La pharmacologie de haute précision, c’est déjà la réalité.

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Regeneron, une société de biotechnologies créée en 1988, s’intéressa initialement aux facteurs de régénération cellulaire, comme son nom l’indique ( http://www.regeneron.com/ ). Puis cette firme se diversifia dans le traitement de certaines formes de tumeurs cancéreuses vascularisées avec des inhibiteurs de l’angiogenèse (Aflibercept, une protéine recombinante) dont j’ai parlé dans un des billets de ce blog qui ont vu une application inattendue dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Depuis quelques mois Regeneron a changé de braquet en se lançant dans un programme ambitieux d’identification de gènes dont l’expression est défectueuse dans l’espoir d’intervenir directement sur ces derniers. Pour atteindre ce but, cette société s’est associée avec le système de santé de Pennsylvanie appelé Geisinger qui a accepté le libre accès aux dossiers médicaux de 250000 volontaires qui vont tous avoir, en prime, la totalité de leur ADN exprimé séquencé.
Une telle approche est maintenant permise sur le strict plan financier car séquencer un génome humain complet demande environ 48 heures de fonctionnement d’une machine entièrement automatique et le prix de revient de l’opération est maintenant de l’ordre de 1500 dollars. Il faut rappeler que le premier séquençage du génome humain coûta environ 3 milliards de dollars et dura 13 ans. Il y a encore 5 ans une telle analyse revenait à 20000 dollars. Les machines de séquençage, couplées à des super-ordinateurs, envahissent donc le domaine bio-médical et pharmaceutique et Regeneron a déjà identifié 250 cibles potentielles pour des drogues soit existantes soit à créer afin de traiter des situations cliniques aussi triviales que l’hypercholestérolémie ou encore l’obésité. Il s’agit d’une nouvelle application aux retombées potentielles considérables qu’on peut définir comme un ciblage par des drogues de défauts génétiques mineurs.

Dans un passé encore récent, une telle recherche était longue et extrêmement coûteuse car on partait un peu dans tous les sens et en quelque sorte à l’aventure. Un exemple suffit à illustrer la différence d’approche : on a découvert un peu par hasard que dans un petit village d’Italie beaucoup de personnes avaient presque le privilège d’avoir des taux de cholestérol et de triglycérides très faibles. On a recherché des descendants des familles originaires de ce village du nom de Campodimele et une grande majorité d’entre eux sont porteurs d’une mutation du gène Angptl3 et il a fallu près de 20 années pour comprendre quelle était la cause de ce phénomène et comment on pouvait l’interpréter pour imaginer une drogue pouvant agir sur l’expression de ce gène dont le produit est un facteur régulant le recyclage des lipides au niveau du foie. Les amateurs peuvent lire l’article en libre accès paru en 2010 ( DOI: 10.1056/NEJMoa1002926 ). Regeneron a déjà identifié 100 personnes porteuses de cette mutation sur les premiers 35000 séquençages déjà effectués, sans avoir été contraint d’aller dans un village perdu d’Italie pour retrouver la généalogie de personnes ayant peu de cholestérol et de triglycérides dans leur sang. Regeneron ne cible que les gènes exprimés, soit environ 2 % de la totalité de notre ADN et une analyse, plus rapide que celle de la totalité de l’ADN revient à seulement 700 dollars mais il y a un débat actuel au sujet de cette approche car les zones non codantes de l’ADN comprennent aussi des séquences régulatrices et il est probable que l’approche limitée de Regeneron passe à côté d’aspects intéressants de certains « défauts » génétiques pouvant éventuellement être pris en charge par des thérapeutiques du genre microRNA ou CRISPR.

On entre donc dans la médecine de précision au niveau moléculaire et Regeneron, en partenariat avec Sanofi, espère sortir une molécule anti-cholestérol qui bloque le produit du gène PCSK9 impliqué dans l’homéostase du cholestérol et des LDLs. On s’est en effet rendu compte que les personnes présentant une mutation sur ce gène rendant son produit inactif présentaient des taux de cholestérol anormalement bas. Le chiffre d’affaire escompté pour ce produit serait de l’ordre de 4 milliards de dollars annuellement d’ici 4 années.

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Dans la même veine, la société Amgen a acheté le fichier génétique de 2636 Islandais afin de découvrir pour quelle raison les habitants de ce pays avaient un plus gros risque de souffrir de la maladie d’Alzheimer que d’autres populations. Il en est de même pour des fichiers de malades souffrant de la maladie de Parkinson ou de lupus. Reste à contrôler ces travaux car l’approche choisie peut aussi déboucher sur des abus en tous genres : pourquoi pas une drogue pour modifier la couleur des cheveux ou de la peau ? On est donc à un véritable tournant dans l’approche pharmacologique et l’avenir sera passionnant et plein de surprises.

Source et illustrations : Reuters

Quand la théorie du genre en prend un coup !

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Il y a environ un an les laboratoires Sanofi ont émis un avis repris par la FDA signalant que le Zolpidem (Ambien, Stilnox, Intermezzo, …), un somnifère bien connu, n’avait pas la même durée de vie chez les hommes et les femmes et qu’il était préférable que ces dernières réduisent la dose habituellement prise de moitié pour favoriser le sommeil. Un véritable pavé dans la mare des adeptes de la théorie du genre car jusque là hommes et femmes étaient traités sur un plan d’égalité, quel que soit leur poids puisque le Zolpidem agit sur le cerveau et à quelques cuillères à soupe près les hommes et les femmes ont un cerveau de taille équivalente. Mais pour ce dernier organe seul l’usage qui en est fait peut peut-être différencier les hommes et les femmes, surtout dans le monde politique.

Mais revenons au Stilnox (ou Ambien), c’est aujourd’hui le seul médicament dont la dose prescrite est différente selon le sexe. Cette décision de la FDA a fait grand bruit aux USA car des associations féministes ont considéré que cette position était sexiste pour ne pas dire discriminatoire. Or on sait que l’aspirine n’a pas le même effet chez la femme et chez l’homme, et pour ne citer que cet exemple l’aspirine à faible dose diminue les risques de crise cardiaque chez l’homme alors que la même prescription aux mêmes doses ne protège que très modérément les femmes de ce même risque. Et ce n’est pas un hasard puisqu’il existe une différence significative dans la panoplie des enzymes du foie entre l’homme et la femme, enzymes impliqués dans la dégradation des médicaments.

Ce qui est incroyable dans cette histoire qui a provoqué une intervention véhémente de féministes jusque sur les plateaux de télévision, au moins aux USA, c’est que l’information était connue de la FDA dès 1992 quand les documents fournis pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché avaient été communiqués aux régulateurs. Il était mentionné clairement que le Zolpidem persistait deux fois plus longtemps dans le sang des femmes. La FDA n’a jamais tenu compte de cette information, et pour cause, différencier la posologie entre hommes et femmes revenait à introduire une mesure discriminatoire. Or dans le pays champion de l’égalité des sexes pas question de prendre une telle décision ! Le problème qui ne fut donc jamais éventé pendant plus de 20 ans, à savoir que les femmes sont deux fois plus sensibles que les hommes au Zolpidem, provient du fait que seules quelques rares études furent conduites avec des femmes car à l’époque les essais cliniques comportaient toujours une majorité d’hommes, les études sur les femmes se limitaient à la « médecine bikini », c’est-à-dire la poitrine, les ovaires, l’utérus, la grossesse, la ménopause et les règles. Les pharmaciens considéraient que pour le reste du corps, les femmes et les hommes étaient en tous points égaux et pour les médicaments nouveaux concernant le cœur, les reins, l’estomac ou le cerveau, les essais cliniques étaient majoritairement conduits avec des hommes.

De même qu’au laboratoire la majorité des essais sur les animaux, rats ou souris, singes ou porcs, est réalisée avec des mâles, pas de problèmes de genres avec ces bestioles !

Et pourtant, malgré de nombreuses différences entre les femmes et les hommes, il a fallu attendre l’avènement des nouvelles thérapies à l’aide de cellules souches transformées dans un but thérapeutique, au moins au laboratoire, pour se rendre compte qu’en réalité il existait une différence selon qu’on utilisait des cellules issues de mâles ou de femelles. On s’est rendu compte au Texas Heart Institute de Houston qu’en traitant des rats mâles avec des cellules souches issues de femelles, le traitement était beaucoup plus satisfaisant alors qu’à l’inverse, des souris femelles traitées avec le même type de cellules provenant de mâles ne montraient aucune amélioration. Il s’agissait ici d’une thérapie à l’aide de cellules souches modifiées qui diminue l’étendue des plaques d’athérome.

Ce type de résultat a alerté la communauté scientifique médicale et il s’avère que dans de nombreux cas femmes et hommes ne réagissent pas de la même façon. Par exemple, entre 1997 et 2001, huit médicaments sur les dix qui furent retirés du marché présentaient un risque élevé chez les femmes alors qu’ils étaient plutôt bien tolérés chez les hommes. Il semblerait que cette affaire du Zolpidem ait fait prendre conscience aux régulateurs que les essais cliniques ne doivent pas agréger les deux sexes mais être effectués sur l’un et l’autre séparément afin de déterminer plus finement les effets secondaires et les posologies. A n’en pas douter les laboratoires pharmaceutiques ne vont pas apprécier car une décision dans ce sens augmentera considérablement les coûts des études. Il faudra peut-être aussi revoir les posologies de milliers de médicaments mais un grand nombre d’associations prônant la théorie du genre ne voudront pas en entendre parler. Physiologiquement et génétiquement parlant, malgré l’agitation véhémente des politiciens, l’égalité des sexes ce n’est pas pour demain !

Source : CBS News

Les biotechnologies à la vitesse supérieure

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J’ai toujours considéré que la plus belle conquête de l’homme n’est pas le cheval mais la levure. Ce n’est pas une boutade car depuis des temps reculés l’homme utilise la levure pour faire du pain, du vin (et du Boursin) mais aussi de la bière, la première vraie utilisation de la levure qui a d’ailleurs pris le nom de Saccharomyces cerevisiae, et par voie de conséquence du rhum, du whisky ou de la vodka et même du saké ! La levure, c’est aussi un « animal » de laboratoire, j’en parlais dans un précédent billet relatif à la maladie de Parkinson, au même titre que la bactérie universellement connue des biologiste, Escherichia coli. Le génome complet de la levure a été séquencé en 1996 grâce à une coopération américano-européenne dirigée par le professeur Goffeau de l’Université de Liège. Il contient douze millions de paires de bases répartis en 16 paires de chromosomes et codant pour plus de 6000 gènes. Rien à voir avec le génome humain qui compte 23 paires de chromosomes, 3 milliards de paires de bases et qui code pour 20687 protéines au moins parce que la controverse sur le nombre de protéines effectivement codées n’est toujours pas levée, certains auteurs considérant que le génome humain code pour plus de 50000 protéines différentes. Quand le génome de la levure a été entièrement décrypté, plus de la moitié des protéines codés par des gènes appelés « open-reading frames », c’est-à-dire comportant un codon initiateur et un codon terminateur et entre les deux une suite de bases dont chaque triplet correspond à un unique acide aminé, étaient inconnues. C’est encore le cas pour beaucoup de ces protéines et cette simple observation fait que la levure est un organisme extrêmement complexe. La plupart des voies métaboliques qui nous permettent de vivre se retrouvent également dans la levure et ce n’est pas par hasard que de nombreuses firmes de biotechnologiques s’intéressent de très près à ce microorganisme. On dispose aujourd’hui de machines capables de synthétiser des gènes à la demande, en laboratoire il existe tout un équipement d’enzymes permettant de couper l’ADN en des points bien précis, d’y ajouter un morceau d’ADN en utilisant un autre enzyme qui va recoller le tout, un peu comme on coupait et collait un film super-huit pour faire un montage de nos meilleures scènes de vacances. Toute cette couture minutieuse est effectuée avec des enzymes produits par des bactéries génétiquement modifiées et se fait non plus à la main mais à l’aide de machines. C’est ainsi que la société Amyris à Emeryville en Californie se consacre entièrement à la modification génétique des levures pour produire divers composés à usage pharmaceutique ou industriel comme des biocarburants. Fondée en 2003, cette compagnie n’a survécu que grâce aux soutiens financiers de fondations caritatives comme celle de Bill et Melinda Gates pour le développement de la production in vitro à partir de levures modifiées de l’artémisinine et ce projet est un franc succès puisque Sanofi, licencié d’Amyris pour la production de cette molécule qui est un anti-malaria de nouvelle génération, a déjà produit par fermentation de levures d’Amyris près de 70 tonnes de produit, de quoi préparer 140 millions de traitements complets contre la malaria. Jusqu’à ce jour (permis accordé en mai 2013 par l’OMS) Sanofi ne pouvait compter que sur la production de quelques dizaines de milliers de petits fermiers répartis entre le Kenya, la Tanzanie, le Vietnam et la Chine avec des aléas de production incompatibles avec une bonne gestion de la production. Mais cette société ne s’arrête pas à ce premier succès, elle a récemment mis au point une souche de levure qui « sent » la vanille comme si on mettait le nez sur une gousse en transférant dans ce microorganisme l’ensemble des gènes provenant du vanillier, l’arôme de vanille étant non seulement constitué de vanilline produite facilement et à faible coût industriellement (98 % des glaces à la vanille contiennent ce produit industriel) mais également d’autres arômes dont la synthèse chimique est impossible. La société suisse Evolva, située à Reinach près de Bâle a acquis la licence pour produire, dans une de ses usines située au Danemark l’arôme de vanille 100 % biotechnologique. C’est comme pour l’artémisinine, les difficultés d’approvisionnement et la volatilité des cours seront définitivement maitrisés. Les écologistes (encore eux!) considèrent que ces avancées biotechnologiques spectaculaires vont précipiter des millions – pourquoi pas des dizaines de millions – de petits paysans qui triment durement sous le soleil tropical pour produire quelques gousses de vanille afin d’en vivre. On estime qu’au plus 200000 paysans cultivent de la vanille accessoirement à côté de leurs production vivrières au Mexique, dans les Caraïbes et à Madagascar. A Mayotte, il n’existe plus qu’un seul tout petit producteur de vanille alors que toute la région centrale de l’île était autrefois consacrée à la culture de la vanille et de l’ylang-ylang. Mais Amarys n’est pas en reste et a signé un contrat avec la compagnie aérienne low-cost brésilienne GOL Linhas Aereas qui va produire son propre kérosène biotechnologique dès 2014, au moins pour quelques avions mais c’est un bon début. Les partisans de cette « technologie verte » considèrent qu’il s’agit d’une nouvelle révolution industrielle protégée des aléas climatiques et des maladies contrairement aux cultures en plain champ. Cette avancée permettra à terme de repenser l’utilisation des sols, de réduire la production de « cash-crops », c’est-à-dire de cultures réalisées contre du cash et non pour améliorer les conditions de vie des villageois, qu’elle contribuera également à réduire la dépendance aux pesticides et au final aboutira à la fermeture pure et simple d’usines qui polluent l’air et les rivières. Tout un programme ! Les écologistes (encore eux, deux fois!) ne l’entendent pas ainsi et considèrent que les effets sur le long terme de ces nouvelle s biotechnologies seront aussi néfastes que l’avènement de la machine à vapeur pour l’environnement avec des émissions incontrôlées de gaz à effet de serre et de réchauffement climatique dont on s’est rendu compte des années plus tard (sic). Certes la production de bio-carburants n’est pas satisfaisante sur le plan de l’empreinte carbone globale (un concept que je réfute personnellement) mais il s’agit d’une erreur d’appréciation. Les biotechnologies faisant appel à des levures et développées présentement par Amyris sont sur le point d’aboutir commercialement dans d’autres secteurs comme certains parfums dérivés de l’herbe fraichement coupée ou du lichen froissé, la production d’huile en tous points semblable à l’huile de coprah ou encore celle de l’arôme de safran. Les dirigeants d’Amyris ne pensent pas que les cultures traditionnelles de vanille ou de safran souffriront de cette nouvelle technologie car l’expérience a montré que dans la plupart des cas, l’apparition d’un produit industriel conduisait un pourcentage substantiel de clients à préférer le produit naturel correspondant. Amyris a déjà créé de toutes pièce plusieurs millions de souches de levures modifiées génétiquement et ne s’arrêtera pas à ces quelques succès longtemps attendus. On ne peut que s’émerveiller de l’utilisation de ces microorganismes à tout faire qui jusqu’à une date récente ne servaient qu’à produire de l’alcool …

Billet librement inspiré d’un article paru dans le Japan Times (photo : Jack Newman de la Société Amyris)