L’été dans l’hémisphère nord c’est aussi la saison des incendies de forêt en Sibérie septentrionale. Et généralement, chaque nouvel article sur les incendies de forêt en Sibérie les relie en quelque sorte au changement climatique. Par conséquent, il est temps de voir comment les incendies de forêt ont changé au fil des années. Y a-t-il vraiment une tendance à la hausse des incendies de forêt en Sibérie comme le suggèrent les nouvelles et ce qui est continuellement prédit sur la base des modèles climatiques ? Les éléments de réponse sont présentés dans l’article de Pasi Autio paru sur le site d’Antony Watts le 14 juillet 2020. Il faut mentionner ici que les tribus nomades d’éleveurs de rennes participent à ce phénomène en brûlant à dessein les zones arctiques bordant la limite nord de la forêt boréale couvertes d’arbustes à feuilles caduques de faible taille afin de dégager des pâturages enrichis par les cendres pour l’année suivante. Il en est de même dans les zones d’hivernage plus méridionales des troupeaux de rennes où des feux de forêts sont volontaires, généralement bien maîtrisés, mais ne concernent pas les conifères.
Avec une superficie de 13,1 millions de kilomètres carrés, soit 14 fois la surface de la France, la Sibérie représente 77% de la superficie de la Russie. La majorité de la Sibérie est une région sauvage peu peuplée avec peu ou pas de routes. Par conséquent, le feu brûle généralement jusqu’à ce que la pluie ou un autre facteur naturel arrête le feu. La Sibérie méridionale est également le lieu d’une exploitation forestière extensive pour les résineux de haute tige.
Obtenir des données fiables sur les zones d’incendie sur la base de la littérature disponible semble être problématique. Selon la littérature (1), les données sur les zones d’incendie de la Russie ne sont pas fiables et ont systématiquement et gravement sous-estimé les incendies dans les zones à faible densité de population en raison de la structure du peuplement qui a laissé la plupart du pays sans surveillance (6). La situation ne s’est améliorée qu’après la mise en service des données satellitaires occidentales par la Russie de l’après-URSS. Mais compte tenu de la taille de la Sibérie et du fait qu’elle est très peu peuplée, il n’est pas étonnant qu’aucune donnée fiable ne puisse être générée sans l’aide de satellites. Mais même à l’ère des satellites, certains petits incendies ne sont pas détectés en raison de la couverture nuageuse ou des limites de détection des capteurs (6).
Après une étude approfondie de la littérature, on ne trouve aucune étude réelle fournissant un ensemble de données par satellite pour les incendies de forêt en Sibérie pour l’ère post-URSS non plus, ce qui est étrange compte tenu de la couverture médiatique occidentale des incendies de forêt en Sibérie ces derniers temps. Il semble qu’un effort soit en cours pour créer un tel ensemble de données pour les années de l’ère URSS en numérisant de vieilles images satellite prises depuis 1979.
Superficie brûlée annuellement en Sibérie sur la période 1997-2016
Un essai antérieurement publié (le sujet était les feux de brousse australiens) utilisait des données satellites basées sur les travaux de Giglio et coll. (1, 2). L’article de Giglio décrit une base de données de quatrième génération sur les émissions mondiales de feux (GFED4). Cet ensemble de données combine des enregistrements satellites tels que les cartes de la zone brûlée MODIS de 500×500 m avec des données d’incendie actives du scanner visible et infrarouge (VIRS) de la mission de mesure des précipitations tropicales (TRMM) et de la famille de capteurs du radiomètre à balayage (ATSR). C’est une excellente source pour créer un ensemble de données également pour les incendies de Sibérie.
Les données sont disponibles sur le site globalfiredata.org. Ce site fournit un excellent outil d’analyse et bien sûr les données elles-mêmes, si vous souhaitez les analyser davantage. Actuellement, l’ensemble des données fournit des données sur les zones brûlées pour les années 1997-2016. Il est possible de sélectionner une région ou un pays et de choisir plusieurs options concernant les données sources des émissions vers la zone brûlée (entre autres). La section Outils d’analyse permet également d’utiliser la définition de formes de zone personnalisée. Et c’est ce que j’utilise pour créer mon jeu de données sur la zone des incendies de forêt en Sibérie.
La figure fournit la superficie totale brûlée en Sibérie pour chaque année entre 1997 et 2016 en km2. Nous pouvons voir que depuis 20 ans, la tendance des zones brûlées en Sibérie est légèrement à la baisse. Aucun élément de preuve ne permet de penser que les incendies s’aggravent. La superficie moyenne brûlée annuellement au cours de cette période était d’environ 91181 km2, soit environ 10 fois la superficie de la Corse.
Les années 1998, 2003, 2008 et 2012 ont été les quatre saisons d’incendie les plus graves au cours de cette période. En général, la variabilité inter-annuelle est grande (3) avec jusqu’à des différences de parfois un facteur 4 entre les années. Les incendies de forêt en 2003 étaient d’environ 203288 km2.
Données sur les zones brûlées à l’époque de l’URSS
En étudiant la littérature disponible, on découvre que Stocks et Cahoon avaient lancé vers 2010 un projet (3) pour numériser les anciennes images satellite AVHRR de la période 1979-2000 afin de construire une base de données des zones d’incendie par satellite pour la Sibérie. Cela semble avoir pris un certain temps, car les résultats de ces travaux sont introuvables. L’ancien élève de Cahoon, Soja AJ, semble avoir poursuivi ce travail (4) avec Cahoon et Stocks et a présenté les résultats lors de plusieurs conférences en 2018 et 2019 mais les données sont toujours en cours de validation. Les données sont basées sur des instruments, algorithmes et méthodes différents (moins sophistiqués) que l’ensemble de données GFED4 présenté ci-dessus. Par conséquent, cela n’a aucun sens de comparer ces ensembles de données directement. Mais pour savoir si les incendies de forêt en Sibérie se sont aggravés, il est intéressant de comparer les tendances. De plus, les ensembles de données contiennent quatre années qui se chevauchent (1997-2000) et en les utilisant comme référence, nous pouvons conclure que la superficie brûlée des années 1985 et 1987 dépasse 1998 et fait partie des saisons les plus sévères de l’ère satellite.
Les données présentées lors de la conférence (4) ne montrent pas non plus de tendance à la hausse pour la zone brûlée en Sibérie.
En résumé, lorsque nous combinons les ensembles de données AVHRR et GFED4, nous disposons de 37 ans (1979-2016) de données sur les zones brûlées pour la Sibérie. Pendant cette période, aucune tendance à la hausse des incendies de forêt et aucun signal détectable de «changement climatique» ne peuvent être trouvés.
Incendies de la saison 2020
Comme d’habitude, les médias fournissent des histoires inquiétantes sur les incendies de forêt en Sibérie pour cette saison. Greenpeace Russie a fourni cette information (7):
« Le programme forestier de Greenpeace Russie, qui analyse les données satellitaires, a déclaré qu’un total de 9,26 millions d’hectares – plus grand que la taille du Portugal – ont été touchés par des incendies de forêt depuis le début de 2020 ».
Ça semble vraiment très mauvais. Mais comment ces 9,26 millions d’hectares (92600 km2) se comparent-ils aux années précédentes ? Encore une fois, l’outil d’analyse globalfiredata.org nous fournit ces informations. Superficie brûlée cumulée pour la Sibérie de janvier à fin juin pour certaines années du passé:
2003: 15,4 Mha (154205 km2)
2008: 15,5 Mha (155114 km2)
Si les données fournies par Greenpeace sont correctes (aucune source pour le vérifier), le début de la saison des incendies de 2020 en Sibérie a été l’un des pires depuis 1997, mais en aucun cas un record.
Résumé
Les incendies de forêt en Sibérie sont importants chaque été avec d’amples variations entre les années. La superficie moyenne brûlée pour la Sibérie est d’environ 91000 km2 ou 9,1 Mha – environ la taille du Portugal. Contrairement aux prévisions du modèle climatique, aucune augmentation de la superficie brûlée ne peut être trouvée au cours de la période 1979-2016 pour la Sibérie.
Lecture complémentaires
Forêts de Russie dominant les types de forêts et leur densité de canopée:
REFERENCES
1. Giglio, L., J. T. Randerson, and G. R. van der Werf (2013), Analysis of daily, monthly, and annual burned area using the fourth-generation global fire emissions database (GFED4),J. Geophys. Res. Biogeosci.,118, 317–328, doi:10.1002/jgrg.20042.
2. Giglio, L., Boschetti, L., Roy, D.P., Humber, M.L., Justice, C.O., 2018. The collection 6 MODIS burned area mapping algorithm and product. Remote Sens. Environ. 217,72–85. https://doi.org/10.1016/j.rse.2018.08.005.
3. Stocks, Cahoon 2010; Reconstructing Post-1979 Forest Fire Activity and Area Burned in Russia: NOAA AVHRR Analysis https://www.researchgate.net/publication/253580597_Reconstructing_Post1979_Forest_Fire_Activity_and_Area_Burned_in_Russia_NOAA_AVHRR_Analysis_Invited
4. Historic AVHRR-derived Burned Area product and validation for Siberia (1979 – 2000) https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2019AGUFMGC24C..07S/abstract
5. Vegetation fires and global change; White paper directed to UN 6.https://eecentre.org/Modules/EECResources/UploadFile/Attachment/Vegetation-Fires-Global-Change-UN-White-Paper-GFMC-2013.pdf#page=52
7. Nearly 300 wildfires in Siberia amid record warm weather https://phys.org/news/2020-07-wildfires-siberia-weather.html