvées au niveau des aisselles et de leur donner pour croître ce qu’elles trouvaient, c’est-à-dire les sécrétions des glandes apocrines. Le schéma ci-dessous résume cette approche.

Le seul candidat identifié sans ambiguïté est le 3-methyl-3-sulfanylhexane-1-ol (3M3SH) et son précurseur sans odeur est le Cys-Gly-3M3SH sécrété par les glandes apocrines :

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L’illustration ci-dessus montre la structure du Cys-Gly-3M3SH en regard de la félinine, un composé très proche se trouvant dans l’urine des félins. Lorsqu’un félin, un chat domestique par exemple, a uriné dans la nature ou chez vous madame chat-chat, son urine dégage rapidement une forte odeur nauséabonde. Il s’agit du résultat du clivage de la félinine conduisant à la libération d’un produit volatile, un alcool soufré, dans ce cas du 3-mercapto-3-methylbutanol, considéré comme la « phéromone » spécifique des félins.

Les bactéries impliquées dans le « traitement » des excrétions des glandes apocrines produisant des thioalcools sont des Staphylocoques mais seulement certaines souches parmi les centaines qui constituent cette famille de bactéries très communes sur la peau. Ces souches particulières possèdent une activité enzymatique précise permettant de traiter la S-hydroxyalkyl-L-cystéinylglycine des glandes apocrines qui a fait l’objet d’attention particulière dans le but de trouver finalement un produit susceptible d’interférer avec cette production de thioalcools nauséabonds. Le gène codant pour l’enzyme en question a été identifié dans la souche de Staphylocoque « hominis », propre à l’homme comme son nom l’indique, et l’enzyme a été sur-exprimé pour en élucider la structure. L’étude ne dit pas quel inhibiteur a été mis au point, si tant est que ces travaux ont été réalisés. En conclusion les préoccupations des cosméticiens font souvent progresser la connaissance d’un aspect bien intime de l’humanité …

Source et illustrations : https://doi.org/10.1038/s41598-020-68860-z

Les feuilles de châtaignier : une nouvelle arme contre le staphylocoque !

C’est la nature qui a inspiré la plupart des antibiotiques connus à ce jour, en particulier les bactéries et les moisissures du sol. Mais les chimistes ne se sont que peu intéressé aux plantes car l’approche est beaucoup plus complexe, même une feuille d’épinard présente de réelles embûches pour en extraire un métabolite ou éventuellement un enzyme. Alors, quand on envisage d’étudier le contenu des feuilles d’un arbre, la situation devient très vite compliquée. De plus les végétaux ont tendance à synthétiser des molécules chimiques tellement complexes qu’au final on a peut-être fait progresser la science mais aucune application thérapeutique ne peut être envisagée de manière réaliste. C’est ce qui a failli se passer avec l’artémisinine jusqu’au jour où on a réussi à rediriger des levures pour produire un précurseur de ce produit efficace pour traiter la malaria à falciparum. Une telle approche a permis de réduire le prix du produit final d’un facteur 100 par rapport au produit extrait d’artémise cultivée en plein champ malgré des améliorations variétales notoires. Bref, c’est un peu la même histoire que celle des opiacés dont j’ai rapporté dans un précédent billet la quasi synthèse dans la levure.

Pourquoi cette entrée en matière, tout simplement parce qu’on vient de montrer que les feuilles de châtaignier (Castagna sativa) possédaient une forte activité antibiotique dirigée en particulier contre le staphylocoque doré. Les feuilles de châtaignier sont connues dans la pharmacopée traditionnelle des pays méditerranéens pour aider à la cicatrisation des plaies en réduisant les risques d’infections. Comme on pourra aisément le comprendre dans la suite de ce billet, aborder la synthèse chimique de la famille de composés chimiques présents dans le châtaignier est illusoire et une synthèse effectuée par des levures ou des bactéries pourrait nécessiter des années de laborieux travaux.

C’est donc une remarquable étude menée par l’Université de l’Iowa et l’Emory University d’Atlanta qui a démontré quel était le mécanisme d’action antibiotique des feuilles de châtaignier. L’étude parue dans le journal PlosOne ( http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0136486 ) précise qu’il existe une famille de molécules complexes dans la feuille de châtaignier qui interfèrent avec l’expression des gènes du staphylocoque devenu alors incapable d’occasionner ses dégâts habituels dans les tissus infectés. Cette bactérie diabolique est en effet munie d’armes de destruction massive variées ce qui rend son pouvoir pathogène terrifiant. Si près du tiers de la population est en contact permanent avec des staphylocoques, en particulier dans la cavité nasale ou encore au niveau du visage mais d’une manière générale on n’en souffre pas sauf si nos défenses immunitaires viennent à s’affaiblir. Or c’est le « staph » qui commande notre réponse immunitaire par un moyen subtil inhibant l’opsonisation, c’est-à-dire la fonction même des macrophages consistant à phagocyter les bactéries. Dans le cas du staph le système immunitaire est éteint. De plus cette bactérie dispose d’enzymes particulièrement actifs qui vont détruire les cellules épithéliales et comme si ça ne suffisait un petit saupoudrage de toxines et l’infection se propage rapidement. On sait comment tout ce processus fonctionne : la bactérie excrète un petit peptide signal (AIP) et quand la concentration de ce dernier atteint un certain seuil une cascade d’évènements initie la propagation de l’infection :

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Dans ce schéma résumant le mécanisme de l’agressivité du staphylocoque, la partie inférieure figure l’intérieur du staphylocoque et la partie supérieure le milieu extérieur. Le symbole agr signifie « accessory gene regulator », en quelque sorte le doigt sur la gâchette des armes de destruction. La dénomination 224C-F2 est le nom donné au mélange de substances chimiques isolées des feuilles de châtaignier. Pour l’instant on ne sait pas trop comment cette famille de molécules agit mais ce qui a été observé laisse penser que le mécanisme d’action du petit peptide AIP, symbolisé en vert, devient inefficace. L’une des directions explorées pour stopper le pouvoir invasif des staphylocoques était l’imaginer des peptides synthétiques interférant avec l’AIP. Malheureusement toutes les tentatives allant dans cette voie ont échoué car la bactérie a immédiatement mis au point une parade en détruisant ces peptides leurres.

Dans la feuille de châtaignier l’équipe du Docteur Cassandra Quave a trouvé en suivant la bio-activité d’extraits en cours de purification des ursènes et des oléanènes, en d’autres termes des triperpènes pentacycliques, dont voici la structure générale avec quelques variantes :

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Tous ces produits inhibent à des degrés divers la production de toxines par le staphylocoque en interférant avec l’expression des gènes codés par la région RNAIII, dont en particulier des exotoxines. Le mécanisme d’action n’est pas encore connu mais on peut raisonnablement fonder quelques espoirs dans le combat contre les souches les plus dangereuses de la bactérie classées dans la catégorie des MRSA (multi-resistant S. aureus) et responsables d’une grande majorité de maladies nosocomiales contractées en milieu hospitalier. En application sur la peau, ces molécules n’ont présenté aucune toxicité pour les tissus cutanés et pratiquement aucune interférence avec les autres bactéries vivant sur l’épiderme dont l’importance protectrice nous est essentielle. De plus, après 700 générations en culture, le staphylocoque, continuellement soumis à l’action de ces produits, n’a développé aucune résistance. Comme pour les extraits d’artémise qui sont un mélange de plusieurs composés chimiques, l’apparition de résistance est beaucoup moins fréquente que lorsqu’il s’agit d’un produit chimiquement pur.

En conclusion, il faut souligner que ces extraits de feuille de châtaignier ne sont pas des bactériostatiques ni des antibiotiques mais ils interfèrent spécifiquement avec le pouvoir pathogène du S. aureus et seulement ce dernier … Comme quoi nos grand-mères avec leurs « remèdes », hérités d’une très longue tradition transmise génération après génération, avaient souvent raison …

Source et illustrations : PlosOne

Note l’édition originale mentionnait par erreur le noisetier. Je m’en excuse auprès de mes lecteurs.