Histoire de la typhoïde : une maladie maintenant négligée dans les pays occidentaux

F5.large.jpg

De nouveaux variants génétiques résistants à tous les antibiotiques connus d’une maladie mortelle mais considérée comme « ancienne » – la fièvre typhoïde – traversent les frontières internationales et soulèvent quelques inquiétudes. Des cas ont été répertoriés au Pakistan, en Inde, au Bangladesh, aux Philippines en Irak mais aussi au Guatemala, au Royaume-Uni, aux USA, en Allemagne et plus récemment en Australie et au Canada. Ces dernières années ces germes résistants ont aussi envahi de nombreux pays africains. En l’absence de statistiques globales et fiables l’extension de la typhoïde résistante aux antibiotiques est probablement beaucoup plus importante qu’on ne le croit.

L’agent de la fièvre typhoïde est une bactérie, Salmonella enterica serovar Typhi, S.typhi pour faire simple, et cette fièvre est mortelle dans 20 % des cas si ceux-ci ne sont pas correctement traités. S. typhi se répand de personne à personne avec l’eau et les aliments qui ont été contaminés par une eau elle-même contaminée par des eaux usées. Par conséquent la fièvre typhoïde est associée à une mauvaise gestion de l’eau et à des pratiques sanitaires défectueuses. L’apparition de souches très difficiles à traiter constitue une perspective particulièrement alarmante. Alors que jamais auparavant on n’a autant voyagé et que le commerce est devenu mondialisé il apparaît inévitable qu’une épidémie locale de typhoïde puisse avoir des répercussions internationales. Les souches de S. typhi multirésistantes isolées en Europe, en Australie et en Amérique du Nord provenaient de personnes qui avaient voyagé, en particulier au Pakistan où une importante épidémie de typhoïde sévit depuis plusieurs années avec 5274 décès dans la Province du Sindh depuis 2016. La souche pakistanaise est résistante à tous les antibiotiques à l’exception de l’azithromycine, un macrolide de la famille de l’érythromycine.

En Grande-Bretagne, compte tenu des liens avec certains pays d’Asie du Sud-est, environ 500 cas de typhoïde difficilement traitable sont répertoriés chaque année. Aux USA, il y a eu récemment au moins 309 cas de typhoïde, 80 % d’entre eux décrits pour des personnes ayant voyagé dans les jours précédents. En Allemagne, 56 cas ont été comptabilisés en 2018, pratiquement tous associés à des personnes ayant voyagé.

Le retour de la typhoïde constitue un véritable choc pour l’organisation des systèmes de santé des pays occidentaux riches. Entre la fin du XIXe siècle et les années 1950, l’amélioration des conditions sanitaires, la vaccination et les antibiotiques ont pratiquement éliminé cette maladie de la plupart des pays dits riches. Après deux générations le retour de la typhoïde mortelle dans ces pays est devenu une réalité. Comment en est-on arrivé là ? La réponse n’est pas très plaisante à exposer car elle est liée au fait que l’éradication de cette maladie au siècle dernier (XXe siècle) était considérée comme un acquis alors que le germe de la typhoïde existe toujours et n’a jamais été éradiqué comme ce fut le cas pour la variole et comme la typhoïde était devenue dans les pays riches une maladie « ancienne » les contrôles sanitaires aux frontières devinrent plus laxistes puisque ces pays occidentaux en étaient venus à considérer que cette maladie était une maladie réservée aux pays pauvres et aux analphabètes. Cette négligence est en passe de devenir très coûteuse pour les pays riches. Et pour contrôler cette nouvelle typhoïde multi-résistante aux antibiotiques cela dépend des nouvelles technologies de prévention, de diagnostic et de traitement. Il est tout aussi crucial de ne pas oublier le passé afin d’être capables de maîtriser cette nouvelle typhoïde comme nous avons été capables de le faire par le passé mais sans répéter les erreurs qui ont été accumulées alors.

La typhoïde tuait les pauvres mais aussi les Rois.

Des analyses génomiques et archéologiques ont clairement montré que la typhoïde a toujours circulé dans les populations humaines depuis des millénaires. Si on ne peut pas établir une rétrospective exacte en se référant aux seuls écrits passés, la typhoïde était considérée comme une maladie mystérieuse qui tuait aussi bien les rois et les riches que les pauvres dans le monde entier. La typhoïde était redoutée par les armées en temps de guerre. Durant la deuxième guerre des Boers (1898-1902, lien) l’armée britannique fit état de plus de 8000 morts provoqués par la fièvre typhoïde. En dépit de sa fréquence la cause de la typhoïde et son mode de transmission restaient mystérieux. Beaucoup d’experts considéraient que c’était une maladie de l’ « air malsain » ayant pour origine les denrées pourrissantes et les odeurs d’égouts. De plus il n’y avait pas beaucoup de possibilités d’établir un diagnostic précis permettant d’exclure d’autres cas de fièvres. La notion moderne de la typhoïde en tant que maladie avec des signes cliniques précis, principalement transmise par l’eau et la nourriture ayant une origine bactérienne, n’émergea que progressivement au cours du XIXe siècle après que des pandémies répétées de choléra [maladie distincte de la typhoïde qui ne doit pas non plus être confondue avec le typhus] encouragèrent les spécialistes à se pencher sur les modes de transmission du choléra par l’eau. Ce concept de transmission par l’eau coïncidait dans de nombreux pays occidentaux avec des travaux d’amélioration des infrastructures sanitaires et ceci encouragea des investissements dans le traitement des eaux usées et dans les installations de distribution d’eau potable.

Par exemple dans la ville universitaire anglaise d’ Oxford le spectre de la typhoïde favorisa des interventions radicales sur les infrastructures et les réseaux hydrologiques. Henry Liddell, doyen du Christ Church College, père d’Alice, l’inspiratrice du conte de Lewis Carroll « Alice au pays des merveilles », dont l’épouse avait failli mourir de typhoïde, supervisa personnellement les travaux d’amélioration des réseaux d’eaux usées en enterrant les canaux d’égouts en 1863. Vers 1870 ces travaux, favorisés par des investissements massifs du gouvernement permirent de doter la ville d’Oxford d’un réseau d’égouts modernes, de restaurer toutes les fosses septiques fuyardes, d’interdire tout puisement d’eau dans des puits proches des systèmes d’égout et de construire une station de filtrage de l’eau potable de la ville. Le cas de la ville d’Oxford n’était pas isolé puisqu’au tournant du siècle la majorité des grandes villes européennes et de bien d’autres pays étaient dotées d’infrastructures sanitaires efficaces en ce qui concernait l’eau.

Il apparut très vite, malgré quelques erreurs de parcours, qu’il existait une corrélation claire entre l’amélioration de la qualité de l’eau et le recul de la mortalité due aux maladies transmises par l’eau dont en particulier la typhoïde.

De la prévention à l’éradication.

L’apparition de nouvelles technologies ont ensuite permis d’infléchir l’occurence de ce qui était considéré comme une maladie pouvant être évitée. En 1897, Maisdstone fut la première ville anglaise traitant la totalité de son système d’adduction d’eau potable avec du chlore. La vaccination émergea d’une autre façon pour protéger les populations sans infrastructure sanitaire. Imaginée par des biologistes anglais et allemands en 1896, les premiers vaccins contre la typhoïde étaient fabriqués avec des bacilles tués par la chaleur et comptèrent parmi les premiers vaccins anti-bactériens. Durant la seconde guerre des Boers les troupes britanniques « quittant la civilisation » pouvaient choisir de se faire vacciner. Cette première expérimentation de vaccination avec des bacilles inactivés fut marquée par des problèmes de qualité du vaccin et d’effets secondaires qui rendaient la vaccination particulièrement difficile à supporter. Cependant avant la première guerre mondiale toutes les grandes puissances utilisaient des vaccins améliorés pour protéger les troupes et les voyageurs.

Capture d’écran 2019-11-04 à 14.34.04.png

Le nouveau statut de la typhoïde comme maladie pouvant être évitée fut célébré comme étant une grande réussite de la « science occidentale rationnelle ». L’idée d’une éradication émergea également ce qui stimula la nouvelle profession qu’était devenue la bactériologie. Les travaux de recherches montrèrent rapidement que la situation était beaucoup plus complexe qu’on ne l’imaginait. Bien qu’il apparut de plus en plus clairement que le mode de transmission était l’eau et les aliment souillés, le fait que la bactérie pouvait être également transmise via les selles par des porteurs sains durant des années après avoir guéri de la maladie devenait un sujet de préoccupation. Ce concept de « porteurs sains » avancé par le bactériologiste allemand Robert Koch en 1902 réduisit significativement les espoirs d’éradication de la maladie. Comment un porteur sain de la maladie pouvait-il constituer un danger pour les autres ?

L’approche pour cerner ce problème soulevé par Koch suivit en droite ligne les valeurs socio-culturelles de l’époque. Alors que toutes les personnes suspectées d’être des « porteur sains » de la maladie furent contraintes de rester dans leur communauté si elles s’astreignaient à des précautions d’hygiène (comme par exemple de ne travailler ni dans la production d’aliments ni dans le traitement ou le transport de l’eau potable) certaines personnes furent isolées par la force. Décider de qui pouvait inspirer confiance ou devait être isolé ne relevait plus de la neutralité stricte et refléta rapidement les préoccupations du moment, à savoir l’immigration, le racisme, le chauvinisme, les normes sexuelles et le militarisme naissant. Par exemple en Allemagne les bactériologistes tentèrent de nettoyer les zones de déploiement militaire identifiées comme devant être empruntées pour envahir la France en testant les communautés, en établissant des listes de porteurs sains et en plaçant certaines personnes en isolement dès 1904. Les populations habitant dans le centre du Reich échappèrent à ces contraintes mais les autorités militaires nourrissaient quelques scrupules en ce qui concernait la mise en place de ces mesures dans les zones jouxtant la frontière française sous un prétexte strictement militaire. Pendant toute la première guerre mondiale les soldats allemands étaient examinés en routine et les porteurs sains potentiels issus de région où des épidémies de typhoïde avaient eu lieu par le passé ne pouvaient pas être enrôlés dans l’armée. Encore une fois personne n’était traité sur le même plan d’égalité comme certaines population d’origine juive de l’est du Reich régulièrement accusées d’être des porteurs sains susceptibles de répandre la maladie.

Capture d’écran 2019-11-04 à 16.03.16.png

Aux USA Mary Mallon, une immigrante irlandaise surnommée plus tard « Typhoid Mary », devint la porteuse saine la plus connue après avoir infecté les familles pour lesquelles elle faisait la cuisine. Elle fut placée en quarantaine entre 1907 et 1910 et à nouveau internée de 1915 jusqu’à sa mort en 1936 après avoir enfreint les conditions de sa remise en liberté en exerçant à nouveau le métier de cuisinière sous un nom d’emprunt (illustration datant de 1909). Les autorités britanniques quant à elles enfermèrent en majorité des « porteuses saines » présumées sous le prétexte qu’elles n’étaient pas saines d’esprit car elles ne comprenaient pas pourquoi elles étaient obligées de se soumettre à des mesures sanitaires strictes. Beaucoup d’entre elles furent isolées dans l’asile de fous Long Grove situé à Epsom entre 1907 et jusqu’en 1992. Depuis cette date de sérieux doutes au sujet de la réelle folie de ces femmes émergea dans l’opinion.

Le déclin de la maladie s’accentua par la suite et les cas de porteurs sains mis en isolement ne firent plus que très rarement la une des journaux. À la fin de la seconde guerre mondiale les espoirs d’éradication de la maladie s’amplifièrent comme en Europe et en Amérique du Nord avec des installations d’épuration des eaux usées fonctionnant bien, la chloration de l’eau, la surveillance scrupuleuse des cas de typhoïde et du devenir des porteurs sains, avec la vaccination et l’arrivée des thérapies antibiotiques efficaces pour les victimes de la maladie (chloromycétine en 1948) et les porteurs sains (ampicilline en 1961) cette maladie devint progressivement une menace négligeable. Bien que des cas de typhoïde furent constatés comme par exemple sur des gros bateaux de croisière, dans des stations balnéaires et accessoirement dans des villes focalisèrent l’opinion publique car cette maladie devint de plus en plus une maladie du passé, héroïquement vaincue par les actions sanitaires de grande ampleur et les progrès de la médecine. Il n’y avait donc pas vraiment de raisons de se soucier d’une réemergeancee de cette maladie en faisant entièrement confiance à la science oeuvrant pour son éradication définitive.

Une division infectieuse.

En réalité cette confiance aveugle était une erreur. Si la typhoïde avait pratiquement disparu des pays riches elle restait endémique dans la plupart des autres pays du monde. Durant la deuxième partie du XXe siècle, la division infectieuse fut renforcée par une relative désinvolture des campagnes d’éradication de la maladie. Il aurait fallu des investissements de grande ampleur pour procurer aux « pays du sud » une source sure d’eau propre et potable, pour organiser des usines de retraitement des eaux usées et la mise en place de structures médicales appropriées pour, sur une longue période, maîtriser non seulement la typhoïde mais également bien d’autres maladies dans le sud global. Or ces investissements restent non coordonnés et largement insuffisants. Plutôt que de s’occuper de ce problème les pays riches n’ont eu d’autre objectif que de protéger leurs propres populations prioritairement avec la vaccination, les antibiotiques et en mettant en place des régulations de bio-sécurité pour éviter que des voyageurs et des migrants importent la typhoïde. Cette stratégie économiquement rentable sur le court terme s’avérera extrêmement coûteuse sur le long terme. Pendant la guerre froide autant les pays occidentaux que ceux du bloc de l’est aidèrent les « pays du tiers-monde » que ce fussent des aides gouvernementales ou via des organisations non gouvernementales pour maîtriser des maladies très dévastatrices comme la malaria ou la variole, autant la typhoïde fut plutôt délaissée. Et pendant ce temps-là l’accroissement des populations des pays du sud aggrava les problèmes d’accès à une eau de qualité, mais aussi l’accès à la santé et, combinés au retard pris pour développer des structures adaptées pour la santé comme les hôpitaux et les dispensaires, cet ensemble de circonstances fit le lit pour un développement parfait de la typhoïde dans les pays du sud. De plus l’utilisation intensive d’antibiotiques pour juguler les épidémies locales favorisa l’apparition de souches résistantes.

Accroissement continuel des cas de typhoïde.

En 1967, des biologistes en Grèce et en Israël signalèrent l’isolement d’une souche de S.typhi avec résistance au chloramphenicol transmissible à d’autres souches. La même année des experts britanniques analysant des souches de S.typhi provenant du Koweit notèrent une résistance transmissible horizontalement non seulement contre le chloramphenicol mais également contre l’ampicilline et les tétracyclines. Cinq ans plus tard une sérieuse épidémie à Mexico City qui affecta plus de 100000 personnes révéla que la souche était multirésistante mais heureusement encore sensible à l’ampicilline. Des résultats similaires furent signalés par l’Inde et le Vietnam. La réponse des pays occidentaux fut à nouveau un renforcement des contrôles sanitaires des voyageurs et des campagnes de vaccination plutôt que de mettre en place avec les pays concernés des stratégies de grande envergure pour combattre les facteurs déclenchant ces épidémies dans les pays à faible revenu et favorisant l’apparition de nouvelles résistances aux antibiotiques. Les commentaires des pays occidentaux à propos des épidémies mexicaine et indienne furent une trop grande confiance aux antibiotiques pour juguler les épidémies et un usage inapproprié de ces derniers. Rarement les facteurs déclencheurs de ces épidémies furent évoqués, comme l’accès aux soins médicaux, la rareté d’une eau potable de qualité et des systèmes d’évacuation et de traitement des eaux usées adéquats et aussi, ironiquement, que la plupart des antibiotiques avaient été importés des pays occidentaux, les seuls producteurs de ces produits.

À l’évidence la priorité des pays occidentaux, encore une fois, était la bio-sécurité de leurs populations alors que la responsabilité collective mondiale n’était pas de leur ressort. De ce fait les aides financières, médicales et techniques de ces pays occidentaux restèrent limitées en regard des immenses contraintes apparues avec l’urbanisation, conséquence de l’accroissement de la population dans les zones à risque endémique. Et dans le même temps la principale préoccupation des pays occidentaux fut d’éviter « l’importation de souches résistantes étrangères » en consacrant des sommes d’argent conséquentes pour contrôler les frontières, les voyageurs et les migrants aux frontières : culturellement la typhoïde est une maladie réservée aux populations peu civilisées. En réponse à l’épidémie mexicaine les autorités sanitaires américaines ont non seulement renforcé leur contrôle des souches de S.typhi étrangères mais ils ont intensifié leur contrôle des population « hispaniques » locales tout en diabolisant les déplorables habitudes d’ « hygiène hispanique » même s’il n’existe aucune évidence scientifique à ce sujet.

Encore et toujours de la négligence.

Négliger tout effort international pour combattre la typhoïde a perduré au cours des années 1980 et 1990 et fut conforté par de nombreuses lacunes dans le système de surveillance sanitaire mondiale, une multitude de pays « du sud » n’étant pas pris en considération. De plus les décideurs accordaient beaucoup d’espoirs aux nouveaux traitements thérapeutiques. Les instabilités économiques et politiques provoquèrent un retour en arrière des systèmes de santé dans ces pays, par exemple dans les pays de l’ancienne sphère soviétique après la chute de l’URSS et aussi dans les pays en voie de développement dont les économies étaient sous la surveillance de la Banque Mondiale pour implémenter la politique de globalisation de l’économie. Par conséquent tous ces pays, sans services de santé adéquats puisqu’ils traversaient une crise économique parfois durable, n’eurent pas d’autre choix que de trouver des antibiotiques moins coûteux pour contrôler les épidémies. Ce phénomène coïncida avec la désaffection des grands laboratoires pharmaceutiques occidentaux pour la recherche de nouveaux antibiotiques, le retour sur investissements n’étant plus assuré, en d’autres termes les antibiotiques ne sont plus « profitables ». En 1988, une épidémie de typhoïde frappa le Cashmire et la bactérie se révéla être résistance aux trois principaux antibiotiques normalement utilisés. Des observations similaires furent communiquées en provenance de Shanghaï, du Pakistan et du delta du Mékong. Des études génétiques révélèrent qu’une grande partie des résistances était associées à la dispersion d’un haplotype spécifique ayant incorporé un groupe de gènes hérités simultanément. Les souches ayant acquis cet haplotype furent appelées séparément H58, se répandirent et dispersèrent cette résistance (dispersion génétique horizontale à l’aide de plasmides) non seulement contre les vieux antibiotiques de première ligne mais de manière croissante contre les antibiotiques gardés « en réserve » telles que les fluoroquinones et les céphalosporines. À la fin des années 1990 la majorité des souches isolées lors d’une épidémie qui frappa le Tajikistan étaient résistantes aux fluoroquinones puis des résistances sporadiques aux céphalosporines furent signalées au début des années 2000.

Capture d’écran 2019-11-04 à 19.38.06.png

L’épidémie actuelle qui sévit au Pakistan depuis 2016 est due à une souche ultra-résistante qui est un variant de H58 et n’est plus sensible qu’à un seul antibiotique, l’azithromycine. Il suffira d’une seule mutation supplémentaire pour que S.typhi acquiert une résistance totale à tous les antibiotiques connus à ce jour.

Nouvelle génération de vaccins.

Cette histoire discontinue de la typhoïde montre clairement les limites de la politique sanitaire adoptée tant au niveau local que régional ou international quand il s’agit de tenter d’arrêter la progression de la maladie aux frontières d’un Etat. Soit on justifie les actions menées en dehors de toute considération éthique ou de responsabilité collective, soit on met en avant l’intérêt particulier d’un Etat dans son devoir de protéger sa population. L’apparition des multi-résistances aux antibiotiques est une menace globale et elle ne pourra être appréhendée efficacement que dans le cadre d’une action internationale encore plus robuste. Fort heureusement une nouvelle génération de vaccins pourrait aider à circonscrire les épidémies récurrentes de typhoïde dans le monde entier. Le nouveau vaccin Vi conjugué (TCV, voir le lien) mis au point par la fondation Vaccine Alliance (Gavi) a passé avec succès les tests d’autorisation de mise sur le marché. Il s’agit du Typbar-TCV en dose unique autorisé dès l’âge de six mois qui a été récemment licencié en Inde, au Népal, au Cambodge et au Nigeria. D’autres vaccins sont en cours d’étude ou d’homologation. Le vaccin Typbar-TCV a été développé par la compagnie indienne Bharat Biotec et non dans un pays occidental, ce qui constitue une grande différence. Il a été conçu dans un pays frappé par des épidémies récurrentes de typhoïde. Ironie de l’histoire de ce vaccin, il a d’abord été testé sur des enfants en Grande-Bretagne. En 2017, une centaine de volontaires ayant été vaccinés avec ce produit ont bu un grand verre d’eau contaminée avec des S. typhi vivantes pour tester l’efficacité du vaccin. Ça se passait justement à Oxford où eurent lieu quelques années auparavant quelques cas de typhoïde et l’évènement encouragea le gouvernement britannique à préconiser la vaccination contre cette maladie.

On assiste donc à un complet retournement de situation dans la manière d’appréhender ce problème sanitaire. Ce sont les pays concernés qui en bénéficient en premier lieu et non pas l’inverse comme par le passé.

Un problème « bio-social ».

Les nouveaux vaccins sont, certes, prometteurs pour contourner le problème des résistances aux antibiotiques mais la question fondamentale de l’accès des populations à une eau potable de qualité reste pendant dans de nombreux pays. Le risque encouru avec ces nouveaux vaccins est de délaisser encore une fois les investissements nécessaires dans des infrastructures permettant aux populations d’avoir accès à une eau potable de qualité. Si on remonte à l’ « histoire » du combat contre la typhoïde on se rend compte de l’importance de la prise en charge de la lutte pour une eau propre. Elle commence au niveau des villages et des villes comme ce fut le cas jadis à Oxford. Chaque ville ou village devra développer son propre système de production d’eau de qualité. Ce qui manquera malheureusement toujours ce sont les aides financières. La Salmonella typhi s’est remarquablement bien adaptée à nos habitudes de vie et elle porte l’empreinte génétique des interventions humaines pour la combattre. Les combats futurs contre cette bactérie, qu’ils soient de dimension biologique ou sociale, ne pourront qu’être une combinaison raisonnée de l’ensemble de ces deux approches.

Traduction d’un article paru sur le site The Conversation

Illustrations : The Conversation

Liens : http://www.bbc.co.uk/history/british/victorians/boer_wars_01.shtml

https://academic.oup.com/cid/article/69/Supplement_5/S385/5587093

https://www.bbc.com/news/uk-scotland-north-east-orkney-shetland-26957972

https://cmr.asm.org/content/cmr/28/4/901/F5.large.jpg?width=800&height=600&carousel=1

https://www.gavi.org/library/news/press-releases/2017/millions-of-children-set-to-be-protected-against-typhoid-fever/

Le Prozac favorise l’apparition de multi-résistances des bactéries aux antibiotiques !

Capture d’écran 2018-09-15 à 10.50.05.png

Les Français sont les plus importants consommateurs d’anti-dépresseurs dans le monde, certes, parce que contrairement à d’autres pays l’usage de drogues dites « relaxantes » comme la marijuana maintenant de facto légale au Portugal ou aux Pays-Bas et de plus en plus d’Etats des USA ne le sont pas en France alors les Français se gavent de Fluoxetine, la matière active du Prozac. Mais comme l’ont découvert des biologistes de l’Université du Queensland à Brisbane (illustration) cette molécule, outre ses effets anti-dépresseurs, stimule les bactéries pathogènes pour s’armer contre l’attaque par des antibiotiques. C’est assez effrayant d’apprendre cela : les Français favorisent les multi-résistances bactériennes aux antibiotiques !

Lorsqu’une personne s’administre du Prozac, plus de 10 % de la matière active est rejetée par les urines. Il en est de même pour les contraceptifs mais c’est un tout autre sujet. Ces scientifiques du Centre d’étude de l’eau de l’Université du Queensland à Brisbane située dans un magnifique campus au bord de la Brisbane River en plein centre-ville se sont penché sur la teneur en Fluoxetine justement dans l’eau de la rivière toute proche. Une étude précédente avait montré que le Triclosan induisait des résistances aux antibiotiques chez les bactéries retrouvées dans les rivières. Le Triclosan se trouve dans la maison dans le dentifrice ou encore le savon liquide pour se laver les mains et de grandes quantités de ce produit se retrouvent dans les rivières. Jamais aucune étude ne s’était penchée auparavant sur un possible effet similaire de la Fluoxetine et ce qu’ont trouvé ces scientifiques est particulièrement inquiétant.

En utilisant des colibacilles (Escherichia coli) il a été montré que la Fluoxetine induisait des mutations chez cette bactérie qui la rend insensible à de nombreux antibiotiques. Alors que la souche K12 de coli utilisée était sensible à la plupart des antibiotiques, chloramphenicol, amoxicillin, tetracycline, fluoroquinolones, aminoglycosides ou encore beta-lactames, pour n’en citer que quelques-uns, après quelques semaines de culture en présence de Fluoxetine, la bactérie était devenue pratiquement résistante à tous ces antibiotiques. Il fallait désormais des doses 10 millions de fois plus élevées pour les tuer. En étudiant l’ADN de ces bactéries mutées par la Fluoxetine il est apparu que de nombreux gènes avaient été modifiés, en particulier les gènes codant pour des transporteurs situés dans la membrane de la bactérie qui rejettent alors les antibiotiques mais aussi divers facteurs de transcription avaient aussi été profondément modifiés.

Ce résultat est terrifiant pour deux raisons. Chaque année plus de 700000 personnes meurent d’infection devenues impossibles à traiter en raison de la résistance aux antibiotiques car cette résistance se transmet horizontalement entre bactéries d’espèces différentes. Mais il y a pire encore le Prozac semble être un mutagène du moins chez le colibacille et pourquoi ne l’est-il pas aussi pour un vulgaire staphylocoque ? Voilà un effet collatéral inattendu du confort médicamenteux dont beaucoup de personnes abusent sans imaginer un seul instant quel peut en être l’impact sur leur propre santé.

Source : The University of Queensland News, illustration : les Docteurs Min Jin et Jianhua Guo, auteurs de l’étude.

Malaria : Alerte Mondiale !

Capture d’écran 2018-04-18 à 11.30.12.png

Au nord de la province thaïlandaise de Trat qui borde le Golfe de Thaïlande se trouve du côté cambodgien la petite province de Pailin d’où ont émergé et apparaissent encore aujourd’hui des parasites de la malaria résistants à tous les produits connus à ce jour. Ce phénomène intrigue les spécialistes car les premières résistances à l’artémisinine sont apparues très rapidement et ceci dès 2005 à cet endroit précis. Dans la même région la résistance à la chloroquine apparut au milieu des années 1950 et il fallut moins de 30 ans pour que cette résistance arrive en Afrique après s’être répandue dans tous les pays d’Asie du Sud-Est. Comme la malaria tue près de 700000 personnes chaque année et principalement en Afrique, selon les dernières statistiques de l’OMS (WHO), la situation devient alarmante. Encore une fois c’est dans ce même coin du Cambodge que vient d’être détectée la première résistance aux nouveaux anti-malaria de la famille des sulfadoxines-pyrimethamines plus connues sous le nom de Fansidar efficaces contre le P. falciparum et dans une moindre mesure contre le P. vivax.

Capture d’écran 2018-04-18 à 11.08.00.png

Pourquoi toutes ces résistances prennent naissance au même endroit ? Est-ce une vengeance posthume du spectre de Pol Pot qui organisa ses massacres systématiques précisément depuis cet endroit ? C’est ce qu’insinuent certains Kmers des bourgades aux alentours de Pailin ! Les autorités cambodgiennes, thaïlandaises et vietnamiennes ont demandé à l’OMS de prendre des dispositions drastiques pour juguler l’expansion du P. falciparum résistant à tous les composés connus à ce jour à l’aide de moyens de grande ampleur car il en va de la survie des populations de la région, ce parasite étant déjà présent dans le delta du Mékong ainsi que dans de grandes parties de la Thaïlande et devenant la forme dominante. Il s’agit en effet d’un grave problème qui ne concerne plus seulement la péninsule indochinoise mais la planète entière.

La situation est également préoccupante en Malaisie en raison d’une envolée des cas de malaria provoqués par le Plasmodium knowlesi qui, bien qu’étant moins fatal que le P. falciparum, provoque néanmoins un grand nombre de décès car le parasite se multiplie beaucoup plus rapidement que les types falciparum ou vivax. Il existe deux réservoirs pour ce plasmodium, l’homme et le singe macaque, très commun tant en Thaïlande qu’en Malaisie et en Indonésie. Plus des deux tiers des cas de malaria sont provoqués en Malaisie par ce parasite qui n’affecte pas les macaques mais qui sont porteurs sains à plus de 80 % du parasite. La Fondation Bill & Melinda Gates, comme sur l’île de Zanzibar, a mis en place un suivi des populations de macaques vivant près des villages à l’aide de colliers émetteurs placés sur quelques-uns de ces animaux relativement familiers de l’homme et dont les signaux sont détectés par des drones qui effectuent également une cartographie des zones arborées et des étendues d’eau propices à la reproduction des moustiques. Il semble urgent de reconsidérer l’interdiction du DDT pour sinon éradiquer du moins diminuer le nombre de moustiques dans ces régions tropicales : 700000 morts par an c’est beaucoup … les populations des villes de Lyon et Marseille réunies ! Depuis l’interdiction du DDT en 1972 la malaria a provoqué la mort de plus de 30 millions de personnes dans le monde, soit la moitié de la population de l’Italie ou encore les deux tiers de celle de l’Espagne. Un grand merci aux mouvements écologistes.

Sources : Welcome Trust, WHO, Bill & Melinda Gate Foundation, illustrations The Guardian

Un monde sans antibiotiques pour bientôt ?

L’humanité toute entière est au bord d’un gouffre sanitaire incontrôlable en raison des résistances à tous les antibiotiques connus d’un nombre de plus en plus important de bactéries pathogènes. En Europe seulement plus de 25000 décès annuels sont provoqués par des infections intraitables, en particulier dans les hôpitaux, qui il y a quinze ans à peine étaient banalement éradiquées à l’aide de produits encore efficaces. Avant la deuxième guerre mondiale la tuberculose était la deuxième cause de décès et la pneumonie la quatrième. Durant les années 1950-1960 grâce à l’apparition de la pénicilline puis de la streptomycine et des sulfamides ces deux maladies souvent mortelles furent pratiquement éradiquées des pays de l’OCDE. La seule introduction de la pénicilline a permis de sauver des dizaines de millions de vies et d’allonger l’espérance de vie de plus de 10 ans.

Hélas des résistances ont vu le jour très rapidement car les bactéries se multiplient très rapidement aussi et elles mettent au point des stratégies de survie en dépit de la sophistication des molécules chimiques. De plus, entre la découverte d’une nouvelle molécule prometteuse au laboratoire et sa mise sur le marché il peut se passer plus de dix ans de recherche intensive et les laboratoires pharmaceutiques hésitent à investir des sommes importantes pour des résultats hautement aléatoires. La « mode » des antibiotiques pour soigner tout et n’importe quoi – y compris les maladies d’origine virale – a aggravé la situation et le corps médical fait partie des acteurs, il faut malheureusement le dire, favorisant l’apparition de résistances aux antibiotiques.

Enfin un autre facteur souvent ignoré du grand public est l’usage intensif d’antibiotiques pour les animaux d’élevage car ils favorisent la croissance de ces derniers. Les élevages constituent dès lors un terrain unique pour les apparitions de résistances quand on sait que 80 % des antibiotiques utilisés en médecine humaine sont aussi utilisés en usage vétérinaire. En Belgique par exemple il se vend 70 tonnes d’antibiotiques (seulement les matières actives) chaque année exclusivement pour l’élevage et en Suisse « seulement » 40 tonnes par an alors que ce pays n’est pas particulièrement inondé de fermes d’élevage intensif que ce soient des porcs, des poulets ou des bovins. J’ai recherché en vain des statistiques pour les USA et la France, elles sont introuvables et il semble que ce soit l’omerta totale pour ne pas effrayer les consommateurs de hamburgers, de cuisses de poulet, de jambon … et de saumon.

Il existe des alternatives aux antibiotiques, en particulier au niveau vétérinaire, comme les vaccins. Mais les campagnes d’opposition aux vaccins à usage humain ont rendu les éleveurs méfiants et la mise au point de vaccins est également longue et coûteuse. Le problème reste donc entier et il n’existe pas de solution miracle en vue.

Sur le plan strictement biologique la résistance aux antibiotiques provient soit d’une adaptation de la bactérie ciblée à cette substance étrangère, soit à l’acquisition d’un gène de résistance existant au préalable chez une bactérie d’une autre espèce. Il s’agit alors de transmission horizontale de cette résistance. Dans la première éventualité, si la cible est connue il est alors possible de modifier la molécule originelle pour que la bactérie ne puisse plus s’en accommoder mais toute modification d’une molécule déjà homologuée nécessite une nouvelle homologation, ce qui prend beucoup de temps (et d’argent). Quant aux transmissions horizontales, entre l’élevage, formidable usine à fabriquer des résistances et les rivières – et donc les sols – inondés d’antibiotiques présents dans les eaux usées que les stations d’épuration ne sont pas capables d’éliminer, la transmission horizontale des résistances a encore de beaux jours devant elle.

Cette peinture terrifiante d’un futur, très proche quoiqu’en pensent les décideurs, où les taux de mortalité en particulier infantile explosereront sans que l’on puisse exercer le moindre contrôle, nous ramènera dans les années 1930 quand on mourrait de tuberculose, les sanatoriums étaient de gigantesques mouroirs, et quand la moindre pneumonie emportait un enfant sur trois eh Europe, au Japon ou en Amérique du Nord.

Il reste un dernier point au sujet non plus de la résistance aux antibiotiques au sens strict du terme mais de la prescription abusive des antibiotiques trop considérés par le corps médical comme des médicaments de confort : l’affaiblissement des défenses immunitaires de l’organisme puisque ces médicaments ne lui permettent pas de construire la moindre réaction immunitaire le plus souvent durable et qui protégerait alors un individu contre une nouvelle agression bactérienne. Il s’agit là de l’autre aspect négatif de la prescription à outrance des antibiotiques. Bienvenue dans un monde sans antibiotiques où la sélection naturelle rejouera son rôle entier ? Peut-être, mais des centaines de millions sinon des milliards de personnes y perdront leur vie …

Inspiré d’un article paru sur RTSinfo. Illustration CDC

Spectaculaire résistance aux antibiotiques …

Capture d’écran 2016-09-19 à 12.55.57.png

La bactérie Escherichia coli aussi appelée colibacille mesure environ 2 microns de long et est munie de flagelles pour se déplacer. Elle se divise toutes les 20 minutes et c’est peut-être l’animal de laboratoire le plus étudié et également le plus utilisé dans l’industrie. Elle est cultivée sur des milieux nutritifs semi-solides dans des boites circulaires communément appelées boites de Petri. Ce n’est pas très spectaculaire et les cultures dégagent une odeur fade un peu écoeurante. Pourtant des biologistes de l’Université de Haïfa en Israël ont réalisé une expérience spectaculaire pour mettre en évidence le comportement de cette bactérie quand elle est soumise à des concentrations croissantes d’antibiotiques.

Plutôt que d’utiliser des boites de Petri classiques l’équipe de biologiste dirigée par le Docteur Roy Kishony a construit une immense boite de culture de 120 centimètres de long et de 60 centimètres de large constituée d’une couche de gélose opacifiée avec de l’encre sur laquelle a été étalée la couche de milieu semi-solide comprenant 9 zones dans lesquelles ont été incorporées des quantités croissantes d’antibiotique de zéro à 3000 unités de concentration minimale inhibitrice (MIC). Le processus de croissance des bactéries a été filmé à raison d’un cliché toutes les 10 minutes pendant une douzaine de jours soit environ 16000 générations, un temps d’évolution qui représenterait pour l’homme près de 500000 ans !

Chaque fois que les bactéries ont rencontré un concentration croissante d’antibiotique dans le milieu de culture leur croissance s’est arrêtée puis une bactérie a muté et a poursuivi sa croissance après avoir construit une résistance à l’antibiotique.

De proche en proche l’accumulation de mutations a permis aux bactéries d’envahir la totalité de cette immense boite de culture en s’adaptant au milieu de plus en plus hostile. Cette expérience spectaculaire montrait l’adaptation au trimethoprim avec une souche de coli sensible à cet antibiotique. Voici le lien d’un film réalisé durant près de 12 jours et accéléré 18000 fois : http://science.sciencemag.org/content/sci/suppl/2016/09/07/353.6304.1147.DC1/aag0822s1.mov

Plus intéressant encore, après avoir repéré sur les clichés les endroits où à partir d’une seule bactérie émergeait une nouvelle croissance, il a pu être possible de visualiser en quelque sorte l’arbre phylogénétique conduisant les bactéries à être de plus en plus résistantes à l’antibiotique comme le montre l’illustration ci-après dans laquelle la couleur des points représente le rapport entre le nombre de bactéries mutantes et le nombre de bactéries « sauvages » (wild type, WT), MIC étant la concentration inhibitrice minimale.

Capture d’écran 2016-09-22 à 07.59.54.png

Les biologistes ne se sont pas arrêté là malgré l’aspect spectaculaire de ces travaux. Ils ont analysé les mutations induites par la présence de l’antibiotique. Deux gènes ont subi des mutations, des SNPs, et ces gènes codent pour l’ADN-polymérase, l’enzyme qui sert à copier l’ADN lorsque la bactérie se divise, et un autre enzyme clé du métabolisme appelé dihydrofolate réductase et impliqué en particulier dans la synthèse des constituants de l’ADN.

Juste pour l’anecdote, les bactéries ont parcouru durant cette expérience à l’échelle humaine plus de 80000 kilomètres tout en étant soumises à un environnement de plus en plus hostile et en s’adaptant remarquablement à ce dernier.

Source et illustrations : Science doi : 10.1126/science.aag0822 article aimablement communiqué par le Docteur Kishony vivement remercié ici.

Désormais on ne dispose plus d’armes contre les bactéries multirésistantes

 

« Un temps arrivera quand la pénicilline pourra être achetée par n’importe qui dans les magasins. Alors il y aura un danger car l’ignorant pourra facilement se traiter avec de petites doses et exposant ses microbes à des doses non létales, ces derniers deviendront résistants ».

Alexander Fleming, lecture Nobel, 1945

Capture d’écran 2015-11-20 à 15.14.04.png

L’antibiotique de « dernier recours » dont les hôpitaux disposaient encore pour tenter de sauver des malades atteints de graves infections par des bactéries multirésistantes est devenu inefficace. Il s’agit d’une polymyxine appelée colistine qui était encore active car depuis près de 50 ans elle n’était plus utilisée en raison de sa toxicité. On l’a ressortie des tiroirs pour les traitements d’infections réfractaires à toutes les autres molécules connues mais par un effet du hasard, qui n’en est pas un comme on va le découvrir, une multitude d’autres bactéries outre le MRSA, le vilain staphylocoque doré multirésistant et bien d’autres bactéries sont devenues finalement résistantes à la colistine et vont se répandre partout.

Il faut peut-être mettre les points sur les i s’il en est encore temps … Malgré le fait que cet antibiotique ait été abandonné car il n’a jamais été recertifié selon les critères modernes – sa découverte remonte au début des années cinquante – et également car il est toxique pour les reins il s’en produit, tenez-vous bien, 14000 tonnes par an pour un usage exclusivement vétérinaire. On s’est aperçu en effet que si on administre cet antibiotique par exemple aux porcs dans les élevages intensifs comme en Chine, le premier consommateur de porc du monde, ces animaux grossissent plus rapidement. Comment ne pas comprendre qu’une telle pratique pourtant autorisée par les services vétérinaires chinois accélère la sélection des bactéries vers une résistance.

Le fait nouveau en ce qui concerne la colistine est que l’acquisition de la résistance à cet antibiotique était jusqu’alors chromosomique, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait pas se transmettre à d’autres bactéries, jusqu’à cette découverte de la transmission à d’autres bactéries, on parle alors de transmission horizontale. Le gène de résistance n’est plus chromosomique mais présent dans un petit ADN circulaire appelé plasmide qui est facilement transmissible à n’importe quelle autre bactérie par simple contact.

Les autorités sanitaires chinoises ont été prises de court par ce fait nouveau. Des analyses ont montré que des bactéries communes mais potentiellement dangereuses comme Escherichia coli avaient acquis ce gène de résistance, 166 souches sur les 804 analysées après prélèvement sur des porcs. Pire encore, sur 523 échantillons de viande crue 78 souches ont été identifiées comme résistantes aux polymyxines. La résistance a déjà atteint les hôpitaux de Guangzhou. Seize souches de E.coli et de Klebsiella pneumoniae résistantes à la polymyxine ont été repérées sur 1322 malades !

Le pire est à venir car cette résistance nouvelle amplifie le gène appelé NDM-1 qui code pour un enzyme du nom de New Delhi metallo-beta-lactamase-1 et rend les bactéries quasiment résistantes à tous les antibiotiques connus dont les carbapenems. Par exemple des souches de Pseudomonas aeruginosa, une bactérie opportuniste qui provoque de nombreuses infections, ont également été détectées en milieu hospitalier comme résistantes aux polymyxines dont la colistine.

Alors qu’on nous terrorise par la propagande du changement climatique, ne faudrait-il pas agir dès à présent sur le risque bien plus terrifiant que constitue l’usage d’antibiotiques dans les élevages car il s’agit d’une menace mondiale pour la santé et pas seulement en Chine mais également en Europe, en Amérique du Nord ou encore en Australie. Tous les animaux d’élevage sont concernés y compris les truites et les saumons !

Source : Wired

Du nouveau dans la résistance aux bactéries pathogènes : le cas des Indiens Yanomami

Capture d’écran 2015-04-21 à 08.49.42

C’est une très intéressante découverte, qui plus est inattendue, qui a été réalisée par une large collaboration entre diverses universités et institutions de recherche américaines et l’Université Centrale du Venezuela à Caracas. Les Indiens Yanomami vivent dans les régions montagneuses de la forêt amazonienne du Vénézuela et n’ont que très peu de contacts avec le monde que nous qualifions de civilisé. Ce sont des chasseurs-cueilleurs comme nos très lointains ancêtres l’étaient encore il y a plus de 6000 ans, avant l’apparition des premières tentative d’agriculture qui bouleversèrent les modes de vie. Les Yanomami sont en effet des nomades car leur mode de vie les y obligent dans la mesure où il ne leur est pas permis d’épuiser le gibier ou de sur-exploiter les plantes et racines comestibles dans un endroit donné. Les écologistes diraient qu’ils pratiquent une économie cent pour cent renouvelable, mais ce n’est pas le sujet de ce billet. L’occidentalisation du monde dans lequel nous vivons a progressivement modifié notre relation, disons intime, avec les bactéries qui vivent sur nous et à l’intérieur de notre corps. Non seulement l’alimentation a déséquilibré ce qu’on a coutume d’appeler maintenant notre microbiome et l’utilisation relativement récente d’antibiotiques a contribué à ce déséquilibre. Or une interaction équilibrée entre notre organisme, du moins la peau, les orifices naturels et leurs muqueuses et les intestins, est importante pour préserver l’ensemble de notre physiologie y compris nos réponses immunitaires, notre homéostase métabolique et même notre comportement. On pratique ainsi depuis peu des transplantations de « microbiote » pour rééquilibrer l’état physiologique de certaines personnes. Ce qui a été découvert chez ces Indiens est tout à fait surprenant et mérite qu’on s’y attarde tant les développements envisageables sont porteurs d’une multitude d’espoirs pour la médecine.

Les Indiens Yanomami habitent dans des contrées qui ne sont toujours pas cartographiées précisément et n’ont aucun contact durable avec l’extérieur et ils ont un style de vie qui ne les a jamais exposés aux antibiotiques. Ils ont donc développé leurs propres défenses. On sait que des bactéries résistantes aux antibiotiques modernes existaient déjà en des temps reculés par analyse du génome de certaines bactéries retrouvées dans des dents de nos lointains ancêtres. Il s’agit de gènes codant pour des enzymes préexistants qui ont évolué au cours du temps pour produire de véritables machines à détruire les nouvelles molécules inventées dans les laboratoires. L’analyse de prélèvements effectués dans la bouche, les mains et les selles d’une vingtaine d’habitants d’un village encore inconnu de la haute vallée de l’Orénoque et tout à fait stupéfiant. Les analyses ont été effectuées comme c’est devenu une routine par séquençage de l’ARN ribosomal 16S et comparées avec ce qui existe dans les banques de données de séquences. Il se trouve que les bactéries prélevées présentent la diversité la plus élevée qu’on n’ait jamais encore rencontré pour la peau et les selles dans le monde depuis la généralisation de cette technique rapide et très fine de taxonomie. Pour ce qui concerne les bactéries intestinales des Yanomami il a été observé une grande richesse en Prevotella mais une pauvreté d’espèces du genre Bacteroides comme les Indiens Guahibo et des peuplades de chasseurs-cueilleurs du Malawi. En ce qui concerne les bactéries retrouvées dans la sphère buccale peu de différences avec un Américains lambda ont été notées et pour la peau les bactéries dominantes se sont trouvées être des staphylocoques, des corynébactéries, des neisseria et des propionibactéries, toutes connues pour leur pouvoir pathogène. Encore plus intéressant, parmi les souches d’E.coli identifiées toutes étaient sensibles à 23 antibiotiques testés au cours de cette étude mais 24 autres étaient résistantes à 8 antibiotiques, une résistance essentiellement conséquente à une sur-expression d’un gène particulier. Ces populations n’ont jamais été en contact avec un quelconque antibiotique tel que ceux utilisés dans le « monde civilisé » et pourtant les bactéries étudiés quant à leur génome possédaient les informations génétiques – et donc l’équipement enzymatique correspondant – pour prendre en charge efficacement les antibiotiques de dernière génération, nommément les céphalosporines et un monobactam.

Comment donc se développe cette résistance aux antibiotiques puisque ces Indiens Yanomami n’ont jamais été en contact avec des molécules dont l’inefficacité pose de réels problèmes ? Et comment ces mêmes personnes sont insensibles à des bactéries qui ravageraient des populations entières dans le monde évolué dans lequel nous vivons ? La réponse se trouve très probablement, selon les résultats de cette étude, dans l’extrême diversité, pour ne pas dire exotique (ce serait d’ailleurs un terme parfaitement approprié), de leur flore bactérienne commensale. Il semblerait dans une première approche que l’explication puisse se trouver dans la diversité du régime alimentaire car, à l’évidence, les chasseurs-cueilleurs ne mangent pas tous les jours les mêmes aliments. Un autre résultat intéressant de cette étude concerne la similarité étrange entre les flores bactériennes buccales de ces Amérindiens et les Américains – sans jeu de mots – qui a priori ne trouve pas d’explication. Pourtant, si les Yanomami ne se brossent pas les dents énergiquement plusieurs fois par jour mais se limitent à quelques gargarismes avec l’eau d’une rivière voisine, ils ont l’habitude de chiquer du tabac dès le plus jeune age ! Peut-être est-ce un indice de la faible diversité de leur flore bactérienne buccale.

L’intérêt de cette étude provient aussi du fait que les Yanomami sont restés isolés du monde pendant plus de 11000 ans, c’est-à-dire depuis l’arrivée de leurs ancêtres en Amazonie. Des divergences génétiques des bactéries seront nécessairement observées car en supposant un temps de doublement d’environ une heure pour les bactéries il y eut depuis cet isolement 100 millions de générations bactériennes sans beaucoup de migrations au sein de cette petite communauté contrairement à ce qui se passe dans le monde occidental. Il s’agit en quelque sorte d’une archive unique qui permettra d’expliquer les causes de l’apparition des gènes de résistance aux antibiotiques puisqu’ils se retrouvent déjà inscrits pour partie dans le génome de ces bactéries. Et ces résistances aux nouvelles molécules « modernes » peuvent résulter d’une adaptation génétique ou provenir d’un transfert horizontal à partir d’autres microorganismes du sol ou des végétaux ou encore par mutation des régions de l’ADN dites régulatrices induisant une sur-expression de ces gènes de résistance.

http://advances.sciencemag.org/content/1/3/e1500183

http://advances.sciencemag.org/content/advances/suppl/2015/04/14/1.3.e1500183.DC1/1500183_SM.pdf