L’équilibre énergétique et lipidique cellulaire : un vrai roman …

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Ce billet un peu technique relate la mise en évidence d’un mécanisme de régulation du métabolisme des acides gras et par conséquent du métabolisme énergétique dans les cellules jusque là ignoré car il va un peu à l’encontre des idées reçues sur les mécanismes biologiques de régulation. Et cette découverte réalisée à l’Université de Bonn en Allemagne sous la direction du Docteur Reinhard Bauer ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’épidémie d’obésité et de diabète de type 2 qui ravage les populations occidentales depuis plusieurs décennies et même la Chine depuis quelques années.

Pour bien comprendre l’importance de cette découverte il faut faire malheureusement quelques rappels de pure biologie qui sembleront peut-être ardus pour nombre de mes lecteurs. Les membranes cellulaires et sub-cellulaires sont constituées de lipides phosphatés appelés phospholipides, de cholestérol et d’une autre classe de lipides comprenant un résidu appelé sphingosine, un alcool gras comprenant 18 atomes de carbone. Il s’agit d’un composant essentiel pour la solidité des membranes biologiques, cireux à l’état pur, qui est ensuite lié à un autre acide gras, d’où le nom de céramide donné à ce constituant. Par exemple les membranes isolantes des neurones et des nerfs sont riches en ce dérivé qui est un constituant majeur de la myéline. Ce composé se trouve au coeur de la régulation du vieillissement des cellules et il intervient lors de désordres métaboliques dans l’apparition de l’obésité ou encore du diabète non dépendant de l’insuline. L’étude de la biosynthèse des céramides était donc d’une importance particulière pour tenter d’expliquer le mécanisme d’apparition de l’obésité. Les curieux peuvent se reporter à l’article de wikipedia à ce sujet (voir le lien).

L’équipe du Docteur Bauer a utilisé des mouches du vinaigre pour étudier l’enzyme clé du métabolisme des céramides pour la simple raison qu’il existe chez cette mouche, la drosophile, une seule forme de cet enzyme appelé céramide synthase (CerS Schlank) alors que chez l’homme il y en a 8 formes différentes, ce qui complique singulièrement les travaux de recherche. Cet enzyme très important pour le maintien de l’équilibre métabolique et surtout énergétique des cellules, on dit homéostase, a été remarquablement conservé au cours de l’évolution. Pour en terminer avec ces quelques informations très techniques il existe chez de nombreuses protéines ce que les spécialistes en la matière appellent un homéodomaine, une partie de la structure protéique qui a la faculté de se fixer à des portions bien précises de l’ADN et cette propriété est essentiellement rencontrée dans les protéines dites facteurs de transcription qui ont pour rôle d’initier la transcription de l’ADN en ARN messager pour la synthèse subséquente d’une protéine donnée, le plus souvent un enzyme. Le cas de la céramide synthase est tout à fait particulier car cet enzyme possède dans sa structure un homéodomaine qui régule la transcription de son propre gène, une situation très rare en biologie puisque seuls deux autres enzymes, parmi une vingtaine de milliers, régulent leur propre expression de cette manière !

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Mais la question que le biologiste est en droit de se poser est la suivante : il doit bien exister un autre signal pour que cette régulation puisse être optimale pour maintenir une homéostase cellulaire satisfaisante, ce qui n’est plus le cas dans les désordres métaboliques conduisant à l’obésité, au diabète de type 2 ou encore au vieillissement cellulaire et à la dégénérescence des neurones. Tout se passe au niveau de la membrane du noyau qui justement contient aussi cet enzyme, une protéine plus soluble dans les lipides que dans un milieu aqueux.

Dans la réalité c’est la disponibilité en acides gras qui va induire le rôle de facteur de transcription de la céramide synthase liée à la membre nucléaire. Et cette protéine régule également l’expression de deux autres gènes codant pour deux enzymes également cruciaux dans le maintien de l’homéostase lipidique, des lipases, qui ont pour rôle de catalyser comme leur nom l’indique l’hydrolyse des triglycérides afin de satisfaire les besoins énergétiques de la cellule. Pour prendre une image les acides gras sont un peu le pétrole de la cellule : des réserves énergétiques sur le long terme alors que les sucres, notamment le glucose, sont « brûlés » un peu comme un feu de paille. On comprend dès lors le rôle très important de la céramide synthase dans le maintien de l’intégrité cellulaire et la prévention des désordres métaboliques. Le foie et le pancréas sont en effet les principaux producteurs de lipases et toute atteinte à cette régulation est alors catastrophique comme par exemple l’ingestion d’acides gras dits « trans » qui apparaissent lors de l’hydrogénation partielle des graisses végétales. C’est une pratique industrielle qui devrait être formellement interdite car il est tout à fait plausible que ces acides gras « trans » induisent un désordre dans cette régulation d’une remarquable finesse. Il s’agit d’une suggestion que je me suis permis de soumettre au Docteur Bauer.

Note explicative de l’illustration : Schlank = céramide synthase de la drosophile, WT = type sauvage, NLS2 = protéine de la céramide synthase mutée sur l’homéodomaine, le noyau et le réticulum endoplasmique où a lieu la synthèse des protéines sont représentés en traits fins. L’ADN nucléaire est symbolisé par la barre en grisé. Feeding status = alimentation, starvation = jeûne, lip3 = gène de lipase.

Source et illustration (résumé graphique) : https://doi.org/10.1016/j.celrep.2017.12.090 en accès libre

https://en.wikipedia.org/wiki/Ceramide

Maladies neurodégénératives et troubles énergétiques

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En juillet dernier j’avais laissé un billet sur ce blog relatif aux bienfaits de la grenade ou pomegranate (voir le lien). Cette fois-ci des travaux récents réalisés à l’Université de Nottingham précisent indirectement le rôle éventuel des tannins présents dans le pomegranate sur les mécanismes du vieillissement, c’est du moins mon interprétation à la lecture de cet article paru dans la revue Aging (voir le lien). L’équipe du Docteur Lisa Chakrabarti a montré que lorsque les tissus vieillissent, que ce soit les muscles ou les neurones du cortex cérébral, les mitochondries expriment beaucoup plus un enzyme particulier qui participe au maintien de l’acidité du liquide cellulaire et pour les mitochondries du liquide baignant ces structures subcellulaires. Il s’agit de l’enzyme qui transforme le CO2 en bicarbonate.

Comme une centrale électrique brûlant du charbon, par exemple, la mitochondrie brûle également toutes sortes de produits dont en particulier du glucose pour produire de l’énergie. Ce processus entraine l’apparition de CO2 qui est immédiatement pris en charge pour être transformé en bicarbonate. Cette transformation CO2 + H2O -> H2CO3 est spontanée mais pas assez rapide pour préserver l’intégrité tant de la cellule vivante que des organites subcellulaires comme en particulier les mitochondries. L’enzyme impliqué dans cette réaction est appelé anhydrase carbonique et c’est probablement le plus actif en terme de rapidité de fonctionnement de tous les enzymes connus.

Quand les tissus vieillissent pourquoi donc cet enzyme particulier devient plus abondant ? C’est la question soulevée par les résultats de cette étude et aucune explication satisfaisante n’a pu encore être apportée. Selon le Docteur Chakrabarti avec qui j’ai eu un échange d’e-mails cette expression abondante d’anhydrase carbonique serait le reflet d’un dysfonctionnement de la mitochondrie au cours du vieillissement. Ce processus dont les causes ne sont pas encore exactement connues participe à la dégénérescence musculaire et à l’apparition de maladies neurodégénératives.

Source : http://www.aging-us.com 2016, Vol. 8, No. 10, pp 2425-2436

https://jacqueshenry.wordpress.com/2016/07/16/manger-des-grenades-cest-excellent-pour-la-forme-physique/

Manger des grenades c’est excellent pour la forme physique !

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La grenade, aussi appelée pomegranate, est le fruit d’un arbuste (Punica granatum) de la famille des lythracées dont le sirop rouge-rosé est bien connu des amateurs de cocktail (avec ou sans alcool) en raison de cette couleur joviale. On pourrait s’arrêter là et reléguer ce fruit au rang de curiosité réservé à ceux qui ont le courage d’avaler les graines. Il faut aller en Iran, le pays d’origine de cet arbuste, pour découvrir les multiples usages culinaires de la grenade y compris dans la médecine traditionnelle. La grenade, et en particulier la peau des graines, contient des polyphénols comme beaucoup d’autres fructifications dont le rôle est de repousser les insectes ravageurs. Ces polyphénols spécifiques de la grenade s’appellent des ellagitannines et sont classés dans la famille des tannins. Nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs devaient être des amateurs de grenades mais ils n’eurent jamais conscience des bienfaits de ce fruit. Ce n’est que récemment qu’une équipe de biologistes de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse s’est penchée sur ces bienfaits de la grenade en se focalisant sur les produits de la digestion par les bactéries de l’intestin des ellagitannines. L’un des principaux résidus de cette digestion est l’acide ellagique (EA) qui conduit à l’urolithine A (UA),

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un phénol qu’on retrouve à des concentrations relativement élevées dans le sang et dans les urines quand on a mangé une grenade si tant est que les bactéries colonisant l’intestin sont capables de « digérer » cet acide ellagique. Il s’accumule étrangement dans la prostate mais aussi dans les muscles sans pour autant perturber leurs fonctions. Certains auteurs ont prétendu que les urolithines seraient bénéfiques pour traiter certaines formes de cancers sans apporter d’évidence quant leur mode d’action. L’équipe du Docteur Johan Auwerx a minutieusement décortiqué le mécanisme d’action de l’urolithine A en utilisant le nématode Coenorabditis elegans comme animal de laboratoire modèle dont j’ai déjà dit quelques mots sur ce présent blog.

La première observation qui a été faite est que l’urolithine A mise chroniquement à la disposition des vers depuis l’oeuf jusqu’à l’état adulte prolonge de plus de 40 % l’espérance de vie du nématode, ce qui est considérable en soi. Comme on sait par ailleurs que l’un des premiers signes du vieillissement des cellules et de l’organisme par voie de conséquence est une dégradation progressive du métabolisme énergétique ces biologistes se sont penchés sur l’effet de l’urolithine A sur les mitochondries. L’urolithine A n’a pas montré d’effets notoires sur les mitochondries du nématode ni sur celles de foie de rat, beaucoup plus faciles à isoler et à étudier.

Pour tenter d’expliquer la raison pour laquelle les nématodes vivaient plus longtemps en présence d’urolithine A, l’équipe du Docteur Auwerx a alors examiné ce qui se passait au niveau des mitochondries du ver et ils se sont rendu compte que ce phénol activait l’élimination par les cellules des mitochondries défectueuses devenues incapables de produire de l’énergie. Ce processus est appelé autophagie et pour l’élimination des « vieilles » mitochondries il s’agit alors de mitophagie. Or une dégradation des fonctions mitochondriales et l’incapacité des cellules à s’en défaire sont deux marqueurs, si l’on peut dire, de la vieillesse. Sans entrer dans les détails (voir la publication relative à ces travaux, doi : 10.1038/nm.4132 ) non seulement l’urolithine maintient la robustesse et la capacité respiratoire des mitochondries tout au long de la vie du nématode mais favorise également l’élimination des mitochondries défectueuses lorsque le ver commence à vieillir. Une approche similaire réalisée avec des rats a montré que l’administration d’urolithine A augmentait les performances respiratoires des mitochondries musculaires bien que stimulant l’autophagie des mitochondries défectueuses.

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L’urolithine A semble donc un candidat prometteur pour le maintien des capacités musculaires chez les personnes âgées alors que toutes les approches consistant en des apports vitaminiques ou en protéines ne sont pas concluantes. Si l’urolithine A est bénéfique au niveau des muscles en maintenant une capacité respiratoire adéquate on peut également espérer qu’elle puisse être également bénéfique dans une approche des maladies neurodégénératives … Mais c’est un autre sujet.

Source : Nature Medicine

Voir aussi : https://youtu.be/Lf1vCyfaosE (source EPFL)

Alzheimer : une étude de cas clinique apporte des éclaircissements

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Il y a quelques jours un billet de ce blog relatait le « refroidissement » corporel au cours de la vieillesse comme facteur favorisant l’apparition de la maladie d’Alzheimer en utilisant un modèle murin. La température corporelle met en jeu l’activité thermique des mitochondries qui brûlent des combustibles sans produire d’énergie mais seulement de la chaleur. Il y a tout lieu de penser que ces mêmes mitochondries soient au coeur du problème de cette maladie, pas seulement au niveau de la régulation de la température du corps mais également dans le processus complexe de détoxification cellulaire.

Cette hypothèse vient assez élégamment d’être confirmée par un groupe de biologistes de l’Université de Bergen en étudiant un cas familial de maladie génétique détecté dans un petit village norvégien de moins de 200 habitants. Les parents eurent 5 enfants et parmi les 4 survivants tous ont souffert de neuropathies, de symptômes psychiatriques ou neurologiques. Deux d’entre eux acceptèrent de se soumettre à des examens cliniques approfondis dont initialement une imagerie par résonance magnétique de leur cerveau. Il apparut tout de suite de profondes modifications structurales au niveau du cérébellum et du thalamus. L’homme âgé maintenant de 68 ans et souffrant d’ataxie, une difficulté à coordonner les mouvements musculaires, accepta que le corps médical procède à une biopsie musculaire. De cette biopsie il fut procédé à l’immortalisation de cellules de type fibroblastes afin d’étudier en détail leur métabolisme général. En comparant l’étude génomique du frère et de la soeur il fut rapidement évident que chacun d’entre eux était porteur d’une mutation sur un gène situé dans le chromosome 10 codant pour une activité enzymatique présente dans les mitochondries appelée PITRM1, acronyme de PITRilysine Metallopeptidase 1. Cet enzyme a pour fonction de couper la séquence peptidique signal facilitant le transport des protéines synthétisées dans la cellule et devant être transportées dans la mitochondrie. Ce transport est facilité spécifiquement par cet allongement (peptide signal) qui devient alors inutile quand la protéine a atteint le compartiment mitochondrial. C’est un peu complexe mais ce résultat obtenu à partir d’un cas familial rarissime sinon unique de mutation génétique met en évidence le rôle des mitochondries dans les processus de détoxification.

En effet ces mêmes organites issus des fibroblastes immortalisés et ne possédant donc pas cet enzyme PITRM1 renferment des quantités anormales de protéine beta-amyloïde (Aβ ), l’un des marqueurs de la maladie d’Alzheimer. De plus il est apparu évident que la fonction mitochondriale en général était globalement altérée en particulier au niveau de la consommation d’oxygène. Une mutation rendant l’enzyme PITRM1 inactif est létale comme cela a été montré avec des souris. Dans ce cas familial étudié en détail l’enzyme n’est pas inactif mais instable : il ne peut durablement remplir sa fonction de détoxification. C’est ce qui a été observé avec les mitochondries des fibroblastes mutants immortalisés et des souris recombinantes où le gène défectueux d’origine humaine a été introduit.

Cette étude de cas familial démontre donc l’effet toxique de la présence de protéine beta-amyloïde à l’intérieur même des mitochondries, un sujet controversé, et le rôle majeur de détoxification joué par ces organites subcellulaires. Quant à relier la baisse de température corporelle avec l’âge avec une altération de cette fonction mitochondriale de détoxification, il n’y a qu’un pas à franchir et il est clair que des études ultérieures arriveront à le montrer formellement. Peut-être entrevoit-on une explication satisfaisante du pourquoi et du comment de l’apparition de la maladie d’Alzheimer.

Source : EMBO DOI 10.15252/emmm.201505894 en accès libre

Le gène de l’obésité ? Pas de quoi en faire tout un pataquès médiatique !

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Encore un « non-évènement » scientifique qui a alimenté les rumeurs journalistiques : on a découvert le gène de l’obésité ! De plus ce genre de nouvelle stupidement reprise par des journalistes en quête de sensationnel représente un réel danger pour des centaines de millions de personnes dans le monde qui vont finir par se persuader qu’après tout c’est de la faute de leurs gènes s’ils ont de l’embonpoint. Ils continueront à se gaver jusqu’à en mourir prématurément … Ce n’est pas du tout ainsi qu’on peut honnêtement présenter la situation présente des recherches sur l’obésité. Ce qu’on vient de préciser, la découverte date déjà de plusieurs années (2007, doi:  10.1126/science.1141634 ), c’est la corrélation entre les modifications ponctuelles d’un unique gène et l’apparition de l’obésité mais de là à envisager un traitement préventif (ou curatif) il faudra attendre des dizaines d’années, pas de quoi donc se réjouir d’avance.

On comprend l’engouement journalistique quand on réalise une petite avancée dans la compréhension des mécanismes d’apparition du surpoids et de l’obésité, mais l’obésité infantile d’origine strictement génétique reste très rare, à peine 0,01 % de la population, soit une personne sur 10000. Or aux USA, en Arabie Saoudite et quelques autres pays le pourcentage de personnes en surpoids ou obèses atteint 60 % ! Il y a donc comme un fossé que la génétique ne peut pas expliquer clairement. L’obésité est le résultat de multiples facteurs dont la malbouffe et l’excès de malbouffe, le manque d’exercices physiques et un dérèglement progressif du métabolisme lorsque les tissus adipeux commencent à croître de manière anarchique et c’est un peu sur ce dernier point que les recherches se sont concentrées. Pourquoi certaines personnes peuvent se goinfrer ad libitum et ne grossissent pas alors que d’autres grossissent dès le premier plat de spaghetti ingurgité. Ce qui avait été montré par une équipe de biologistes de l’Université d’Oxford en 2007 est l’existence d’un lien entre l’apparition de diabète de type 2 et de l’obésité. Après une étude ayant porté sur des analyses génétiques de 3757 personnes souffrant de diabète de type 2 et en surpoids par rapport aux mêmes analyses conduites sur 5346 personnes ne souffrant pas de ces deux affections, il est apparu que le gène FTO, acronyme de FaT mass and Obesity, situé sur le chromosome 16 était significativement et systématiquement altéré dans le cas des obèses et diabétiques. Le problème était qu’on ignorait la fonction de ce gène et c’est là que réside l’avancée récente dans ce domaine de recherche. Les travaux publiés ce 19 août 2015 dans le NEJM (New England Journal of Medicine) précisent ce qui se passe au niveau des tissus adipeux et quelle est la cause première de l’obésité sans toutefois mentionner une quelconque approche thérapeutique possible.

Pour comprendre comment les choses se passent au niveau cellulaire l’équipe dirigée par le Docteur Manolis Kellis de la Harvard Medical School a étudié des cultures cellulaires de tissus adipeux provenant de 52 sujets répertoriés dans les banques de données génétiques qui étaient homozygotes pour un allèle à risque présentant des mutations ponctuelles sur le gène FTO appelé variant rs1421085 et ont comparé leurs investigations identiquement conduites avec 50 échantillons de tissus sous-cutanés de sujets ne présentant ni indice de masse corporelle supérieur à 24 kg/m2 ni diabète de type 2. L’étude s’est focalisée sur un certain nombre de paramètres permettant d’aboutir à une bonne représentation du métabolisme général du tissu adipeux et en particulier du métabolisme énergétique. Il faut rappeler en effet qu’il existe deux sortes de tissus adipeux, ceux qu’on appelle « bruns » car ils contiennent des mitochondries, les usines productrices d’énergie de l’organisme, qui sont naturellement brunes car elles sont colorées par des pigments impliqués dans la respiration, et il existe un tissu adipeux qu’on peut qualifier d’inutile, plus clair car il ne contient que très peu de ces mitochondries, qui ne sert qu’à accumuler des corps gras en provoquant le surpoids et l’obésité.

Pour déterminer dans quelle mesure ce gène FTO intervient dans l’apparition du tissu adipeux clair ou blanc, une accumulation de mauvaise graisse, une série de paramètres a été suivie, dont l’expression du taux d’expression de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique. Pour utiliser une comparaison imagée de ce qui se passe dans l’organisme, il y a deux sortes de sources d’énergie, les sucres et les graisses. Les sucres, c’est comme de la paille, ça brûle vite et ce n’est utilisé qu’en cas d’urgence, en dehors du cerveau qui ne peut utiliser que cette source d’énergie. Les graisses sont comme le pétrole, elles sont beaucoup plus riches en énergie et constituent le réservoir disponible en continu à condition qu’elles soient correctement stockées dans les tissus adipeux bruns car les mitochondries sont capables de les dégrader rapidement pour satisfaire les besoins en énergie de l’organisme. Comme ce processus met en jeu des dizaines d’activités enzymatiques différentes, le seul moyen pour comprendre le rôle du gène FTO dans cette histoire était d’ « éteindre » les uns après les autres les gènes de chacune de ces activités en utilisant entre autres techniques l’outil fantastique que constitue le CRISPR dont j’ai déjà parlé dans plusieurs billets de ce blog.

Deux gènes dont l’expression a été démontrée comme étant sous la dépendance du gène FTO ont été identifiés et ils interviennent dans la thermogenèse, c’est-à-dire la dissipation d’énergie sous forme de chaleur par les mitochondries. Quand le gène FTO est défectueux, ces deux gènes (IRX3 et IRX5) sont plus intensément exprimés et les graisses ne sont plus « brûlées » normalement. Il en résulte une accumulation de ces graisses et une raréfaction progressive des mitochondries. Ces gènes codent pour des protéines favorisant une dissipation de l’énergie lors de l’oxydation des acides gras par les mitochondries. Le gène FTO, lorsqu’il est défectueux, et ces défauts sont légèrement plus fréquents chez les sujets obèses, conduit donc à une déviation du métabolisme qui ne produit plus de chaleur – processus participant à l’équilibre général de l’organisme – mais au contraire favorise l’accumulation de graisses, l’augmentation des triglycérides circulants et une diminution de la consommation d’oxygène.

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On en arrive donc à partir de ce qui est observé au niveau des cultures de cellules au tableau pathologique de l’obésité : le manque d’exercice physique correspond très exactement à la diminution de la demande en oxygène au niveau cellulaire, la non disponibilité des acides gras pour la fourniture d’énergie compte tenu de la raréfaction des mitochondries dans le tissu adipeux « inutile » conduit par voie de conséquence à une sensation de faim accentuée par le besoin de régulation de la température du corps qui ne peut plus être assurée par l’oxydation des graisses, d’où l’envie de sucreries et là c’est le cerveau qui décide, et le malade, car l’obésité est une maladie, n’a plus aucun pouvoir pour réfréner son emballement à se nourrir plus que de mesure.

Tout se passe donc au niveau du gène FTO qui apparaît, selon les travaux exposés dans ce récent article, être un facteur d’expression d’une série de gènes impliqués étroitement dans la thermogenèse et la balance énergétique des cellules et donc de l’organisme tout entier.

Il fallait trouver des preuves validant ce mécanisme de régulation et ce fut fait en utilisant des souris chez qui on avait « éteint » l’expression du gène IRX3. Le résultat fut presque spectaculaire car ces souris étaient incapables de prendre du poids quand elles étaient soumises à un régime riche en graisses, dépensaient plus d’énergie sous forme de chaleur et leur tissu adipeux était majoritairement « brun ». De plus elle consommaient plus d’oxygène de nuit comme de jour.

Le gène FTO perturbe donc non pas directement la modification des adipocytes du type « brun » utiles pour l’homéostasie vers le type « blanc » inutile mais en modifiant l’expression de quelques gènes seulement. Ce gène intervient déjà aux stades précoces de différenciation cellulaire conduisant soit aux adipolyses bruns soit aux adipocytes blancs inutiles. Cette étude lève donc un coin du voile masquant les mécanismes de l’apparition de l’obésité mais la prédisposition génétique n’explique pas tout, loin de là. Une hygiène personnelle générale restera toujours l’une des meilleures approches pour éviter de prendre inconsidérément du poids …

Les amateurs de science peuvent se plonger dans la lecture passionnante de l’article du NEJM disponible en ligne et dont voici le lien : DOI: 10.1056/NEJMoa1502214

Illustrations : Harvard University News Desk et Reuters