Les hallucinations auditives : le mystère est (presque) levé.

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Entendre des voix est un phénomène classé par le corps médical dans le registre des hallucinations et selon les spécialistes de la question ce n’est pas aussi rare qu’on pourrait le croire. Pour tenter de comprendre quelles sont les motivations inconscientes (ou conscientes) conduisant un sujet à avoir des hallucinations auditives un médecin et deux de ses étudiants de la faculté de médecine de Manchester (UK) ont organisé une sorte de recrutement de personnes entendant des voix dans la région et ont fini par rassembler avec peine 40 participants en utilisant tous les canaux d’information disponibles y compris en faisant appel aux congrégations religieuses et aux psychiatres. Toutes ces personnes d’un age moyen de 39 ans, majoritairement des blancs se répartissant presque à égalité entre femmes et hommes ont signé un document autorisant les chercheurs à poursuivre leurs travaux et dans ce cadre à leur fournir tous les renseignements utiles.

Vingt-deux participants relevaient de situations psychiatriques bien identifiées et furent analysés séparément. Il s’est agi de quantifier l’hallucination auditive en termes d’intensité des voix entendues, de degré de plaisir, de satisfaction ou au contraire de détresse provoqués par cette hallucination. Plus délicate fut l’appréciation de la relation entre les hallucinations et le but recherché par le sujet dans la mesure où pour le corps médical ces hallucinations répondent à un désir ou à un objectif bien précis et qu’elles ne sont pas provoquées par l’intervention d’une force surnaturelle. Les participants furent donc sollicités pour réaliser une introspection susceptible d’éclairer les médecins quant à leur motivations intimes provoquant ces hallucinations. Dans beaucoup de cas il s’est avéré que la situation que vivaient ces personnes était liée à une détresse émotionnelle, en particulier en ce qui concernait les sujets étudiés relevant d’une thérapie psychiatrique relative le plus souvent à une schizophrénie bien diagnostiquée. Mais ces hallucinations pouvaient également être provoquées par le désir d’ « entendre » une voix douce et rassurante uniquement par satisfaction sans qu’il existe par ailleurs une quelconque détresse émotionnelle.

Cette étude reste, certes, limitée en ce qui concerne le nombre de participants – des gens qui entendent des voix ça ne coure pas les rues – mais elle a eu le mérite de montrer qu’entendre des voix était un mécanisme lié à l’expérience personnelle actuelle de chaque individu. Un participant a déclaré entendre une voix le prier de travailler avec acharnement pour réussir ses examens à l’Université … Cette approche a démystifié ce symptôme tout aussi bénin que le somnambulisme en ce qui concerne les sujets dont la santé psychique n’est pas mise en cause. Quid des bergères de Fatima et de celle de Lourdes, quid de Jeanne la Pucelle, de Paul sur le chemin de Damas ou encore de Blaise Pascal ? Y a-t-il des médecins au Vatican ?

Source : Psychology and Psychotherapy, doi : 10.1111/papt.12135 en accès libre, illustration Bernadette Soubirou (Wikipedia)

Mutations et maladies psychiatriques, un début d’explication

L’ADN, cette énorme molécule support de l’hérédité qui se trouve dans le noyau des cellules, subit au cours de sa copie, lors de la multiplication cellulaire, des erreurs un peu comme les copistes des monastères du Moyen-Age dont la vue pouvait être déclinante introduisaient des erreurs qu’on appellerait aujourd’hui typographiques. Avec l’ADN, c’est exactement la même situation. Au cours de la multiplication cellulaire, en particulier au stade embryonnaire, il faut qu’en un temps record cette énorme molécule soit recopiée à chaque division et c’est souvent à ce moment-là que des erreurs s’introduisent. Si l’erreur introduite dans une séquence codante pour une protéine vitale conduit à une lecture erronée, ça peut être grave, c’est par exemple le cas de la thalassémie, un défaut de l’hémoglobine, mais comme l’ADN comporte également de nombreuses zones non codantes mais intervenant dans divers processus de régulation, des erreurs peuvent résulter en des effets insoupçonnés. Cette mauvaise copie s’appelle SNP, acronyme de Single Nucleotide Polymorphism bien décrit par la figure ci-après (Wikipedia) où l’on voit le changement d’une seule des « bases » A, T, G ou C.

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Heureusement que chaque gène comporte deux copies et que le code génétique est quelque peu dégénéré en ce sens que plusieurs codons de trois bases peuvent avoir la même signification quand ces SNPs ont lieu dans des régions codantes, mais pour les régions non codantes de l’ADN, c’était un peu le mystère jusqu’à la généralisation d’automates de séquençage ultra-rapides qui permettent de relier maintenant les SNPs à l’occurrence de diverses pathologies, en particulier psychiatriques. Il faut oublier les déclarations tonitruantes des journalistes en mal de scoop qui relataient le fait qu’on avait découvert Le Gène de l’homosexualité ou Le Gène de l’alcoolisme. Il s’agissait d’une grave erreur d’interprétation car on sait maintenant qu’une pathologie donnée, dont la cause initiale comme par exemple pour la thalassémie pour reprendre cet exemple, est induite par une multitude de SNPs le plus souvent dans des zones non codantes de l’ADN. C’est ce qui ressort d’une vaste étude collaborative réalisée par les laboratoires de recherche de 20 pays pour tenter d’établir un lien entre divers désordres psychiatriques et les SNPs les plus courants dont la banque de données la plus récente en répertorie plus de 50 millions. Plutôt que de classer arbitrairement les maladies psychiatriques l’étude des SNPs a permis au contraire d’établir des corrélations troublantes entre ces maladies.

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Pour rendre l’illustration plus lisible, il faut décoder, sans jeu de mot, la signification des diverses abréviations utilisées – les scientifiques adorent les abréviations parce qu’ils peuvent raconter en un espace restreint beaucoup plus de choses – chacune étant une des principales maladies ou désordres psychiatriques. ADHD (Attention Deficit Hyperactive Disorder) est le désordre d’hyperactivité et de manque d’attention surtout observé chez les enfants, c’est un trouble comportemental qui disparaît souvent lors de l’adolescence. BPD (trouble bipolaire) maintenant relativement bien circonscrit grâce à des traitements à base de lithium, SCZ ou schizophrénie, l’un des troubles psychiatriques le plus grave, MDD (Major Depressive Disorder) la dépression nerveuse et enfin ASD, l’autisme. L’ADN de plusieurs milliers de malades présentant les troubles listés ici a été entièrement séquencé et les SNPs ont été comparés en détail. Les barres vert foncé indiquent le taux de similitude des SNPs pour chacun des cinq principaux désordres psychiatriques. Par exemple, pour le trouble bipolaire (BPD) 25 % des SNPs se situaient sur des points identiques de l’ADN ce qui est une corrélation modeste mais pessimiste si on rapproche ce résultat des études réalisées avec des jumeaux homozygotes ou des cohortes familiales prédisposées à de type de trouble qui montrent en réalité une héritabilité de plus de 75 %. Un tel résultat indique que de nombreux autres facteurs déclenchants restent encore inconnus. Il en est de même pour la schizophrénie (23 % par analyse des SNPs, 81 % chez les jumeaux), pour les troubles d’hyper-activité, 28 et 75 %, l’autisme, 14 et 80 % et enfin la dépression 14 et 37 %, ce qui montre clairement que la dépression nerveuse est la moins bien corrélée et donc beaucoup plus liée à des facteurs externes et non génétiques, ce qui paraît compréhensible : les enseignants des écoles, en France, sujets à des dépressions nerveuses récurrentes, n’ont heureusement pas tous des gros problèmes de SNPs aggravants ! Un autre résultat intéressant de cette étude est l’absence de corrélation entre la schizophrénie et l’autisme comme n’importe quel psychiatre peut le comprendre aisément mais par contre une assez bonne concordance entre l’autisme (ASD) et le désordre d’hyper-activité (ADHD), deux symptômes qui pourraient avoir des causes communes au niveau, au moins, des SNPs. Ces corrélations sont indiquées par les barres vert clair de la figure reproduite à partir de la News Letter du NIMH (National Institute of Mental Health) mais ces résultats devront être affinés sur un échantillon de plusieurs dizaines de milliers de personnes, la présente étude ayant impliqué seulement quelques milliers de personnes.