Croire béatement en une intervention divine expliquant l’origine de la vie sur la Terre est une illusion et une attitude totalement anti-scientifique. Il y a des millions de milliards d’étoiles dans « notre » galaxie et il est tout aussi illusoire de considérer que la vie sur la Terre est un fait unique dans l’Univers. Tout l’univers est constitué des mêmes éléments chimiques que ceux retrouvés sur la Terre et il n’y a aucune raison pour que nous vivions sur une planète plus favorisée qu’une autre pour que les conditions favorisant l’apparition de la vie y aient été plus propices. Il y a eu la théorie de la génération spontanée démontée admirablement par Pasteur sur laquelle des générations de penseurs et de théologiens se sont raccrochés pour conforter leurs thèses relatives à une origine divine de la vie. Le vaste domaine de la chimie prébiotique va peut-être dans quelques années mettre aussi à mal cette idée insupportable pour un scientifique d’une origine divine de la vie.
La chimie prébiotique, c’est-à-dire pour simplifier l’étude de l’hypothèse de l’apparition de la vie dans les conditions qui prévalaient sur la Terre il y a 3 à 4 milliards d’années, reste toujours un domaine qui préoccupe les scientifiques. En effet arriver à expliquer par quel processus la vie est apparue sur la Terre mérite l’attention des chimistes, des biochimistes et des biophysiciens mais aussi des géologues et de leurs collègues géophysiciens. Pour imaginer une approche expérimentale à ce problème qui apporterait bien des réponses aux questions existentielles que l’on peut se poser il faut d’abord considérer quelle était la composition de l’atmosphère terrestre en ces temps reculés avant l’apparition de la vie. L’une des premières approches choisies fut la fameuse expérience de Stanley Miller (illustration, Wikipedia) réalisée en 1952. Elle consista à soumettre un mélange d’eau, de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène à des décharges électriques et d’observer ce qui se passait au bout d’un certain nombre de jours, de semaines ou de mois. Les moyens d’investigation analytique étaient à l’époque rudimentaires et les petits tubes scellés laissés par Miller furent analysés à nouveau par un de ses étudiants après sa mort en 2007. Il apparut que la reconstitution de cette « soupe primordiale » propice à l’apparition de la vie comme l’avait imaginée Charles Darwin sous forme d’un marais chaud avait été un franc succès.
Aujourd’hui encore, en particulier à l’institut de recherche Scripps de La Jolla près de San Diego, tenter d’expliquer l’apparition de la vie reste la préoccupation majeure d’une équipe de chimistes qui ont en quelque sorte repris les expériences de Miller en les étendant à d’autres conditions comme par exemple la présence de sels minéraux, d’acide cyanhydrique et quelques autres éléments pouvant entrer dans la composition de l’atmosphère primitive de la Terre, composés qui sont présents dans l’univers. Il restait cependant un très gros problème à résoudre. Compte tenu du fait que tous les êtres vivants, depuis les bactéries jusqu’aux vertébrés en passant par le phytoplancton, nécessitent la présence de phosphore sous forme de phosphate, comment un tel éléments chimique a-t-il bien pu apparaître dans des composés relativement simples qui ont pu éventuellement évoluer vers des structures complexes résultant de processus d’auto-assemblage ? Dans de nombreuses voies de synthèse biologique le phosphate est d’une importance incontournable et il en est de même pour l’énergie des cellules vivantes avec notamment l’ATP (adénosine triphosphate) et la phosphocréatine dans les cellules musculaires. Ce dernier composé d’une extrême importance biologique contient d’ailleurs une liaison phosphore-azote. Ajouter du phosphate et une pincée de métaux comme du zinc ou encore du fer dans la reconstitution de la « soupe primordiale » ne permet pas de voir apparaître au cours du temps, parfois des semaines dans une épaisse solution dans l’eau de ces ingrédients, un quelconque métabolite phosphaté ou, comme disent les spécialistes, phosphorylé.
C’est après un long cheminement que l’équipe du Docteur Ramanarayanan Krishnamurty de l’Institut Scripps a enfin découvert le chainon manquant qui permet d’obtenir toutes sortes de molécules biologiques d’importance contenant dans leur structure un groupement phosphate. Il s’agit d’un composé pouvant apparaître lorsque du cyclotriphosphate, appelé aussi métatriphosphate, se trouve en présence d’ammoniaque dans un milieu aqueux et ce n’est pas fortuit car dans certains environnements géologiques particuliers comme les sources chaudes d’origine volcanique la présence d’un tel processus chimique a été démontrée. Ce « chainon manquant » est le diamidophosphate (DAP, illustration Scripps).
Sachant maintenant avec certitude que l’expérience de Miller reprise et améliorée par la suite dans plusieurs laboratoires de recherche prébiotique permet l’apparition de la plupart des molécules d’importance biologique comme des sucres, des acides gras, pratiquement tous les amino-acides ainsi que les bases puriques et pyrimidiques qu’on retrouve dans l’ADN et l’ARN, du DAP a été mis en présence de tous ces métabolites. Avec une surprise indicible l’équipe de Ram Krishnamurty a constaté par analyse fine l’apparition de petits peptides, de brins d’acides nucléiques ou encore de phospholipides. Ces derniers, constituants fondamentaux des membranes cellulaires, forment spontanément des vésicules au cours de cette « incubation » parfois longue des ingrédients de la « soupe primordiale » comme s’il s’agissait de proto-cellules vivantes :
Avec cette ébauche de vivant le temps a ensuite fait son travail et il y a peut-être trois milliards d’années, alors que la Terre était soumise à une intense activité volcanique et encore bombardée par des météorites, évènements favorisants l’apparition de ces constituants de la vie et du DAP qui pouvait se former dans un tel environnement et en présence d’eau, les premières cellules vivantes primitives se sont organisées et ont lentement évolué pour devenir celles que nous connaissons aujourd’hui. Comme tous les constituants du « vivant » se retrouvent dans l’Univers et par conséquent également sur la Terre et n’importe quelle autre planète gravitant autour de n’importe quelle étoile, la vie est très probablement apparue avec ces mêmes « briques » biologiques qui apparaissent lorsque ces conditions « primordiales » sont réunies. Contrairement à ce qu’affirmait Aristote le facteur temps a joué un rôle incontournable et ce temps a réconcilié en quelque sorte les deux facteurs nécessaires à l’apparition de la vie si chers à Jacques Monod, le hasard et la nécessité. Pour paraphraser Monod, le hasard a fait apparaître les éléments constitutifs du vivant qui se sont organisés avec le temps d’une façon telle qu’elle semble une nécessité pour l’apparition de la vie.
Sources : Scripps News Release du 6 novembre 2017 et aussi : Nature (doi : 10.1038/nchem.2878), article aimablement communiqué par le Docteur Ram Krishnamurty qui est très vivement remercié ici. Illustrations : Scripps Institute et Wikipedia