Le parasitisme chez les oiseaux, une affaire de mémoire

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En Europe les oiseaux qui parasitent les nids d’autres oiseaux font partie de la famille des coucous et dans les Amériques c’est le « vacher » (Molothrus alter illustration ci-dessus) qui se livre à ce genre de comportement. Jusqu’à une étude récente réalisée en Argentine on ne savait pas trop comment le vacher à tête brune (en anglais cowbird) s’y prenait pour aller déposer un oeuf au bon moment dans le nid de son hôte préféré le moqueur (Mimus saturninus, illustration ci-dessous), en anglais mockingbird. Le vacher se nourrit des insectes dérangés par les bovins lorsqu’ils broutent. Or il lui faut parasiter le nid d’un autre oiseau car il se déplace avec ces ruminants et ne peut donc pas, de par son habitude alimentaire, s’occuper de sa couvée. Il dépose le plus souvent un seul oeuf dans le nid d’un moqueur qu’il a soigneusement repéré car il lui faudra déposer cet oeuf au bon moment quand le moqueur aura tout juste commencé à pondre et il faut qu’il (la femelle) s’accouple pour féconder l’oeuf et attendre de pondre cet quand sa coquille est formée.

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Pour l’anecdote le moqueur (mockingbird) est appelé ainsi car il est capable d’imiter parfaitement le chant de bien d’autres oiseaux. Pour l’anecdote encore qui ne se souvient pas de l’immense film de Robert Mulligan « To Kill a Mockingbird » avec Gregory Peck dans le rôle d’un avocat défendant un noir accusé de viol (1962). Bref, on ne sait pas trop pourquoi le vacher choisit précisément le moqueur pour le parasiter, probablement parce que ces deux oiseaux sont de taille sensiblement identique. Le coucou a plutôt tendance à parasiter le nid des pies, un oiseau de la famille des corvidés remarquablement intelligent qui ne saisit pourtant pas ce qui lui est arrivé …

Pour comprendre comment les choses se passent une équipe de zoologistes de l’Université de Buenos-Aires a capturé des femelles de vacher et les a équipées d’un tout petit émetteur qui envoie des « bips » toutes les deux secondes pendant environ trois semaines. À l’aide d’antennes réparties sur le territoire d’étude l’analyse de l’intensité des signaux et le lieu de leur provenance par goniométrie il a été possible de suivre très précisément les agissements exploratoires du vacher. Il repère les nids en construction et quand il a compris que l’un des nids était terminé cela signifiait que le moqueur allait commencer à pondre. Selon les diverses femelles étudiées, une trentaine, il est apparu comme l’indique l’illustration ci-dessous que chaque oiseau n’avait pas tout à fait le même comportement dans le temps.

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Par exemple la femelle 2681 a inspecté le nid du moqueur depuis moins de 10 mètres le jour même où la ponte a débuté (temps zéro dans l’échelle de temps) et a déposé son oeuf le lendemain (flèche orientée vers le bas). La femelle 2874 par contre a fait plusieurs visites les trois jours précédant le début de la ponte du moqueur et a curieusement attendu 4 jours pour venir parasiter le nid en effectuant quotidiennement des visites de près (moins de 10 mètres) comme de plus loin. Quant à la femelle 3850 il ne lui a fallu que deux visites pour comprendre qu’il était favorable de venir parasiter le nid deux jours après la première ponte. L’étude détaillée des allers et venues des vachers a indiqué en outre qu’ils faisaient preuve d’une mémoire spatiale et temporelle très précise car ils ne repèrent pas seulement un unique nid « parasitable » au bon moment, ils se ménagent en quelque sorte un certain choix. Enfin, à l’aide de petites caméras vidéo l’étude a également montré que le vacher ne dédaignait pas revenir inspecter le nid parasité et éventuellement détruire quelques-uns des oeufs de l’hôte pour mieux assurer la couvaison du sien. Ce comportement a fait l’objet de nombreuses études d’où il est ressorti que cette attitude est risquée puisque le vacher peut se tromper d’oeufs et également détruire le sien. Au cas où le moqueur abandonne son nid quand il a été dévasté par le vacher, ce qui n’arrive heureusement pas de manière systématique, le vacher ira alors à la recherche d’un autre nid à parasiter. Extraordinaire comportement de ces oiseaux parasites …

Source et illustration : Behavioral Ecology and Sociobiology, doi : 10.1007/s00265-016-2250-8, autres illustrations Wikipedia (en tête d’article le vacher, dans le texte le moqueur.

Le virus de l’hépatite B existait déjà il y a 80 millions d’années

Le virus de l’hépatite B est considéré comme la deuxième cause de cancer après la cigarette et il affecte tous les primates. La persistance de l’ADN du virus même après de longues périodes de guérison reste une énigme mal expliquée et serait la cause de l’apparition de cancers du foie le plus souvent mortels. On connait la séquence de l’ADN de ce virus qui est transmissible par le sang, les contacts sexuels non protégés (surtout dans les pays à risque), l’utilisation de seringues souillées, et s’il est 100 fois plus contagieux que le virus de l’immunodéficience (HIV ou SIDA) il existe tout de même un vaccin dont l’efficacité a été prouvée. Les machines modernes de séquençage de l’ADN ont récemment montré que des morceaux d’ADN du virus de l’hépatite se trouvaient intégrées dans le génome des oiseaux, de même que l’ADN humain contient de nombreuses séquences d’origine virale dont seulement une partie a été étudiée en détail à ce jour. Quand une portion d’ADN viral s’insère dans l’ADN de l’hôte, elle se fige et n’est plus soumise qu’à de très faibles taux de mutation. Cette insertion est facile à imaginer puisque l’ADN viral est en partie recopié dans le noyau de la cellule hôte en utilisant également la machinerie de l’hôte et des erreurs peuvent naturellement apparaître comme des insertions et si elles ont lieu au niveau des cellules germinales, on retrouvera longtemps après l’évènement d’insertion ces séquences d’ADN. C’est ce genre d’étude qui a été entrepris avec l’ADN des oiseaux, en particulier des diamants mandarins, des oiseaux originaires d’Australie.

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En remontant l’arbre philogénétique des oiseaux – en quelque sorte l’arbre généalogique reliant les espèces d’oiseaux entre elles – on a pu ainsi déterminer que l’ADN viral avait été inséré dans l’ADN de l’ancêtre de ces oiseaux il y a plus de 80 millions d’années. En approfondissant l’étude, il a pu être déterminé quand exactement les fragments s’étaient inséré dans l’ADN des oiseaux.

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On peut se demander quelle est l’utilité de ce genre d’étude mais il faut replacer l’évolution dans son contexte, il y a 80 millions d’années, il y avait encore des dinosaures dont l’extinction brutale survint quelques 15 millions d’années plus tard, il y avait donc des ancêtres des oiseaux du genre ptérodactyle mais il n’y avait pas encore vraiment de mammifères. Les séquences d’ADN viral que l’on retrouve aujourd’hui chez les oiseaux constituent donc des fossiles vivants très précieux pour comprendre l’évolution du virus de l’hépatite B. D’après les études réalisées à l’Université de Münster en Allemagne le transfert du virus de l’oiseau vers l’ancêtre commun à tous les primates dont l’homme eut lieu vers la fin du Myocène, il y a environ dix millions d’années mais qu’il y eut peut-être aussi un transfert bien plus ancien, lorsqu’il y eut la première divergence entre les oiseaux primitifs et les tout premiers mammifères placentaires. Ce qui est le plus surprenant est qu’en assemblant les séquences d’ADN viral présentes chez les oiseaux les généticiens qui se sont autoproclamé paléovirologues sont retombé sur une séquence d’ADN remarquablement proche de celle du virus actuel qui infecte l’homme à une petite différence près mais de taille, la séquence aviaire préhistorique ne contient pas de séquence codant pour la protéine X aussi nommée HBx, celle-là même qui rend le virus carcinogène en perturbant la réplication de l’ADN des cellules du foie et qui est nécessaire également à la multiplication du virus dans ces cellules hépatiques. Les auteurs de cette étude insistent sur le fait que ce type de recherche peut aider à comprendre les mécanismes de spécificité des virus pour un hôte précis, en ces temps où la crainte d’une pandémie virale mondiale pourrait faire des centaines de millions de morts. La paléovirologie n’en est donc qu’à ses débuts … prometteurs.

Source : Westfälische Wilhelms-Universität Münster via The Guardian, crédits photos et illustration : The Guardian