Néolithique : après le pain le fromage

 

Il y a quelques jours, le 23 août, j’avais laissé sur ce blog un billet relatif aux premiers pains jamais cuits par l’homme, les habitants natufiens du nord-est de la Jordanie actuelle il y a 14000 ans avant l’ère présente. Cette activité, à l’évidence, était un signe d’une sédentarisation progressive des peuplades de chasseurs-cueilleurs, le site de Shubayqa ayant probablement été occupé durant de nombreuses années. Puis la sédentarisation qui est datée aux alentours de 10000 ans avant l’ère présente a favorisé l’apparition de l’élevage bovin et les migrations vers l’Europe occidentale, ce à quoi on assiste aujourd’hui pour d’autres raisons, ont également introduit l’élevage dans cette Europe verdoyante et favorable au maintien d’un élevage qui présentait une alternative sécurisante pour l’alimentation. Ces migrants savaient faire du pain mais il avaient également appris à faire du fromage.

Ce sont des restes de poteries curieusement percées de petits trous ménagés avec des brins de paille avant leur cuisson dont on finit par trouver leur utilité car ils avaient intrigué les archéologues pendant de nombreuses années. Il s’agissait de faisselles, tout simplement ! Peut-être que nos ancêtres avaient aussi découvert que quelques plantes permettaient de coaguler le lait comme par exemple le jus des feuilles d’artichaut bien avant la découverte de la présure qui ne fut découverte qu’à la fin du XIXe siècle. Mais le lait finit par coaguler également par l’action de bactéries ou de champignons microscopiques. Il faut cependant noter que l’utilisation du jus d’artichaut ou encore de feuilles de figuier est toujours d’actualité chez les peuples montagnards du Maroc pour fabriquer du fromage. Pour information destinée aux détracteurs des organismes génétiquement modifiés, l’industrie agro-alimentaire moderne utilise largement de la chymosine produite par une souche d’Aspergillus niger surexprimant cet enzyme qui se trouve originellement dans l’estomac des veaux allaités sous la mère.

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Des fragments de ces faisselles préhistoriques ont été retrouvés en Pologne et datées de 7500 ans avant l’ère présente. Comme l’indique l’illustration ci-dessus il a donc fallu plus de 3000 ans pour que la pratique de l’élevage se répande dans le nord de l’Europe depuis le Levant à la faveur des migrations. Ces recherches archéologiques relatives à l’élevage ont été corroborées par des études génétiques des populations car qui dit élevage et donc production de lait sous-entend qu’une partie du lait était aussi directement utilisée pour l’alimentation avant toute fermentation. Quoi de meilleur que du lait bourru directement sorti du pis d’une vache ? Cela fait partie de l’un de mes souvenirs de petite enfance …

Or pour digérer le lait confortablement il faut que notre intestin grêle soit capable de sécréter l’enzyme, la lactase, qui scinde le lactose en ses deux constituants, le glucose et le galactose. Il s’agit d’un enzyme dit inductible qui n’est synthétisé qu’en présence du lactose du lait. La propriété d’induction de la synthèse de cet enzyme disparaît le plus souvent irréversiblement après le sevrage de l’enfant. Les études archéologiques ont montré que de nombreuses poteries datant du néolithique, dont ces faisselles mentionnées plus haut, contenaient des traces d’acides gras typiques du lait. Les populations qui prospérèrent en Europe du Nord le purent qu’à la faveur de l’apparition d’une mutation du promoteur, il s’agit d’un fragment d’ADN, du gène codant pour la lactase 13910 bases avant le gène de ce dernier enzyme, mutation appelée -13910*T. Il a suffi de la présence de cette mutation sur un seul allèle du gène de la lactase pour que les peuples puissent se nourrir de lait sans l’inconfort provoqué par l’absence de lactase. Cette seule mutation a également favorisé le peuplement des régions du nord de l’Europe, en particulier de la Scandinavie, car le lait contient de la vitamine D qui ne peut être synthétisée par l’organisme à partir d’ergostérol qu’en présence de suffisamment de rayons solaires.

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La carte ci-dessus est intéressante sur plusieurs points. Outre la Scandinavie et le nord de l’Europe on retrouve la plus forte fréquence de l’allèle de la lactase muté dans le nord-ouest de l’Afrique correspond à l’élevage traditionnel des chèvres, dans la péninsule arabique correspond à l’élevage des dromadaires dont le lait était et est toujours utilisé directement par les Bédouins et enfin dans la partie pakistanaise du sous-continent indien pratiquant l’élevage bovin traditionnellement. C’est dans les îles britanniques et en Scandinavie que l’on retrouve aujourd’hui la plus grande proportion de porteurs de la mutation -13910*T, des pays où la consommation de lait non fermenté et de fromages à pâte cuite contenant toujours du lactose sont les plus répandus. Dans des pays comme la Turquie cet allèle a presque disparu car les désagréments de la digestion du lait en l’absence de lactase ont été contournés avec l’usage du lait fermenté à l’aide de bactéries comme les yaourts ou le kéfir, bactéries qui réduisent pratiquement à néant la teneur en lactose dans le produit final. Que mes lecteurs se rassurent je suis encore en bonne santé bien que je boive chaque jour un litre de lait de vache entier.

Sources et illustrations : Nature et Human Heredity, doi : 10.1159/000360136

Gluten, lactose, oligosaccharides ? Une nouvelle grosse arnaque !

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Depuis qu’on a « cartographié » le microbiome intestinal, la nouvelle mode des diététiciens est de faire en sorte que nous prenions soin de nos gentilles petites bactéries et toutes les extravagances sont autorisées. Le filon est en effet juteux pour ne pas dire appétissant car il y a des profits à portée de main. Tout a débuté avec la controverse sur l’intolérance au gluten à la suite d’essais en aveugle réalisés à l’Université Monash en Australie (voir le lien sur ce blog) qui montrèrent, mais il ne fallait pas trop en parler, qu’après tout la maladie coeliaque n’était pas vraiment liée au gluten ni à une intolérance à cette protéine particulière mais plutôt à un dérèglement de la flore bactérienne intestinale. Il est vrai qu’à force de s’assommer d’antibiotiques pour un pet coincé on finit par détériorer la qualité de cette flore sans laquelle on ne pourrait pas vivre. Naturellement il va sans dire que cette histoire de pseudo-intolérance au gluten a rapporté des milliards de dollars aux petits malins qui se sont engouffré dans ce créneau. J’ai acheté il y a quelques jours du café moulu de la marque Mellita (je ne fais pas de publicité et il n’y a aucun conflit d’intérêt dans ce blog) en provenance du Brésil certifié ne contenant pas de gluten !!! J’ai ainsi découvert que le café, par voie de conséquence, contenait du gluten ou pouvait éventuellement en contenir. Cet exemple illustre à quel point des centaines de millions de personnes sont systématiquement considérées comme des imbéciles qu’on peut rançonner sans état d’âme en leur vendant toutes sortes de denrées alimentaires à des prix astronomiques sous prétexte qu’elles ne contiennent pas de gluten, ou pas de lactose ou encore pas de pesticides mais c’est une autre histoire …

Bref, revenons au microbiome intestinal. La Nouvelle Eglise de Scientologie Digestive préconise de se pencher très sérieusement sur les FODMAPs, j’ignore s’il existe un acronyme équivalent en français mais pas de souci j’ai inventé celui-ci : PDMOF, ça sonne bien et ça veut dire Polysaccharides, Disaccharides, Monosaccharides et Oligosaccharides Fermentescibles. Sans être allé au delà du certificat d’études tout le monde a compris qu’il s’agit de sucres en folie sous toutes leurs formes, depuis le glucose du miel jusqu’au xylitol, l’agent sucrant des chewing-gums zéro calories ou encore additif des pâtes dentifrices qui donnent un léger goût de sucré sans être du vrai sucre mais prévient aussi le séchage du dentifrice à la sortie du tube. Les nouveaux gourous de la diététique, forts des avancées récentes de la biologie moléculaire qui a identifié près de 2000 bactéries différentes dans l’intestin, préconisent de prêter une attention toute particulière aux PDMOFs parce que, pour eux, c’est là que se situe tout le problème des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Ces PDMOFs modifient la flore intestinale et il est donc nécessaire, selon les nouveaux charlatans qui sévissent dans ce domaine de la nutrition préventive (voir le lien), de modifier son régime alimentaire afin de réduire l’apport quotidien en PDMOFs et surtout d’éviter le gluten … comme si le gluten était aussi un PDMOF ! Il est vrai que glu fait penser à glucose alors qu’à cela ne tienne c’est aussi un PDMOF. Dans la liste exhaustive des PDMOFs (voir le lien cdhf.ca …) on trouve parmi les produits lactés la margarine, c’est nouveau, ça vient de sortir du cerveau des diététiciens dûment enregistrés, et je découvre comme vous que la margarine est fabriquée à partir de lait ou encore que le rhum contient du sucre et pas n’importe lequel, un PDMOF, mais c’est bien sûr ! Très bizarre parce que dans les PDMOFs préconisés pour améliorer le syndrome inflammatoire intestinal le sucre de table est autorisé. On peu continuer dans ce délire et aller de surprise en surprise pour prouver tout simplement que les diététiciens, ces membres de la toute nouvelle Eglise de Scientologie Digestive ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent. Ils se soucient surtout de leur porte-monnaie.

Dans un article paru dans Gastroenterology dont le titre est non ambigu puisqu’il nie toute relation entre le gluten, les sucres à chaine courte (oligosaccharides) et le syndrome intestinal inflammatoire, il était question d’un échantillon de 37 personnes, pas suffisamment pour prouver que la relation entre ces paramètres, gluten et PDMOFs, et ce syndrome ne pouvait être établie de manière incontestable, un détail qui n’a pas échappé aux diététiciens ! L’anecdote du necator (voir le lien sur ce blog) tendrait à prouver que l’inflammation de l’épithélium intestinal est bien un des éléments, certes, de ce syndrome mais il n’en a pas fallu plus que cet article pour déchainer les passions sur les PDMOFs. Le souci dans cette histoire c’est aussi la présence de fructanes dans la farine de céréales panifiables contenant du gluten. Or ces fructanes sont des candidats montrés du doigt pour initier le syndrome inflammatoire intestinal. On est donc en droit de supposer que si l’ingestion modérée de PDMOFs est réellement bénéfique pour diminuer le syndrome inflammatoire intestinal, dans le doute on peut se poser la question de savoir qui du gluten ou de ces sucres est vraiment en cause.

Il faut plutôt se pencher sur la flore intestinale et l’intégrité de son harmonie. Les polysaccharides et les fibres (encore une autre lubie des diététiciens, mangez du carton c’est bon pour la santé !) ne sont digérés que dans le gros intestin car la flore intestinale y est légèrement différente de celle de l’intestin grêle. Cette digestion tardive provoque des flatulences et des douleurs parfois attribuées au syndrome inflammatoire y compris l’intolérance au lactose pouvant également être imputée à l’absence de bactéries exprimant la beta-galactosidase.

Pour en finir avec cette controverse qui n’en est pas une sinon pour le plus grand bien des finances de charlatans auto-promus diététiciens il existe des tests mis au point à la Johns Hopkins University pour détecter dans l’haleine (pas nécessairement fétide) l’intolérance au lactose, la présence d’helicobacter, l’intolérance au fructose et enfin le syndrome de la sur-croissance bactérienne dans l’intestin grêle (voir le lien) et plutôt que de s’imposer des régimes délirants il est préférable de savoir dans un premier temps si on est vraiment malade ou si ce n’est que de l’imagination. Difficile d’évaluer combien coûte une « cartographie » de la flore intestinale (quelques milliers de dollars) mais ce diagnostic pourrait très bientôt être proposé parallèlement à une inoculation par voie orale de bactéries permettant de reconstituer cette flore intestinale avec laquelle il veut mieux, à l’évidence, vivre en bonne harmonie. Peut-être que Molière se serait délecté en écrivant une pièce du genre : « Le Malade aux Bactéries Imaginaires » …

Sources :

http://cdhf.ca/bank/document_en/32-fodmaps.pdf

http://blog.katescarlata.com/fodmaps-basics/fodmaps-checklist/

http://www.gastrojournal.org/article/S0016-5085%2813%2900702-6/abstract?cc=y?cc=y ( DOI: http://dx.doi.org/10.1053/j.gastro.2013.04.051 )

http://www.hopkinsmedicine.org/gastroenterology_hepatology/clinical_services/specialty_services/breath_testing.html

Et sur ce blog :

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/10/03/on-a-parfois-besoin-dun-plus-petit-que-soi-par-exemple-de-necator-il-fallait-y-penser/

https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/05/13/ou-le-gluten-fait-reparler-de-lui/

Le lait néfaste pour la santé ? Non mais sans blague !

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Une étude complètement pipeau parue dans le British Medical Journal, une revue scientifique pourtant au dessus de tout soupçon, indique que consommer trop de lait n’est pas si bon que ça pour la santé. C’est le galactose qui est en cause ! Du grand n’importe quoi car le galactose, un des deux composants du lactose avec le glucose, est rapidement pris en charge par l’organisme qui n’en a pas grand chose à faire et le transforme en glucose presque instantanément selon un schéma métabolique mis en évidence par Luis Federico Leloir, le troisième prix Nobel argentin bien que né en France presque par erreur en 1906.

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Cet article torchon du BMJ me donne donc l’occasion de rappeler ce que Leloir a établi à propos de l’intolérance au lactose avec les moyens de l’époque en élucidant pas à pas comment n’importe quel sucre est pris en charge dans l’organisme. Les travaux de Leloir constituent toujours une partie de l’immense travail réalisé par ces pionniers de la biologie sans lesquels on serait toujours dans le brouillard le plus total.

Et aujourd’hui, on réalise des études statistiques avec des ordinateurs ultra-rapides sur des dizaines de milliers de personnes, plus les échantillons sont grands, plus l’étude est crédible, pour arriver à des conclusions hautement contestables qui finalement, quand on les analyse, ce que j’ai fait soigneusement, n’ont aucune signification.

Je suspecte une intention politique à cette étude parue dans le BMJ dont voici le lien en accès libre : http://www.bmj.com/content/349/bmj.g6015 . En effet les vaches laitières dégagent du méthane et ce gaz est un très vilain gaz à « effet de serre », suivez mon regard.

Encore une étude statistique sans valeur aucune qui a pourtant fait la une de la presse de caniveau ! Bonne lecture …

Illustration : Leloir célébrant son prix Nobel avec ses collaborateurs.

Le lait et la sélection naturelle …

Le lait constitue le premier aliment du nouveau-né et apporte tous les nutriments nécessaires à la croissance y compris des vitamines, des acides gras et des sucres.

En Europe du nord, la consommation de produits lactés incluant du lait cru, pasteurisé ou stérilisé à haute température, fait que la population est porteuse du gène codant pour la lactase, l’enzyme qui coupe le lactose, le sucre du lait, en galactose et glucose. Par exemple, en Suède plus de 70 % de la population est capable de « digérer » le lactose sans aucun problème. Par contre, en Sicile ou en Espagne, la proportion est inversée puisqu’à peine 10 % de la population est capable de digérer le lait sans souffrir de ce qu’on appelle l’intolérance au lactose qui est une source d’ennuis digestifs désagréables comme des flatulences, pétulences, douleurs abdominales et autres diarrhées. Puisque le lait contient des quantités appréciables de vitamine D nécessaire à l’assimilation du calcium requis pour la croissance osseuse et que le lait contient des quantités également phénoménales de calcium, les biologistes en étaient arrivés à formuler l’hypothèse de l’assimilation du calcium à propos du lait. La persistance de la lactase, dont l’expression diminue après le sevrage dès la plus jeune enfance, était en faveur de cette hypothèse qui expliquait également la nécessité pour les habitants des pays nordiques, déficitaires une partie de l’année en soleil de boire du lait afin de pallier à cette carence (les UVB sont nécessaires pour la production par la peau de la vitamine D, voir un précédent billet de ce blog : https://jacqueshenry.wordpress.com/2014/01/15/charles-darwin-et-la-melanine/). Tous les arguments semblaient donc concourir pour confirmer cette hypothèse. Et le fait que les habitants du sud de l’Europe soient plus longtemps exposés au soleil et n’exprimant plus la lactase venait corroborer cette hypothèse qui peut être formulé ainsi : « du soleil, donc moins de lait » car les fermentations bactériennes utilisées pour produire des yaourts ou des fromages conduisent à des produits lactés quasiment exempts de lactose et il est bien connu qu’en Grèce ou d’autres pays du sud de l’Europe on boit du lait fermenté plus volontiers que du lait frais ou pasteurisé.

Or des travaux réalisés récemment à l’Université d’Uppsala en Suède viennent battre en brêche cette hypothèse. En réalité le gène de la lactase cessait d’être opérationel après le sevrage chez nos lointains ancêtres de l’Age de Pierre et sa persistance est apparue il y a seulement une dizaine de milliers d’années. A l’échelle de l’évolution, il s’agit d’une évolution génétique très rapide. On peut comprendre que dans des communautés pastorales, la persistance de la lactase puisse aisément se concevoir, mais pourquoi cette persistance constituait-elle un avantage pour nos ancêtres ? En Europe du Nord, on peut le comprendre, mais en Espagne par exemple, qu’en était-il il y a 5 à 10000 ans ?

Les biologistes de l’Université d’Uppsala ont trouvé un début d’explication en procédant à l’analyse de l’ADN de huit fermiers ibériques du néolithique datant d’une dizaine de milliers d’années selon la datation au carbone 14. Et ils ont eu la surprise de constater que le gène LCT codant pour la lactase était bien présent dans son intégrité puisqu’ils n’ont pas pu trouver la mutation C–>T située très précisément 13910 bases avant le codon initiateur de la lactase. L’évolution de l’expression de la lactase dans le monde est en effet l’une des mieux documentées et a permis d’établir une sorte de carte génétique des populations. Par exemple, en Afrique et certains pays d’Asie-Pacifique, moins de 10 % de la population exprime la lactase et on retrouve systématiquement cette mutation sur la même base.

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Le docteur Sverrisdottir, principal auteur de cette étude, n’arrive pas à expliquer clairement pourquoi la sélection naturelle a conduit à cette disparition aussi rapide de l’expression de la lactase dans des régions où le manque de vitamine D dans les aliments est compensé par l’ensoleillement. L’explication logique qui peut abonder dans le sens de l’hypothèse de l’assimilation du calcium serait en réalité les périodes de famine qui devaient sévir périodiquement après de mauvaises récoltes dans des contrées à dominance vivrière pastorale comme par exemple en Suède et en Irlande où on trouve la plus forte proportion de persistence en lactase. Dans des conditions de famine, l’intolérance au lactose devait représenter un puissant facteur de sélection. Après avoir épuisé les réserves de produits lactés fermentés et donc pauvres en lactose, il ne devait rester que des denrées riches en ce sucre, y compris le lait frais, et seuls survivaient ceux qui exprimaient la lactase. Au contraire dans les pays du sud de l’Europe la persistance de la lactase n’étant plus nécessaire après le sevrage, l’évolution a revêtu dans ces régions une rapidité surprenante qui pourrait vouloir dire qu’en réalité l’homme évolue beaucoup plus rapidement qu’on ne l’envisageait il y a encore quelques années, avant que ces puissantes technologies d’investigation génétique soient devenues opérationnelles. 

Du nouveau sur le mécanisme de la lactation

La biologie de la lactation humaine est restée le parent pauvre de la recherche médicale car il est impensable de réaliser une biopsie de la glande mammaire d’une femme allaitant son enfant. Le développement récent des techniques de séquençage automatique de l’ARN a été mis à profit avec le lait maternel. Tout le travail que je voudrais exposer aussi clairement que possible à mes quelques lecteurs assidus et qui vient de paraître dans la revue peer-to-peer en open access PlosOne (excusez les anglicismes) sur le lait maternel et le volume et la durée de la lactation est basé sur le fait que dans le lait maternel des globules lipidiques sont sécrétés par les cellules épithéliales de la glande mammaire et qu’ils contiennent des ARN, des restes des « transcripts » capturés lors de la sécrétion et que ces ARN décrivent très précisément ce que l’on appèle maintenant communément dans le monde de la biologie le « transcriptome », c’est-à-dire l’ensemble des gènes exprimés, ici, au cours de la lactation, que ce soient des transcripts très abondants ou au contraire présents à l’état de traces. Que mes lecteurs ne s’y méprennent pas, je n’ai pas trouvé de traduction satisfaisante du mot anglais « transcript », il s’agit d’ARN issus de la transcription de l’ADN en ARN par l’ARN-polymérase et leur analyse fine donne donc une image également fine de l’état fonctionnel de la cellule, en l’occurrence de la glande mammaire. On parle alors de signatures transcriptionnelles. Cette technologie récente de séquençage automatique des ARN a permis d’expliquer l’évolution de l’état de la glande mammaire depuis le colostrum jusqu’au lait mature et également, comme on le verra, quelles sont les causes d’une production défectueuse de lait chez certaines femmes. L’étude s’est focalisé sur le lait appelé colostrum, peu de temps après la délivrance et très riche en sodium, le lait de la période dite intermédiaire où la balance entre sodium et potassium se rétablit et enfin le lait mature ou lait « normal » tel qu’il restera durant toute la lactation. Après isolement des globules lipidiques et préparation adéquate des ARN présents dans ces globules pour séquençage, même pas un tiers d’entre eux s’est révélé apte à être séquencé avec succès, mais la machine automatique a tout de même pu identifier 14629 gènes exprimés durant la période « colostrum, 14529 gènes durant la période de transition et 13745 gènes ultérieurement, c’est dire la puissance d’analyse moderne des laboratoires de génétique et de biologie. Sans vouloir faire un catalogue, dans le lait mature, une vingtaine de gènes sont sur-exprimés et parmi eux, comme on peut s’y attendre, ceux de la caséine, lactalbumine, lacto-transférine, ferritine, lyzozyme, thymosine, lipase, etc … Dans le lait de la période de transition de quelques jours suivant le colostrum, le profil est différent puisqu’on retrouve aussi des ARN codant pour des protéines ribosomales (les ribosomes sont les machines à traduire les ARN en protéines) et ce n’est pas surprenant puisque la glande mammaire est en pleine structuration. Enfin, dans le colostrum on trouve les transcripts de l’interféron, de micro-globulines et de bien d’autres protéines mais la lactalbumine et la caséine n’arrivent qu’en huitième et neuvième position par ordre d’abondance contrairement au lait mature où ces deux composants sont les plus abondants. Dans le lait mature, les trois principales protéines produites sont la beta-caséine, l’alpha-lactalbumine et la lactoferrine. Les trois figures tirées de l’article sont une illustration de la diversité de l’activité de la glande mammaire et de son évolution au cours du stade de maturation du lait, dans l’ordre : colostrum, transition, lait mature.

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Ce que cette étude extrêmement détaillée a aussi montré est l’effet de l’insuline sur la lactation. Comme on le suspectait déjà l’insuline a de profonds effets sur la synthèse des protéines au cours de la lactation en agissant sur toute une série de récepteurs qui modulent l’expression des gènes et donc les activités enzymatiques de synthèse associées. C’est ce qui a été confirmé au cours de cette étude. Mais mieux encore, il est bien connu des mères allaitantes que les seins s’engorgent littéralement durant les 4 ou 5 jours suivant la naissance et qu’ensuite un équilibre est atteint et qui dépend largement de la tétée. Ce phénomène est complètement dépendant d’un processus complexe de régulation effectué par l’insuline. Les curieux peuvent aller se plonger dans cet article ( http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0067531 ) car cela en vaut la peine, mais attention au mal de tête ! Un récepteur particulier de l’insuline appelé PTPRF (ça ressemble au sigle d’un parti politique du genre « Parti Totalitaire Populaire de la Réforme de la France », mais on peut en imaginer d’autres) en réalité il s’agit du « Protein Tyrosine Phosphatase, Receptor type F » qui diminue l’action de l’insuline en modifiant d’autres récepteurs de l’insuline par suppression du phosphate lié à une tyrosine de ces derniers, d’où ce nom compliqué. Ce que cette étude a finalement découvert, c’est que l’insuline via ce PTPRF, en effectuant le même type d’étude chez des femmes allaitantes mais dont la production de lait déclinait pour des raisons inconnues jusqu’alors, était que l’expression du gène du PTPRF chez les femmes présentant une résistance à l’insuline dont l’effet le plus connu est le diabète de type II est beaucoup plus élevée que chez celles capables d’une lactation normale. En d’autres termes la résistance à l’insuline se répercute directement sur le fonctionnement de la glande mammaire par l’intermédiaire d’une régulation complexe très bien démontrée par cette étude.

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Ces travaux ont été effectué au Cincinnati Children’s Hospital Medical Center et publiés dans PlosOne (voir le lien) d’où proviennent les illustrations.

Gluten ou pas gluten ? (dans la rubrique malbouffe)

Le gluten, c’est cette protéine (un mélange de gliadine et de gluténine) gluante et collante, d’où son nom, présente dans le blé, l’orge et le seigle. Non seulement cette protéine n’est pas très digeste mais de plus elle peut entraîner des réactions allergiques pouvant déclencher une destruction de l’intestin grêle, syndrome plus connu sous le nom de maladie coeliaque. Dans ce dernier cas, il vaut mieux s’abstenir de manger quoi que ce soit contenant du gluten. Le gluten est essentiel pour une bonne panification car il forme une sorte de réseau rendant la pâte élastique et collante (qui ne s’en est pas aperçu en préparant une pâte à tarte dans sa cuisine) et emprisonnant les bulles de gaz carbonique à effet de serre produites par les levures qui se gavent des grains d’amidon de la farine quand on fait « lever » la pâte avant de la mettre au four. Je n’en dirai pas plus, je ne suis pas boulanger. L’industrie agro-alimentaire, jamais à court d’idées juteuses (financièrement) s’est donc diversifiée en proposant aux consommateurs de la farine sans gluten et toutes sortes d’aliments dérivés garantis sans gluten. C’est très facile, il suffit de « laver » la farine en mettant à profit le fait que la gliadine et la gluténine ne sont pas solubles dans l’eau. Un filtration et un coup d’évaporateur cyclone et le tour est joué, on produit de la farine sans gluten. Plus question de faire du pain avec cette merde débarrassée des sels minéraux et des vitamines naturellement présents dans la farine normale, mais ce n’est pas le but de l’opération, les consommateurs sont satisfaits puisqu’ils ont maintenant à leur disposition des produits labellisés « sans gluten » comme on trouve maintenant du sel sans sodium ou du lait sans lactose ou même du fromage (pour pizzas) sans produits lactés, je ne sais pas ce que c’est mais je m’abstiens. Mais que faire du gluten ? Là encore les industriels ont trouvé le moyen de valoriser ce gluten dans toutes sortes d’applications aussi ragoûtantes les unes que les autres. En rendant enfin heureux ceux qui ne tolèrent pas le gluten, on fait d’une pierre deux coups, on rend heureux les végétariens parce que le gluten est un produit miracle pour donner de la consistance à des préparations qui n’en ont pour ainsi dire pas. Je n’entrerai pas dans les détails mais on retrouve du gluten dans les saucisses, les hamburgers industriels, les fines tranches de dinde qui se présentent avant d’être coupées sous forme d’une énorme saucisse, dans des confitures, des sauces prêtes à l’emploi, du faux poulet (voir la photo pour vous mettre en appétit) ou encore des glaces en tant qu’agent de texture naturel mélangé avec des extraits d’algues, j’en parle puisque c’est l’été et la saison des cornets de glace dégoulinants et beaux à voir et bons à déguster mais hautement toxiques. 

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Ce que l’on aperçoit sur cette photo (Wikipedia), ce n’est pas du poulet mais un aliment artificiel ressemblant à de la viande, même la peau de poulet a été imitée, et les ingrédients sont conformes aux attentes des végétariens puisqu’ils sont tous d’origine végétale

Si vous n’êtes pas encore dégouté, j’en rajoute un couche, Katherine Tallmadge, une fameuse nutritionniste américaine le dit clairement, ces intolérances au lactose ou au gluten sont en réalité un effet indirect de l’industrialisation de la nourriture et des règles d’hygiène des élevages. Je m’explique pour une bonne compréhension. Pas le moindre morceau de viande de bœuf, de poulet, de dinde ou de canard est exempt d’antibiotiques massivement utilisés dans les élevages et la flore intestinale s’en trouve amoindrie dans sa diversité. Les bactéries supposées métaboliser le gluten ont disparu de nos intestins. Mais il y a pire, nous sommes devenus tellement jaloux de notre hygiène que nous nous aspergeons au cours de la moindre douche de produits variés qui pénètrent dans notre organisme par la peau et qui modifient également l’équilibre bactérien de notre tube digestif après avoir détruit celui de notre peau. Pire encore, le moindre rhume est une bonne occasion de se momifier avec des antibiotiques inutiles, comme si on n’en avait pas assez, et c’est le coup de grâce, on devient de moins en moins capable de digérer correctement ces aliments industriels dont la qualité est pourtant garantie. Cette nutritionniste incrimine aussi le « trop d’hygiène » avec l’apparition d’allergies variées puisque non seulement on dérègle la flore intestinale mais également la flore bactérienne de la peau. Juste un dernier détail pour vous mettre en appétit, cette farine débarrassée de son gluten est avantageusement utilisée pour fabriquer des fausses chips qui n’ont plus rien à voir avec la pomme de terre, on n’arrête plus le progrès … Bon appétit !