Les jumeaux au secours de la recherche sur le cancer

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Malgré les progrès de la médecine, les hommes paient toujours un lourd tribu au cancer puisqu’on estime à 12 millions le nombre de nouveaux cas de cancers chaque année dans le monde entrainant 8 millions de décès. Dans les pays scandinaves, Danemark inclus, le cancer représente plus du tiers des décès. Pour améliorer la prévention il est nécessaire de mieux connaître les facteurs génétiques et environnementaux favorisant cette pathologie. De nombreuses études ont montré clairement qu’il existait des prédispositions familiales et la biologie moléculaire a apporté des éclaircissements sur les incidences de « cancers familiaux ». Par exemple il n’y a maintenant plus aucun doute au sujet de la prédisposition familiale au cancer de la prostate avec un risque augmenté de 42 %. Il en est de même pour les cancers colo-rectaux (35%) et du sein (27%). Pour mieux cerner cette prédisposition familiale il existe dans les pays scandinaves des registres détaillés datant des années 1870 relatifs aux jumeaux hétérozygotes ou homozygotes. Cette immense base de données, Nordic Twin Study of Cancer (NortwinCan), concerne au total 357377 jumeaux ! En excluant tous les individus pour lesquels il manquait des informations 203691 dossiers ont été étudiés et parmi ceux-ci 27156 cas de cancers ont été répertoriés.

Comme cette étude incluait les jumeaux hétérozygotes (faux-jumeaux) il a été possible d’établir une différence entre l’incidence familiale au sens large, des jumeaux hétérozygotes pouvant être considérés comme des enfants pouvant parfaitement avoir été issus de deux gestations séparées dans le temps, donc, et l’incidence génétique directe avec les jumeaux homozygotes. Cette étude comportait en effet 80309 jumeaux homozygotes et 123382 jumeaux hétérozygotes du même sexe dont 104251 étaient de sexe féminin. Comme le risque d’apparition de cancers augmente avec l’âge, l’étude s’est focalisée sur la tranche d’âge 50-95 ans et il est immédiatement apparu et très clairement que l’incidence cumulée d’apparition de cancers était 8 % plus élevée que la moyenne de la population générale chez les jumeaux hétérozygotes et 32 % pour les jumeaux homozygotes. En d’autres termes quand un jumeau homozygote souffrait d’un cancer, dans les 40 années suivantes l’autre jumeau avait jusqu’à 46 % de « chance » (ce n’est qu’un terme statistique) de souffrir d’un cancer, mais pas nécessairement du même type alors que dans le cas des jumeaux hétérozygotes ce pourcentage de chance n’était que de 37 %.

Parmi les 23 types de cancers étudiés, les corrélations les plus significatives, hors facteurs environnementaux, ont pu être établies par ordre décroissant pour les cancers de la prostate, du sein, des poumons, du colon, de la vessie, de la peau (mélanomes inclus) et de l’estomac chez les jumeaux homozygotes. Il est intéressant de constater que pour les cancers du poumon la fréquence d’apparition de ce type de pathologie n’est pas significativement différent entre les jumeaux homozygotes et les jumeaux hétérozygotes probablement en raison de la difficile quantification des facteurs environnementaux comme le tabac, l’activité professionnelle ou la pollution. Cette étude fait donc ressortir l’importance d’une prise en charge attentive de certains types de cancers compte tenu de l’environnement génétique familial en particulier pour les cancers de la prostate, du sein, des ovaires, de l’utérus et les mélanomes.

Source : JAMA, doi : 10.1001/jama.2015.17703 aimablement communiqué par l’un des auteurs de cet article, illustration Harvard School of Public Health

Les jumeaux homozygotes et l’épigénétique

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Avant d’entrer dans les détails je me dois de faire quelques petits rappels aussi simples que possible pour ceux qui auraient la flemme d’aller chercher sur internet ce que signifie homozygote et épigénétique. Les jumeaux homozygotes sont issus du même œuf qui pour une raison inconnue se clone lui-même au cours des toutes premières divisions suivant la fécondation de l’ovule pour former deux œufs identiques. Rien à voir avec les faux jumeaux qui sont le fruit d’une double ovulation, chacun des ovules étant fécondé par un spermatozoïde différent. J’ai déjà disserté de la différence entre spermatozoïdes dans un même éjaculat ( https://jacqueshenry.wordpress.com/2012/08/25/cest-grace-aux-testicules-et-leurs-erreurs-de-copie-quon-est-different-des-singes/ ) et donc les jumeaux hétérozygotes sont différents l’un de l’autre. Les jumeaux homozygotes ont toujours fasciné les humains à tel point que certaines peuplades tuent l’un des deux, ne pouvant pas admettre qu’il puisse exister deux copies du même individu ou parfois les abandonnent à leur triste sort de nouveaux-nés. Ils ont aussi fasciné les scientifiques pour d’autres raisons. Puisque deux individus sont identiques génétiquement pourquoi présentent-ils néanmoins des différences variées visibles comme la taille, l’endurance physique ou le son de la voix, ou invisibles comme la résistance à certaines maladies ou au contraire la susceptibilité à d’autres affections, et enfin des comportements différents, affectifs, mentaux, sexuels, que sais-je encore. Si l’on part du principe que l’identité génétique doit avoir pour corollaire une identité totale physique, métabolique et mentale, l’étude conduite par le Professeur Tim Spector du King’s College à Londres réalisée et toujours en cours sur plus de 11000 paires de jumeaux homozygotes de tous ages a montré qu’en réalité les jumeaux homozygotes n’étaient pas totalement identiques en ce qui concerne l’expression des gènes. A ce point de mon récit, je dois faire un aparté pour expliquer pourquoi l’expression des gènes, donc non pas le patrimoine génétique puisqu’il est strictement identique chez les deux jumeaux, diffère d’un jumeau à l’autre en défiant le bon sens commun. L’ADN, le support de l’hérédité contenu dans les chromosomes est constitué d’un enchainement de trois milliards de lettres communément désignées A, T, G et C. Environ trente mille zones dites codantes correspondent à des gènes qui sont exprimés en protéines de tailles et fonctions variées. L’expression de chaque gène est associée à ce que l’on appelle un promoteur, un peu comme une ampoule électrique est commandée par un interrupteur. Pour le moment rien de très nouveau, mais là où les choses deviennent passionnantes c’est que l’expression d’un gène peut être altérée voire totalement supprimée par un processus acquis que l’on appelle épigénétique et qui est en réalité une modification de l’une des quatre lettres A, T, G ou C (pour adénine, thymine, guanine et cytidine) et c’est seulement la cytidine d’une région particulière du promoteur qui se trouve modifiée par un mécanisme appelé méthylation dont on sait maintenant grâce à de nombreuses études convergentes qu’il résulte largement de conditions environnementales comme la nourriture qu’on ingère, les maladies qu’on subit, la vieillesse, les produits chimiques qui flottent invisibles autour de nous, la fumée de cigarette pour ne pas la nommer, les médicaments pris souvent à tort, les rayons X et j’en passe. Pas étonnant que les jumeaux homozygotes deviennent « à la longue » différents puisqu’ils n’expriment plus à l’identique l’ensemble de leurs gènes. Pour bien vérifier ce fait, l’équipe de Spector a entièrement séquencé le génome de 3500 des 11000 jumeaux homozygotes qu’il a étudié en cherchant les différences de méthylation. Et les résultats sont allé de surprise en surprise. D’abord, par exemple, il n’existe pas « un gène de l’homosexualité » mais peut-être des centaines, il n’y a pas non plus « un gène » de l’ostéoporose mais également plusieurs centaines, et ainsi de suite. Un autre exemple encore plus anecdotique, les jumeaux ont moins de 25 % de chance de vivre à peu près aussi longtemps, à peu près voulant dire que si l’un des jumeaux atteint l’age de 80 ans, l’autre à 25 % de chance de lui survivre quelques années de plus ou d’avoir atteint cet age respectable. Si l’un des jumeaux souffre de polyarthrite, l’autre n’a que 15 % de chance de souffrir de la même maladie. Il en est de même pour les douleurs lombaires, le diabète, le cancer du sein ou l’obésité (il n’y a pas de gène de l’obésité, cette étude l’a montré) toutes les différences résident dans des différences de méthylation et donc d’expression des gènes (l’interrupteur électrique qui fonctionne une fois sur deux ou plus du tout) donc dans l’épigénétique ou en d’autres termes les caractères acquis qui sont d’ailleurs transmissibles sur plusieurs générations quand les cellules germinales ont elles-mêmes subi des méthylations. Grace à cette étude sur les jumeaux, Tim Spector a pu identifier 400 nouveaux gènes impliqués dans 30 maladies différentes dont l’ostéoporose, la polyarthrite, la susceptibilité au mélanome, l’espérance de vie ou encore la calvitie !

Source: King’s College (www.kcl.ac.uk) via The Guardian, crédit photo: site de Tim Spector (http://www.tim-spector.co.uk), deux paires de jumelles présentant le dernier ouvrage de Tim Spector.