
Les dernières migrations en provenance d’Afrique de nos ancêtres proches (Homo sapiens sapiens) sont sujettes à débat. Pour « sortir » d’Afrique il fallait bien que ces gens, en tous points semblables à nous-autres contemporains, puissent se nourrir au cours de leur long périple. Les vagues d’émigrations arrivèrent vers la corne de l’Afrique puis se retrouvèrent dans la péninsule arabique, on ne sait pas trop comment, probablement sur des radeaux après avoir traversé le détroit d’Aden. Or aujourd’hui ces contrées sont essentiellement désertiques et qui veut les traverser à pied sans ressource en eau ni ravitaillement s’expose à une mort certaine. À l’époque, nos lointains ancêtres, des chasseurs-cueilleurs, des migrants qui ne transportaient pas leur grain pour semer quand ils trouveraient un endroit favorable à la culture car l’agriculture n’existait pas encore faute de savoir-faire, devaient donc trouver leur subsistance sur leur parcours et qui dit subsistance dit aussi pluies parce que sans eau rien ne pousse et rien d’animal ne vit.
Selon les études réalisées à ce jour deux hypothèses ou scénarios se valent mais se contredisent. Les uns pensent que notre ancêtre direct a quitté l’Afrique vers 50 à 60000 ans avant notre ère. L’autre école penche plutôt pour des vagues successives s’étalant entre 130 et 50000 ans avant notre ère quand les conditions climatiques étaient favorables, ce qui ne fut pas toujours le cas. Pour reconstituer les conditions climatiques de l’époque il existe plusieurs approches comme le carottage glaciaire au Groenland et dans l’Antarctique mais également l’étude des carottes des sédiments marins riches en indications permettant de remonter aux températures et à la pluviométrie. Ce sont ce qu’on appelle les proxies qui comprennent la teneur en oxygène-18, en carbone-14 et en d’autres éléments comme les grains de pollen, les squelettes de planctons ou encore les couches sédimentaires sombres appelées sporapels correspondant à un appauvrissement en oxygène des eaux profondes résultant elles-mêmes d’un réchauffement en surface. On peut ainsi reconstituer assez précisément l’évolution du climat ancien. Et dans la période qui fut le théâtre des migrations « Out of Africa » via la péninsule arabique, la chronologie isotopique appelée MIS pour Marine Isotope Stages a montré clairement une succession de périodes climatiques favorables à ces migrations. La péninsule arabique a, entre des intervalles de quelques dizaines de milliers d’années, bénéficié d’un climat clément et pluvieux correspondant à des variations de la mousson. On a pu grâce aux MIS bien décrit dans la littérature scientifique (voir par exemple : http://onlinelibrary.wiley.com/enhanced/doi/10.1029/2004PA001071/ ) remonter le temps avec la teneur en oxygène-18 des squelettes de plancton dans les sédiments marins – plus il y a d’O-18 plus l’eau était chaude. La nomenclature des MIS est un peu déroutante mais schématiquement la numérotation impaire partant d’aujourd’hui correspond à des période chaudes ou interglaciaires et les numéros pairs aux périodes froides. Le MIS 1 couvre la période post-glaciaire du Würm de 14000 ans à nos jours, le Würm (71 à 12000 ans) succédant à la période glaciaire dite du Riss (130 à 115000 ans). Mais il ne faut pas croire que autant la période glaciaire du Riss que celle du Würm ont été toujours très froides. Il y a eu en effet des périodes relativement longues de climat plutôt clément comme l’ont montré les études des sédiments marins et les carottages tant dans l’Antarctique qu’au Groenland. Toutes ces indications ont été indirectement corroborées aux variations de pluviométrie dans la péninsule arabique parcourue périodiquement par des rivières et parsemée de lacs. En étudiant ce qui reste aujourd’hui de ce système aquatique, si l’on peut appeler les choses ainsi, une équipe dirigée par le Docteur Adrian Parker de l’Université d’Oxford a élucidé la faisabilité de la traversée de la péninsule arabique lors d’épisodes plus tempérés à l’intérieur de ces deux ères glaciaires prolongées. Il faut rappeler ici que les glaciations qu’a connu et connaîtra encore la Terre sont la résultante de la mécanique céleste décrivant l’orbite de la Terre, l’obliquité de l’axe de rotation de la Terre (période de 42000 ans), la précession des équinoxes (période de 23000 ans) et enfin l’excentricité de l’orbite terrestre d’une périodicité de 100000 ans. Les changements discrets qui se surimposent à ces trois composantes physiques majeures influant sur l’évolution du climat sont seulement dus aux variations de l’activité solaire.
Ainsi nos ancêtres n’avaient pas trop le choix pour se lancer à l’aventure sinon d’attendre … des milliers d’années pour bénéficier de conditions climatiques favorables. L’activation d’un système d’eaux douces dans la péninsule arabique a pu être daté avec une relative précision grâce à l’étude des sédiments alluviaux. Trois périodes climatiques favorables aux migrations humaines ont été déterminées : entre 160 et 150000 ans (MIS 6), entre 130 et 75000 ans (MIS 5) et enfin vers 55000 ans avant notre ère (MIS 3). Ces périodes correspondent à des accroissements de l’intensité des moussons durant des épisodes d’activité solaire soutenue (période de 23000 ans liée à la précession des équinoxes) sans corrélation évidente avec les périodes interglaciaires commandées par l’excentricité de l’orbite terrestre. Ces contrées, Djebel Sibetah et Faya, sont aujourd’hui d’arides déserts et les auteurs de l’étude en concluent que nos ancêtres migrateurs avaient des « fenêtres » climatiques favorables à leur expansion vers l’Asie puis l’Europe tous les 23000 ans ces deux cent mille dernières années.
Nous sommes donc issus d’un mélange de vagues migratoires consécutives et isolées les unes par rapport aux autres. Ce travail relance donc l’étude du brassage génétique entre Europe et Asie car 23000 années, ça fait un bail …
Hays, Imbrie et Shackleton écrivaient en 1976 (Science, Vol. 194, N° 4270, pp. 1121-1132) dans un article intitulé « Les variations de l’orbite terrestre étaient le pacemaker des âges glaciaires » la conclusion suivante : « Un modèle du climat futur basé sur les relations climat-orbite terrestre et ignorant les effets antrhropogéniques prédit que la tendance sur le long terme va dans le sens d’une glaciation extensive de l’Hémisphère Nord ». On ne peut pas être plus clair. Tous les 23000 ans, il nous reste encore quelque répit …
Source : Geological Society of America