Néolithique : après le pain le fromage

 

Il y a quelques jours, le 23 août, j’avais laissé sur ce blog un billet relatif aux premiers pains jamais cuits par l’homme, les habitants natufiens du nord-est de la Jordanie actuelle il y a 14000 ans avant l’ère présente. Cette activité, à l’évidence, était un signe d’une sédentarisation progressive des peuplades de chasseurs-cueilleurs, le site de Shubayqa ayant probablement été occupé durant de nombreuses années. Puis la sédentarisation qui est datée aux alentours de 10000 ans avant l’ère présente a favorisé l’apparition de l’élevage bovin et les migrations vers l’Europe occidentale, ce à quoi on assiste aujourd’hui pour d’autres raisons, ont également introduit l’élevage dans cette Europe verdoyante et favorable au maintien d’un élevage qui présentait une alternative sécurisante pour l’alimentation. Ces migrants savaient faire du pain mais il avaient également appris à faire du fromage.

Ce sont des restes de poteries curieusement percées de petits trous ménagés avec des brins de paille avant leur cuisson dont on finit par trouver leur utilité car ils avaient intrigué les archéologues pendant de nombreuses années. Il s’agissait de faisselles, tout simplement ! Peut-être que nos ancêtres avaient aussi découvert que quelques plantes permettaient de coaguler le lait comme par exemple le jus des feuilles d’artichaut bien avant la découverte de la présure qui ne fut découverte qu’à la fin du XIXe siècle. Mais le lait finit par coaguler également par l’action de bactéries ou de champignons microscopiques. Il faut cependant noter que l’utilisation du jus d’artichaut ou encore de feuilles de figuier est toujours d’actualité chez les peuples montagnards du Maroc pour fabriquer du fromage. Pour information destinée aux détracteurs des organismes génétiquement modifiés, l’industrie agro-alimentaire moderne utilise largement de la chymosine produite par une souche d’Aspergillus niger surexprimant cet enzyme qui se trouve originellement dans l’estomac des veaux allaités sous la mère.

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Des fragments de ces faisselles préhistoriques ont été retrouvés en Pologne et datées de 7500 ans avant l’ère présente. Comme l’indique l’illustration ci-dessus il a donc fallu plus de 3000 ans pour que la pratique de l’élevage se répande dans le nord de l’Europe depuis le Levant à la faveur des migrations. Ces recherches archéologiques relatives à l’élevage ont été corroborées par des études génétiques des populations car qui dit élevage et donc production de lait sous-entend qu’une partie du lait était aussi directement utilisée pour l’alimentation avant toute fermentation. Quoi de meilleur que du lait bourru directement sorti du pis d’une vache ? Cela fait partie de l’un de mes souvenirs de petite enfance …

Or pour digérer le lait confortablement il faut que notre intestin grêle soit capable de sécréter l’enzyme, la lactase, qui scinde le lactose en ses deux constituants, le glucose et le galactose. Il s’agit d’un enzyme dit inductible qui n’est synthétisé qu’en présence du lactose du lait. La propriété d’induction de la synthèse de cet enzyme disparaît le plus souvent irréversiblement après le sevrage de l’enfant. Les études archéologiques ont montré que de nombreuses poteries datant du néolithique, dont ces faisselles mentionnées plus haut, contenaient des traces d’acides gras typiques du lait. Les populations qui prospérèrent en Europe du Nord le purent qu’à la faveur de l’apparition d’une mutation du promoteur, il s’agit d’un fragment d’ADN, du gène codant pour la lactase 13910 bases avant le gène de ce dernier enzyme, mutation appelée -13910*T. Il a suffi de la présence de cette mutation sur un seul allèle du gène de la lactase pour que les peuples puissent se nourrir de lait sans l’inconfort provoqué par l’absence de lactase. Cette seule mutation a également favorisé le peuplement des régions du nord de l’Europe, en particulier de la Scandinavie, car le lait contient de la vitamine D qui ne peut être synthétisée par l’organisme à partir d’ergostérol qu’en présence de suffisamment de rayons solaires.

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La carte ci-dessus est intéressante sur plusieurs points. Outre la Scandinavie et le nord de l’Europe on retrouve la plus forte fréquence de l’allèle de la lactase muté dans le nord-ouest de l’Afrique correspond à l’élevage traditionnel des chèvres, dans la péninsule arabique correspond à l’élevage des dromadaires dont le lait était et est toujours utilisé directement par les Bédouins et enfin dans la partie pakistanaise du sous-continent indien pratiquant l’élevage bovin traditionnellement. C’est dans les îles britanniques et en Scandinavie que l’on retrouve aujourd’hui la plus grande proportion de porteurs de la mutation -13910*T, des pays où la consommation de lait non fermenté et de fromages à pâte cuite contenant toujours du lactose sont les plus répandus. Dans des pays comme la Turquie cet allèle a presque disparu car les désagréments de la digestion du lait en l’absence de lactase ont été contournés avec l’usage du lait fermenté à l’aide de bactéries comme les yaourts ou le kéfir, bactéries qui réduisent pratiquement à néant la teneur en lactose dans le produit final. Que mes lecteurs se rassurent je suis encore en bonne santé bien que je boive chaque jour un litre de lait de vache entier.

Sources et illustrations : Nature et Human Heredity, doi : 10.1159/000360136