On a coutume de dire qu’ « on a l’âge de ses artères ». C’est conclure un peu vite car l’extrait de naissance reste la meilleure preuve de notre âge. Et pourtant il n’en est rien dans notre corps et les biologistes et les généticiens s’accordent pour affirmer que notre âge biologique est bien corrélé avec la longueur de nos télomères. Mes lecteurs vont encore aller surfer sur d’autres sites puisque j’emploies des termes qu’ils ne comprennent pas et si je veux expliquer aussi clairement que possible ce qu’est un télomère, à coup sûr je serai amené à introduire d’autres termes plus compliqués et au final ce sera un abime d’incompréhension. Pour faire simple, les chromosomes sont porteurs des informations génétiques qui font que nous ne sommes pas des méduses ou des abeilles, il y en a 23 paires dont une paire dite chromosomes sexuels, soit un total de 46 dans chaque cellule. Et quand une cellule se divise, il faut tout de même qu’un certain ordre soit respecté pour ne pas créer une gigantesque pagaille et c’est pourquoi chaque chromosome est protégé à chacune de ses extrémités par un petit bout d’ADN spécial pour ne pas aller fusionner avec un autre chromosome, un peu comme les deux bouts de ficelle qui se trouvent aux extrémités d’un saucisson (voir l’illustration tirée de Wikipedia où les petits points blancs représentent les télomères repérés à l’aide de marqueurs fluorescents).
On s’est aperçu que plus on vieillissait (nos cellules ou en tous les cas celles qui se multiplient comme les cellules du foie, du sang ou des muscles) plus la longueur de ces télomères diminuait. Mesurer la longueur des télomères revient donc à déterminer l’âge cellulaire : plus ils sont courts plus on est « vieux ». Mais c’est vite dit puisque certaines cellules cancéreuses immortelles ont pourtant des télomères courts par comparaison avec des cellules normales et elles devraient mourir plutôt que se multiplier indéfiniment. Elles ont trouvé un moyen de protection contre la mort en exprimant une activité enzymatique qui régénère en permanence ces restes étriqués de télomères pour justement vivre plus longtemps. Mais les biologistes ne sont pas tout à fait satisfaits de cette méthode de calcul de l’âge cellulaire et le sont de moins en moins depuis la découverte de l’épigénétique dont j’ai parlé dans certains billets de mon blog ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2013/07/06/epigenetique-un-degre-de-complexite-cerebrale-supplementaire/ ) qui est une modification a posteriori des parties non codantes de l’ADN afin de modifier l’expression des gènes. L’épigénétique consiste en l’addition d’un groupement méthyle sur une cytidine de l’ADN précédant immédiatement une guanine et ce processus va modifier la reconnaissance de l’ADN par le promoteur du gène suivant cette séquence non codante. Même en essayant de faire simple tout paraît finalement compliqué ! Prenons un exemple, une fermeture Eclair dont l’une des dents est faussée ou manquante. Lorsqu’on voudra la fermer, la glissière va s’arrêter sur la dent faussée, elle pourra continuer si la dent est manquante, mais alors la fermeture Eclair risque de s’ouvrir toute seule. L’épigénétique, c’est exactement le même processus. La fermeture Eclair symbolise l’ADN et une dent faussée ou manquante une des bases de l’ADN, en l’occurrence une cytidine, méthylée. Le promoteur, la glissière dans cette comparaison, s’arrête et empêche l’expression du gène, l’ADN ne peut pas être transcrit en ARN messager qui devait coder pour la synthèse d’une protéine. Le fonctionnement de la cellule s’en trouve alors modifié. Ce processus de méthylation s’accumule au cours du temps grâce à un équipement particulier de la cellule appelé système de maintenance épigénétique qui contrôle en fait le degré de méthylation de l’ADN, ni trop ni trop peu en quelque sorte. Le Docteur Steve Horvath de la UCLA School of Medicine s’est intéressé de très près à ces méthylations de l’ADN en compilant 8000 échantillons provenant de 82 sources de séquences d’ADN méthylé concernant 51 tissus sains et en parallèle 6000 échantillons de cancers depuis 32 sources disparates correspondant à 20 types de cancers différents. Un travail de bénédictin en d’autres temps mais réalisé avec un ordinateur suffisamment puissant qui a permis d’établir une corrélation entre « l’âge des cellules » et le degré de méthylation de l’ADN en se focalisant sur 353 sites CpG différents de méthylation. Et les résultats sont sans appel à quelques détails près. Pour les cellules embryonnaires le degré de méthylation est proche de zéro comme dans le cas des cellules souches dites pluripotentes avec lesquelles on arrive maintenant à reconstituer un organe. Par contre, et c’est un résultat plutôt surprenant et contre intuitif, certaines cellules cancéreuses sont plus « vieilles » que le reste de l’organisme jusqu’à en moyenne 36 ans théoriques de plus. Par exemple dans les cancers du sein les mutations affectant les récepteurs des hormones stéroïdes augmentent considérablement l’âge apparent du tissu en termes de méthylations de l’ADN. Ce résultat qui se retrouve également pour d’autres types de cancers n’est pas corrélé avec les mutations somatiques qu’on accuserait donc à tort d’être la cause de certains cancers. Pour cet auteur, l’équilibre fragile entre déficit et surcroit de méthylations peut être considéré comme l’une des principales causes de l’apparition de cancers avec l’âge notamment le cancer colorectal, le glioblastome et la leucémie myéloïde aiguë car dans ces derniers cas l’hyper-méthylation de l’ADN peut être maintenant considérée comme un marqueur moléculaire. En conclusion, outre l’horloge des télomères, il faut maintenant considérer l’horloge des méthylations de l’ADN. Il est très probable que ces résultats feront l’objet d’application dans de nombreux domaines de la biologie et de la médecine, en particulier une avancée dans l’étude des causes des cancers mais aussi dans la clarification des processus complexes du vieillissement en tentant de comprendre pourquoi, par exemple, les cellules cardiaques « vieillissent » plus lentement que celles des artères, d’où la question : Ai-je l’âge de mes artères ou celui de mon cœur ?
Source : http://genomebiology.com/2013/14/10/R115, illustration de Steve Horvath